La question du choix de la place de cotation doit se poser en amont de l’IPO, le moment le plus propice pour arbitrer entre les critères juridiques, fiscaux, les considérations commerciales et les données exogènes liées aux conditions de marché, à la présence de comparables sectoriels et à l’écosystème d’analystes et d’investisseurs.
On peut rester une société française à l’ancrage culturel fort et créer une holding à l’étranger, délocaliser son siège, et se coter sur une autre place que Paris. Des exemples récents l’ont démontré. Prendre le temps de la réflexion et de la comparaison des différents scenarios de cotation est donc crucial avant de sauter le pas de l’introduction en bourse car, a posteriori, il est bien plus complexe d’opérer un transfert ou de changer de place de cotation : en pratique, un retrait n’est envisageable que si l’émetteur est déjà coté sur un autre marché sur lequel se trouve la liquidité principale. Une fois la société cotée, il reste possible de changer de place de cotation à l’occasion d’une opération de fusion-absorption, par exemple dans le contexte d’un rapprochement entre égaux et plusieurs réflexions en ce sens existent. Un contexte M&A forcément plus complexe et contraint que la phase pre-IPO où les dirigeants sont encore seuls maîtres à bord pour décider sereinement de la place boursière la plus adaptée au profil de la société et à leurs propres ambitions.
Eléments de comparaison
Souvent, ce travail de réflexion et de «benchmark» consiste à départager Euronext Paris et le Nasdaq dont l’attractivité a déjà fait ses preuves auprès de pépites françaises, les principaux critères de choix restant toutefois liés à la localisation des activités de la société, l’accès aux investisseurs, l’existence de comparables et la couverture d’analystes. Nous avons procédé à une comparaison informelle entre les conditions de cotation à Paris et au Nasdaq selon six critères «juridico-pratiques» :
La (dé)localisation du process de préparation
Une cotation au Nasdaq se prépare aussi bien à Paris qu’à New York, ce qui n’est pas le cas pour les autres places boursières (Londres et Hong Kong notamment) qui nécessitent qu’au moins une partie des équipes gérant le dossier soit sur place. Il n’est donc pas indispensable de détacher un contingent pendant des mois à New York pour préparer l’IPO sur le Nasdaq avec des équipes de conseil exclusivement américaines, le savoir-faire des équipes d’avocats biculturelles comme la nôtre permet de maintenir tout ou partie du processus à Paris.
Le calendrier
La durée du processus pour une cotation au Nasdaq est similaire à celle que nécessite une IPO sur Euronext Paris (soit 12 à 13 semaines à partir du dépôt du document de base à l’AMF ou la SEC), étant précisé toutefois que les délais de revue par la SEC peuvent être en pratique plus longs que ceux de l’AMF. À cet égard, la récente réforme de l’AMF entrée en vigueur fin 2014 participe à l’alignement des pratiques parisiennes sur celles des principales bourses mondiales, et notamment le Nasdaq, en donnant aux analystes des banques du syndicat un accès aux informations en amont de la publication du document de base enregistré par l’AMF, qui officialise le coup d’envoi de l’IPO.
La gouvernance d’entreprise
Une société qui s’introduit à Paris se conforme aux dispositions du code de commerce applicables aux sociétés cotées et aux règles de gouvernance du code AFEP/Medef («comply or explain»). Toutefois, si elle se cote sur le Nasdaq, elle échappe à ces règles sans pour autant être soumise aux règles de gouvernance américaines, à quelques exceptions près, concernant notamment la composition du comité d’audit qui doit être conforme aux règles de la SEC ou la mise en place d’une procédure d’alerte («whistleblower»). Il s’agit là d’une asymétrie juridique intéressante qui fait profiter les sociétés françaises cotées au Nasdaq d’une marge de liberté pour établir elles-mêmes des règles de gouvernance adaptées à leur propre situation.
L’encadrement de la rémunération des dirigeants
Une société de droit français cotée sur Euronext Paris est notamment soumise aux dispositions applicables aux sociétés cotées encadrant la rémunération, les indemnités et avantages du code de commerce, et notamment aux nouvelles dispositions de la loi Macron qui limitent les retraites «chapeau». La même société cotée au Nasdaq n’est pas soumise à ces règles ni aux règles américaines en la matière. De même que précédemment, les entreprises françaises cotées sur le Nasdaq peuvent bénéficier d’une souplesse qui leur permet une autorégulation sur ce sujet sensible qui exacerbe toutes les crispations anti-patronales dans l’Hexagone.
