Table ronde

Les LBO en difficulté changent de nature

Publié le 14 février 2014 à 15h32    Mis à jour le 29 juin 2021 à 10h29

Propos recueillis par Ondine Delaunay et Florent Le Quintrec

Les douze derniers mois n’ont pas été moins actifs que ceux de l’année précédente au niveau des LBO en difficulté. Si le secteur est aujourd’hui professionnalisé et que plusieurs avancées réglementaires sont à noter, les acteurs du restructuring constatent un changement de nature des dossiers traités. Etat des lieux du secteur par onze spécialistes de la matière.

Typologies des LBO en difficulté

Thierry Grimaux : Les LBO en difficulté ne sont pas tous de même nature. La distinction est importante pour le traitement à apporter. La première typologie de dossiers est celle des dossiers qui rechutent. Mais, ne nous leurrons pas, nous savions pour la plupart que ces dossiers auraient de nouvelles difficultés, et il n’y a pas, à mon sens, de solutions faciles et immédiates à apporter. La deuxième typologie est celle des dossiers d’entreprises qui sont pour la première fois en difficulté. Cette catégorie me déconcerte davantage par leur taille qui est bien plus importante. Ces sociétés ont fait preuve de résilience en 2008 et dans les années qui ont suivi, non pas parce qu’elles étaient mieux gérées mais parce qu’elles avaient une taille suffisamment importante pour tenir. La taille des dossiers s’accroît sensiblement, je pense qu’ils seront bien plus difficiles à traiter, et il faudra le faire opérationnellement. Enfin, n’oublions pas que sur l’ensemble des dossiers traités en 2008, plus d’un tiers est sorti par le haut et ce parce que nous avions à l’époque acheté du temps et que cela a servi à quelque chose.

Geoffroi de Saint Chamas : Je partage votre point de vue. Néanmoins, je considère que ces situations difficiles sont avant tout liées à l’ampleur et à la durée de la crise actuelle, et peut-être aussi à la fin du «paradigme de la résilience». En 2009 et 2010, un certain nombre de dossiers en difficulté ont été restructurés de façon superficielle, «à la française» diront certains, dans l’espoir d’une amélioration rapide de la conjoncture, à la différence de ce qui s’est fait à la même époque dans d’autres pays européens, notamment au Royaume-Uni.

Après plus de cinq années de crise, ce traitement a minima des problèmes montre dorénavant ses limites. Par ailleurs, même les dossiers réputés les plus solides, dont on avait considéré à l’époque où ils avaient été montés (2005-2007) qu’ils étaient insensibles aux aléas conjoncturels, se sont révélés fragilisés par la durée de la crise. Des secteurs ou des types d’activité jugés alors particulièrement résilients ont fini par subir une forme de dépendance à l’environnement macroéconomique et se trouvent parfois en proie à des difficultés majeures et non anticipées.

Enfin, la crise a accéléré la mutation de nombreux business models au-delà des certitudes de pérennité et de résistance qui prévalaient dans les années 2000. Dans ce contexte, nous sommes aujourd’hui confrontés à la nécessité de restructurer ces entreprises de manière beaucoup plus profonde, pas seulement sur le plan des covenants financiers ou des maturités des financements, mais également sur le plan de la structure de capital, et dans bien des cas sur le plan opérationnel.

Guillaume Cornu :  Je ne pense pas que les dossiers aient été restructurés de manière superficielle. Nous savions en 2008-2009, qu’un certain nombre de dossiers traités pourrait être problématiques en cas de «non rebond». Certains ont effectivement rechuté, mais d’autres ont pu mener à bien leur restructuration. Globalement, je pense qu’il est important de noter que la plupart des dossiers ont tout de même été traités de manière professionnelle par les acteurs du restructuring. Nous doutions tous de la réalité du «rebond» de 2010 et craignions pour la plupart le risque de la deuxième vague liée à la crise économique qui a suivi et dont l’ampleur était difficile à anticiper. En ce qui concerne les LBO, nous rencontrons donc, comme d’ailleurs pour certains corporate, deux types de situation. D’une part les «rechutes» de dossiers ayant fait l’objet d’une première restructuration en 2008/2009 et d’autre part, des LBO montés pendant la période «euphorique» de 2006 et 2007 avec le fameux mur de dettes. Ces nouvelles situations conjuguent d’une part des valorisations souvent élevées fondées sur des business plan «ambitieux» et des leviers parfois déraisonnables. La situation est fondamentalement différente entre ces deux situations. Les premiers sont souvent confrontés à une impossibilité pour les sponsors de remettre une nouvelle fois des fonds et très souvent à la nécessité de mener une restructuration opérationnelle en profondeur. La situation diffère pour les seconds qui doivent également mettre en œuvre tous les levi­ers opérationnels pour améliorer le niveau d’Ebitda et le cash, mais qui doivent avant tout mettre en place une restructuration de leurs bilan, une restructuration financière. Dans les deux situations nous constatons que l’ensemble des stakeholders souhaitent trouver une situation pérenne, pariant moins sur l’avenir, ce qui a pour conséquence d’accepter de prendre la perte tout de suite dans certains cas.

Rodolphe Pacciarella : Sauf à faire le pari d’une sortie de crise rapide, seules les sociétés présentant des fondamentaux solides peuvent obtenir un nouvel effort des prêteurs/actionnaires. A l’inverse et sans anticipation, la restructuration se fera alors au détriment de l’un des partenaires de l’entreprise.

