Parole d’expert

Précisions sur l’articulation des statuts et actes extrastatutaires dans la SAS

Publié le 24 octobre 2025 à 10h00

Hogan Lovells    Temps de lecture 5 minutes

La chambre commerciale de la Cour de cassation a rendu le 9 juillet dernier deux arrêts (en formation de section et destinés à une publication au Bulletin civil pour en souligner l’importance) concernant une question très sensible pour les praticiens du droit des sociétés : la direction de la SAS et l’articulation, sur ce point, des statuts et des actes extra-statutaires, en particulier s’agissant de la révocation d’un directeur général.

Par Stéphane Huten, associé, Hogan Lovells

Le premier arrêt (Cass. com., 9 juill. 2025, n° 24-10.428, FS-B) s’inscrit dans le droit fil d’un arrêt antérieur qui avait jugé que « si les actes extra-statutaires peuvent compléter ces statuts, ils ne peuvent y déroger » (Cass. com., 12 oct. 2022, n° 21-15.382). Cette solution est réaffirmée et précisée dans un cas où les statuts d’une SAS stipulaient que le directeur général (DG) pouvait être révoqué à tout moment et sans juste motif (ie une révocation ad nutum), par décision du président, et que la révocation de ce mandat n’ouvrait droit à aucune indemnité. En conséquence, la décision prise à l’unanimité par les associés, lors d’une assemblée générale ayant désigné le DG, de prévoir des conditions de révocation différentes de celles prévues par les statuts n’était pas régulière, contrairement à ce qu’avait admis la cour d’appel. La décision de celle-ci est censurée par la chambre commerciale qui, au visa des articles L. 227-1 et 227-5 du Code de commerce, juge : « il résulte de ces textes que les statuts de la société par actions simplifiée fixent les conditions dans lesquelles celle-ci est dirigée, notamment les modalités de révocation de ses dirigeants. Si une décision des associés peut compléter les statuts sur ce point, elle ne peut y déroger, quand bien même aurait-elle été prise à l’unanimité ». C’est dire que dans une SAS, la loi réserve aux statuts tout ce qui touche à la direction de la société (nomination, pouvoirs, révocation) et un acte extra-statutaire (pacte ou décision d’associés) ne peut pas y déroger. En résumé, dans une SAS, si les associés souhaitent changer les règles gouvernant la direction de la société, il convient de procéder à une modification des statuts en respectant les formes et les conditions prévues par la loi et les statuts eux-mêmes. En revanche, un acte extra-statutaire peut valablement préciser et compléter les statuts, mais sans y déroger. Relevons que cette articulation est propre à la SAS et n’exclut pas le maintien d’aménagements plus souples admis pour l’organisation de la direction dans d’autres formes sociales.

Le second arrêt (Cass. com., 9 juill. 2025, n° 23-21.160 FS-B) complète l’édifice, s’agissant de l’efficacité de l’engagement souscrit envers le directeur général d’une SAS par les associés majoritaires, et non par la société, dans un protocole d’investissement et un pacte d’associés. Il y était prévu que ces associés s’engageaient à faire tout le nécessaire pour que le demandeur soit désigné en qualité de DG et conserve ses fonctions pendant une période minimale de deux ans, la décision de nomination devant prévoir le versement d’une indemnité forfaitaire en cas de révocation ou de réduction de ses attributions avant l’expiration de ce délai. Le directeur général avait été nommé dans ces conditions avant d’être révoqué de ses fonctions en méconnaissance de cet engagement et il demandait une indemnisation pour révocation brutale et vexatoire. La Cour d’appel de Nancy avait rejeté cette demande en retenant que les stipulations du protocole d’investissement n’étaient pas applicables car elles étaient contraires à l’article 16 des statuts prévoyant que le directeur général était révocable sans aucune indemnité. La chambre commerciale censure cette fois la décision des juges du fond au visa de l’ancien article 1134 du Code civil (dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016) posant la règle de la force obligatoire, en énonçant : « cette disposition extra-statutaire ne renferme qu’un engagement personnel des signataires du protocole d’investissement de faire le nécessaire pour que la décision de nomination de l’intéressé en qualité de DG prévoie le versement d’une indemnité forfaitaire en cas de révocation ou de réduction de ses pouvoirs avant l’expiration d’un délai de deux ans, de sorte qu’elle n’est pas contraire à l’article 16 des statuts de la société ». Sont ainsi consacrées la validité et l’efficacité de l’engagement personnel des associés (et non de la société), dans un pacte extra-statutaire, « de faire le nécessaire » (une forme de promesse de porte-fort) pour que le dirigeant soit indemnisé en cas de révocation de ses fonctions, alors même que les statuts prévoient une révocation sans indemnité. 

Les deux arrêts sont d’une parfaite cohérence et renforcent la sécurité juridique attendue par les praticiens : dans la SAS, la prééminence des statuts dans certains domaines exclut d’y déroger (mais non de les compléter) par des actes extra-statutaires. Ceux-ci peuvent aussi valablement renfermer des engagements personnels des associés envers un dirigeant dont la violation est sanctionnée par l’allocation de dommages et intérêts sur le fondement de la responsabilité civile contractuelle. Ces solutions concilient habilement le respect de l’ordre sociétaire et la force obligatoire des pactes d’associés.

Dans la même rubrique

Investissements étrangers : entre souveraineté et attractivité, un équilibre stratégique

Face à l’intensification des menaces commerciales et géopolitiques, la France dispose d’un arsenal...

Les clés d’une due diligence réussie sur le segment des PME et ETI

Avec environ 6 800 ETI et près de 160 000 PME en France, le terrain de jeu des investisseurs small...

M&A 2025 : le nouveau partage du risque réglementaire

Le marché des fusions-acquisitions résiste, mais les variables décisives ne sont plus seulement le...

Voir plus

Chargement en cours...

Chargement…