Les projets d’infrastructure et d’énergie renouvelable tirent les investissements en Afrique pour alimenter la croissance d’un continent en pleine effervescence.
Les taux de croissance africains qui flirtent depuis des années avec les 5 et 6 % font rêver les investisseurs d’une Europe en stagnation structurelle. Malgré un ralentissement de la croissance en 2015, le continent africain est sur une dynamique largement positive, portée par l’émergence d’une classe moyenne, ce qui est synonyme de consommation de biens et services et par des besoins d’infrastructure immenses notamment pour accompagner une urbanisation rapide et massive. Dans son rapport annuel sur les perspectives économiques en Afrique, l’OCDE soutient que la croissance moyenne du continent, aujourd’hui à 3,7 %, devrait se redresser autour de 4,5 % en 2017.Autant dire que l’appétit n’a jamais été aussi grand pour les investissements dans cette région.
Bien sûr, ces investissements n’irriguent pas de manière homogène les 54 pays de ce vaste continent qui connaissent des situations économiques et des problématiques très différentes. La situation du Gabon par exemple, qui a bâti sa croissance sur ses ressources pétrolières et qui a connu une stabilité politique durant quatre décennies (récemment compromise malheureusement), est très différente de celle de pays voisins qui ont peu de ressources naturelles ou qui ont moins su tirer partie de leurs ressources naturelles pourtant existantes. Situation différente également de celle de pays qui ont subi des crises majeures, comme la Côte d’Ivoire qui a connu un chaos politique ayant gelé pendant plusieurs années sa dynamique de croissance, dynamique aujourd’hui retrouvée. Cette diversité des contextes géopolitiques et des situations économiques se traduit par une hétérogénéité des besoins d’investissement, en fonction des états d’avancement dans la structuration de filières des industries de transformation qui représentent un enjeu majeur de création de valeur et de développement humain.
L’accès à l’énergie comme priorité
On peut tout de même dresser de grandes tendances régionales qui reposent sur des «drivers» communs à tout le continent. L’exceptionnelle vitalité démographique pousse une urbanisation galopante et le développement rapide de nouveaux marchés de consommation. L’émergence d’une classe moyenne locale est de surcroît alimentée par le retour d’une diaspora formée dans les meilleures universités américaines et européennes et animée par une véritable culture entrepreneuriale. Or, pour soutenir les projets de développement qui foisonnent aux quatre coins du continent, les besoins en infrastructure et surtout en énergie sont considérables. 620 millions d’Africains, soit les deux tiers de la population, sont privés d’électricité, souvent en zone rurale. D’où l’importance de l’enjeu de l’accès à l’énergie, défini comme une des principales priorités de la Banque africaine de développement, depuis l’arrivée à sa tête, l’année dernière, de l’ancien ministre de l’Agriculture du Nigeria Akinwumi Adesina. L’institution entend se positionner comme le leader en matière de financement des énergies renouvelables et d’électrification de l’Afrique, en y redéployant une bonne partie de 6 milliards d’euros qu’elle investit annuellement dans des projets de développement. Il faut dire que les initiatives se multiplient pour rattraper le retard de l’Afrique sur le plan énergétique. On peut citer notamment l’Initiative africaine sur les énergies renouvelables (AREI) qui a été plébiscitée lors de la COP 21, où plusieurs pays, dont la France, ont promis 10 milliards de dollars (8,8 milliards d’euros) pour installer 10 GW de capacités électriques supplémentaires sur le continent d’ici à 2020. Il ne s’agit là que d’une première étape. Le projet, mûri au sein des institutions panafricaines et approuvé par le comité des chefs d’Etat africains sur le changement climatique, prévoit de porter à 300 GW d’ici 2030 la puissance des installations éoliennes, solaires, hydrauliques… Soit deux fois plus que ce dont dispose aujourd’hui l’Afrique, toutes énergies confondues.
Rupture technologique
L’importance des progrès réalisés dans les technologies des énergies renouvelables ouvre de nouvelles possibilités pour contourner le coût très élevé des infrastructures d’électrification classiques, incapables de suivre le rythme de l’urbanisation galopante et les besoins immenses des populations rurales. On voit naître de plus en plus de projets «off grid» ou en «mini-grid» qui permettent d’alimenter en énergie alternative les populations de zones restreintes sans passer par le réseau national géré par l’opérateur national local.
On peut à ce titre faire l’analogie avec le secteur de la téléphonie où la démocratisation des mobiles a permis d’équiper en masse les populations africaines qui n’avaient pas accès à la téléphonie fixe. L’accompagnement dans cette révolution énergétique se fait à la fois sous l’impulsion des agences de développement et des acteurs privés. Ainsi, de l’initiative Scaling Solar lancée par la Banque mondiale. Il s’agit d’un «guichet unique» ayant pour objectif de mettre en service des centrales solaires photovoltaïques reliées au réseau électrique et financées par le secteur privé, en deux ans et à des tarifs concurrentiels. Après la Zambie qui a intégré le programme il y a deux ans et devrait bientôt disposer de deux centrales solaires opérationnelles de 50 MW chacune, le Sénégal s’est aussi rallié à cette initiative en signant un accord pour la mise en service d’ici deux ans, d’une centrale solaire d’une capacité de 50 à 200 MW d’énergie solaire photovoltaïque connectée au réseau. Il faut noter toutefois que cette initiative, du secteur public, fait l’objet de réserves voire de critiques de la part de certains acteurs privés. Une telle initiative doit trouver sa place sans perturber les initiatives menées par les développeurs et investisseurs privés.
