Transmission d’entreprise

Transmission : vers un régime unique en faveur des repreneurs d’entreprise ?

Publié le 18 octobre 2019 à 17h38

Propos recueillis par Coralie Bach et Gilles Lambert

Le marché de la transmission d’entreprise connait un certain dynamisme du fait notamment d’un effet générationnel, du concours des opérations de croissance externe, et d’un environnement législatif et fiscal favorable, notamment après l’adoption de la loi Pacte. Mais alors que les priorités gouvernementales semblent se concentrer sur le développement des entreprises technologiques, certains freins pourraient encore être levés pour accompagner la transformation des entreprises et faire de la transmission un vecteur de développement des PME et ETI. Cinq experts partagent leurs points de vue sur ces questions.

Un nouvel élan entrepreneurial

Marc Sabaté, associé & directeur général, In Extenso Finance & Transmission : Nous avons établi la troisième édition du panorama Régions & Transmission1 dont l’objectif est de mesurer en régions les grandes composantes de la transmission des PME ; l’étude porte sur les transactions comprises entre 1 et 50 millions d’euros. Au-delà, nous sommes plus sur un marché de grandes opérations financières dont la logique est différente.

Or, sur le segment des PME, nous mesurons une progression entre 5 % et 10 % des opérations de cession. L’Ile-de-France et Paris concentrent près de la moitié des opérations, ce qui s’explique par la densité des sièges sociaux implantés en région francilienne. Nous avons également mesuré un indice de dynamisme des transactions, en rapportant les volumes d’opérations au nombre de PME. Cet indice montre bien les différences d’activité entre les régions. Rhône-Alpes et les régions de l’ouest de la France sont ainsi particulièrement dynamiques. Les territoires où les PME ont émergé à partir des années 1950, qui ne sont pas les terres des révolutions industrielles du début du xxe siècle, sont les plus dynamiques.

Enfin, nous constatons, au niveau national, que près de 60 % des cédants sont des personnes physiques, tandis que les repreneurs sont à 82 % des industriels, et pour 18 % des fonds. La part des acquéreurs étrangers est assez faible, un peu plus de 20 % ; les repreneurs sont à 40 % issus de la même région que la société cible.

Branka Berthoumieux, responsable reprise et transmission au sein de la CCI Paris Ile-de-France : Je fais le même constat de dynamisme du marché de la reprise d’entreprise. Si une récente étude de la BPCE fait état d’une tendance baissière du nombre de cessions sur les trois dernières années, nous avons, pour notre part, constaté sur 2018 et 2019 une croissance du nombre d’entreprises à transmettre. Le marché s’équilibre progressivement avec une progression du portefeuille de cédants et des repreneurs qui sont plus souvent des personnes morales que des personnes physiques, ce qui s’explique par un marché de l’emploi assez favorable. Nous voyons également un réel développement de la croissance externe, y compris au niveau des PME.

Le cadre fiscal qui encadre ces opérations est actuellement plus stable, ce qui aide les dirigeants à se projeter. Rappelons qu’un tiers des entreprises franciliennes ont à leur tête un dirigeant âgé de plus de 55 ans qui aura à organiser prochainement la transmission de son entreprise. Une transmission réussie suppose une anticipation d’au moins trois années de la part du cédant. C’est la mission de sensibilisation que nous menons auprès des dirigeants de TPE/PME depuis plus de 20 ans au sein de la CCI Paris Ile-de-France ainsi que sur l’ensemble du réseau consulaire. Certaines mesures inscrites dans la loi Pacte permettent d’assouplir la fiscalité de la transmission et je m’en réjouis, je pense notamment à celle qui concerne le crédit vendeur facilité, très usité dans les cessions de TPE, et pour laquelle la Chambre avait été une force de proposition lors des différentes commissions sur la transmission précédant la loi Pacte.

