Table ronde

Management packages : un retour aux fondamentaux

Publié le 12 février 2016 à 10h12    Mis à jour le 29 juin 2021 à 10h27

Propos recueillis par Ondine Delaunay et Florent Le Quintrec

La reprise du marché du private equity s’est accompagnée d’une relative stabilisation des pratiques en matière de management package. La loi Macron qui vient de réformer le régime des actions gratuites a largement contribué à l’apaisement des relations entre fonds et managers. Mais l’administration fiscale continue à veiller plus que jamais au grain. Etat des lieux du marché par quelques experts du secteur.

Le rapport de force entre managers et fonds

Jérôme Jouhanneaud, associé, King & Wood Mallesons : Les grands équilibres d’un management package dépendent naturellement du rapport de force entre les managers et le sponsor. Chaque cas est particulier et le rapport de force est notamment fonction du poids du management au capital. Mais paradoxalement, les managers ne deviennent pas nécessairement plus forts au fur et à mesure des LBO primaire, secondaire et tertiaire. Ainsi, un manager de LBO primaire peut, même avec faible pourcentage du capital, exercer un rôle central et jouir d’un fort pouvoir de négociation. Passé une certaine taille de LBO, le rapport de force peut même s’inverser, surtout dans le cas où les fondateurs ou managers historiques «passent la main». L’industrie dans laquelle l’entreprise opère peut aussi jouer sur le rapport de force avec le fonds, notamment si le management tend à être perçu, à tort ou à raison, comme une commodity. Heureusement, la négociation d’un management package ne tourne pas qu’autour de cette idée de «rapport de force». La recherche de l’alignement d’intérêts sur la durée du deal reste le fil conducteur principal d’une négociation.

Carole Degonse, associée, McDermott Will & Emery : Certains managers sont aujourd’hui bien plus conscients de la nécessité d’avoir dès le départ une bonne relation avec l’investisseur financier. Le marché a connu des évolutions économiques importantes, avec des sociétés qui souffrent et subissent des restructurations. Certains dirigeants ont été remplacés en cours de LBO. La tendance que nous avons connue il y a quelques années, où les négociations étaient centrées sur le package financier, et dans lesquelles il fallait tordre le bras du fonds, semble aujourd’hui reculer. La relation qui s’établit au départ du deal doit perdurer. Le management en LBO tertiaire a sans doute plus de poids que des managers qui sont en LBO primaire, mais dans tous les cas, les dirigeants ont désormais conscience que la gouvernance est importante, qu’il peut y avoir des difficultés en cours de deal et qu’il faut surmonter la crise le cas échéant. Les managers ont aujourd’hui davantage à l’esprit la nécessité de l’alignement des intérêts avec le fonds.

Patrick Roure, MB-Entreprendre : Avec la crise, il y a de moins en moins d’adéquation entre le démarrage du cycle LBO pour l’entreprise et le démarrage du cycle pour le manager : au milieu d’un LBO, il peut être nécessaire en effet de procéder à un changement de management ou un renforcement du management. Dans tous les cas, qu’il y ait prise de mandat social immédiat ou à terme, il est difficile de rattacher le nouveau manager au package préalablement négocié. Paradoxalement, dans certains cas, ces managers jouent contre leur camp, car ils apportent de la valeur ajoutée et redressent la société alors que leur curseur d’intéressement n’est pas encore positionné. Il s’agit donc d’une complexité nouvelle à prendre en compte. Il faut parvenir à jouer gagnant-gagnant sans bâtir une usine à gaz.

Philippe Rosenpick, associé, Desfilis : Un manager fort, fondateur de la société, et qui a l’œil rivé sur la continuation d’une histoire industrielle, ne peut être traité comme un manager salarié qui a été recruté avec un objectif purement financier. Par ailleurs la notion du rapport de force s’est quelque peu apaisée car les managers sont aujourd’hui éduqués et accompagnés par de nombreux conseils. Ils savent désormais tout de suite de quoi on parle, ce qui évite de se battre pour obtenir une rétrocession supplémentaire ou sur la rédaction spécifique de certaines clauses qui pourraient être totalement inusuelles. Il faut avant tout avoir une approche économique et globale, en incluant dans les réflexions la situation patrimoniale du manager. Le management package n’est pas un saint graal et l’éventualité d’un redressement fiscal est bien sûr devenue une préoccupation majeure pour le manager. En effet lorsque ce dernier réinvestit une partie significative de ses gains obtenus lors d’un premier LBO et qu’il fait l’objet d’un redressement fiscal, il risque de ne plus disposer de liquidités suffisantes pour faire face et de se retrouver en grande difficulté.

L’internationalisation des packages

Rémi Carnimolla, managing director France, 3i : Je constate trois nouveautés au cours des récentes années. La première est que tout le monde a pris conscience de la forte probabilité pour l’entreprise d’être frappée par la crise, alors que ce type de scénario n’était pas forcément anticipé auparavant. On envisage désormais davantage les problèmes de sous-performance, de bris de covenants, etc. La deuxième est qu’aujourd’hui, la croissance passe par le buy & build et l’internationalisation. Lors d’une acquisition, qui va mettre du capital ? Quel sera l’impact sur la dilution ou la relution du management ? Ces sujets sont également anticipés et les rapports de force s’équilibrent. La troisième nouveauté est liée à l’internationalisation, car il s’agit alors d’intéresser au capital des Français certes, mais aussi beaucoup d’étrangers, ce qui complexifie la donne. Le traitement fiscal et les montages juridiques d’un pays à l’autre entraînent des difficultés pour trouver un alignement au sein des équipes de management.