Nicolas Theys : Je constate également que les outils que nous utilisions auparavant afin de pérenniser l’activité et l’exploitation des entreprises ne sont aujourd’hui plus si nombreux. Nous avons de moins en moins de possibilité de jouer sur les financements court terme, que ce soient sur les factors, sur les garanties données sur le new money ou sur les possibilités de lever de l’argent auprès d’autres prêteurs. Nous avons donc, par conséquent, de moins en moins de leviers pour financer l’exploitation. J’aimerais évoquer un autre point à mon sens important qui est celui de la cotation des assureurs crédit. Elle a, à tort ou à raison, un terrible impact sur le financement de l’exploitation BFR. Lorsque vous êtes sous LBO, vous êtes déjà sous surveillance et si jamais vous opérez dans un secteur d’activité où des entreprises ont déjà été défaillantes, l’accent sera mis sur votre entreprise et ce même si vous n’êtes pas réellement en difficulté.

Laurent Parquet : Nous ne sommes dorénavant plus sur des sujets financiers mais sur des véritables probl­ématiques opérationnelles. Auparavant, les «financiers» qu’ils soient banquiers, conseils ou actionnaires se réunissaient tous autour d’une grande table afin de décider de l’avenir de l’entreprise, et surtout de sa dette. Aujourd’hui, les situations de nombreuses entreprises nécessitent une remise en cause de leur business model et plus simplement un réaménagement des covenants. Ce sont effectivement parfois des LBO en difficulté mais ce sont avant tout des entreprises qui doivent être repensées, même si certaines d’entre elles génèrent encore des cash-flows. Nous devons aujourd’hui faire face à la nécessité de trouver de véritables projets afin de relancer ces entreprises et il faut prendre en compte le rôle important que doit jouer l’actionnaire dans un tel moment de la vie de l’entreprise. Il est important qu’un actionnaire et une équipe de management construisent ensemble ce nouveau projet afin d’éviter des désaccords lors du lancement d’importants chantiers stratégiques, au-delà des seules problématiques financières. Les problématiques sont donc aujourd’hui d’une tout autre ampleur et nous devrons tous avoir des réflexions très abouties avec le management, car les sociétés peuvent être totalement paralysées. Les outils sont effectivement épuisés, l’argent l’est également, mais le sujet n’est plus seulement de cet ordre-là.

Les IBR

Charles-Henri Carboni : Les postures sont différentes en fonction de la nature des dossiers, s’il est question de rechute, les fonds d’investissement ont davantage de difficultés à remettre de l’argent.

Ce retour des dossiers couplé à la durée de la crise a créé l’apparition d’une défiance au sein de la communauté bancaire sur les IBR, mais non pas sur la qualité des équipes qui les ont menés. Certains dossiers ont effectivement été construits avec des résultats qui se sont dégradés en raison du contexte économique. Il y a, à mon sens, l’apparition d’un challenge sur la ligne du haut et les auditeurs évoluent par ailleurs dans cette direction.

Nous savons tous très bien descendre de la ligne du haut jusqu’en bas, ce qui est parfait lorsqu’elle est pertinente. Nous avions d’ailleurs tendance à nous reposer sur les éléments fournis par le management afin de construire cette projection, ce qui aujourd’hui est parfois remis en question. Cela a par ailleurs favorisé la création chez les auditeurs de nouvelles structures ou de nouveaux départements, affichant davantage de stratégie prospective sur l’état du marché afin d’apporter une contradiction sur cette ligne du haut.

Olivier Marion : La ligne du haut est effectivement la base du raisonnement. Nos structures respectives de conseil travaillent depuis des années sur ces questions de stratégie. Mais je voudrais préciser un peu la situation de 2009-2010. Lors de cette première vague de LBO en difficulté, nous avons souvent vu des situations bloquées sur ces questions de perspectives commerciales, avec notamment un management peu enclin à faire réaliser une revue stratégique, car il en avait bien souvent déjà fait réaliser une en 2008, lorsque l’actionnaire souhaitait vendre la société mais sans succès en raison du retournement de l’économie. Un an après, la crise en vertical s’installait et les prévisions revues par les cabinets de stratégie, tous de renom, ne se sont pas réalisées compte tenu de la violence de cette crise non anticipée. Lors de cette première vague de restructuration, on demandait au management des sociétés quelle était leur vision du marché. Il était, bien entendu, très difficile de répondre à cette question. Avec cette absence de visibilité, les scénarios centraux se sont construits avec une durée de crise estimée à deux ans. Les sociétés demandaient donc un gain de temps de deux années pour redresser l’activité. C’est ce scénario qui a été retenu par l’ensemble de la communauté pour restructurer ces sociétés, mais il ne s’est malheureusement pas produit dans un certain nombre de cas. Ce que nous pouvions craindre s’est finalement concrétisé : une crise en «W» et nous ne sommes pas encore au bout de nos peines. La question d’un regard sur la ligne du haut se pose alors. Il est par ailleurs bien souvent complété par un regard sur le modèle opérationnel et sur sa pertinence face à la perspective actuelle et de ce que l’on peut anticiper d’elle dans les années à venir. Les revues faites aujourd’hui donnent un regard important sur les perspectives d’un groupe, mais elles ne sont pas fermes et définitives. Elles apportent un regard extérieur appréciable et qui constitue un consensus de ce que le marché peut anticiper d’une société.

