Dossier de la rédaction
Les stratégies de contournement du «bloc de compétences» de l’administration en matière de contrôle des plans de sauvegarde de l’emploi
L’accord national interprofessionnel (ANI) signé le 11 janvier 2013 a permis de juguler l’insécurité juridique auxquels les employeurs faisaient face lors de la mise en œuvre de plans de sauvegarde de l’emploi (PSE). L’article L. 1235-7-1 du Code du travail a confié à l’administration un bloc de compétences lui permettant de contrôler le contenu du PSE et la régularité de la procédure. Dans cet article, nous examinons la jurisprudence récente en matière de contournement de ce bloc de compétences.
Par Jérôme Halphen, associé, DLA Piper
Jusqu’en 2013, la mise en place et le contenu des plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) étaient laissés à l’entière responsabilité de l’employeur avec le risque, en cas de contentieux individuel, qu’un juge, plusieurs années plus tard, vienne considérer ce PSE comme nul. Les licenciements en application de ce PSE étaient alors eux-mêmes nuls et les salariés pouvaient demander, outre les dommages et intérêts pour licenciement abusif, une indemnité pour licenciement illicite d’au moins douze mois de salaire (1). Il existait donc une très forte insécurité juridique avec des enjeux financiers extrêmement importants. Cette insécurité était alors décriée par les organisations patronales, mettant en avant le frein qu’elle constituait pour favoriser l’investissement et l’emploi en France.
Afin d’apporter une plus grande sécurité, les partenaires sociaux sont convenus, par l’accord national interprofessionnel (ANI) signé le 11 janvier 2013, de confier le contrôle de la validité des PSE à l’administration, en l’occurrence à la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte), en instaurant des délais courts de recours contre la décision de l’administration. Les termes de cet accord ont été transposés dans le Code du travail par la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi.
L’article L. 1235-7-1 du Code du travail confie ainsi à l’administration, sous le contrôle du juge administratif, un bloc de compétences concernant le contrôle du contenu du PSE et la régularité de la procédure. Ce bloc de compétences a toutefois été récemment attaqué par le biais de stratégies de contournement amenant ainsi le tribunal des conflits à clarifier le partage de compétences entre le juge administratif et le juge judiciaire en matière de contrôle de la validité des PSE et des risques psychosociaux consécutifs à la mise en œuvre du projet de restructuration.
Le contrôle de la validité des PSE
Par un arrêt du 25 mars 2020 (2), la Chambre sociale de la Cour de cassation a ainsi jugé que l’action de salariés tendant à obtenir le respect de dispositions contenues dans un accord de méthode, préalable à un PSE et que ce PSE n’aurait pas repris, relève du juge administratif. Les juges rappellent en effet que, dans son contrôle de la validité du PSE, l’administration doit vérifier la conformité de celui-ci aux dispositions législatives et aux stipulations conventionnelles applicables. Elle en conclut que, sous le couvert de demandes tendant à obtenir l’exécution des engagements énoncés dans le cadre de cet accord de méthode, les salariés contestaient le contenu du plan de sauvegarde de l’emploi dont le contrôle relève de la seule compétence de la juridiction administrative.
Par un autre arrêt du même jour (3), la Cour précise que la contestation par les salariés de l’appréciation de la validité des critères d’ordre relève du juge administratif dans la mesure où ils sont fixés par le PSE, dont le contrôle relève de la seule compétence de la juridiction administrative.
Très récemment, s’est posée la question de la compétence de la juridiction amenée à connaître la question de la fraude au transfert, automatique et de plein droit, des contrats de travail en cas de transfert d’entreprise, lorsque des licenciements sont prononcés antérieurement en application d’un PSE. L’employeur faisait valoir que cette question relevait du bloc de compétences de l’administration. Néanmoins, dans un arrêt «Pari mutuel hippodrome» du 10 juin 2020 (4), la Cour juge que le juge judiciaire demeure «compétent pour connaître de l’action exercée par les salariés licenciés aux fins de voir constater une violation des dispositions de l’article L. 1224-1 du Code du travail, de nature à priver d’effet les licenciements économiques prononcés à l’occasion du transfert d’une entité économique autonome, et de demander au repreneur la poursuite des contrats de travail illégalement rompus ou à l’auteur des licenciements illégaux la réparation du préjudice en résultant».