Christophe Leclerc, associé, Accuracy : Du fait de l’internationalisation des LBO, nous évaluons de plus en plus de management packages pour des managers allemands, anglais, belges, néerlandais et même américains et indiens. Il faut donc gérer des équipes de plus en plus internationales, avec des contraintes locales à intégrer car les attentes des administrations fiscales locales ne sont pas forcément les mêmes qu’en France. L’évaluation de ces management packages est donc de plus en plus complexe, au-delà des aspects juridiques.

Si le concept de management package commence à être bien maîtrisé par les managers en France, c’est moins le cas à l’étranger. Par exemple, les managers allemands ont davantage d’appréhension vis-à-vis des packages sophistiqués. Nous avons même observé des retours en arrière par des managers qui avaient souscrit des packages à la française, un peu complexes, et qui ont demandé à repasser par des schémas beaucoup plus standards pour eux, c’est-à-dire de l’investissement direct en actions, des schémas de bonus, etc. Des structures qu’ils comprennent mieux et qui ne comportent pas d’incertitudes quant à leur traitement fiscal.

Rémi Carnimolla : Et ce d’autant plus que la conséquence d’une requalification en Allemagne n’est pas que financière, ils peuvent aller en prison. C’est pour cette raison qu’ils sont beaucoup plus vigilants qu’en France.

Jérôme Jouhanneaud : Lorsqu’un deal implique l’Allemagne, nous observons en effet un retour quasi systématique aux structures financières de type sweet equity, sans instrument ratchet. Sur le plan juridique également, nous constatons une tendance à la suppression des clauses de vesting (conditions de durée de présence dans l’entreprise, ndlr) dans les promesses «good & bad leavers». Ces clauses sont abandonnées pour éviter toute critique fiscale pouvant découler du lien entre la durée des fonctions de managers et le prix de rachat des titres. Cette problématique est également dans toutes les têtes en France, mais pas au point d’avoir fait bouger les lignes sur les clauses de leavers.

Alexandre Dejardin, associé, Mayer Brown : Un management package structuré en droit français ne s’adapte pas toujours aux managers résidents fiscaux étrangers. Un accès au capital d’une société de droit français se heurte en effet souvent à des problèmes de qualification fiscale à l’étranger. Sur le gros mid-cap et le large-cap, nos bureaux étrangers interviennent sur presque toutes nos opérations pour assister des équipes de managers désormais très internationales. Par ailleurs, nous rencontrons actuellement des investisseurs étrangers qui ne sont pas encore habitués aux management packages. Par exemple, nous commençons à travailler avec des acteurs chinois et notamment des fonds souverains qui expriment une forte réticence à l’idée que les managers aient accès au capital. Ils ne veulent pas accorder d’actions gratuites ou d’actions de préférence même sans droit de vote. Ils préfèrent parfois mettre en place des schémas de simples bonus.

Stéphane de Lassus, associé, Charles Russel Speechlys : Dans les pays anglo-saxons, où les charges sociales ne sont pas très élevées, il existe une tendance à arbitrer le moindre risque contre un peu plus de fiscalité. Les solutions passent par des outils assimilables à du salaire de type stock-options. Les packages existent aussi mais font souvent, notamment en Grande-Bretagne, l’objet d’un ruling qui limite le risque fiscal. En contrepartie, il faut tout dévoiler ce qui, du côté français, peut poser problème, notamment en termes de confidentialité des affaires. Le marché britannique tend vers des outils plus simples et plus encadrés juridiquement en matière de droit du travail. En France, les actions gratuites, pour les LBO avec des managers qui rentrent à des rythmes différents, peuvent également être utilisées.

Philippe Matignon, associé, Jeantet : La pratique des rulings est toutefois de moins en moins dans l’air du temps. Il est de plus en plus difficile d’en obtenir dans les pays qui en ont octroyés, comme le Luxembourg ou la Grande-Bretagne, en matière de management package. La coopération en amont avec les administrations fiscales est de plus en plus difficile en Europe sur ces questions. Toutefois, même s’il existe des différences entre pays en matière de charges sociales, nous observons une convergence au plan européen vers des packages utilisant des outils ou des mécanismes incluant une véritable part de risque de la part des managers.

Jacques Rossignol, managing partner France, 21 Centrale Partners : Avec la crise et le durcissement de l’administration fiscale, on revient sur des principes extrêmement simples et de bon sens dans les management packages et c’est une bonne chose! Chez 21 CP, nous appliquons de plus en plus des schémas simples et robustes reposant sur le sweet equity, qui de plus sont réplicables à l’étranger dans le cadre de build-ups internationaux que peuvent réaliser nos plateformes de consolidation. Ces mécanismes reposent sur deux types de titres : actions ordinaires (AO) qui donnent pleinement accès à l’upside et obligations convertibles (OC) ou ADP dont la performance est plafonnée, qui vont être proposées en proportions différentes selon les trois principales catégories d’actionnaires. Nous, sponsor, investissons en actions ordinaires (AO) et en obligations convertibles (OC), mais avec une proportion plus importante d’OC, ce qui limite notre accès à l’upside ; les actionnaires managers historiques qui reviennent dans le tour de table ont une proportion plus importante d’AO et moindre d’OC (ou ADP), ce qui leur donne davantage accès à l’upside ; enfin les managers les plus récents et qui seront moteurs de l’opération n’investissent qu’en actions ordinaires, de sorte qu’ils bénéficient pleinement de l’upside ! C’est donc un schéma très simple qui s’explique très bien. Nous avons réalisé récemment une acquisition en Espagne et le manager espagnol a investi dans la holding française sans aucun problème. Quand on fait appel à des produits spécifiquement français de type BSPCE ou actions gratuites, c’est plus difficile à mettre en place à l’international. Il faut alors trouver un système de compensation, mais qui fonctionne rarement. Un montage simple avec une prise de risque pour devenir actionnaire et qui permet l’alignement des intérêts est la meilleure solution. Il permet aussi d’éviter le risque fiscal.