Charles-Henri Carboni : Les assureurs crédit peuvent effectivement venir affaiblir l’essor de la restructuration financière dans le cadre d’un LBO. En partant du principe que la ligne du haut de l’IBR a été bien maîtrisée, après, c’est toute chose égale par ailleurs, en particulier avec les données des crédits fournisseurs. Si les assureurs crédit apprennent que l’entreprise a des difficultés, ils peuvent se retirer à tout moment et il est difficile de l’anticiper. Se pose donc la question de savoir s’il faut les inviter autour de la table en amont pour essayer de les rassurer, ou si cette initiative crée le problème. La première difficulté consiste à les inviter autour de la table, car ils n’ont pas de relation contractuelle avec les entreprises concernées mais avec leurs fournisseurs. Il faut donc parfois passer par la médiation du crédit ou le CIRI. Et même quand on y arrive, il est extrêmement difficile de leur faire prendre des engagements de maintenir des lignes, des concours, de ne pas dégrader. C’est un aléa terrible par rapport au BFR et à la trésorerie.

Guillaume Cornu : Il me semble important de préciser un point sur la question des IBR. Il faut savoir s’adapter aux besoins et évolutions du marché. C’est également vrai pour ce qui concerne les IBR. Les attentes des banques notamment, ainsi que des sponsors comme des corporates sont différentes aujourd’hui. Cela rejoint les sujets précédents et les restructurations en profondeur liées à la sévérité de la crise économique. Les parties prenantes ont besoin d’IBR financières qui puissent être renforcées sur des aspects plus opérationnels et stratégiques. Nous devons être conclusifs, faire des recommandations et proposer des solutions qui ne soient plus uniquement financières. Il nous est demandé de plus en plus de travailler sur des scenarios alternatifs, incluant ce qu’appellent  nos amis anglo-saxon des «contingency plan».

Selon moi, le comportement des actionnaires n’a pas véritablement changé entre 2008 et aujourd’hui. Celui des banques a en revanche probablement changé face aux restructurations. Ces dernières sont beaucoup plus focalisées sur la valeur d’entreprise que sur la capacité de cash flow futur de l’entreprise permettant d’amortir la dette. Les solutions recherchées aujourd’hui tournent plus autour de la valeur de l’entreprise et de ses actifs, cette valeur étant calculée selon les différents scénarios envisagés.

Thierry Grimaux : Lors de la première vague de renégociations, les restructurations ont été faites par des financiers. Leur réflexion a surtout porté sur des montages, des solutions financières, des économies, des optimisations. Mais la création de valeur d’une entreprise repose sur l’opérationnel. Il faut partir de la ligne du haut et parler d’innovation, d’investissement, de parts de marché, etc. La majorité des restructurations précédentes étaient avant tout comptables. On a coupé dans le cœur de l’entreprise et il n’est pas étonnant que ces dossiers reviennent.

A contrario certains dossiers m’ont étonné. Ainsi une entreprise sous LBO dont le chiffre d’affaires était passé de 60 millions d’euros à 30 millions et qui avait donc été restructurée financièrement. Peu auraient parié sur elle. Elle a réinventé son modèle. Les intervenants se sont assis autour d’une table, ont fait une restructuration managériale, ont ouvert de nouveaux marchés, sont partis à l’étranger, ont changé leur business model, ont remplacé leur ancien chiffre d’affaires par un nouveau qui est aujourd’hui en croissance. Cette société est désormais positive en Ebit et en cash flow. Il faut créer cette valeur. Si le but de la restructuration est de se guérir en taillant tout investissement, on finit par guérir, mais aussi par mourir. Ainsi on meurt guéri.

Laurent Parquet : Dans ces situations, le fonds risque de ne plus jouer son rôle d’actionnaire car il n’a plus d’intérêt financier potentiel. La question est donc de savoir qui est présent, qui joue ce rôle d’actionnaire pour pouvoir porter le management dans ce moment critique ?

Eric-Marie Alajouanine : Ma lecture est un peu dif­férente. Il faut d’abord analyser si la difficulté d’un LBO vient de la holding ou de la cible. Un simple bris de covenant sur la holding qui porte la dette est un problème qui doit pouvoir se résoudre. Si la difficulté porte sur la rentabilité de la cible, la problématique est forcément différente et il faut trouver des solutions. Je n’adhère pas forcément à l’idée de recourir au factoring, qui peut certes résoudre un problème de trésorerie sur la cible, mais en aucun cas ne doit amener cette trésorerie à la cible dans l’espoir de la faire remonter à la holding.

Nicolas Theys : Je souscris totalement à cette approche car financer du long terme sur la société holding avec du court terme de la filiale n’est juridiquement pas possible sauf à contrevenir à la loi.

Eric-Marie Alajouanine : Il est certain que les choses se compliquent avec le retrait immédiat des assureurs crédit. La médiation ou le CIRI, tous les organismes qui gravitent autour du restructuring, malgré leurs efforts n’ont pas encore trouvé de solutions. Et les quelques accords qui ont pu être passés ont rarement été respectés. Les solutions qui peuvent être trouvées dépendent du profil de la cible, de son métier, des efforts déjà consentis, de la valeur de l’entreprise et du niveau d’endettement au moment où le dossier a été mis en place.