Fabrice Imbault, associé, A+ Finance : Nous accompagnons des repreneurs sur les aspects financiers, en fournissant l’equity et/ou la dette. Nous avons fait une trentaine d’opérations en région sur des valorisations comprises entre 10 et 50 millions d’euros. Au cours des dernières années, nous avons observé de vrais changements. Premièrement, il y a une génération de dirigeants baby-boomers qui est arrivée au stade de la transmission, ce qui a augmenté le volume d’affaires potentielles. Deuxièmement, nous avons vu émerger des serial entrepreneurs dont la logique de cession est beaucoup plus rapide. Ils créent ou rachètent une société, la font grossir et se développer, souvent à l’international, puis la revendent. Je me souviens d’une opération que nous avons accompagnée. Il s’agissait d’une entreprise industrielle en Lorraine, spécialisée dans la fonte de voierie. La famille héritière ne souhaitait pas reprendre le groupe. Un spécialiste de la reprise d’entreprise a identifié cette cible et l’a rachetée avec notre soutien financier. Cette reprise a permis de développer l’entreprise qui a continué à se financer naturellement auprès d’autres acteurs qui ont pris notre suite. Cette expérience témoigne du potentiel, souvent inexploité, d’entreprises faisant face à des problématiques de transmission mais également de mutation.

Nous avons un tissu de PME qui est actuellement confronté à des mutations digitales, sociétales et environnementales. Ces mutations sont nécessaires et obligatoires pour les PME qui traitent avec de grands groupes, qui eux-mêmes ont des exigences dans ces domaines. Toutes ces évolutions impliquent un dynamisme au niveau du management. Certains fondateurs réalisent qu’ils doivent être accompagnés pour mener à bien ces changements et décident d’initier une transmission.

Des évolutions réglementaires favorables

Olivier Schiller, président du groupe Septodont (fabricant de dispositifs médicaux pour les professionnels du monde dentaire), administrateur du METI : La loi Pacte n’apporte pas de révolution pour la transmission d’entreprise. Elle prévoit des mesures techniques, notamment sur les obligations de déclaration du Pacte Dutreil. Ces mesures étaient attendues. Elles permettront d’assouplir le pacte et de réduire les insécurités juridiques. Mais selon moi, la mesure la plus importante a été la suppression de l’ISF.

L’ISF générait en effet des dissensions au sein d’une même famille. Ceux impliqués dans l’entreprise cherchaient à conserver un maximum de cash dans la société, tandis que les autres pouvaient demander plus de dividendes afin de payer l’ISF. De même, le prélèvement forfaitaire unique représente aussi une avancée. Le coût d’une transmission d’entreprise ne se résume pas aux droits de succession ; c’est également le coût d’obtention du cash avec la distribution de dividendes, soumise à l’impôt sur le revenu. En ce sens, le prélèvement forfaitaire unique (PFU) est une bonne chose et contribue à l’élaboration d’un contexte favorable aux transmissions. Cependant, la fiscalité reste moins favorable en France que dans certains pays voisins, comme l’Allemagne ou l’Italie, où la transmission d’entreprise n’est pas imposée. Si nous voulons réindustrialiser la France, il faut aller encore plus loin.

Pierre-Olivier Bernard, associé, Opléo Avocats : Le sujet majeur qui a certainement débloqué de nombreuses situations est, en effet, la suppression de l’ISF. Il y avait effectivement des actionnaires passifs qui, pour payer l’ISF, réclamaient le versement de dividendes, ce qui représentait un cash non réaffecté au développement de l’entreprise. D’autre part, les dirigeants qui cédaient leur entreprise se retrouvaient assujettis à l’ISF sur le prix de vente, tout en perdant l’outil qui générait pour eux leurs revenus, et ils devaient donc trouver une organisation patrimoniale appropriée leur permettant de financer leur budget post-activité professionnelle.

Une transmission d’entreprise est un passage de relais, mais c’est aussi pour le cédant une situation post-cession à gérer. Aujourd’hui, cette gestion est beaucoup plus fluide puisque cette charge fiscale qu’était l’ISF et qui survenait lors de la vente n’existe plus.

Concernant la loi Pacte, son principal apport concerne l’assouplissement du pacte Dutreil, avec la réduction des seuils de détention, en permettant de passer des pactes avec soi-même, dès lors que les conditions de seuil sont remplies, et en levant les conditions déclaratives. Ces dernières pouvaient conduire à la remise en question du pacte qui devenait non sécurisé. C’est donc un point positif. Il est primordial qu’un dispositif ne puisse pas être remis en question. La loi Pacte apporte donc davantage de sécurité. Tous ces éléments créent un environnement favorable à la transmission. Nous constatons ainsi qu’il y a une plus forte appétence pour la reprise d’entreprise. Auparavant, il y avait des entreprises à reprendre mais pas forcément de repreneurs. Il y a dorénavant un rééquilibrage, voire un déséquilibre inverse.

