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Les mécanismes de transmission d’entreprises aux salariés

Publié le 3 juin 2022 à 14h47

Bignon Lebray    Temps de lecture 8 minutes

Qu’il en soit le fondateur ou non, un chef d’entreprise désireux de transmettre celle-ci a souvent à cœur de trouver un repreneur qualifié. Une telle transmission est généralement réalisée au profit de tiers, notamment industriels ou investisseurs, mais également au sein du cercle familial ou encore au bénéfice de certains salariés. Cette dernière option permet non seulement au chef d’entreprise de s’épargner la recherche d’un repreneur extérieur mais également d’accompagner le salarié en amont de l’opération. Par ailleurs, il n’est pas rare qu’un dirigeant embauche des membres de sa famille dans la perspective de leur céder ultérieurement son entreprise afin de les familiariser à son fonctionnement. Au-delà des mécanismes de participation et d’intéressement qui permettent d’associer les salariés à la gestion de l’entreprise et d’en récolter les fruits, la transmission à un salarié permet d’en assurer la pérennité et la croissance. Afin que le coût de l’acquisition par le salarié n’empêche pas ce dernier de reprendre les rênes de l’entreprise, il existe des outils juridiques et fiscaux en matière de donation  comme de cession de l’entreprise.

1. La transmission à titre gratuit aux salariés

Par Francois Vignalou, avocat associé, Bignon Lebray

Les droits d’enregistrement dont le bénéficiaire est redevable à l’occasion d’une transmission à titre gratuit peuvent s’avérer exorbitants, en particulier lorsque le donateur et le donataire n’ont pas de lien de parenté. Dans cette hypothèse, la donation est taxée au taux de 60 %, sur laquelle a été appliqué un simple abattement de 1 594 euros, somme généralement dérisoire lorsqu’il s’agit de transmettre une entreprise.

Pour qu’une trop lourde fiscalité ne freine pas la vie économique, et plus particulièrement la pérennité des entreprises, le Pacte Dutreil permet la transmission par voie de donation, soit des éléments d’actif et de passif d’une entreprise individuelle, soit des parts ou actions d’une société exerçant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale. Ce dispositif permet d’exonérer de droits de donation 75 % de la valeur de l’entreprise, voire davantage lorsque la donation est réalisée en pleine propriété avant les 70 ans du donateur (réduction de 50 % des droits d’enregistrement).

Le législateur a également prévu un abattement de 300 000 euros sur la valeur des titres sociaux représentative du fonds de commerce lorsque la transmission d’entreprise est réalisée au bénéfice d’un salarié, et ce, même si le salarié donataire est un parent du donateur (le cas échéant, l’abattement de 300 000 euros sur les droits d’enregistrement peut être cumulé avec l’abattement de 100 000 euros applicable aux donations réalisées entre ascendants et descendants). Si toutes les sociétés, indépendamment de leur taille ou de leur régime d’imposition, sont visées par cet abattement dès lors qu’elles exercent une activité industrielle, commerciale, agricole, artisanale ou libérale, notons toutefois que seules les donations entre vifs consenties en pleine propriété peuvent bénéficier d’un tel abattement.

Ce mécanisme présente toutefois deux inconvénients majeurs qui justifient son manque d’utilisation par les professionnels. D’une part, la donation doit être consentie à des salariés titulaires d’un contrat de travail à durée indéterminée depuis au moins deux ans et qui exercent leur fonction à temps plein. Cette condition légale a pour effet d’exclure du bénéfice de l’abattement les donations aux mandataires sociaux. Or ce sont généralement les individus qui occupent des postes de direction qui sont le plus souvent enclins à reprendre l’entreprise. En revanche, le cumul du contrat de travail et du mandat social permet au donataire de bénéficier de l’abattement, à condition toutefois que la réalité des fonctions salariales soit établie (Cass, soc., 11 juillet 1995, n° 92-40.808).

D’autre part, le donataire doit non seulement poursuivre à titre d’activité professionnelle unique, de manière effective et continue, l’activité dans la société pendant les cinq années qui suivent la date de la transmission, mais il doit également assurer, pendant la même période, la direction effective de l’entreprise. Par conséquent, le donataire ne doit exercer aucune autre activité professionnelle, salariée ou non.