Au sujet des IBR, quels que soient le professionnalisme et l’expérience déployés par les cabinets d’audit, donner aujourd’hui aux banques une visibilité à quatre ou cinq ans relève de la boule de cristal. L’IBR peut conforter sur l’exercice tout juste terminé et sur l’exercice en cours, pour réfléchir à des solutions, il apporte une certaine visibilité sur le futur mais toute relative. Comme le prouvent les dossiers restructurés en 2008 et 2009, on ne pensait pas que la crise allait durer aussi longtemps et les mesures prises à l’époque semblaient adaptées.

Philippe Dubois : En effet, les difficultés ne sont pas uniquement liées à un endettement et un effet de levier trop élevés. Il y a vraiment des problèmes d’exploitation, confirmés par le fait que d’autres entreprises, qui ne sont pas sous LBO, ont autant sinon plus de difficultés qui sont structurellement de nature économique.

Il y a plusieurs catégories d’actionnaires. Certains veulent sortir, d’autres ne le souhaitent pas. Il y a également ceux qui veulent sortir avec élégance, et les autres. Certains actionnaires ont compris qu’ils avaient joué et perdu, probablement beaucoup d’argent, mais sortent avec élégance, quitte parfois à abandonner ce qui leur est dû ou à «super-junioriser» leur créance. D’autres s’accrochent et ont un comportement que je qualifierais de chantage.

Jean-Pierre Farges : Je crains d’être plus pessimiste. Les leçons de la crise n’ont pas été tirées. Et les niveaux de levier, notamment aux Etats-Unis et en Europe, redeviennent très élevés. Il y a eu en pratique très peu de changement par rapport à 2008. Hormis le fait que, dans quelques dossiers, certains d’entre nous ont été prudents et ont mis des instruments coercitifs, notamment pour prendre les clés. Dans un dossier récent, une golden share avait été mise en place il y a deux ou trois ans. Bien que l’actionnaire soit élégant et soucieux du respect de l’engagement donné, il savait qu’il pourrait juridiquement être contraint. C’est une façon de résoudre le problème. Qu’il s’agisse de fiducies, de golden shares, voire d’une golden share mise dans la fiducie, tous les schémas sont possibles pour avoir des instruments permettant d’éviter de se retrouver dans la même situation de blocage. Mais au premier tour, l’actionnaire essaie de garder sa «free option». Si ses titres ne valent plus rien, son intérêt est de rester au capital. Il fera alors le pari du retournement, comme les prêteurs, ce qui n’est pas illégitime. Tout le monde joue au même jeu.

Rodolphe Pacciarella : Après plusieurs années de crise et sans visibilité de sortie à court terme, c’est le moment des grandes décisions pour les partenaires de l’entreprise. Depuis plusieurs années, les managers ont mis en place des plans défensifs afin de faire face aux baisses de marchés. Ils se focalisent sur la ligne du haut et la gestion du cash en repoussant les décisions d’investissement et de développement. L’étau se resserre pour les managers cloisonnés entre l’impossibilité de respecter la documentation financière, le BP (même modifié à la baisse), le plan stratégique, etc. Et il ne bénéficie même plus de son management package qui n’est plus adapté à la situation. Par ailleurs, pour certains secteurs, le business model a changé sans que l’entreprise ait les moyens de s’adapter à la nouvelle donne. Le management doit-il alors prendre des décisions fortes et aller jusqu’à provoquer des négociations ?

La réflexion est la même chez les prêteurs, compte tenu de leur exposition croissante. Faut-il abandonner de la dette ? Faut-il prendre les clés de la société ? Quant aux actionnaires, ils n’interviendront en new money que s’ils ont un niveau de confort jugé suffisant pour sauver l’investissement initial et récupérer leur new money. A défaut de cette certitude, ils préféreront limiter leur exposition en restant au mieux au capital.

L’accompagnement du manager

Thierry Grimaux : Pour le manager, le temps des négociations est beaucoup trop long, surtout s’il s’y dédie exclusivement. Il y a trois ans, je m’occupais d’une société basée à Lyon et je passais mes journées à Paris. Les négociations ont duré sept mois alors qu’au départ, il m’avait été assuré que tout était quasiment réglé et qu’il suffirait de 55 jours. Heureusement, le fonds pour lequel je travaillais avait également placé un manager de transition sur le terrain opérationnel. Mais tous les actionnaires ne sont pas forcément conscients qu’il faut un dirigeant qui s’occupe des négociations et un autre des opérations. Il doit y avoir une réflexion de place. Comment accélérer ces négociations pour qu’elles soient moins consommatrices de temps pour le manager, ou étalées différemment ? L’administrateur judiciaire, les banquiers, les avocats, les syndicats, le personnel, les fournisseurs se concentrent tous sur une seule personne : le mandataire social. Lorsqu’il est un professionnel de la situation, il supporte mieux la pression. C’est son job après tout. Mais quand il s’agit du petit-fils du fondateur de l’entreprise, qu’il est le troisième employeur du département, la situation est plus lourde à gérer.

Depuis trois ans, la situation a évolué. A l’époque, quand on nous appelait pour être manager de transition, il fallait des spécialistes des situations de crise, qui décident vite, parce que tous les LBO n’étaient pas forcément bien gérés. Cette situation a changé aujourd’hui. Les sociétés qui étaient mal gérées ne sont plus là aujourd’hui. Celles d’aujourd’hui sont souvent bien gérées, mais ont simplement trop coupé leurs investissements. Le manager de crise doit donc avoir une rapidité d’exécution, mais aussi une compréhension du secteur. On en revient à la ligne du haut.