Par ailleurs, le coût de la technologie solaire photovoltaïque a fortement chuté. Aujourd’hui, cette technologie permet de produire de l’électricité à un prix du kWh inférieur à celui proposé par les installations fonctionnant par exemple au fuel et qui sont en outre exposées à l’instabilité des marchés internationaux du pétrole. L’énergie solaire, elle, offre un prix n’ayant pas ou peu de variabilité (modulo les clauses d’indexation retenues dans les contrats d’achat d’électricité). Sans parler de l’énergie hydraulique, très compétitive en terme de prix du MW. Pour autant, les coûts de développement de ce type de projet demeurent un sujet majeur dans un environnement juridique et réglementaire hétérogène, et pas encore stabilisé dans la plupart des pays africains. D’où la nécessité de réaliser un état des lieux des nouvelles lois sur les énergies renouvelables qui d’ailleurs ne s’articulent pas forcément de manière parfaite avec les situations préexistantes de monopole de l’opérateur d’électricité local par exemple ou avec les lois ou concessions déjà en place. S’ajoute à ces risques de frottements le sujet du foncier qui revêt une importance majeure dans ce type de projet. La sécurisation du terrain, pour une centrale solaire ou éolienne par exemple, doit parfois passer par une procédure d’inscription du terrain au domaine national, cela afin que l’Etat puisse ensuite octroyer un bail de longue durée à l’investisseur. La question du tarif de rachat ne bénéficie pas non plus du même environnement qu’en France, et passe souvent par des négociations ad hoc en fonction des pays, négociations qui se poursuivent ensuite lors du financement du projet, par des négociations portant en particulier sur les éventuelles garanties souveraines et les accords directs à mettre en place. Autant de sujets à sécuriser avec des outils juridiques qui nécessitent parfois une certaine dose d’inventivité et surtout une connaissance approfondie de la culture et des pratiques locales pour trouver des solutions sur mesure.
Questions à… Eric Villateau, associé, DLA Piper
Comment définiriez-vous la signature de votre cabinet ?
DLA Piper est reconnu comme un des cabinets leaders mondiaux avec un ADN international affirmé grâce à ses implantations historiques en Amérique, Asie Pacifique, Europe, Afrique et Moyen-Orient. Au sein du bureau parisien, nous sommes plus de 170 avocats, dont 40 associés, et nous offrons à nos clients une pluridisciplinarité et une large couverture sectorielle.
Quelles sont les particularités des dossiers que vous traitez sur le continent africain et comment accompagnez-vous vos clients ?
DLA Piper compte parmi les cabinets d’avocats les plus actifs du continent africain, grâce à une équipe pluridisciplinaire d’avocats exerçant dans de nombreux secteurs. Outre nos deux bureaux implantés à Casablanca et Johannesburg, souvent considérés comme principaux points d’entrée du continent, nous disposons d’un large réseau de partenaires locaux sous la bannière de DLA Piper Africa. Nous avons d’ailleurs remporté en septembre le prix African Network of the Year lors de la cérémonie annuelle des African Legal Awards, signe de reconnaissance de notre force de frappe sur le continent.
Le monde des affaires en Afrique implique des opportunités et des enjeux bien spécifiques, ce qui nécessite de saisir les nuances culturelles, économiques et politiques de ce vaste continent. Malgré les spécificités de chacun des 54 pays qui le composent, nous avons la chance de disposer d’approches coordonnées dans certaines régions ou sous-régions du continent. Ainsi en est-il de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA) qui fédère aujourd’hui 17 pays autour des mêmes règles de droit dans plusieurs matières importantes pour les investisseurs comme notamment le droit des sociétés, le droit des sûretés et l’arbitrage pour ne citer que celles-ci. Grâce à cette intégration juridique réussie, nous disposons d’un outil juridique extraordinaire, harmonisé et stable tout en étant capable d’évoluer et qui se trouve parfois à l’avant-garde sur certaines problématiques, comme en droit des sûretés sur le rôle de l’agent des sûretés et son patrimoine d’affectation. En revanche, certains sujets souffrent d’un vide législatif qui complique la sécurisation juridique de projets novateurs. Par exemple, certains pays affirment disposer de législations opérationnelles sur les PPP mais en y regardant de plus près, on se rend compte que les lois sont parcellaires ou que les décrets d’application font en réalité défaut. D’où l’intérêt de connaître le fonctionnement des arcanes juridiques locaux pour trouver des solutions pratiques et innovantes à des situations complexes.