La réforme du régime des actions gratuites

Philippe Matignon : Le système français est paradoxal. L’administration considère qu’il faut une vraie prise de risque pour éviter le redressement, mais en même temps le législateur met à notre disposition des outils totalement dérisqués avec les actions gratuites et la libéralisation du mécanisme des BSPCE. Il est très tentant de vouloir les utiliser car ils sont sûrs fiscalement à partir du moment où l’on respecte certaines règles. Mais ces mécanismes sont à l’opposé de la ligne que l’administration a définie.

Alexandre Dejardin : En 2007, on disait que les packages changeraient à cause de la crise. En 2012, ils devaient changer à cause du durcissement de l’administration fiscale. Mais on s’aperçoit qu’aujourd’hui il y a toujours deux modèles : le sweet equity et le ratchet. Les fonds ont chacun leur préférence, il n’y a pas d’uniformité. Viennent aujourd’hui les actions gratuites, qui peuvent s’ajouter à du sweet equity ou du ratchet. Il est désormais possible de structurer un package avec un ratchet totalement gratuit, qui est paradoxalement­ peut-être moins à risque qu’un package structuré autour d’un ratchet que le manager a payé.

Pierre-Olivier Bernard, associé, Opleo : La loi Macron a redonné de l’intérêt aux actions gratuites qui étaient devenues du salaire sur le plan fiscal, avec des contributions patronales et salariales qui rendaient ce schéma totalement prohibitif. Aujourd’hui, hormis une contribution patronale de 20 % sur la valeur des actions au terme de la première année, il n’y a plus de coût sur le plan social et, sur le plan fiscal, sous réserve de respecter des contraintes légales d’une période d’un an d’acquisition et de deux ans de conservation, on retrouve le régime des plus-values avec un abattement de 50 % pour une durée de détention de deux ans. Cette réforme réduit considérablement la tranche marginale d’imposition. Mais il faut faire attention car on passe d’un schéma avec une vraie prise de risque, requalifié par l’administration fiscale, à la gratuité des instruments. Par ailleurs, les actions gratuites sont émises au niveau de la holding de reprise, et non pas des structures de management, ce qui implique une détention directe par une population d’actionnaires minoritaires. Il est donc nécessaire d’attribuer des instruments adaptés pour s’assurer de garder le contrôle de la holding. Si une sortie en IPO est envisagée, il serait regrettable que certains actionnaires bloquent le processus car, pour qu’une SAS soit transformée en SA, il faut réunir un certain niveau de majorité. Les actions gratuites posent par ailleurs un problème philosophique car on bascule d’un schéma payant requalifié à un schéma gratuit, après avoir rendu inéligibles au PEA les instruments de type actions de préférence pour aujourd’hui les rebasculer sous un régime de gratuité. Il faut donc faire attention à l’utilisation de ces outils et s’interroger sur le traitement de ces schémas par l’administration fiscale dans le futur.

Stéphane de Lassus : Il existe surtout un désalignement des intérêts à cause de la fiscalité des actions gratuites qui exige de demeurer actionnaire pendant deux ans pour bénéficier d’un régime correct grâce aux abattements. Sinon, le taux d’imposition peut atteindre 62 %. En cas de sortie du fonds, notamment par une vente à un industriel, le manager demandera à garder ses actions pendant deux ans pour bénéficier d’un régime favorable, ce qui pourrait poser problème car l’industriel veut habituellement récupérer 100 % du capital. Si le fonds a été très généreux en attribuant plus de 5 % du capital en actions gratuites, l’industriel risque de refuser le deal car il ne pourra intégrer fiscalement. Les actions gratuites sont donc un complément, mais ne peuvent pas constituer l’ossature d’un package. Il faut alors choisir entre le sweet equity et le ratchet. L’action gratuite peut être un complément pour un cercle inférieur de managers à qui l’on souhaite donner un peu plus qu’un bonus, ou alors dans le cas d’une arrivée de nouveaux managers ou d’un build-up afin d’intéresser de nouveaux entrants en cours de route. Mais il peut en effet y avoir des risques juridiques liés à la conservation de ces actions post-deal.

Patrick Roure : Il existe un flux de plus en plus important de managers qui entrent dans les LBO en cours de route. Pour les intéresser, on peut leur offrir ces outils assez simples qui pourront être complétés lors du LBO suivant.

Guillaume Prot, MB-Entreprendre : Paradoxalement, l’ajustement de la fiscalité a provoqué un retour aux fondamentaux. Il est demandé aux managers de prendre un risque aux côtés des investisseurs avec une discussion poussée autour du prix d’acquisition des outils. Les autres types d’outils, tels que les actions gratuites, s’apparentent davantage à de l’intéressement. Ce n’est pas la même philosophie. Dans l’un des deux LBO que j’ai vécus, nous avions une vision très large de l’intéressement des managers pour laquelle les actions gratuites auraient pu être adaptées. Mais si les managers veulent être partie prenante des décisions de l’entreprise dans la durée, il est alors logique de passer par une vraie prise de risque, à un prix raisonnable.