Nicolas Theys : Le manager est l’homme clé de la restructuration. Ainsi, il connaît l’entreprise, conduit des négociations dans un forum qui est nouveau pour lui (mandataire ad hoc, tribunal, affaires spéciales, CIRI, médiation du crédit, etc.). La situation est en effet extrêmement difficile pour lui.

Eric-Marie Alajouanine : Le manager est parfois surpris de la façon dont se déroulent les réunions. En effet, il entre dans un environnement où tous les intervenants gravitant autour des restructurations se connaissent, sont rompus à cet exercice alors que pour lui c’est souvent une première et il se retrouve tout seul au milieu en se demandant ce qui lui arrive. Un travail de sensibilisation au départ, pour expliquer comment les choses vont se passer, serait souhaitable.

Guillaume Cornu : Il faut faire une distinction entre le manager d’une société sous LBO et le chef d’entreprise d’une société familiale telle que nous l’évoquions précédemment. Les principales différences portent sur leur psychologie face à une situation de crise, «l’affect» du patron d’une entreprise familiale étant un élément à ne pas négliger dans la restructuration. Mais dans les deux cas, ils sont confrontés à une situation nouvelle qu’ils ne connaissent pas. Le manager de LBO est quelqu’un qui a été mis en place à un moment sur un projet de création de valeur et il n’est pas forcément un homme de restructuration. D’autre part, il a investi dans un management package et l’eldorado qu’on lui avait promis n’est pas avéré. Le patron de société familiale n’a pas non plus l’expérience et au-delà de son entreprise, c’est souvent son propre nom qui est mis en difficulté.

Il y a aujourd’hui beaucoup d’entreprises en difficulté, mais la plupart de celles sous LBO restent pour autant de très beaux actifs. Les fonds de LBO ont pour la plupart investit dans des belles entreprises à fort potentiel. Pour autant, certains dossiers de LBO peuvent être dans des secteurs difficiles qui font que les business plans ne sont pas forcément au rendez-vous. Ces dossiers constituent de belles opportunités qui intéressent beaucoup de monde : des banques, des fonds, et pas uniquement des fonds de retournement. Mais également des industriels. Nous rentrons dans une période que je qualifierais de «transaction/restructuration».

La complexification des discussions

Jean-Pierre Farges : Sur certains dossiers, les discussions sont très pénibles et compliquées parce que tout le monde continue à penser qu’il reste de la valeur mais cette dernière est insuffisante pour chacune des parties prenantes, la pénurie est toujours difficile à partager. Dans certains de ces dossiers, des fonds essaient de rentrer par la dette pour en prendre le contrôle parce qu’ils sont persuadés qu’ils vont pouvoir profiter de la situation. Les questions sont presque toujours celles de la valeur de l’entreprise par rapport aux postulats de départ : combien l’actionnaire et les prêteurs avaient-ils investi ou prêté, et quels sont les rapports de subordination ? L’«élégance» réciproque des actionnaires ou des prêteurs est liée à ces postulats de départ.

Je me rappelle un dossier où l’actionnaire avait investi 300 millions d’euros au départ et les banques, 100. C’est effectivement une structure de LBO assez rare. L’actionnaire a souhaité réinvestir aux côtés des mezzaneurs et tout le monde a crié au scandale. Les prêteurs se sont battus pour forcer la vente alors que les mezzaneurs étaient prêts à remettre de l’argent, y compris en fonds propres.

Nicolas Theys : C’est le point fondamental. Chaque dossier est très atypique, il n’y a pas de règles, mais seulement des orientations, comme le write-off des banques qui n’est accepté que s’il y a changement d’actionnaire. Lorsque des fonds de private equity sont actionnaires, il faut identifier quel est leur état d’esprit et leurs possibilités. Certains fonds ont par exemple closé et, techniquement, ne peuvent pas réinvestir du new money. L’aspect psychologique doit être identifié et permet d’avoir une lecture un peu différente de la réalité.

Geoffroi de Saint Chamas : La complexification des discussions tient aussi à la typologie des acteurs présents autour de la table des restructurations. Face à des fonds d’investissement qui ont parfois déjà dû restructurer une première fois leur participation, en y injectant de nouveaux fonds le cas échéant, ou qui hésitent parfois à entrer dans des discussions de longue haleine sur un actif dont la valorisation apparaît comme durablement dégradée, la typologie des prêteurs a elle-même fortement évolué. On trouve aujourd’hui des profils de prêteurs très disparates : ceux qui ont financé l’opération à l’origine et continuent à la porter dans leur bilan à sa valeur d’origine, des acteurs plus opportunistes qui ont acquis une participation dans la dette avec décote au cours de la vie du crédit, des trading desks qui portent momentanément une partie de la dette pour compte de tiers en vue d’une revente rapide, ou encore des fonds de dette spécialisés dans le retournement d’entreprise et dont la vocation est d’en prendre le contrôle par la dette. A la différence des premières restructurations de 2009-2010 en France dans lesquelles les prêteurs formaient un groupe relativement cohérent et homogène, les visions peuvent être aujourd’hui très différentes, voire opposées : il est dès lors encore plus difficile de mener à bien ces restructurations.

