Parole d’expert

M&A 2025 : le nouveau partage du risque réglementaire

Publié le 24 octobre 2025 à 10h00

Willkie Farr & Gallagher LLP    Temps de lecture 5 minutes

Le marché des fusions-acquisitions résiste, mais les variables décisives ne sont plus seulement le prix et les fondamentaux industriels. Un troisième déterminant s’est imposé : le risque réglementaire. 

Fabrice Veverka, Avocat associé, fusions et acquisitions, et Lafia Chaïb, Avocate, fusions et acquisitions, Willkie Farr & Gallagher LLP

Entre politiques antitrust plus strictes, contrôle des investissements étrangers (FDI), contrôle des subventions étrangères (FSR) et dorénavant, devoir de vigilance (CS3D/CSDDD), l’autorisation d’une opération dépend de plus en plus d’autorités aux attentes différentes, avec des calendriers qui s’allongent et des points d’entrée nouveaux pour le risque. Résultat : la réussite d’un deal tient autant à la qualité de son montage qu’à la façon dont les parties se partagent ce risque réglementaire, en amont et dans la documentation contractuelle.

Sur le volet concurrence, la ligne s’est durcie. Aux Etats-Unis, la FTC et la division antitrust du DOJ demandent davantage de documents en pré-notification et privilégient, quand il le faut, des remèdes structurels plutôt que purement comportementaux. Au Royaume-Uni, la CMA assume une approche volontariste, y compris sur des opérations qui n’appellent pas de notifications ailleurs. Dans l’Union européenne, la récente jurisprudence de la CJUE a levé une partie de l’incertitude : la Commission ne peut plus accepter un renvoi pour les opérations sous les seuils si l’autorité nationale n’est pas compétente en droit interne. Mais le risque n’a pas disparu : dès lors qu’une autorité dispose d’un pouvoir de call-in ou d’une base de compétence nationale, elle peut saisir Bruxelles. Pour les acheteurs, l’enjeu n’est donc pas seulement d’anticiper des remèdes : il s’agit d’orchestrer une stratégie de notifications cohérente et un récit concurrentiel crédible dans plusieurs juridictions à la fois.

Le filet FDI s’est lui aussi resserré. La plupart des Etats membres disposent d’un mécanisme de contrôle, pendant que l’Union européenne s’emploie à harmoniser périmètres et procédures. La logique n’est pas de viser uniquement des investisseurs « sensibles », mais de capter les opérations touchant des chaînes de valeur stratégiques (données, technologies, infrastructures). Conséquence pratique : les long-stop dates doivent intégrer ces délais additionnels, et les conditions de réalisation s’organisent en matrices où chaque autorité peut infléchir la trajectoire globale.

A cette double couche s’ajoute le FSR, véritable troisième ligne de contrôle pour les opérations dépassant certains seuils. Au-delà du formalisme, c’est l’effort d’inventaire des « contributions financières étrangères » qui change la donne : il faut cartographier subventions, garanties, avantages fiscaux et autres soutiens reçus dans le monde sur plusieurs années. Mal préparée, cette étape peut décaler de plusieurs mois un calendrier théorique ; bien anticipée, elle se pilote avec des clean teams et des pre-filing packs dédiés.

L’ESG devient enfin une condition de faisabilité opérationnelle. La directive CS3D/CSDDD impose aux entreprises concernées d’identifier, de prévenir et d’atténuer les atteintes aux droits humains et à l’environnement dans leurs chaînes de valeur, selon un calendrier d’entrée en vigueur échelonné. En M&A, cela se traduit par des audits plus profonds, des plans de remédiation datés et mesurables, et une gouvernance d’intégration post-closing capable d’exécuter ces plans.

Face à cette complexité, la pratique contractuelle a évolué. Les conditions suspensives sont désormais structurées par autorité et par régime (antitrust/FDI/FSR), avec des prorogations ciblées. Surtout, la pratique privilégie des closings séquencés : on finalise là où les autorisations sont obtenues, on exclut temporairement une entité ou une juridiction en attente, avec ajustement de prix et option de réintégration une fois l’autorisation délivrée. Aussi, les obligations de coopération se précisent : standards de remèdes (clauses de hell or high water nuancées par plafonds et exclusions stratégiques), échanges d’informations encadrés, calendrier de notifications séquencé.

Côté valeur-temps, les mécanismes s’affinent : les ticking fees compensent le coût du délai ; les break fees deviennent « à géométrie variable », indexés à l’issue réglementaire (interdiction, autorisation conditionnelle lourde, etc.) ; les earn-outs jouent un rôle d’amortisseur quand les remèdes peuvent réduire le périmètre ou l’Ebitda, ce qui partage l’aléa entre vendeur et acheteur. L’assurance W&I, centrée sur la couverture des inexactitude des garanties, n’assure pas l’obtention des autorisations ; en revanche, on voit apparaître des polices dédiées pour couvrir spécifiquement des risques réglementaires.

Ainsi, un deal en 2025 s’évalue comme une équation simple : prix × probabilité d’autorisation × temps. Le « nouveau partage du risque réglementaire » consiste à internaliser tôt le coût du temps, à calibrer les remèdes acceptables et à structurer un signing-to-closing modulaire. Ce n’est plus un chapitre annexe : cela devient un aspect à part entière de la création de valeur dans les deals M&A d’aujourd’hui.

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