Nicolas Huet, secrétaire général, Eurazeo : Pendant plusieurs années, le management package a été dévoyé car les fonds ont voulu intéresser trop de salariés via ces mécanismes qui étaient très complexes et que seules quelques personnes dans l’entreprise pouvaient comprendre. L’attention de Bercy sur ce sujet a provoqué un retour à des structures simples et équilibrées. En tant qu’investisseur, nous demanderons toujours que les principaux managers investissent leur argent, dans le cadre de schémas qui restent assez sophistiqués, notamment comparés aux structures à l’étranger. Pour les autres cercles de cadres, la question peut selon moi se poser.

Les actions gratuites permettent d’ailleurs de revenir à des montages avec un management package pour les principaux dirigeants et de l’intéressement pour l’ensemble du personnel via ces outils. Un cadre supérieur qui a une culture d’épargnant ne peut pas devenir un investisseur, c’est un autre métier, d’autres risques. Quand l’histoire se passe mal, il est difficile de leur expliquer qu’ils ont perdu l’épargne familiale accumulée sagement au fil du temps.

Philippe Rosenpick : Cet élargissement des packages était aussi lié au fait qu’à une époque, on avait tendance à penser qu’en investissant un euro, on en gagnerait cinq ou six automatiquement. A l’époque où l’on gagnait à tous les coups, les populations de managers concernées s’élargissaient de plus en plus. Mais en effet, lorsque l’épargne familiale a été investie, que la maison a été hypothéquée, c’est un vrai cauchemar si le LBO dérape. Par ailleurs, les packages se sont beaucoup sophistiqués et ont beaucoup évolué depuis l’utilisation des BSA secs, ABSA, ADP, évaluations par des experts indépendants, etc. Aujourd’hui les AGA offrent un nouveau support légal mais des caractéristiques limitées. Il est toutefois impossible de savoir par avance si l’administration fiscale, dans un, deux ou trois ans, contestera ou non l’utilisation de cet outil qu’elle considérerait alors ne pas avoir été créé pour une telle utilisation, ou si au contraire on s’achemine vers le fait que c’est désormais l’unique voix sûre à emprunter. Il faut donc être extrêmement prudent sur la façon d’utiliser ces AGA et elles ne constituent pas encore l’alpha et l’oméga des outils à utiliser.

Alexandre Dejardin : Les notions de seuil dans le Code de commerce vont nécessiter une certaine clarification notamment car ils font souvent uniquement référence à la notion de capital social. Dans la plupart des cas, les actions gratuites attribuées ne doivent pas représenter plus de 10 % du capital social de l’émetteur. A titre d’exemple, certains mécanismes ratchet peuvent donner accès à moins de 10 % du capital social de l’émetteur mais à plus de 10 % des droits économiques. Il n’est pas certain que ce type de schéma soit validé par l’administration fiscale. Il est donc important d’adopter pour l’instant une démarche prudente concernant ces «outils».

Pierre-Olivier Bernard : Dans le cadre de l’actionnariat salarié, le régime fiscal est lié au régime social. Si demain, un débat s’ouvre sur les actions gratuites, le sujet ne sera pas que fiscal. Nous sommes en train d’ouvrir la boîte de Pandore sur les actions gratuites. Restons vigilants.

Nicolas Huet : En tant que société cotée, nous avons attribué des AGA classiques mais aussi des actions gratuites de préférence qui fonctionnent plutôt bien. Mais nous sommes restés raisonnables. Il y a des conditions de performance permettant des multiples de 1 à 4 et non pas de 1 à 20, sur une durée de six ans et en fonction de divers critères de performance dont le cours de bourse. Les LBO peuvent s’inspirer de ce qui se fait dans certaines sociétés cotées. Mais si les packages tombent dans d’autres excès, Bercy sanctionnera vraisemblablement à nouveau les managers.

Christophe Leclerc : A partir du moment où l’on reste raisonnable sur la mise en place des actions gratuites, destinées plutôt à des managers en dessous du top management, ces outils ont un avantage. Quand le top management souscrit des actions payantes semblables aux actions gratuites, il est dès lors plus facile d’expliquer à l’administration fiscale que nous n’avons pas fait une structure sur mesure pour essayer d’optimiser la fiscalité personnelle de ces top managers, car on a placé tous les autres managers dans le régime des actions gratuites qui, au-delà de la période d’acquisition, subit la même imposition. Mais il y a une grande différence, à savoir que les managers de rang 2 ont reçu leurs actions gratuitement alors que les top managers les ont payées. Compte tenu de l’argent qui a été déboursé, un redressement sur le principe d’une absence de prise de risque sera plus difficile à justifier quand d’autres managers ont reçu leurs actions gratuitement. Pour revenir aux schémas de sweet equity, si on ne change rien sur le fond, il n’y a aucune raison que l’administration fiscale cesse d’examiner ces schémas et de considérer qu’un avantage a été donné au management. Au lieu de considérer que les actions ordinaires ne sont pas achetées au bon prix, elle arguera que le taux d’intérêt appliqué au prêt d’actionnaire, aux obligations convertibles, aux ADP, a été fixé à un niveau anormalement faible, et conclura que de la valeur a été transférée aux porteurs des actions ordinaires et donc aux managers. Si on ne change pas le sous-jacent qu’est la répartition de la plus-value future, si on reste sur les mêmes schémas, on court toujours les mêmes risques d’un point de vue financier.