Eric-Marie Alajouanine : L’évolution du pool, y compris à l’intérieur des négociations, amène à des discussions qui n’ont plus la tournure de celles de 2008 et 2009 avec des fonds qui ont pris 25 % ou 30 % de la dette. Les discussions ne sont plus celles que l’on a pu avoir entre banquiers, voire entre banquiers franco‑français. Les banquiers étrangers connaissent mal le système français des entreprises en difficulté, le mandat ad hoc ou la conciliation. Dans un dossier récent, le mandataire a passé deux réunions à expliquer aux prêteurs scandinaves ce qu’étaient le mandat ad hoc, la conciliation et la confidentialité. Ceci impacte bien sûr la durée des négociations, qui s’éternisent dans un certain nombre de dossiers.

La durée des négociations

Charles-Henri Carboni : J’ai connu deux dossiers assez pénibles et très longs, qui venaient après une tentative de renégociation en dehors d’un mandat ou d’une conciliation. Les acteurs pensent toujours qu’il y en a pour 55 jours de négociations et qu’il n’y aura plus qu’à signer en bas de la page. Les discussions avancent alors, ils parviennent presque au bout de la négociation mais doivent faire face à certains intervenants, plus exotiques, qui sont rentrés dans le dossier en cours de vie. Et comme l’unanimité est nécessaire pour parvenir à l’accord final, le dossier peut être bloqué pour 2 % ou 5 %. Ils s’adressent alors à un mandataire ou à un conciliateur. Le cadre devient dès lors différent et l’accord qui avait été constaté au préalable est remis en cause, car certains essaient d’obtenir plus. Un deuxième tour de négociation s’engage sur le même dossier qui s’en trouve complexifié, alors que s’il avait été entamé dès le départ par des professionnels du restructuring, il serait terminé. Les 55 jours se transforment en 10 mois, ce qui est dramatique. Ma question est donc la suivante : pensez-vous que les restructurations hors mandat ou conciliation soient efficaces ? C’est probablement une mauvaise chose dans les dossiers qui ont déjà été négociés il y a quelques années. Ceci peut être le fait du management qui souhaite faire des économies, mais je rappelle que le temps, c’est de l’argent. Dans certains dossiers, des clauses de revoir ou de conciliation ont été insérées, selon lesquelles le dossier revient automatiquement vers le mandataire initial. C’est sans doute utile.

Nicolas Theys : Je n’ai pas constaté de renégociation en profondeur hors mandat ad hoc. Les procédures de prévention (ad hoc ou conciliation) permettent l’apport d’une sécurité juridique certaine à l’ensemble des parties. En règle générale, s’il y a déjà eu restructuration, la deuxième, voire la troisième se fait toujours dans le cadre d’un mandat ad hoc.

Guillaume Cornu : Contre toute attente, en 2008, la plupart des LBO en difficulté ont été traités  sous mandat ad hoc. Nous étions nombreux à penser, proba­blement naïvement, que les banquiers et les sponsors s’entendraient rapidement, mais les choses ne se sont pas déroulées de la sorte. Je retiens souvent trois principes pour qualifier les conditions d’une «bonne restructuration» : simplicité, rapidité et efficacité. Force est malheureusement de constater qu’en ce qui concerne les dossiers sous LBO, impliquant de nombreuses banques et autres CDO ou hedge funds, que la durée de ces dossiers est particulièrement longue, paralysante, et donc pénalisante. Le véritable danger est la contagion d’une situation de restructuration de bilan et de dettes à la société opérationnelle.

Olivier Marion : La négociation qui traîne est aussi encouragée par la qualité de l’entreprise, qui est souvent un joli moteur et qui peut survivre longtemps.

Jean-Pierre Farges : Absolument. Les négociations ne traînent que si l’entreprise a les moyens de survivre. Quand elle n’a plus de liquidités, tout le monde s’accorde rapidement.

Nicolas Theys : On ne négocie bien que si l’on est au pied du mur.

Jean-Pierre Farges : Il n’y a eu que très peu de LBO importants renégociés sans mandataire ou conciliateur. Les seuls dont j’ai eu connaissance ont une caractéristique commune : un sponsor fort, voire très fort, dont les banques ont peur ou avec lequel elles estiment ne pas devoir «se fâcher» car un «deal flow» en origination existe.

Eric-Marie Alajouanine : Il y a effectivement peu d’exemples de réussite de négociations non encadrées.

Jean-Pierre Farges : Ce n’est possible que si l’entreprise ne connaît pas de difficultés trop importantes et que tout le monde trouve son compte à repousser le problème.

Eric-Marie Alajouanine : Avoir un cadre juridique apporte également un certain confort aux banques.

Thierry Grimaux : On ne négocie bien qu’en étant au pied du mur. Mais ne sous-estimons pas le déni. Il existait beaucoup en 2008, mais il n’a pas totalement disparu. Sur les trois derniers dossiers de LBO qui m’ont été adressés durant les dernières semaines, le coup de téléphone a systématiquement commencé par les mêmes mots : «Nous envisageons une tension de trésorerie et prévoyons de négocier avec nos banquiers. Rien de grave, il s’agit juste d’un amend and extend.» C’est le mot à la mode en ce moment et cela me rappelle quelque chose !

Nicolas Theys : J’étais aux Etats-Unis, il y a un an, et c’était déjà pour eux la fin de l’amend and extend. La question se pose donc de savoir s’il est toujours d’actualité.