Ouvrir le capital aux managers

Fabrice Imbault : Nous voyons aussi des opérations où le management historique reste intéressé dans la structure de reprise, tandis que de nouveaux managers entrent au capital. Nous apprécions beaucoup ce schéma car il est véritablement synonyme de transmission. Ce sont généralement des opérations qui fonctionnent bien.

Marc Sabaté : Les données de notre partenaire Epsilon montrent une progression de 5 % des transmissions d’entreprise, portée essentiellement par le capital transmission et les LBO. Je pense que nous assistons à un changement de paradigme. Nous sortons d’un cycle de transmission défensive des baby-boomers, qui, arrivés à l’âge de la retraite se demandent à qui ils vont pouvoir céder leur entreprise, pour entrer dans un marché de transmission plus offensif où les dirigeants se demandent comment la cession de l’entreprise peut devenir un acte de développement. Cette réflexion est liée aux différentes mutations que nous vivons actuellement: sociales, digitales, environnementales... Cette évolution repose aussi sur la financiarisation de l’économie, avec aujourd’hui un accès au crédit facilité par des taux bas. Il reste néanmoins une problématique d’accompagnement de ces opérations, en particulier pour définir la place des managers et salariés. Au-delà de la loi Hamon qui était mal pensée, il est de plus en plus important de réfléchir à la manière dont on aide les dirigeants à faire entrer au capital managers et salariés.

Je ne peux, par ailleurs, qu’appuyer les propos précédents sur le besoin de stabilité de l’environnement réglementaire et fiscal.

Pierre-Olivier Bernard : Le LBO s’est fortement développé mais le régime du rachat de l’entreprise par les salariés (RES) n’a pas fonctionné. Vingt ans plus tard, les management packages se sont pourtant diffusés, y compris en régions, et ce malgré les requalifications sur le plan fiscal, et récemment sur le plan social (cf. arrêt Barrière). Ils représentent un vrai levier de transmission des entreprises au profit des managers.

En outre, lorsque la société est rachetée par un financier, celui-ci est obligé de s’appuyer sur le management puisque le fonds ne maîtrise pas l’opérationnel. Mécaniquement, les LBO favorisent la montée au capital d’un vivier de talents capables de reprendre l’entreprise.

La loi Pacte a contribué à un environnement favorable à la reprise d’entreprise, en dédramatisant les sujets de redressement des entreprises par exemple. Elle prend également en compte les nouveaux enjeux sociétaux et environnementaux de l’entreprise via la raison d’être. En revanche, si on veut favoriser la transmission de l’entreprise au sein des équipes de salariés par l’accès au capital de managers, il faut sécuriser ce cadre fiscal.

Marc Sabaté : Cette prise de participation des managers, aux côtés d’un fonds, est un gage de sécurité pour les prêteurs et les investisseurs qui adossent leurs stratégies sur le capital humain. Le marché de l’emploi est en effet assez tendu. Plusieurs de nos clients ont du mal à recruter. Fidéliser les équipes, qui représentent la force et la richesse de l’entreprise, est un véritable enjeu.

Fabrice Imbault : C’est indispensable pour nous car le temps de l’entreprise n’est pas celui du fonds. Quand nous investissons dans une société, c’est pour cinq à six ans en moyenne. Dès notre entrée au capital, nous prévoyons, avec les autres actionnaires, les modalités de sortie à terme. Nous avons donc besoin de nous appuyer sur des managers car ce sont eux qui sont créateurs de valeur. D’où l’importance que nous donnons aux management packages qui doivent être incitatifs et permettre à terme un partage de valeur et souvent une possibilité de relution au capital de l’entreprise.

Je rejoins également les propos sur les difficultés de recrutement, en particulier en régions où il est de plus en plus compliqué de trouver des personnes bien formées et motivées. Ces problématiques de recrutement sont parfois telles qu’elles freinent le développement de l’entreprise.

Nouvelle économie versus capitalisme familial

Olivier Schiller : Je voudrais à la fois appuyer et nuancer ces propos.

Nous sommes d’accord sur le fait qu’une transmission doit s’anticiper ; une étude de Bpifrance indiquait qu’un dirigeant devait songer à la transmission autour de 50-55 ans.

Il y a par ailleurs 75 000 entreprises qui seront à céder au cours des dix prochaines années, ce qui représente près de 6 millions d’emplois. L’enjeu est donc de taille.

