Ségolène Coiffet, associée en restructuring chez De Pardieu Brocas Maffei, intervient auprès des banques dans les procédures amiables et collectives. Elle nous livre son analyse du paysage actuel du restructuring en France.
Les taux de défaillance sont repartis à la hausse ces derniers mois en France. Quels commentaires cela vous inspire-t-il ?

Ségolène Coiffet : Les avocats en restructuring sont des urgentistes qui doivent intervenir vite. Mais, depuis quelques mois, l’urgence devient plus vive avec des dossiers d’entreprises en difficulté qui nous parviennent en procédure amiable dans des états déjà très dégradés. Il arrive que ces entreprises passent sans transition de procédure amiable en procédure collective.
Certains chiffres sont parlants. Prenons l’exemple du département des Hauts-de-Seine, qui est celui dans lequel se trouve la plus forte concentration d’entreprises de plus de 1 000 salariés en France. Près de 250 procédures amiables y ont été ouvertes en 2023, soit deux fois plus qu’en 2022 et cinq fois plus qu’en 2019. Dans 70 % des cas, ces procédures ont permis d’éviter une procédure collective. Sur le reste du territoire, la progression des ouvertures n’a pas excédé les 4 %.
Le rythme auquel les banques reçoivent ces dossiers s’est accéléré depuis la fin de l’année dernière et les premières semaines de 2025. Ce sont souvent des PME/PMI ou des ETI, tous secteurs confondus (retail, BTP, automobile, services, promotion immobilière, industrie), qui sont touchées, avec des retombées socio-économiques importantes à l’échelon local, notamment sur le tissu des fournisseurs et co-contractants.
Constatez-vous un recours plus large à des outils ayant fait la preuve de leur efficacité comme les mandats ad hoc ou la conciliation ?
Beaucoup de chefs d’entreprise méconnaissent encore ces procédures. Pour eux, franchir la porte du tribunal de commerce est déjà en soi un aveu d’échec. Ils le vivent très mal, alors que ces procédures, confidentielles, peuvent être d’une grande aide pour autant qu’elles soient utilisées suffisamment en amont. Les sociétés sont par ailleurs souvent réticentes à l’idée de faire homologuer le protocole de conciliation par le tribunal, la simple mention du jugement au Bodacc révélant l’existence d’une procédure de conciliation passée et donc de difficultés. Cette publication est toutefois également la manifestation du traitement de ces difficultés.
Comment les banques ont-elles appréhendé les changements liés à l’abandon des comités de créanciers au profit des classes de parties affectées ?
L’approche est nécessairement différente au regard des objectifs qui ont guidé la réforme et imprègnent aujourd’hui les nouveaux textes, c’est-à-dire la prise en considération de la valeur économique de la créance plus que de la nature de celui qui la porte et, plus globalement, de la valeur économique de la société concernée et de ses actifs et donc de la place et des droits laissés à chacun dans le futur plan. Les banques et, plus généralement, les créanciers, sont donc désormais parties prenantes dans les négociations liées à la construction du plan sur lequel ils devront, in fine, voter. A cet égard, la réforme induit un vrai changement de paradigme et certaines négociations peuvent parfois ressembler à ce que l’on connaît dans les procédures amiables, naturellement dans le cadre plus « impératif » des procédures collectives et des règles imposées par le législateur.
La boîte à outils du traitement des entreprises en difficulté vous semble-t-elle exiger des amendements ?
Dans le domaine du restructuring, la loi évolue assez souvent en fonction de la pratique. On l’a vu, par exemple, en son temps, avec la sauvegarde financière accélérée, d’abord créée par les praticiens du droit avant d’être entérinée par le législateur. A mon avis, il ne faut pas aller trop vite. On constate dans de nombreux cas que ce qu’on pensait être un problème n’en est finalement pas un et qu’il se règle dans la pratique, voire parfois avec le positionnement des tribunaux de commerce sur certains sujets. Mais il y aura probablement quelques ajustements à la marge.