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Transmission d’entreprises : les enjeux fiscaux d’une juste valorisation

Publié le 29 juin 2021 à 12h05

L’objectif ultime de tout fondateur est de transmettre son entreprise à un repreneur qualifié pour assurer sa pérennité et sa croissance. La transmission peut être réalisée au sein du cercle familial, au bénéfice de certains salariés, ou à l’occasion de l’entrée au capital d’un industriel ou d’un investisseur financier. Le plus souvent ces opérations sont combinées, et se réalisent au travers d’une donation, d’un apport ou d’une cession de titres.

Pour faciliter ces opérations, le législateur a instauré et retouché au fil des ans différents régimes d’exonération et d’abattements qui permettent de réduire parfois très sensiblement leur coût fiscal.

Le respect de leurs conditions d’application fait l’objet d’une vigilance légitime de l’administration fiscale, mais le principal sujet, commun à tous types de schémas de transmission et à l’origine de l’essentiel du contentieux fiscal en la matière, demeure incontestablement celui de la valeur de l’entreprise à retenir pour le calcul de l’impôt. Et l’enjeu fiscal est à la hauteur de la complexité de la tâche car, en dépit de l’existence de méthodes de valorisation bien établies, force est de constater qu’il n’est pas toujours aisé de déterminer la valeur objective d’une entreprise à un instant donné.

Admettons d’emblée que la valorisation de l’entreprise est essentiellement une question de négociation que l’administration fiscale peut difficilement critiquer lorsque les parties à l’opération sont des tiers indépendants. Le risque fiscal est en revanche nettement plus fort s’agissant des transmissions opérées dans un cadre familial ou, du moins, entre des personnes liées puisque c’est à l’occasion de ces opérations que la tentation de sous-valoriser l’entreprise est la plus forte afin de minimiser le coût fiscal de la transmission. Les principaux risques fiscaux encourus à cette occasion sont synthétisés ci-après s’agissant des transmissions par voie de donation (1), de cession (2) ou d’apport (3).

1. Valeur retenue en cas de donation

Le modus operandi des transmissions par voie de donation est généralement simple : il consiste à transmettre soit les éléments d’actif et de passif d’une entreprise individuelle, soit les parts ou actions de la société exerçant l’activité, avec le plus souvent application du dispositif du Pacte Dutreil qui permet d’exonérer de droits de donation 75 % de la valeur de l’entreprise, voire davantage lorsque la donation est réalisée en pleine propriété avant les 70 ans du donateur (réduction de 50 % des droits d’enregistrement).

Mais ce dispositif favorable n’est pas toujours suffisant pour dissuader certaines parties de retenir une valeur d’entreprise inférieure à celle à laquelle ils accepteraient de céder l’entreprise à un tiers. Le fondateur peut en effet être tenté de retenir une valeur de donation des titres manifestement décorrélée de la valeur vénale de l’entreprise.

Dans ce cas, l’administration fiscale est autorisée par l’article L. 17 du Livre des procédures fiscales à rectifier la valeur retenue par les parties et de procéder au rappel des droits de donation éludés recalculés sur la base de la valeur réelle de l’entreprise au moment de la donation, auxquels elle adjoint le plus souvent la pénalité de 40 % pour mauvaise foi en estimant que la valeur déclarée a été sciemment minorée dans le but de limiter les droits de donation.

Mais cette faculté de rectifier la valeur de la donation n’est toutefois possible que si l’administration prouve que la valeur déclarée ne correspond pas à la valeur vénale de l’entreprise, et fournit tous les éléments de nature à justifier que la valeur qu’elle entend retenir correspond à la valeur de marché. La Cour de cassation a jugé notamment dans l’arrêt Colaert du 28 janvier 1992 n° 295P (i) que le contribuable n’a pas à prendre l’initiative de prouver le caractère excessif de l’évaluation proposée par l’administration et (ii) qu’il appartient au juge de vérifier la pertinence des éléments fournis par l’administration, et même de vérifier si lesdits éléments avaient été fournis au contribuable lors du redressement.

