Expertise

Les management packages à travers la crise

Publié le 10 juillet 2020 à 15h29

Les management packages, instruments clés des opérations de LBO, permettent d’aligner les intérêts des principaux dirigeants et ceux des investisseurs financiers. Cependant, chacun ayant des objectifs spécifiques, cela justifie des investissements et des prises de risques différenciés. La recherche d’une plus grande sécurisation des managers et la modification du régime fiscal des actions gratuites ont conduit à privilégier ces dernières dans la mise en place des management packages. 

Cette plus grande sécurité du point de vue fiscal a conduit les fonds à utiliser de manière très large les actions gratuites dans les LBO pour associer les managers au capital. Elles ne sont néanmoins pas exemptes de défauts. Premièrement, leur attribution est limitée (10 % du capital). Deuxièmement, comme leur nom l’indique, ces actions sont gratuites. L’alignement d’intérêts avec les investisseurs financiers n’est donc plus complet, dans la mesure où le risque de perte en capital est inexistant pour les managers. Enfin, elles doivent être attribuées directement aux managers et ne peuvent être regroupés au sein d’une Manco, ce qui conduit à émietter l’actionnariat et rendre plus complexe la cession future. Elles sont donc généralement utilisées pour des personnes n’ayant pas encore constitué de capital ou pour lesquelles il s’agirait de leur premier LBO. 

La mise en œuvre de ces actions gratuites implique cependant le versement d’une contribution sociale patronale de 20 % de la valeur des actions, à la date d’acquisition, soit au minimum 1 an après le closing. Cette contribution pouvant être significative, surtout pour les LBO de taille importante, l’estimation préalable de son montant est parfois nécessaire afin d’évaluer la totalité des fonds nécessaires pour mener à bien l’opération. Pour les plans d’actions gratuites dont la période d’acquisition s’est terminée ces dernières semaines, au contraire, on constate une réduction drastique de la valeur des actions gratuites et donc de la cotisation patronale due. 

Les actions gratuites sont généralement complétées par un investissement en equity. Celui-ci prend la forme d’un investissement en actions ordinaires au côté des investisseurs financiers qui souscrivent aussi des instruments de taux, convertibles ou non (prêt d’actionnaire, actions de préférence, obligations convertibles). La conversion des obligations ou des actions de préférence en actions ordinaires est alors contractuellement définie en fonction du multiple ou du TRI réalisé sur l’opération. Cet investissement peut aussi se faire au travers la souscription d’actions de préférence assises sur la performance de l’investissement du fonds.

Par le passé, les managers ont pu bénéficier de conditions économiques (croissance et amélioration de la profitabilité) et de marché (augmentation des multiples) favorables, incitant l’administration fiscale à penser que le risque pris par les managers était trop faible par rapport aux gains potentiels. Nombre de managers peuvent aujourd’hui témoigner de l’inexactitude de cette hypothèse. 

Il est utile de rappeler que ces packages sont soumis à un empilement d’effets de levier :

- l’effet de levier opérationnel de l’entreprise, une partie de ses coûts étant fixes ;

- l’effet de levier financier, propre aux opérations de LBO ;

- l’effet de levier optionnel, conséquence de l’utilisation d’outils conditionnés à la performance du deal.

Dans les conditions économiques et financières liées à la crise actuelle, nombre de packages risquent de voir leur valeur durablement réduite. En effet, si ces différents effets de levier décrits ci-dessus permettent dans les cas favorables de générer des gains substantiels pour les managers, en temps de crise, ceux-ci se retournent contre les managers et détruisent très rapidement la valeur créée jusqu’alors. 

Si les évènements actuels viennent rappeler que le risque existe, ils conduisent aussi à désaligner les intérêts entre les managers et les investisseurs dans certaines opérations en supprimant toute possibilité pour ces packages de générer quelque valeur pour leurs bénéficiaires. Certaines sociétés ont passé la période de confinement sans trop subir d’impacts négatifs et les cas de sortie initialement envisagés ne devraient donc pas être remis en cause. En revanche, pour la plupart des sociétés sous LBO, cela conduit au mieux à décaler les sorties d’une ou deux années et, dans les cas moins favorables, les cas de sortie devront être révisés ou même nécessiter une restructuration préalable du capital et de la dette. 