Alexandre Dejardin : Les actions gratuites vont-elles résister au temps ? Le marché est aujourd’hui principalement positionné sur des LBO tertiaires et secondaires. Or techniquement, la problématique de détention des actions durant trois ans est peu compatible avec les stratégies de build-up successifs. Si un build-up est réalisé peu de temps avant une sortie potentielle de l’investisseur financier, il sera difficile d’allouer des actions gratuites qui ne pourraient pas être cédées lors de cette sortie. De même, elles sont difficiles à concilier avec une stratégie à l’international.En revanche, elles paraissent intéressantes à utiliser durant les renégociations de LBO et donc de packages. Jusqu’à présent, il n’existait pas vraiment d’outil efficace. Donner des actions ordinaires gratuites à un manager dont le package est sous l’eau est désormais à nouveau intéressant pour le manager et présente un coût raisonnable pour la société.

Carole Degonse : En cas de rupture des covenants, se pose la question de l’alignement d’intérêts avec l’investisseur financier. Celui-ci va faire un véritable effort financier, face à une équipe de management à laquelle il sera demandé de redresser l’entreprise, sans pour autant qu’un nouveau mécanisme d’incentive puisse être mis en place, ou s’il l’est, sans que l’équipe dirigeante ait les moyens de le financer. Les actions gratuites peuvent donc être une solution, mais je me demande dans quelle mesure elles ne susciteront pas des tensions durant la négociation avec l’investisseur financier.

Jérôme Jouhanneaud : En pratique, les schémas d’actions gratuites qui seront réservés à des managers de cercle 1 ou 2 seront systématiquement couplés à un investissement en dur. Les intérêts seront dès lors réalignés. Il est évident que le regain d’intérêt pour les actions gratuites ne va pas révolutionner la philosophie des management packages qui reste indissociable d’une corrélation entre risque en capital et une espérance de gain. Si l’action gratuite peut être a priori un bon outil dans le cadre de renégociations de management package en cours de deal, il faut bien garder en tête la problématique de durée de détention de l’action gratuite qui devient ici plus prégnante. Le respect du délai de trois ans requis entre l’attribution et la sortie pour bénéficier d’une fiscalité optimisée risque en effet ici d’être plus aléatoire.

Philippe Matignon : L’action gratuite peut aussi être un bon outil pour les managers qui rejoignent en cours de route un LBO qui se «déroule» bien, et donc qui présente des instruments d’accès au capital plutôt bien valorisés. Coupler des actions gratuites avec un investissement en actions ordinaires relativement cher permet d’abaisser le ticket moyen d’entrée du manager, ce qui peut être très efficace. Bien évidemment, il faut tenir compte des impératifs de durée d’acquisition et de détention des actions gratuites et les confronter aux prévisions de sortie du LBO. Un aménagement contractuel de la sortie ou du réinvestissement de ces managers peut être envisagé.

Jacques Rossignol : Mais lorsque différents managers qui sont à peu près au même niveau ne bénéficient pas du même type d’outils, c’est une source de problèmes futurs. Par expérience, dès lors que l’on multiplie les types de situations, tout se complique.

Philippe Matignon : Quand les managers rejoignent l’entreprise sous LBO à différents moments, ils entrent de toute façon sur des valeurs différentes, donc l’alignement n’est jamais absolu.

Jacques Rossignol : La problématique à laquelle 21 CP est le plus confronté est celle des augmentations de capital lors des acquisitions. Soit le manager peut suivre, soit il est mécaniquement dilué. Néanmoins, selon un principe de bon sens, il faut motiver le management à cette acquisition puisqu’il doit travailler derrière : s’il est mécaniquement dilué, il est bien qu’il soit partiellement relué d’un point de vue financier. Par ailleurs, un manager qui arrive en cours de LBO ne peut pas prétendre à avoir le même intéressement que ceux qui sont là depuis le début. Néanmoins, il doit être intéressé sur le parcours restant à effectuer, en visant le tour d’après.

Pierre-Olivier Bernard : N’oublions pas que lorsqu’on attribue une action gratuite, on partage de la création de valeur immédiate. Un manager qui arrive en cours de route va finalement bénéficier de la création de valeur réalisée par ses collègues présents depuis deux ou trois ans.

Jérôme Jouhanneaud : Sauf à structurer l’action gratuite sous forme d’action de préférence afin que la captation de valeur ne se déclenche qu’au-delà de la valeur d’entrée du manager qui arrive en cours de route.

Nicolas Huet : Ou en mettant des conditions de performance à l’acquisition des actions gratuites. Pour celui qui arrive en cours de route, pourquoi ne pas lui adosser à ses actions gratuites des conditions de performance spécifiques, par exemple sur l’accroissement d’Ebitda dans les deux ans ?

Jérôme Jouhanneaud : La captation se fera ainsi dans le futur et cela permet le maintien d’une certaine équité entre managers. C’est d’ailleurs ce principe qui prévaut lors du reclassement de titres conservés en réserve par le fonds pour de nouveaux managers : ce reclassement intervient toujours à la valeur de marché réévaluée.

Nicolas Huet : Ce modèle d’actions gratuites adossées à des conditions de performance peut permettre de paramétrer des éléments très intéressants. Il peut également exister des actions gratuites de préférence avec performance, mais nous sommes peu à le proposer.