2. Valeur retenue en cas de cession

Un autre schéma de transmission habituel consiste à céder, parfois en complément d’une donation, tout ou partie de l’entreprise sous la forme d’une cession des titres afin de permettre au fondateur d’obtenir des liquidités.

Dans ce schéma, il peut être tentant de sous-évaluer ou surévaluer l’entreprise selon que l’on souhaite favoriser l’une ou l’autre partie : l’avantage ainsi accordé, s’il ne comporte pas de contrepartie suffisante, s’analyse une libéralité constitutive d’une distribution de bénéfices depuis la jurisprudence Thérond (CE 28 février 2001, n° 199295, section). Cette rectification n’est pas exclusive du redressement qui pourra être subi par le cessionnaire (Raffypack, CE 5 janvier 2005, n° 254556, 3e et 8e s.-s.).

Lorsqu’il existe entre les parties des liens familiaux, l’intention libérale est présumée et la jurisprudence peut également analyser l’écart constaté comme une donation indirecte entre les parties pour exiger le paiement de droits de donation.

Dans un arrêt récent, la Cour de cassation a même reconnu qu’une donation indirecte était possible dans le cas d’une vente consentie par une personne morale à son dirigeant à une valeur inférieure à sa valeur vénale : c’est alors le taux de 60 % entre personne non parente qui a été retenu (Cass. com. 7 mai 2019 n° 17-15.621).

3. Valeur retenue en cas d’apport

Certains schémas de transmission s’inscrivant dans une temporalité plus longue peuvent parfois impliquer des opérations préalables d’apports.

Il peut par exemple être convenu que, dans un premier temps, un ou plusieurs repreneurs créent une société holding à laquelle le fondateur de l’entreprise apporte les titres de l’entreprise à transmettre puis que, dans un second temps ou de manière progressive, le holding procède au rachat des titres remis au fondateur en contrepartie de l’apport grâce à un emprunt bancaire et/ou aux remontées de dividendes en provenance de l’entreprise apportée.

Dans ce cas, une sous-valorisation de l’entreprise apportée a des conséquences au plan comptable, puisque les actifs apportés sont sous-valorisés au bilan du holding, mais économiquement il n’en résulte aucun appauvrissement pour l’apporteur puisque la valeur réelle des actions du holding qui lui sont remises est le reflet de la valeur réelle de l’entreprise apportée. Il était donc difficile d’imaginer que la sous-valorisation retenue dans une telle hypothèse pourrait être assimilée à une libéralité consentie par l’apporteur au profit du holding sanctionnable par l’administration fiscale.

C’est pourtant ce qu’a validé le Conseil d’Etat dans son arrêt « Société Cérès » du 9 mai 2018, n° 387071. Transposant aux apports sa jurisprudence relative aux cessions à prix minoré, il a jugé que lorsqu’une société bénéficie d’un apport pour une valeur que les parties ont délibérément minorée par rapport à la valeur vénale de l’entreprise apportée, sans que cet écart de prix ne comporte de contrepartie, l’avantage octroyé doit être regardé comme une libéralité consentie à cette société.

Un regard attentif doit donc être porté sur la valorisation des titres apportés au holding. Une sous-évaluation manifeste de l’entreprise apportée peut faire naître un risque de redressement fiscal pour le holding et/ou pour ses associés qui pourraient être considérés comme les bénéficiaires indirects d’une donation déguisée, rappel étant fait que le juge considère que l’intention libérale des parties peut être présumée si les opérations sont réalisées au sein d’un même groupe familial.

Conclusion

L’administration fiscale peut contester la valeur retenue à l’occasion d’une transmission d’entreprise quelles qu’en soient les modalités, et en tirer les conséquences sur la fiscalité de l’ensemble des parties. Mais en dépit des armes dont elle dispose, elle n’est pas toute-puissante : elle ne peut corriger cette valeur qu’à condition de pouvoir apporter la preuve d’une sous-évaluation. Or, la valorisation d’une entreprise n’est pas une science exacte et les parties disposent par conséquent d’une certaine marge. Cela étant, nous ne saurions trop recommander la sollicitation d’un expert en évaluation préalablement à la transmission afin de limiter le risque ; l’existence d’un rapport d’évaluation établi par un tiers étant un atout indéniable en cas de contrôle.

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