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La désintermédiation révolutionne le financement des PME et ETI françaises

Publié le 12 juin 2015 à 17h01    Mis à jour le 12 juin 2015 à 18h56

L’activité de conseil offre un poste d’observation exceptionnel sur l’ensemble des entreprises françaises, de la PME à la multinationale avec plusieurs milliards d’euros de chiffre d’affaires. Concernant leur financement, PwC observe que la situation varie justement en fonction de la taille et du profil de l’entreprise.

Les entreprises de très grande taille, à qui les banques offrent un ensemble de services, ne rencontrent pas plus de problèmes qu’avant la crise lorsqu’il s’agit de trouver des financements. La situation est plus difficile par contre pour les grosses PME, les entreprises de taille intermédiaire ou celles dans des situations particulières (forte croissance, difficultés temporaires, etc.) qui doivent alors se tourner vers la désintermédiation. «Ce n’est pas quelque chose de nouveau dans le principe puisqu’on y avait jusqu’alors abondamment recours dans le cadre des financements à effet de levier, les “leverage loans”, mais c’est une pratique qui s’exporte désormais vers d’autres formules de financement», observe Arnaud Heck, responsable Debt & Capital Advisory chez PwC France.

Les entreprises, qui lisent des articles sur le sujet ou qui se font approcher directement, connaissent peu les prêteurs non bancaires dont le positionnement n’est pas toujours simple à comprendre, notamment pour les directeurs financiers qui avait jusqu’alors l’habitude d’échanger quasi-exclusivement avec les prêteurs classiques et les actionnaires. La donne est pourtant en train de changer radicalement. Les prêteurs non bancaires se spécialisent et, portées par une réglementation plus favorable à leur émergence,  de nouvelles formes de financement sont proposées aux dirigeants des entreprises. 

L’origine de cette évolution – qui dans les faits révolutionne la manière de financer les entreprises – se trouve dans les difficultés rencontrées par les banques à réunir des tours de table autour de projets de financement. Or les entreprises ont toujours besoin de financer leur stratégie de développement voire se refinancer ! Dès lors, elles, qui avaient il y a 10 ans en général une vingtaine, voire une trentaine d’interlocuteurs potentiels, en ont aujourd’hui, selon leur profil et leurs besoins, plus de 300. Les directeurs financiers des ETI françaises ont alors la charge de faire le tri entre tous ces nouveaux acteurs qu’ils soient spécialisés dans le financement unitranche, dans le placement privé, dans le financement subordonné voire en «quasi-fonds propres», dans le financement d’acquisition, dans le financement de projet, dans les LBO ou encore dans le crédit syndiqué. Face à la complexification du paysage, ils  se tournent vers ces nouveaux acteurs non bancaires qui, pour l’essentiel, sont issus des secteurs de l’assurance et de la gestion d’actifs. Encore faut-il choisir les bons et leur tenir le bon discours !

 

La nécessité de faire appel à des acteurs pérennes

L’augmentation de la base des prêteurs en Europe exige en effet des directeurs financiers un surcroit de vigilance dans leur choix de partenaires. On estime à environ 300 le nombre d’acteurs européens très actifs, c’est-à-dire d’acteurs qui disposent d’encours supérieurs à 3 milliards d’euros. Au-delà des conditions de financement proposées, il faut considérer d’une part la capacité du prêteur à opérer dans un contexte international et d’autre part son aptitude à assurer sa mission de financement sur la durée. Il est en effet toujours compliqué pour une entreprise d’être en affaires avec un prêteur qui disparait. On l’a vu lors des dernières crises, il est essentiel de choisir ses partenaires pérennes pour traverser le plus sereinement possible les périodes difficiles. Pour ce faire, mieux vaut privilégier les acteurs dont l’activité est correctement diversifiée, tant d’un point de vue géographique que sectoriel. Par ailleurs, leur surface financière doit être suffisante pour opérer cette diversification. «De petits acteurs généralistes locaux peuvent émerger mais leur capacité de négociation sur les places internationales ne doit pas être réduite et il convient de surveiller leur aptitude à faire face lorsque le contexte économique se durcit. Aux  Etats-Unis et en Angleterre, où le marché du financement non bancaire s’est développé il y a plus de vingt ans, beaucoup de ces petits acteurs locaux ont  disparu pendant les crises des années 90 et 2000», souligne Arnaud Heck. 