Thierry Grimaux : Ces mots sont prononcés au début, mais quasi systématiquement s’ensuit une importante restructuration. Il serait utile d’économiser quelques étapes, et notamment celle du déni qui ne devrait plus exister. Collectivement, je ne suis pas sûr que l’on ait mûri sur cette question.

Nicolas Theys : La restructuration de LBO, plus complexe que celle d’une entreprise traditionnelle, reste néanmoins éminemment guidée par les trois aspects suivants : psychologique, juridique et financier.

Le traitement du LBO en difficulté

Eric-Marie Alajouanine : Je pense que les banques françaises sont encore frileuses pour franchir le pas du lender-led et devenir actionnaires. Il y a en effet un certain nombre de contraintes qui y sont attachées, notamment l’aspect comptable : y a-t-il un risque de consolidation au niveau des comptes de l’établissement ? Il y a aussi une préoccupation sociale : le personnel de l’entreprise ne va-t-il pas, par exemple, bénéficier de la convention collective des banques qui est souvent plus avantageuse ? De nombreux autres aspects doivent également être pris en considération.

Par ailleurs, une fois que les banques seront actionnaires, s’il y a de nouveaux besoins, elles risquent d’être considérées comme des poches profondes.

Néanmoins, les enjeux sur des dossiers de plus en plus importants vont nous amener collectivement – c’est-à-dire les banques et leurs conseils – à réfléchir à des solutions qui iront probablement dans ce sens. Il y a quelques exemples récents ou en cours. Mais cette question demandera un peu de temps, un peu de pratique.

Charles-Henri Carboni : La façon dont le droit social est organisé dans notre pays et dont il évolue a un lien étroit avec la problématique de la prise de contrôle par les banques. L’impact de la reconnaissance du co‑emploi sur les entreprises en difficulté ne doit pas être négligé. La crainte générée par l’éventuel impact de la jurisprudence actuellement élaborée par la chambre sociale de la Cour de Cassation constitue, à mon sens, un frein important à une démarche des banques vers une prise de contrôle d’une partie de l’actionnariat des entreprises en difficulté.

Jean-Pierre Farges : Il faut savoir raison garder. Il existe effectivement deux ou trois arrêts gênants en matière de co‑emploi, mais il y en a aussi d’autres qui sont tout à fait rassurants. Tout dépend comment le montage est prévu au départ, l’attitude des parties pendant la vie du deal et enfin comment est géré le contentieux.

Je suis persuadé que le lender-led va s’imposer. Il y en a déjà eu quatre réalisés en France : le dossier Monier (qui n’était pas réellement un dossier français, mais luxembourgeois), le dossier CPI et le dossier SGD (on peut considérer qu’il s’agissait d’un lender-led), et plus récemment Novasep. Un dossier est en cours dans lequel les banques françaises montrent de l’appétence.

La difficulté vient sans doute du comportement que doivent adopter les banques qui deviennent actionnaires. La dette des banques devient de la dette d’actionnaire. Comment le découplage de l’actionnariat et de la dette va-t-il être géré dans ce type d’opération ? Classiquement, un «staple» est prévu. Mais il s’agit de savoir si les banquiers devenus actionnaires vont rester actionnaires et banquiers simultanément, pendant une période assez longue ? Va-t-on les y contraindre ?

Dans n’importe quel dossier avec un fonds, le management demanderait à ce que l’actionnaire s’engage à rester un minimum de temps si la restructuration se fait. Il semble assez normal de demander au banquier qui prend les clés de rester pour avoir un actionnariat relativement stable. Les entreprises n’ont pas peur d’avoir BNPP, BPCE ou d’autres groupes de cette nature, comme actionnaires. Mais les prêteurs doivent impérativement comprendre qu’en acceptant un tel schèma, ils deviennent actionnaires et qu’ils devront faire prévaloir leur rôle d’actionnaire sur leur intérêt de prêteur.

Laurent Parquet : En tant qu’investisseur, je conseille depuis longtemps aux banquiers de convertir leur dette en capital pour maximiser leur espérance de recovery. Pour un nouvel entrant dans un dossier de restructuring, c’est également un bon moyen de récupérer et de sécuriser la restructuration d’un bilan. Mais la question fondamentale est celle de la gouvernance. Le principe fondateur du private equity est l’impact positif que peut avoir un actionnaire qui est en mesure de challenger une équipe de management. Mais en cas de lender-led, comment l’actionnaire va-t-il jouer son rôle ?

Guillaume Cornu : La gouvernance est en effet la question clé. Quel est le rôle des banques actionnaires ? Doivent-elles être membres du board ? Du conseil de surveillance ? Une bonne gouvernance dans un lender led favorisera la réussite de la restructuration.

Jean-Pierre Farges : Dans les premières opérations réa­lisées, les schémas étaient structurés avec une gouvernance de type société cotée. Les banques avaient des comités de nomination, qui eux-mêmes nommaient des comités indépendants. Aujourd’hui, ce type de schéma n’est plus toujours souhaité. Je pense que les banquiers sont prêts à avoir des représentants aux boards des entreprises et à se comporter en véritables actionnaires. Mais l’avenir dira s’ils se transformeront en de véritables actionnaires dont l’objectif est de défendre l’entreprise et non leur créance. Le risque serait considérable d’avoir des banquiers actionnaires uniquement intéressés par le service de leur créance.