Concernant les ETI, nous en avons 5 800 en France, contre 12 000 en Allemagne. Or, le capitalisme familial contribue au développement des ETI qui ont par ailleurs l’atout d’être ancrées dans les régions. Septodont, par exemple, ne réalise que 7 % de son chiffre d’affaires en France, pourtant nous avons 40 % de nos effectifs en France. Nous avons investi 50 millions d’euros et créé 170 emplois sur les cinq dernières années car nous sommes attachés aux territoires sur lesquels nous sommes implantés. Favoriser la transmission d’entreprise au sein des familles permet de stabiliser le capital. Selon moi, la cession à un fonds d’investissement, accompagnée d’une équipe de managers, ne représente pas toujours la solution idéale, le risque étant à terme la perte de contrôle de l’entreprise par des actionnaires français.

Dans les années 1980, les droits de succession ont progressé de 20 % à 40 %. Durant cette période, de nombreuses ETI sont passées dans les mains d’investisseurs étrangers. Dès lors, la probabilité que les nouveaux actionnaires investissent en France est bien plus faible. C’est une des raisons de la désindustrialisation de notre pays. Il est important de préserver le capitalisme familial.

Fabrice Imbault : Ce sont deux mondes différents. Dans notre activité, nous voyons finalement assez peu d’opérations de transmission familiale. Il y en a, bien sûr, qui se transmettent de génération en génération, via des dispositifs comme le pacte Dutreil, parfois avec l’appui de financements d’établissements locaux. Mais ces entreprises ne s’adressent pas à nous. Je suis d’accord sur le fait que ce capitalisme familial possède beaucoup de vertus, notamment dans sa capacité à être souvent enraciné au niveau local. Mais il y a aussi des entreprises qui s’inscrivent dans une autre logique. Je pense notamment aux créateurs de start-up. Leur but n’est pas de conserver l’entreprise sur plusieurs générations, mais de la faire croître rapidement et la revendre. Les deux modèles coexistent : d’une part, le modèle historique avec des entreprises souvent industrielles, et d’autre part, un modèle plus récent, porté par le numérique et les nouveaux entrepreneurs, dont l’échelle de temps est bien plus courte.

Olivier Schiller : La catégorie d’entreprise qui crée le plus d’emplois est celle des ETI. Grâce à elles, 300 000 emplois ont été créés entre 2009 et 2015, quand, dans le même temps, les grandes entreprises en ont détruit 80 000, soit autant que la création d’emplois des PME.

Pierre-Olivier Bernard : Le problème français est de ne pas avoir suffisamment d’ETI. Trop de PME ne passent pas le cap de l’ETI car, y compris dans les groupes familiaux, beaucoup d’entre elles sont réticentes aux opérations de croissance externe et refusent de se vendre à de grands groupes. Ainsi la France, à l’inverse du nord de l’Italie ou de l’Allemagne, ne dispose pas de ce tissu d’entreprises intermédiaires.

Fabrice Imbault : On change aujourd’hui de paradigme au niveau politique, comme l’illustrent les interventions d’Emmanuel Macron et de Cédric O dans le cadre du France Digitale Day. Les investisseurs institutionnels s’engagent à investir 5 milliards d’euros pour le développement de ce secteur.

Le discours a donc évolué. Auparavant, la priorité été donnée au développement des PME pour les faire évoluer en ETI sur le modèle du Mittelstand allemand. Désormais la priorité est d’accélérer le développement d’entreprises innovantes dont l’hyper-croissance sera créatrice d’emplois. C’est le modèle américain.

Olivier Schiller : Il faut avancer conjointement dans ces deux voies. Par exemple, chez Septodont, l’entreprise que je dirige, nous souhaitions construire une nouvelle usine d’aiguilles dentaires, à proximité de notre unité de production, pour en augmenter les capacités et se conformer aux nouvelles normes sanitaires. Il s’agit d’un investissement d’une dizaine de millions d’euros. Or, les charges de la fiscalité locale étaient amenées à augmenter considérablement. Face à cette situation, n’importe quel chef d’entreprise aurait fait le choix de la délocalisation. Nous avons, malgré cela, pris la décision de ne pas délocaliser cette nouvelle usine, par attachement à notre implantation locale et par souci de préserver l’emploi.