Deux solutions sont envisageables afin de rétablir cet alignement d’intérêts en fonction de l’impact de la crise actuelle : si celui-ci est mesuré et si les instruments en place ont toujours une probabilité raisonnable d’être déclenchés, il peut être suffisant de mettre en place de nouveaux incentives en complément de ceux existants. En revanche, si les perspectives sont tellement dégradées que les chances de voir le package actuel atteindre son but, il sera nécessaire de restructurer complètement les packages existants. Cela passera par l’annulation ou le rachat du package actuel et l’émission d’un nouveau.

Les managers ayant déjà investi des sommes généralement significatives à l’occasion de la mise en place du dernier financement, il leur sera difficile de réinvestir de façon significative. Il est donc probable que les modifications de ces management packages soient réalisées en utilisant prioritairement des instruments, actions ordinaires ou de préférence, gratuits.

En revanche, ces opérations nécessitent au préalable d’avoir suffisamment de visibilité et de confort pour établir un nouveau plan d’affaires sur lequel s’accorder avec les actionnaires et assoir ce nouveau plan. La priorité est actuellement au rétablissement de la performance opérationnelle et aux ajustements nécessaires de la structure de coûts, préalable indispensable à la projection à moyen et long terme et à l’établissement de ce plan. Toutes ces opérations ne pourront donc être réalisés d’ici quelques semaines, mais plutôt dans les mois qui viennent.

Questions à ... Christophe Leclerc, associé, Accuracy

Quelles sont les principales «innovations» récentes dans la pratique de l’évaluation des management packages ?

On nous demande de plus en plus de travailler à la fois sur l’évaluation des management packages, mais aussi des taux d’intérêt des instruments de taux : prêts d’actionnaires et autres obligations convertibles mises en place dans le montage LBO. Par ailleurs, une des adaptations majeures que nous avons introduite récemment est de concevoir des outils d’estimation de probabilité de défaut des sociétés sous LBO, qui sont plus susceptibles d’être en difficultés que les sociétés cotées auxquelles elles sont comparées compte tenu du différentiel de levier. Ceci est notamment précieux dans la situation actuelle, ce risque ne pouvant plus être négligé comme c’était le cas les années précédentes.

Notre présence à l’international nous permet aussi de pouvoir prendre en compte les spécificités locales pour les groupes dont le management est réparti sur plusieurs pays. Nous avons ainsi effectué ce type d’évaluation pour des managers allemands, américains, anglais, belges, hollandais, italiens, suisses ou encore indiens.

Quelle est l’ambiance générale de vos discussions avec  l’administration fiscale ?

Les discussions avec l’administration fiscale sont de plus en plus techniques. Leurs professionnels sont tout à fait à même de comprendre et de comparer la structuration d’un management package. Nous continuons d’avoir des discussions approfondies avec l’administration fiscale dans le cadre de redressements sur des management packages qu’elle juge sous évalués. La principale difficulté que nous rencontrons reste de leur faire accepter les différences à prendre en compte par rapport à l’évaluation de ce type d’instruments pour des sociétés cotées et notamment l’impact de l’absence de cotation quotidienne.

L’appréciation du risque financier pris par le manager demeure le point fondamental dans ces discussions.

Quelles sont les particularités de votre équipe dédiée à cette thématique ?

Nous avons constitué une équipe d’une dizaine de consultants spécialisés dans l’évaluation des managements packages qui affiche aujourd’hui un track-record de plus de 1000 évaluations dans tous les types d’interventions. Issus des meilleures écoles d’ingénieurs et de commerce, ils sont rodés à la technicité des différents instruments des managements packages et savent mesurer leur adaptation aux multiples scénarios de LBO. Car l’expérience dans ce type de dossiers joue un rôle clé. D’ailleurs certains acteurs ont disparu faute de totaliser un nombre de dossiers suffisant pour suivre de près les évolutions incessantes de cette discipline. Nos clients recherchent cette expertise forgée par l’évaluation des managements packages dans toutes les situations auxquelles peut être confronté un LBO (restructuration, nouveaux entrants…) mais aussi les retours d’expérience que nous avons des discussions avec l’administration fiscale depuis plus de 15 ans. Nous travaillons aussi bien pour les fonds d’investissements, les managers ou leurs conseils. En tant qu’évaluateur indépendant, nous ne sommes sujet à aucun conflit d’intérêt quelle que soit la partie qui nous mandate. 

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