Rodolphe Pacciarella : Le métier de banquier n’est généralement pas d’être actionnaire d’une société. Dans le cas du lender-led, il le devient par «obligation» ou car c’est la meilleure solution pour assurer la recouvrabilité de sa créance à long terme. Si cette solution est mise en place, elle ne peut être que limitée dans le temps, à mon sens.

Nicolas Theys : D’autres risques existent. Certains salariés n’hésitent plus aujourd’hui à poursuivre l’actionnaire. Dans un dossier d’une entreprise qui avait déposé le bilan, le fonds actionnaire a été attaqué par 800 salariés sur le fondement de l’article 1382 du Code civil. Ils arguaient du fait que le fonds n’avait pas soutenu l’entreprise. Sur la base des informations en ma possession, de telles actions sont sans fondement juridique. Ainsi donc, outre les contentieux prud’homaux, le fonds doit faire face à des contentieux civils. Or si les banques prennent le contrôle de l’entreprise, le risque social est important. La solution pourrait résulter dans la constitution de SPV, d’entités juridiques dédiées, isolées juridiquement des banques et qui leur permettrait d’avoir un retour économique.

Eric-Marie Alajouanine : Effectivement l’image des banques est à prendre en considération. Mais la constitution de SPV n’empêchera pas les salariés de comprendre que les banques ont pris les clés. Tant que les banques n’auront pas pris position sur leur statut de créancier ou de créancier-actionnaire, je ne crois pas aux lender-leds sur une durée longue. C’est plus une question d’opportunité à défaut d’alternative.

Laurent Parquet : Si la question du lender-led se pose, c’est que la situation est très compliquée et que toutes les autres solutions ont déjà été tentées. Les difficultés vont donc par principe durer. L’engagement en tant qu’actionnaire devra donc être très souvent sur du long terme.

Geoffroi de Saint Chamas : C’est tout le paradoxe du lender-led qui est finalement contre-nature. Les banques ont un rôle très important dans le financement de l’économie, tout comme les actionnaires professionnels. On ne peut durablement mélanger les genres et les profils. Ces opérations de lender-led, qui peuvent se comprendre dans certaines situations spécifiques, ne peuvent donc être que des pis-allers pour régler une situation momentanément compliquée dans l’attente d’une revente de l’entreprise à relativement court terme. Malheureusement, dans les quelques exemples précédemment cités, on constate que ces opérations durent souvent au-delà de ce qui était souhaité, tant par les managers que par les banques elles-mêmes.

Laurent Parquet : Dans certains dossiers, les banques l’ont uniquement accepté parce que personne d’autre ne voulait le faire.

Jean-Pierre Farges : La plus grande difficulté est de savoir vendre. La banque doit savoir sortir à temps. Si le retournement ne se fait pas très vite, les difficultés vont s’ancrer. Cela étant, les banques pourront alors provisionner dans le temps et satisfaire certaines contraintes bilantielles.

Guillaume Cornu : Pour que les banques envisagent un  lender-led, il faut que l’actif soit de qualité dans un secteur offrant une certaine sécurité et visibilité. Par ailleurs, les banques auront du mal à prendre des risques dans des secteurs à risque d’un point de vue social. D’autres solutions peuvent être envisagées et nous l’avons vu à plusieurs reprises récemment. Un nouvel actionnaire entre, parallèlement à des banques, pour faire une opération de portage. Certains fonds traditionnels, qui ne sont pas des fonds de retournement, regardent par ailleurs aujourd’hui des actifs sous LBO distressed. D’où mon point précédent sur «la transaction-restructuration». D’autres acteurs sont également très actifs en ce moment : les mezzaneurs qui n’hésitent plus à injecter du new money, et des industriels qui peuvent être des solutions  très pertinentes. Nous avons été amenés à travailler à plusieurs reprises pour le compte de corporate pour reprendre des actifs sous LBO distressed. Quelle est la meilleure solution pour un actif sous LBO entre un lender-led, un fonds d’investissement ou un industriel qui reprend ? La meilleure solution est à chercher du côté du projet qui permet de sauver le mieux les intérêts de l’entreprise et qui offre donc la meilleure solution industrielle et financière.

Jean-Pierre Farges : Une solution intermédiaire peut être trouvée chez le mezzaneur. Les premiers mezzaneur-leds sont d’ailleurs récemment apparus. ICG, European Capital et d’autres, savent ce que c’est que d’être actionnaire et de gérer une entreprise en qualité de fonds. Ils ont une nature «hybride» et permettent aux prêteurs d’être moins impactés par leur arrivée dans l’equity tout en permettant de réduire immédiatement la dette lors de la conversion.

Eric-Marie Alajouanine : A chaque dossier sa solution. Les banques ne se lanceront, me semble-t-il, dans le lender-led qu’à défaut d’autres solutions. Pour le moment, les banques restent dans la mesure du possible sur des schémas plus traditionnels mais font preuve de pragmatisme et suivant chaque type de cas, toutes les solutions sont examinées soit avec le sponsor existant, soit dans l’hypothèse du mezzaneur-led, soit avec un nouvel investisseur ou autre. Je ne pense pas qu’il n’y ait qu’une seule voie.

Rodolphe Pacciarella : Le nombre d’épreuves à accomplir pour aboutir à un accord de restructuration est important. La restructuration est un sport de haut niveau ! Comme pour tout sportif de haut niveau, il est impératif que le manager se prépare et s’entoure d’une équipe de professionnels complémentaires qui s’entendent parfaitement afin de l’accompagner durant cette compétition.

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