La question technologique est importante. Pour preuve, au sein du Club ETI Ile-de-France, nous avons créé un incubateur pour favoriser le développement de cet écosystème, mais il est important de ne pas délaisser l’économie traditionnelle et de continuer d’inciter les entreprises existantes à investir et à se développer.

Fabrice Imbault : Je partage totalement votre point de vue. La plus grande partie des opérations que nous accompagnons sont des entreprises traditionnelles qui reposent sur des modèles éprouvés.

Pierre-Olivier Bernard : L’entreprise aujourd’hui n’est plus appréhendée dans une vision strictement actionnariale. Que ce soit les entreprises au capital familial, ou au capital «financier», celles-ci sont appréhendées au regard de leur performance globale, de leur impact sur l’ensemble de leurs parties prenantes. On considère que l’entreprise qui perdurera sera celle qui intégrera l’ensemble des parties prenantes de son écosystème.

C’est l’objet de la loi Pacte, notamment dans sa démarche vers la définition de la raison d’être de l’entreprise et de sa mission.

Quelles que soient la détention du capital et la typologie de l’actionnaire, aujourd’hui l’économie nouvelle repose sur le capital humain des entreprises, car la technologie repose avant tout sur les compétences des salariés. Cela a des conséquences en termes de transmission, dans le sens où ce capital humain doit également être inclus dans le processus de transmission.

Les opérations de croissance externe

Marc Sabaté : Pour revenir sur la transmission, comme l’évoquait Branka Berthoumieux, je constate que les repreneurs personnes physiques restent moteurs en matière de transmission. Beaucoup de nouveaux acteurs sont arrivés sur le marché de la transmission, du fait de l’arrivée de cadres dirigeants dont la reprise d’entreprise représentait une alternative à l’emploi. Ces nouveaux acteurs tendent à disparaître aujourd’hui, sans pour autant que l’on puisse constater une diminution du nombre des repreneurs. Les profils des repreneurs sont désormais plus qualifiés et tendent vers une grande «professionnalisation». Cette situation est liée à la part croissante de l’implication du capital humain dans la reprise des entreprises.

D’autre part, toujours sur ce sujet, je constate un fort développement de la mécanique de croissance des entreprises par le biais d’acquisitions. Une étude récente de Mazars montre que les 2/3 des opérations de croissance externe réalisées en France sont le fait de sociétés qui réalisent un chiffre d’affaires de 2 à 10 millions d’euros de chiffre d’affaires. Cela signifie que deux tiers des «build-up» sont le fait de PME, dans une logique de croissance. Cela illustre le fait qu’une politique d’acquisitions est un moyen d’accélérer la création de valeur, d’autant plus qu’il est difficile d’embaucher.

Branka Berthoumieux : Concernant le faible volume d’ETI en France, je rappelle que 90 % du tissu économique français est composé d’entreprises de moins de 50 personnes. La croissance externe constitue un formidable levier de développement au travers des synergies commerciales, de marché et financières qui peuvent résulter du rapprochement entre deux entreprises. Elle leur permet en outre d’accéder à de nouveaux marchés et donneurs d’ordre, et de sortir des problématiques des tailles intermédiaires. C’est pourquoi nous incitons fortement les dirigeants de PME à «oser» cette stratégie.

Olivier Schiller : Et par ailleurs, 34 % des emplois industriels sont au sein des ETI.

Branka Berthoumieux : CCIP Paris Ile-de-France bénéficie d’un poste d’observation privilégié sur le segment des TPE. Nous accompagnons en effet les dirigeants de petites et moyennes entreprises sur leurs opérations de transmission. Certains facteurs incitent aux rapprochements. Un grand nombre d’entreprises sont confrontées à d’importants enjeux de digitalisation.

Certaines filières rencontrent de grandes difficultés à se développer notamment dans le domaine des prestations informatiques où la seule croissance organique ne suffit plus. Se rapprocher d’une autre entreprise permet alors de gagner du temps, d’acquérir de nouveaux talents et des savoir-faire complémentaires.

Marc Sabaté : Beaucoup de groupes aujourd’hui sont présents sur ce nouveau marché de l’acquisition qui vise les start-up. Celles-ci sont souvent rachetées dès leur phase de démarrage et de déploiement, car cela permet à un certain nombre d’entreprises d’avancer beaucoup plus vite dans leurs opérations de R&D. Acheter la technologie au moment où elle se crée est beaucoup plus rapide que d’embaucher les ingénieurs, de développer un laboratoire, de conduire les négociations avec les autorités locales, de faire face aux difficultés liées à la fiscalité, etc.