La responsabilité des dirigeants
Sur ce plan, les réglementations française et américaine partagent de nombreux points communs, même si aux États-Unis les recours contentieux sont plus fréquents et coûteux. Cela dit, la jurisprudence américaine a récemment limité la multiplication des recours en excluant du champ du contentieux boursier les investisseurs non américains ayant investi dans des sociétés étrangères en dehors des États-Unis, comme on l’a vu dans le cas de Vivendi où les «class actions» des investisseurs étrangers ont été déboutées devant la juridiction américaine.
L’obligation d’information du public
Là encore, nous relevons beaucoup de similitudes entre le prospectus publié en France et son équivalent américain, avec toutefois une exigence supplémentaire réclamée par la SEC : le contrôle interne des procédures de remontée d’information y est plus lourd avec des obligations de certification par les dirigeants des systèmes d’audit et de contrôle plus pesantes qu’en France. Mais ces contraintes sont alégées pour les entreprises générant moins d’un milliard de dollars de chiffre d’affaires.Cette comparaison montre clairement que la lourdeur du processus est parfois surestimée par les candidats à la cotation au Nasdaq, qui ne prennent pas toujours le temps d’une réflexion aboutie sur le gain en souplesse et les marges de liberté qu’offre cette expatriation boursière. À condition bien entendu que le profil de la société soit assez attractif pour les investisseurs et analystes Outre-Atlantique.
ADR, instrument avantageux pour l’émetteur
Sur un volet plus technique, les entreprises étrangères désireuses de se faire coter aux États-Unis le font le plus souvent sous forme d’ADR («American Depositary Receipt»). Ce sont des titres libellés en dollars U.S. émis par une banque américaine en contrepartie du dépôt d’actions étrangères sur ses livres. La banque gère pour le compte de l’émetteur les flux de dividendes et le registre des détenteurs. Certains émetteurs, par exemple les sociétés néerlandaises, peuvent coter directement leurs actions. Ce fut le cas de STMicroeletronics, cotée à Paris, à Milan et à New York et qui a fait le choix de coter directement ses actions sur le NYSE. Toutefois, les ADR offrent certains avantages tels qu’une contribution aux frais de cotation par les banques dépositaires, le versement des dividendes en dollars pour les investisseurs américains et parfois un système de pouvoirs en blanc de la part des porteurs d’ADR qui n’exercent pas leur droit de vote. D’ailleurs, la multiplication des programmes d’ADR non «sponsorisés» par les émetteurs reflète un appétit certain des investisseurs américains pour ces instruments.
Enfin, sur le plan comptable, la SEC accepte depuis plusieures années les comptes IFRS, et donc les questions de divergence entre les normes appliquées en Europe et les comptes US Gaap ne représentent plus un obstacle à la double cotation.
Questions à… Hervé Letréguilly, Partner
Comment voyez-vous l’évolution du marché des IPO ?
Le marché des introductions en Bourse a été très actif ces derniers mois et a réservé de belles surprises, malgré le coup de semonce de l’été qui a provoqué le report ou l’annulation de quelques opérations comme ce fut le cas pour Labco. Nous étions au rendez-vous de la reprise des IPO, ayant notamment conseillé l’opération qui a relancé le marché fin 2013, à savoir Blue Solutions, la filiale du groupe Bolloré spécialisée dans les batteries électriques. Nous sommes intervenus également aux côtés d’Euronext lors de son IPO en 2014, qui a reçu le prix « Equity Deal of the Year » décerné par the International Financial Law Review (IFLR). Le marché devrait également continuer à être porteur pour les techs et les biotechs, avec des notamment des opérations sur le Nasdaq. Les dossiers dont nous disposons aujourd’hui dans le Pipe promettent un début d’année 2016 très animé. Les opérations restent toutefois très sensibles à la volatilité des marchés.
Quelles sont les particularités de votre équipe dédiée à ce dossier ?
Notre expertise sur les marchés des capitaux est reconnue depuis la naissance de la pratique en France que nous avons été parmi les pionniers à exercer à Paris. Nous avons également une grande expérience des cotations (simples et multiples) sur des places étrangères (U.S. mais aussi européennes ou asiatiques). Cette expérience, aussi bien sur Euronext que sur d’autres places financières, et principalement le Nasdaq, nous permet d’appréhender les dossiers avec une appproche intégrée et, s’agissant de cotation aux U.S., une capacité d’adapter de manière souple et pragmatique des règles pouvant apparaître contradictoires ou trop contraignantes.
À cela s’ajoute notre leadership en matière de rémunération et de gouvernance dont Sami Toutounji s’est fait une spécialité depuis l’émergence des dispositifs d’intéressement salarial ; nous intervenons pour une grande majorité du CAC 40 ainsi que de nombreuses autres sociétés cotées françaises ou européennes. Cette position nous aide à anticiper, voire à faire évoluer les règles toujours plus nombreuses et complexes, et à en maîtriser les ressorts pour les adapter aux besoins particuliers de nos clients.