Dans le monde des affaires, un tel délai peut s’avérer très long, d’autant que les contours de cette condition sont relativement flous et soulèvent certaines interrogations. Certes, l’administration fiscale admet le maintien du régime de faveur en cas de suspension temporaire des fonctions de direction pour des raisons de santé mais également dans l’hypothèse où la société fait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire dans le délai de cinq ans, mais celle-ci considère également que la cession, même partielle, des biens donnés avant l’expiration du délai quinquennal entraîne la remise en cause du régime de faveur alors même que la loi ne le prévoit pas. Il existe donc une incertitude sur l’éventuelle remise en cause de l’abattement dans l’hypothèse d’une cession de la société par le donataire alors même qu’il demeurerait à la direction de celle-ci.

Si l’abattement de 300 000 euros et le Pacte Dutreil peuvent en principe s’appliquer cumulativement, il existe tout de même une subtilité. Si le donataire opte pour un tel abattement, le bénéfice du Pacte Dutreil sera réduit à la valeur des titres représentative du fonds ou de la clientèle. Dès lors, la valeur des autres actifs figurant au bilan est retranchée de l’assiette pour l’abattement de 75 %.

L’abattement de 300 000 euros constituera donc, selon les hypothèses, un complément ou une alternative au Pacte Dutreil.

Le dirigeant peut toutefois avoir quelques réticences à donner son entreprise à ses salariés. D’une part, il peut souhaiter réinvestir ou conserver les liquidités qu’il aurait eues en contrepartie d’une cession, et d’autre part, il peut se heurter à la problématique de la réserve en présence d’héritiers réservataires. Une transmission à titre onéreux aux salariés peut alors lui sembler être une meilleure option.

2. La transmission à titre onéreux aux salariés

Dans cette hypothèse, ce n’est pas le coût fiscal qui pèse sur les salariés mais le coût financier d’acquisition de l’entreprise. Le dirigeant, quant à lui, sera fiscalisé sur la plus-value réalisée, bien qu’il existe également des régimes de faveur comme l’abattement de 500 000 euros pour départ à la retraite et les abattements pour durée de détention si les titres ont été acquis avant 2018.

Du côté du salarié, certains mécanismes peuvent être utilisés afin que le prix d’acquisition de l’entreprise ne constitue pas un frein à sa reprise. Ainsi, la transmission de l’entreprise peut être réalisée grâce à un effet de levier, à l’aide d’une société holding créée par le ou les salariés repreneurs (« management buy-out », MBO). La particularité du MBO par rapport au schéma classique d’utilisation d’un holding de rachat réside dans l’octroi d’avantages fiscaux spécifiques. Ainsi, les sociétés constituées exclusivement pour le rachat de tout ou partie d’une société par ses salariés bénéficient, sous certaines conditions, d’un crédit d’impôt sur les sociétés à hauteur des intérêts payés, si ce rachat a lieu avant le 31 décembre 2022 (article 220 nonies du Code général des impôts). Notons que la transmission de l’entreprise peut être réalisée progressivement par le biais d’augmentations de capital réservées aux salariés. Cette opération permet d’associer les intéressés à l’exploitation avant le départ du chef d’entreprise.

Il existe, en outre, des outils propres à la reprise d’une entreprise par des salariés. Tel est le cas des sociétés coopératives de production (SCOP), dans lesquelles les salariés sont associés majoritaires. Le choix d’une telle structure entraîne toutefois certaines contraintes de nature à rendre le fonctionnement de la société un peu rigide. En effet, le résultat de la société ne peut pas être librement réparti. A minima un quart de celui-ci doit être attribué aux salariés, sous forme de complément de salaire ou de participation, et 16 % du résultat doit être mis en réserves. Par ailleurs, chaque associé dispose d’un droit de vote égalitaire quel que soit le capital détenu.

En contrepartie, les résultats affectés à la participation échappent à l’impôt sur les sociétés et la société est également exonérée de cotisation économique territoriale.

Conclusion

Malgré les différents mécanismes mis en place pour faciliter la transmission d’entreprises aux salariés, trop peu d’opérations sont réalisées. C’est principalement par ignorance de ces facilités que le chef d’entreprise renonce à transmettre. Au-delà de la pédagogie que les conseils pratiquent au quotidien dans leur cabinet, il faudrait envisager une campagne de communication à l’échelon national pour inciter à la transmission des entreprises françaises.

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