Rémi Carnimolla : Il n’y a pas les fonds d’un côté et tous les autres managers de l’autre. Il existe une catégorie de managers qui sont autant investisseurs que le fonds, vu les sommes investies. Si l’entreprise connaît quelques difficultés, tous les «investisseurs», c’est-à-dire le sponsor mais aussi les managers qui en sont à leur second ou troisième buy-out et qui ont réinvesti massivement, veulent avant tout récupérer leur investissement de départ. Cela peut effectivement passer par le recrutement de nouveaux managers qu’il faut alors incentiver. Les anciens managers qui ont beaucoup investi peuvent bien sûr prétendre à un nouvel incentive en tant que managers, mais ils doivent se comporter aussi (et souvent se comportent aussi) comme des investisseurs, au même titre que le sponsor, pour la grosse majorité de leur investissement.

Philippe Rosenpick : Ne perdons jamais de vue les fondamentaux. Ce n’est pas pareil selon que le manager est fondateur ou cadre, selon que l’investisseur est français ou étranger, selon que c’est un LBO primaire ou secondaire, etc. Il faut également se poser la question de l’économie générale souhaitée par les uns et les autres avant d’avoir recours à un instrument plutôt qu’à un autre. Beaucoup de managers nous disent de faire simple avant tout.

La position de l’administration

Pierre-Olivier Bernard : L’arrêt Gaillochet rendu par le Conseil d’Etat à la fin de l’année 2014 a secoué le marché en sanctionnant un schéma de management package très particulier­. Il s’agissait en l’espèce d’un mécanisme de promesse, donc purement contractuel, et non de valeurs mobilières. Les conditions d’exerçabilité dépendaient également de la présence du dirigeant au bout de la cinquième année. Le Conseil d’Etat a considéré modique le prix payé par le manager (environ 13 000 euros) par rapport au gain réalisé et a tout requalifié en salaire. Mais cet arrêt n’est pas duplicable à tous les cas de figure et ne remet absolument pas en question les schémas à base de BSA ou d’actions de préférence. Le Conseil d’Etat a également estimé en l’espèce qu’il fallait valider, au moment de l’exercice des promesses, que le dirigeant était bien en place. Cette position décale également la date à laquelle on est censé apprécier le risque. Mais une fois encore, cette décision n’est pas duplicable car sur une valeur mobilière, type BSA, qu’il soit exercé ou pas, la notion de risque doit bien s’apprécier au moment de l’acquisition. Elle fait d’ailleurs aujourd’hui systématiquement l’objet d’une valorisation par un tiers indépendant.

Force est néanmoins de constater l’accélération des contrôles à la suite de cette jurisprudence. Notamment avec des dossiers qui ne sont pas toujours bien ficelés par l’administration. Dans un dossier récent, l’inspectrice avait calé le mécanisme même de débouclage du BSA sur l’arrêt Gaillochet en appréciant le risque à la date d’exercice du BSA. Je recommande donc la mise en place de packages sur la base de valeurs mobilières dont le risque est apprécié au moment de sa valorisation, sur la base de termes et conditions pris en compte au moment du closing. Ces schémas ne peuvent être remis en question au regard de l’arrêt du Conseil d’Etat, même si l’administration fiscale le tente.

Christophe Leclerc : L’arrêt Gaillochet a fait parler de lui car il s’agissait d’un excès manifeste. La prise de risque était extrêmement basse pour aboutir à un multiple de plus de 100 fois l’investissement initial. Dans 99,9 % des cas, les montages actuels ne permettent pas de tels multiples. Quand les montages sont raisonnables, ils sont bien plus faciles à défendre.

Stéphane de Lassus : Il s’agissait d’un package monté en 1999 qui a été jugé avec le prisme de 2014. Les faits constituaient un cas d’école de ce qu’il ne faut pas ou plus faire : promesses peu ou non valorisées, absence d’expertise, etc. Toutefois, il convient de noter qu’il y a très peu de jurisprudences sur ce sujet car l’administration est agressive, mais en même temps, fait tout pour éviter un contentieux qu’elle perdrait et favorise ainsi des transactions avec paiement immédiat !

Pierre-Olivier Bernard : Les grilles élaborées par le comité de l’abus de droit ont livré beaucoup d’enseignements sur le management package. Elles ont validé les schémas mis en place dès lors qu’un juste prix avait été payé par le manager. Il faut cependant regretter que l’administration fiscale ne tienne pas compte des avis du Comité de l’abus de droit et cherche à obtenir les rapports d’experts préalables dans le cadre de ses contrôles pour remettre en question l’expertise et établir ce qu’elle considère comme le juste prix.

Philippe Rosenpick : Quasiment tous les packages donnent lieu à contrôle et souvent, nous dit-on, avec un présupposé selon lequel les sommes perçues sont du salaire. Le point d’équilibre entre l’administration et le manager résultera alors dans la capacité du manager à vouloir faire face et aller au bout des procédures. Je rappelle qu’en droit français, avant d’entrer en discussion avec l’administration, il faut soit payer, soit donner des garanties. Cela limite un peu l’enthousiasme à lutter.

Philippe Matignon : Il ne faut pas exagérer la portée de l’arrêt Gaillochet. A examiner de près les arguments soulevés dans cet arrêt et les précautions prises pour détailler les circonstances précises de l’espèce, cette décision s’apparente moins à un arrêt de principe qu’à un cas particulier, de surcroît assez spécifique.

Philippe Rosenpick : L’administration est le bras séculier de la mise en place d’une philosophie politique. Qui n’a pas connu autour de cette table le premier LBO réussi, le deuxième qui dévisse alors que les mêmes instruments ont été mis en place et que l’administration refuse d’examiner le deuxième en contrôlant le premier ? On n’est pas dans le même momentum.