L’enchevêtrement administratif est très compliqué en France. Si la loi Pacte a réglé un certain nombre de difficultés «macro», il est encore nécessaire de poursuivre un travail de simplification administrative, au niveau local, régional et national.

L’aspect générationnel

Branka Berthoumieux : Le comportement entrepreneurial actuel a conduit à des évolutions. Sur le fait de ne pas attendre l’âge de la retraite pour engager le processus de transmission, nous sommes souvent confrontés à des dirigeants âgés de moins de 50 ans, qui envisagent justement le fait de s’adosser à un plus grand groupe pour se renforcer, et qui envisagent la transmission non plus comme une rupture, mais comme une façon de poursuivre le développement de leur entreprise.

Fabrice Imbault : Nous constatons un double effet sur cette mécanique de transmission. D’une part, la vision patrimoniale de beaucoup de chefs d’entreprise qui est beaucoup plus mûre. Le fait de donner en partie de la liquidité à une part de son patrimoine, à travers la cession partielle de son entreprise, permet d’équilibrer les risques. D’autre part, un phénomène dû à l’excès de liquidité sur le marché qui pousse les valorisations de manière assez significative. Cette tendance produit un effet d’opportunité pour les chefs d’entreprise qui peuvent mieux valoriser leur entreprise. C’est un vrai levier pour les transactions.

D’un point de vue purement financier, la croissance externe est aujourd’hui moins coûteuse que la croissance organique. Même si bien entendu, d’autres éléments entrent en ligne de compte dans le choix du dirigeant de recourir à la croissance organique ou à la croissance externe.

Marc Sabaté : L’OBO est un schéma vertueux de transmission, étant donné qu’il permet aux dirigeants d’effectuer une première opération partielle, tout en conservant le pouvoir, et permet souvent d’intéresser une première population de managers. Cette mécanique permet de préparer à 5/10 ans la suite du processus de transmission, tout en donnant de la visibilité à l’entreprise d’un point de vue financier. Un OBO réussi vis-à-vis des prêteurs et des futurs investisseurs est un vrai gage de confiance.

Sous des valorisations d’environ 3 millions d’euros (micro-cap), encore beaucoup d’entreprises doivent se vendre pour transformer en faveur du dirigeant la valeur capital en valeur travail, faute d’avoir pu bénéficier de la rémunération du capital pendant la durée d’exercice du chef d’entreprise. Cela correspond aussi à la fin du cycle du baby-boom.

En revanche, au-delà de 5 millions de valorisation, les comportements sont différents, à l’exception des entreprises purement industrielles qui restent une catégorie à part et où les ETI sont plus présentes et plus impactées par l’appétit des grands groupes et des investisseurs étrangers.

Le profil des repreneurs

Branka Berthoumieux : Le marché de la reprise PME est toujours quelque peu déséquilibré, en faveur des cédants. La demande est supérieure à l’offre. Nous constatons néanmoins un rééquilibrage sur les repreneurs personnes physiques. Ces derniers sont par ailleurs plus qualifiés et s’inscrivent davantage dans une démarche professionnelle.

Olivier Schiller : Au niveau des ETI, notamment des ETI familiales, les processus de transmission se sont accélérés. Cela s’explique par la suppression de l’ISF, par le PFU ainsi que par la réforme du pacte Dutreil.

Branka Berthoumieux : On ne peut en effet que se réjouir de ce contexte de stabilité fiscale, de ces mesures incitatives (suppression de l’ISF, crédit vendeur facilité) et de ces assouplissements qui sont en faveur de la transmission. Il s’agit d’un marché où il reste fort à faire, du fait de la pyramide des âges de nos dirigeants. Le sujet de la transmission est prioritaire au même titre que la création d’entreprise. Le processus de reprise est devenu sur ces dernières années moins tabou, et ce phénomène incite les dirigeants et les repreneurs à se former et à s’informer, même s’il y a encore beaucoup à faire dans la sensibilisation et la pédagogie auprès des cédants de TPE. L’entreprise est un patrimoine valorisable et transmissible, il convient de poursuivre les efforts d’une simplification de cette démarche, et de rendre le marché encore plus accessible et fluide afin de préserver la pérennité et le développement des TPE/PME, avec les enjeux sociaux qui en découlent.