 

L’insuffisance du nombre d’acteurs français dans le financement non-bancaire

Depuis 2013, les financements non-bancaires sont désormais courants dans le paysage économique français. Plus précisément, la modification du code des assurances au cours de l’été 2013, a permis au financement non-bancaire de gagner en volume pour représenter aujourd’hui environ 30 % des encours selon Arnaud Heck, contre 10 % il y a dix ans à peine. Il s’agit bien sûr d’une moyenne. Les pourcentages varient grandement d’une niche de financement à l’autre : 90 % pour les financements subordonnés, presque 100 % pour les financements distressed où seuls des acteurs anglo-saxons sont présents, 35 % pour les crédits syndiqués. Dans un tel contexte, les acteurs  français indépendants sont rares. Ils se comptent sur les doigts d’une main avec, par exemple, Tikehau et Idinvest.

 

L’émergence des conseils en financement

La conséquence directe de la complexification du paysage du financement des PME implique l’émergence de nouveaux partenaires pour les directeurs financiers : les conseils en financement. Ceux-ci vont aider les dirigeants, jusqu’alors habitués aux financements classiques et au recours au high yield, complexe et souvent onéreux, à s’orienter vers de nouvelles solutions de financement à des conditions plus adaptées. Ces conseils sont de plus en plus utilisés, la diffusion des solutions non bancaires étant un phénomène récent en Europe. Il a d’abord touché l’Angleterre, les Pays-Bas, la Pologne, l’Espagne, les pays scandinaves et même l’Italie. Pour les années à venir, on peut s’attendre à une croissance de l’ordre de 20 à 30% par an de l’activité des cabinets de conseil en financement.

 

Les liquidités des assureurs cherchent des débouchées

Hors high yield, une part importante du financement non bancaire des PME et ETI provient des groupes d’assurance.  Par exemple, on estime leur part de marché à 40, voire 50%. Dans les financements placement privé, elle atteindrait même 70%. Ces groupes disposent de liquidités très importantes, peu onéreuses au regard du taux d’inflation. Ils sont donc capables de se positionner sur le marché du financement des PME et ETI, estimé à 450 milliards d’euros. 

Questions à... Arnaud Heck, Head of Debt & Capital Advisory, PwC France

Quels sont selon vous les problématiques actuelles du marché du financement de l’entreprise ?

Face à la concurrence accrue de solutions alternatives aux financements bancaires pour les PME et ETI, les chefs d’entreprises et directeurs financiers doivent aujourd’hui se tourner vers des solutions non bancaires qui, globalement, sont particulièrement difficiles à appréhender tant leur variété est grande et les termes hétérogènes. Le marché est donc entré dans une phase d’évolution rapide et les entreprises, dont les besoins de financement restent importants, doivent s’adapter.

 

Quelles sont les particularités de votre équipe dédiée à ces dossiers ?

Dans le domaine du conseil en financement, nous disposons d’une équipe indépendante et internationale d’une centaine de personnes. Elle gère, en Europe, un volume de 13 à 14 milliards d’euros par an. L’ouverture internationale de notre équipe nous permet notamment d’appréhender les pratiques de nombreux marchés du point de vue de la désintermédiation comme les Etats-Unis, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la Suède, la Norvège ou encore le Brésil. Bien sûr, nous sommes également très présents sur les financements locaux, ainsi qu’en amont et en aval du financement : analyse stratégique, due diligence, communication financière, respect des normes ou encore suivi de trésorerie, optimisation du BFR.

 

En quoi l’émergence d’acteurs français du financement non bancaire des PME est importante ?

Le financement non bancaire est la clé de voute du financement à venir des PME et des ETI. Lorsqu’une entreprise française doit par exemple financer sa croissance externe, il lui faut bien sûr trouver les financements nécessaires mais aussi s’appuyer sur des partenaires fiables qui connaissent bien à la fois son écosystème et le fonctionnement des marchés internationaux. Lorsque le marché du financement non bancaire est quasi-exclusivement occupé par des firmes étrangères, le risque est de voir ces acteurs se recentrer sur leurs marchés domestiques en période de crise au moment où les entreprises françaises en auraient le plus besoin. Pour répondre aux besoins des PME et ETI françaises, il faudrait voir émerger entre 5 et 10 acteurs non bancaires français, issus des secteurs de l’assurance ou de la gestion d’actifs, d’envergure européenne et avec des encours importants. Dans ce domaine où les acteurs anglo-saxons ont pris une avance considérable, les enjeux sont très importants pour l’économie française. La création des Fonds Novo en 2013 et Novi en 2015, pour financer les PME et ETI, va d’ailleurs dans ce sens.

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