La valorisation des packages

Christophe Leclerc : Accuracy a la chance de faire beaucoup d’évaluation de packages. Il y a beaucoup de demandes d’informations de l’administration fiscale auprès des managers­ au moment de la sortie, mais sur nombre de dossiers les vérifications ne vont pas plus loin. L’administration se focalise sur certains dossiers plutôt que sur d’autres en fonction de quelques éléments : un multiple anormalement élevé ou très déconnecté du multiple réalisé par l’investisseur financier par exemple. Sur un certain nombre de dossiers, l’administration fait une proposition de rectification. Le débat prend alors une tournure technique au niveau financier dans lequel on peut faire valoir quelques arguments. Par rapport aux années précédentes, l’administration fiscale s’est structurée avec des spécialistes de ce type d’évaluation avec lesquels la discussion technique est possible. Nous ne sommes pas forcément d’accord, mais nous parvenons à nous comprendre, ce qui réduit dès lors l’incertitude.

Jacques Rossignol : Il y a une réflexion contradictoire selon laquelle : d’une part la rémunération des OC ne doit pas être trop élevée par rapport au taux légal pour être déductible fiscalement ; d’autre part, en ce qui concerne les management packages, il faut justifier qu’il s’agit de quasi-capital et donc avoir une rémunération plus élevée que la mezzanine notamment, quand il y en a. Comment analysez-vous la rémunération des OC ou des ADP ?

Christophe Leclerc : La question qui nous est régulièrement posée est : quel est le bon niveau du taux de rémunération des OC et des ADP pour permettre à la fois la déductibilité fiscale des intérêts mais ne pas mettre en danger l’investissement des managers avec un taux trop bas ? Nous évaluons ces taux d’intérêts par référence au taux d’intérêt de la dette bancaire et aux rémunérations versées sur les instruments qui sont plus juniors. Il s’agit de trouver le bon équilibre en termes de rémunération du risque pris. Il peut également se présenter quelques difficultés lorsqu’il y a à la fois des OC et des ADP, avec des taux de rémunération identiques, mais une différence de séniorité entre les deux.

Alexandre Dejardin : L’administration ne regarde pas que les OC mais aussi les ADP qui n’ont pas les mêmes contraintes fiscales concernant les ratios de sous-capitalisation. Il est possible, en plus des OC, de créer des ADP pour le fonds avec un dividende prioritaire plus ou moins élevé qui lui permet un investissement offrant également un rendement prioritaire à celui du management. Ainsi le package des managers est subordonné à une masse importante d’intérêts et de dividendes prioritaires revenant aux investisseurs.

Jérôme Jouhanneaud : L’appréciation du taux des OC doit aussi se faire au regard de la prime éventuellement souscrite par le management sur les actions ordinaires qui lui sont réservées.

Jacques Rossignol : Ce qui ne répond plus au principe de simplicité !

Jérôme Jouhanneaud : La simplicité et la lisibilité doivent rester l’objectif, mais la recherche d’un partage de valeur équilibré dans les hypothèses de sortie tardive pousse il est vrai à sophistiquer les packages de sweet equity en introduisant des taux variables sur les OC. La volonté du management est naturellement d’éviter que l’effet TRI devienne trop pénalisant sur son package en cas de sortie tardive, alors même que le multiple du fonds resterait élevé.

Jacques Rossignol : Nous proposons aux managers de choisir la proportion d’AO et d’OC qu’ils veulent avoir tout en soulignant bien le risque des AO en cas de sous-performance. C’est un menu à la carte. Ils ont le choix entre 100 % en AO et la même proportion que nous en AO/OC, ou une solution intermédiaire. Ils choisissent l’exposition qu’ils veulent avoir !

Christophe Leclerc : Il peut alors y avoir un désalignement d’intérêt au sein même du management.

Jacques Rossignol : En pratique, tout le monde prend la même proportion. C’est aussi un test pour voir si les cadres y croient ou pas ! En général, cela se traduit par un maximum en AO.

Rémi Carnimolla : Il existe deux catégories de managers : ceux qui sont autant investisseurs que managers et ceux qui ne sont que managers. Il faut juste parvenir à bien segmenter la discussion car ce n’est pas la même.

Guillaume Prot : Le mérite de toute cette période économique difficile et de cette pression fiscale est de revenir aux fondamentaux. Pour celui qui a un profil très manager, il faut un intéressement. Pour celui qui est très entrepreneur, il faut un investissement. La difficulté fiscale vient du fait de prévoir de l’intéressement avec une fiscalité amoindrie. En revenant aux fondamentaux, la logique devient claire et est comprise par l’administration.

Alexandre Dejardin : Peu de managers sont capables d’appréhender l’ensemble des aspects économiques d’un package complexe. A l’époque où les management packages­ concernaient 80 personnes, le top management était souvent le seul à avoir accès à l’ensemble des valeurs mobilières composant le management package. Les n – 1 ou n – 2 bénéficiaient d’une formule moins agressive avec moins d’opportunité de rendement mais également avec un risque plus faible. Avant 2008, certains managers pensaient acheter un ticket de loto forcément gagnant. Mais ce n’était évidemment pas le cas avec des conséquences très problématiques en cas de difficultés financières de l’entreprise. Il est sans doute préférable compte tenu du contexte économique général de suggérer aux managers hors cercle 1 de se positionner sur des schémas moins risqués.