Accompagner les dirigeants dans leur démarche de transmission

Marc Sabaté : On assiste à la fin de la cession «couperet» des dirigeants qui cèdent leur entreprise pour partir à la retraite.  Aujourd’hui la logique du dirigeant est de dire «comment faire de la transmission de mon entreprise un acte de développement ?» et «comment m’inscrire dans cette cession ?». Cela implique que chaque cession doit être réalisée sur mesure, et que puissent être trouvés les investisseurs adaptés à chacun de ces cas. L’accompagnement dans ces situations est très important.

Olivier Schiller : J’ai pu en effet constater que cet accompagnement est indispensable. Un de mes interlocuteurs à la DGE m’a indiqué que le dispositif Dutreil était encore trop méconnu. Une étude que nous avons menée avec KPMG a démontré qu’un des freins à la transmission était la méconnaissance de l’ensemble de ces dispositifs. Un notaire a d’ailleurs été récemment condamné pour pour ne pas avoir conseillé la mise en place d’un pacte Dutreil à son client. La DGE va donc engager une campagne de communication afin de mieux faire connaître les mécanismes du pacte Dutreil.

Elargir le pacte Dutreil au-delà de la sphère familiale

Marc Sabaté : Il serait nécessaire d’ouvrir les bénéfices du pacte Dutreil au-delà de la seule sphère familiale, et notamment au management de l’entreprise.

Pierre-Olivier Bernard : Il serait même nécessaire de mettre en place un régime unique de transmission. La réussite de l’opération de transmission dépend aussi de la qualité du repreneur. Les dispositifs en faveur de la transmission sont aujourd’hui élaborés selon la typologie des repreneurs (salariés, membres de la famille). L’entreprise n’est pas un actif patrimonial comme les autres et doit être traitée en tant que telle. La mécanique de transmission ne devrait pas reposer sur cette typologie du repreneur. Le bon repreneur est celui qui est capable d’asseoir la continuité de l’entreprise. D’autre part, je voulais aussi revenir sur la dynamique actuelle de la reprise d’entreprises. Celle-ci est considérablement favorisée par le niveau actuel des taux d’intérêt. Si la conjoncture venait à évoluer dans un sens différent, il n’est pas certain que cette dynamique perdure.

Branka Berthoumieux : Les taux d’intérêt actuels, particulièrement bas, facilitent l’endettement sur les opérations de reprise, mais force est de constater qu’ils ont dans le même temps un effet inflationniste sur les valorisations.

Marc Sabaté : Avec ces taux d’intérêt très bas et les rendements internes d’investissements à 10 %, la marge est évidente. Il est clair que chacun a intérêt à s’endetter pour financer une acquisition. Même avec des taux d’intérêt de 2 % à 3 %, compte tenu des TRI, le taux de marge pourrait rester positif.

En cas de hausse des taux, l’effet «frein» proviendrait d’un retournement de la conjoncture économique, mais pas forcément de la mécanique financière.

Au sujet du mécanisme unique de transmission, il est certes nécessaire d’inciter les entreprises à vendre, mais toutes les parties prenantes (directeurs financiers, cadres dirigeants) de l’entreprise devraient également être incitées à réfléchir à la façon de faire partie des repreneurs de l’entreprise. En France, la transmission strictement familiale est encore très faible, loin derrière l’Allemagne et l’Italie.

Olivier Schiller : En effet, car la transmission familiale est plus chère. Tout a été fait pour tuer cette culture de la transmission familiale, avec notamment l’augmentation des droits de succession. Avant 1980, il existait en France autant d’ETI que chez nos voisins européens. Le pacte Dutreil a permis d’augmenter le nombre d’ETI en France, et les ETI sont souvent des entreprises familiales. Il est important de favoriser la transmission familiale afin de redynamiser le tissu industriel du pays.

Marc Sabaté : Le taux de transmission familiale reste néanmoins inférieur à 8 % en France. Et il est en effet important d’englober une vision large de l’aspect familial et d’y inclure une plus large tranche incluant les managers et les personnes clés de l’entreprise.

On observe également en régions que de jeunes générations, dont seront issus les cadres dirigeants de demain, quittent progressivement les grandes villes à la recherche de nouveaux modes de vie, ce qui amène une nouvelle dynamique en province.