Le contrôle des risques psychosociaux consécutifs à la mise en œuvre du PSE
Une autre stratégie a été avancée, cette fois-ci pour contourner les délais de consultations des PSE qui sont strictement encadrés. Illustrée dans l’affaire Alstom Grid (TGI Nanterre, 11 décembre 2019), le comité social et économique «CSE» de cette société avait saisi le tribunal en référé pour voir ordonner la suspension de la mise en œuvre du PSE tant que le CSE n’était pas consulté sur les mesures d’identification et de prévention des risques psychosociaux et de la souffrance au travail des salariés dans le cadre de la consultation d’un PSE. Le préfet avait déposé un déclinatoire de compétences dans la mesure où il estimait que ce litige ressortait de la compétence administrative. Ce même tribunal avait retenu sa compétence et enjoint à Alstom Grid de suspendre son projet de réorganisation tant que la consultation sur les risques psychosociaux n’était pas achevée.
A la suite d’un arrêté, le préfet a élevé le conflit devant le tribunal des conflits. Celui-ci a jugé dans son arrêt du 8 juin 2020, Syndicat CGT Alstom, que «dans le cadre d’une réorganisation qui donne lieu à élaboration d’un plan de sauvegarde de l’emploi, il appartient à l’autorité administrative de vérifier le respect, par l’employeur, de ses obligations en matière de prévention des risques pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs». Il rappelle que l’administration doit contrôler tant la régularité de l’information et de la consultation des institutions représentatives du personnel que les mesures auxquelles l’employeur est tenu en application de son obligation de sécurité au titre des modalités d’application de l’opération projetée, ce contrôle n’étant pas séparable du contrôle de la régularité de la procédure et du contenu du PSE.
En conséquence, il en conclut qu’il n’appartient qu’à la juridiction administrative de connaître de la contestation de la décision prise par l’autorité administrative. En revanche, il précise que «le juge judiciaire est pour sa part compétent pour assurer le respect par l’employeur de son obligation de sécurité lorsque la situation à l’origine du litige, soit est sans rapport avec le projet de licenciement collectif et l’opération de réorganisation et de réduction des effectifs en cours, soit est liée à la mise en œuvre de l’accord ou du document ou de l’opération de réorganisation».
Cette précision conforte la position de la Cour de cassation qui avait adopté une position similaire en 2019 (Cass. soc, 14 novembre 2019, n° 18-13.887). Dans cette affaire, un CHSCT avait, deux ans après la mise en œuvre d’un PSE, agit afin que soit suspendue la réorganisation tant que les mesures de sécurité ne seraient pas mises en œuvre. La Cour avait jugé que cette demande relevait des tribunaux judiciaires dans la mesure où les demandes tendaient au contrôle des risques psychosociaux consécutifs à la mise en œuvre du projet de restructuration.
Par conséquent, c’est un critère temporel qui est adopté : toute demande relative à l’évaluation des risques psychosociaux faite jusqu’à l’homologation ou la validation relève du juge administratif et toute demande faite après, du juge judiciaire qui retrouve compétence au stade de l’exécution sous certaines conditions.
(1). Article L. 1235-11 du Code du travail dans sa rédaction d’avant le 1er juillet 2013.
(2). Cass. soc. 25 mars 2020 n° 18-23.692 FS-PB.
(3). Cass. soc. 25 mars 2020 n° 17-24.491 FS-D, C.
(4). n° 18-26.229 ; 18-26.230.