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Dossier de la rédaction

Kami Haeri, associé, Quinn Emanuel Urquhart & Sullivan : «L'approche française de la class action a quelque chose de déséquilibré»

Le constat dressé sur la «class action» à la française par les députés Philippe Gosselin et Laurence Vichnievsky dans leur rapport d’information est mitigé. L’occasion de faire le point sur ce dispositif ainsi que sur les propositions des députés pour le relancer avec Kami Haeri, associé chez Quinn Emanuel Urquhart & Sullivan.

A quoi attribuez-vous le faible succès de l’action de groupe en France ?
La class action à la française a tout d’abord connu un démarrage difficile, car elle était limitée à des sujets liés à la consommation et seules les associations de consommateurs représentatives à l’échelle nationale étaient éligibles à la mettre en œuvre. Les initiateurs de ces réformes ont vendu l’espoir d’une procédure rapide et très favorable au consommateur, alors même que cette procédure reste soumise aux règles habituelles en matière de procès et c’est heureux. Il est donc normal que les questions de qualité à agir, d’intérêt à agir ou de causalité aient été rigoureusement examinées par les tribunaux, en prenant le temps nécessaire pour le faire. Dans ces conditions, il peut sembler difficile de redynamiser le mouvement. L'approche française de la class action a quelque chose de déséquilibré.

Que pensez-vous du rapport d’information produit par Philippe Gosselin et Laurence Vichnievsky ?
La plupart des règles évoquées dans ce document semblent avoir vocation à élargir les droits des demandeurs, auxquels les députés accordent une attention marquée, au détriment des professionnels poursuivis. Je doute que cet élargissement suffise à remédier à des faiblesses persistantes. Le législateur français a voulu un système très léger pour l’action de groupe mais il présente des fragilités. Le point de départ du procès peut se construire à partir de la situation de deux consommateurs, et qui pourra ensuite devenir un standard pour des dizaines voire des milliers d’autres consommateurs. Tout d’abord, on peut se demander pourquoi le droit de recourir à ce dispositif n’est octroyé qu’à des associations. Des avocats spécialisés en droit de la consommation pourraient très bien le mettre en œuvre eux aussi. Or, ce n’est pas le cas. Je m’étonne de cette défiance du politique vis-à-vis de notre profession concernant la constitution de l’action de groupe. Pourtant, il y a des moyens sophistiqués comme des plateformes numériques pour agréger des demandes. Il va devenir plus simple de lancer des actions collectives rassemblant 50 initiatives individuelles plutôt qu’une action de groupe pour 50 personnes. L‘écosystème de l’action collective s’enrichit, tandis que celui de l’action de groupe reste assez balisé et cloisonné dans une dynamique assez particulière.

Que pensez-vous de la proposition N° 4 des députés qui autoriseraient les associations à faire la publicité de l’action de groupe qu’elles souhaitent intenter afin de faciliter l’identification du nombre de consommateurs lésés et de quantifier le montant du préjudice ?
Je trouve cela très surprenant, car cela permettrait une publicité avant la décision de justice, sans préciser qui en supporterait les coûts. En droit français, la publicité des procédures ou des décisions est encadrée. En matière de class action, la publicité est prévue après l’éventuelle condamnation du professionnel et aux frais de celui-ci afin que le groupe puisse se constituer. Le législateur l’a voulu ainsi pour protéger la sérénité des débats judiciaires et éviter une exposition publique du défendeur avant que le tribunal ait statué. Et voilà qu’il est proposé d’institutionnaliser une large publicité lors du démarrage du procès. Ce n’est pas sain, car les conséquences pour le professionnel peuvent être désastreuses alors même que les débats n’ont pas encore commencé.

Le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne se sont mis d’accord pour que des actions de groupe soient possibles dans l’Union européenne. Est-ce que cela peut relancer le sujet en France ?
L’idée de class actions européennes répond à une tendance de fonds qui est celle de l’interrégulation à laquelle fait écho le projet de parquet européen. Mais cela suppose d’harmoniser les procédures civiles et commerciales à l’intérieur de l’Union. Chantier complexe et dense. Certains pays ont des procédures avec de la discovery, pratiquent l’audition de témoins, d’autres non. Il y aura forcément des questions d’égalité de traitement susceptible de déboucher sur des recours devant les juridictions européennes. Pour un fonctionnement optimal, il faut aussi sanctionner les procédures abusives. En France, cela supposerait de réellement valoriser l’article 700 du Code de procédure civile sur les frais et dépens. Dans une de leurs propositions, les députés semblent y prêter une attention, surtout au bénéfice des demandeurs et sans jamais évoquer de sanction en cas de pratique abusive. 

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