Christophe Leclerc : L’administration ne voit, elle, que les gagnants. Elle attend la fin des LBO, regarde les plus-values réalisées et investigue les dossiers présumés porteurs. Elle ne s’intéresse évidemment pas à tous ceux qui ont perdu.

La fin du contrat de travail

Alexandre Dejardin : Selon un schéma classique, des promesses de vente sont signées au profit de l’investisseur financier et permettent en théorie de contraindre le manager à vendre ses titres quand il quitte le groupe, pour de bonnes ou de mauvaises raisons. Un problème survient quand le prix de rachat proposé est trop faible et que le manager refuse de vendre. Le cas de l’exclusion dans la société de management pose également des problèmes d’exécution forcée quand le manager refuse soit de respecter la promesse, soit de se conformer à l’exclusion. Il n’existe pas vraiment de système automatique.

Un arrêt du 29 septembre 2015 a reconnu et validé, concernant les statuts d’une société anonyme, un mécanisme d’éviction automatique d’un manager lorsqu’il perd la qualité de salarié. Toutefois cet arrêt soulève de nombreuses questions en termes de respect du droit de propriété. En l’espèce, il s’agissait d’un manager parti à la retraite en 2006. Les statuts de sa société comportaient une clause selon laquelle en cas de perte de la qualité de salarié, il n’était plus actionnaire. Le conseil d’administration avait toutefois la possibilité de revenir sur cette éviction automatique pour lui permettre de rester associé. La cour d’appel et la Cour de cassation ont validé cette clause. Transposé dans une situation de LBO, cet arrêt créerait un mécanisme automatique nouveau. Du point de vue des investisseurs financiers, il permettrait de faciliter la récupération des titres du manager. Du point de vue des managers, cela apparaît comme très agressif à l’égard de leur droit de propriété.

Mais rappelons qu’il s’agit d’un arrêt de la chambre commerciale. Et s’agissant d’actions gratuites, ne va-t-on pas avoir toute la jurisprudence sur les sanctions pécuniaires qui va se mettre en place ? On pourra alors considérer que cette éviction n’est pas valable, voire qu’elle donne lieu à des dommages et intérêts. Sur la fixation du prix, l’arrêt d’espèce est en outre très sibyllin alors qu’il s’agit d’un sujet majeur d’expropriation de l’actionnaire.

Pierre-Olivier Bernard : Le droit d’exclusion existe dans le Code de commerce, mais il était très peu développé et supposait une rédaction assez minutieuse des statuts. Cette jurisprudence sur ce sujet valide ce que l’on mettait en place et permet dès lors de sécuriser les schémas. Les clauses d’exclusion sont insérées depuis longtemps dans les statuts­ des manco, justement pour s’assurer que les clauses de good et bad leaver sont respectées. Les conseils de management demandent eux-mêmes ces clauses d’exclusion pour s’assurer qu’au moment de la sortie, le manager ne soit pas pénalisé sur la cession directe de ses titres.

Alexandre Dejardin : L’arrêt d’espèce est très intéressant dans le sens où il valide toute une procédure que le manager n’a pas signée. Il n’est plus salarié, le conseil d’administration lui refuse le maintien de la qualité d’actionnaire, lui envoie des papiers qu’il ne signe pas, mais tout est validé en appel puis en cassation.

Carole Degonse : L’arrêt est tout de même un peu nuancé. Les statuts de la société mettaient en lumière deux clauses : une clause d’exclusion et une autre clause, qui permettait au conseil d’administration, non pas de retirer la qualité d’actionnaire, mais de la maintenir. Si le conseil avait eu la faculté de par les statuts de retirer cette qualité, les magistrats auraient-ils statué dans le même sens ? Par ailleurs, je pense que l’on doit avoir une lecture prudente de l’arrêt, car à aucun moment la Cour de cassation ne se prononce sur la validité de la clause d’exclusion. Elle énonce qu’il n’est pas nécessaire d’aller rechercher si la clause était abusive et si le salarié évincé avait droit à des dommages et intérêts, tout en relevant qu’il ne s’agissait ni d’appliquer une clause d’exclusion, ni d’une sanction. Cela signifie-t-il qu’une clause d’exclusion dans les statuts d’une SA est licite ? L’arrêt n’est pas clair. En outre, autant dans les SAS, le Code de commerce permet d’insérer une clause d’exclusion dans les statuts, autant pour les SA, il ne prévoit rien. Le régime des clauses d’exclusion dans les statuts de SAS est aujourd’hui assez balisé, mais pas dans les SA.

Patrick Roure : Il existe également une situation opposée dans laquelle le manager se retrouve coincé avec des titres d’une affaire précédente dont il n’a pu déboucler la position. Cela vaut donc dans les deux sens, d’où l’importance de bien prévoir les modalités de sortie côté manager et côté entreprise pour ne pas se retrouver dans des situations de blocage.

Jacques Rossignol : Ce qui me paraît extrêmement sain à l’écoute de cette conversation, c’est que désormais l’essentiel des discussions avec les managers porte sur le projet d’entreprise. Le management package n’est qu’une conséquence de la bonne réussite de ce projet. Le fonds et les managers sont du même côté de la table. Il y a eu une époque où l’on pouvait avoir l’impression que la finalité du deal était le management package et que le projet n’en était qu’un support. De telles situations n’intéressent pas les investisseurs que nous sommes, mais heureusement elles ont tendance à disparaître. Le choix de l’actionnaire se fait désormais sur sa capacité à accompagner le projet et non sur le management package. C’est une évolution saine du LBO.

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