Fabrice Imbault : Ce phénomène générationnel sous-tend également une baisse de l’affectio societatis. Il est plus difficile d’intéresser dans le temps la population des millenials aux enjeux de l’entreprise. Elle passe plus facilement d’une entreprise à l’autre. Cela impacte la transmission et la question se pose de savoir comment intéresser ces membres des nouvelles générations et les fidéliser pour qu’ils deviennent des repreneurs potentiels. Les leviers d’intéressement en faveur de ces générations ne sont pas encore suffisamment développés et incitatifs. Comme l’indiquait Pierre-Oliver Bernard, les management packages sont encore compliqués à mettre en place et pas encore suffisamment sécurisés fiscalement.

Les clés d’une transmission réussie

Branka Berthoumieux : Je souhaite faire passer un message enthousiaste et positif tant pour les cédants que pour les repreneurs. La transmission est avant tout un passage de témoins. Les pouvoirs publics, au travers de la loi Pacte, ont contribué à créer un contexte incitatif, c’est sans doute le bon moment de s’interroger sur la pérennité de son entreprise et de penser à la croissance externe en tant que levier de développement. Je dirais à nos dirigeants d’«oser la croissance externe» et de ne pas hésiter à s’informer sur ces démarches.

Olivier Schiller : Je parlerai au nom du METI (Mouvement des entreprises de taille intermédiaire), que je représente, pour cette conclusion. Nous observons aujourd’hui qu’en France, le coût de la transmission est encore très élevé, contrairement à la situation chez nos voisins européens, où la transmission est gratuite. Nous proposons donc, avec le METI, de mettre en place un pacte Dutreil «très long terme» avec un engagement de conservation des titres sur une durée plus importante (huit ans au lieu de six) et d’un abattement sur les droits augmenté de 75 % à 90 %. Cela permettrait d’assurer les transmissions en laissant plus de cash disponible à l’intérieur de l’entreprise, afin d’investir, de créer de l’emploi, de se projeter à l’international et de réussir la révolution digitale.

Pierre-Olivier Bernard : Le mot qui pourrait résumer ma conclusion est «anticipation». Afin notamment d’allier le capital humain de l’entreprise au capital financier, surtout dans les secteurs d’activité où la création de valeur repose sur ce même capital humain.

D’un point de vue réglementaire, il me semble également important de s’orienter vers un régime autonome de l’entreprise pour que celle-ci puisse vivre sa vie indépendamment des contraintes patrimoniales du dirigeant, et pour que subsiste une capacité à transmettre quelle que soit la typologie du repreneur, pourvu qu’il s’agisse du bon repreneur.

La transmission n’est qu’une partie du cycle de vie de l’entreprise et le repreneur doit en assurer la pérennité. Une transmission qui n’est pas réussie signifie généralement la fin de l’entreprise, avec ses conséquences en termes d’emplois.

Marc Sabaté : In Extenso est une société de conseil en fusions-acquisitions, et a pour mission d’accompagner les dirigeants dans leurs cessions et acquisitions, mais je parle aussi en tant qu’administrateur de l’AFITE (CNCEF entreprises), l’association regroupant les conseils en fusions-acquisitions.

En complément de l’anticipation, j’évoquerai deux autres termes, à destination des chefs d’entreprises et de leurs managers. En premier lieu : «Osez», puisque le marché est, à l’heure actuelle, propice pour transmettre, et pour générer de la valeur, à la fois personnelle, mais aussi pour l’économie, et en deuxième lieu : «Entourez-vous».

Fabrice Imbault : Il existe aujourd’hui une grande opportunité dans la transmission grâce aux nombreuses liquidités disponibles sur le marché, et un accès qui s’est beaucoup fluidifié grâce à ses nombreux outils de financements et à une nette amélioration de la fiscalité. Par ailleurs, de véritables écosystèmes se sont structurés autour de la transmission d’entreprise, notamment en local avec les CCI, les conseils, les avocats, les experts-comptables, les banquiers et les financiers qui ont fait un travail important d’éducation du marché. Cette proximité des acteurs rend les opérations plus simples et plus fluides, et elle dynamise sensiblement les transactions.

Dans la même rubrique

Etat des lieux des transmissions familiales

Le cabinet Racine a soufflé ses 40 bougies l’année dernière et compte aujourd’hui 250 avocats...

Les mécanismes de transmission d’entreprises aux salariés

Qu’il en soit le fondateur ou non, un chef d’entreprise désireux de transmettre celle-ci a souvent à...

Voir plus

Chargement en cours...

Chargement…