Abonnés

La lettre d'Option Droit & Affaires

CORPORATE

Les corporate PPA : un outil de réforme du marché de l’électricité

Publié le 24 mai 2023 à 14h53

Orrick    Temps de lecture 8 minutes

Les bouleversements affectant le marché de l’électricité et la volatilité des prix qui en a résulté ont exacerbé un besoin de visibilité sur le long terme. Au niveau européen, la réforme en cours du marché de l’électricité encourage l’utilisation de contrats d’achat de long terme ou Corporate Power Purchase Agreements (CPPA). En France, la nouvelle loi sur les énergies renouvelables esquisse la mise en place d’un cadre juridique dédié à ces derniers et accompagne leur essor.

Par Foucaud Jaulin, associé, et Carole Schertzinger, collaboratrice, Orrick

Les Corporate Power Purchase Agreements (CPPA) sont des contrats d’achat d’électricité à long terme librement négociés entre un producteur et un consommateur final (offtaker) pour un approvisionnement sur une période donnée selon une structure de prix négociée à la date du contrat et intégrant généralement l’inflation. On en distingue plusieurs types : les CPPA directs, sur le fondement desquels l’électricité produite est injectée directement sur le site du consommateur final ; les CPPA indirects pour lesquels un producteur et un acheteur ont contractualisé via un intermédiaire (un agrégateur ou sleever) ; et les CPPA virtuels qui prennent la forme de contrat de différence par lequel les parties s’engagent à payer la différence entre un prix de référence négocié (strike price) et le prix spot.

L’essor des CPPA s’est confirmé ces dernières années en Europe. Ils y sont prisés par les consommateurs électro-intensifs, en particulier industriels, qui souhaitent sécuriser leur approvisionnement en électricité à un prix connu d’avance sur une longue durée et se prémunir ainsi contre les fluctuations du marché.

L’ambition européenne

Le 14 mars 2023, la Commission européenne a présenté sa proposition de réforme du marché de l’électricité, dont l’objectif affirmé est de réduire l’exposition des consommateurs à la volatilité des prix. Aujourd’hui, le marché européen de l’électricité fonctionne en effet essentiellement selon une logique de court terme, permettant de répondre aux pics de demande sans rupture d’approvisionnement, ce qui, dans un contexte d’instabilité, peut aussi provoquer une forte volatilité sur les prix. Dans sa proposition de réforme, la Commission préconise aux Etats membres de faciliter le déploiement des CPPA en tant qu’instrument complétant l’organisation des marchés de court terme.

Le texte vise également à accélérer l’essor des énergies renouvelables, alors qu’en matière de production d’énergie décarbonée, l’Union européenne affiche des objectifs ambitieux : le plan REPowerEU défini par la Commission en mai 2022 prévoit ainsi l’installation de 592 GW de capacité photovoltaïque et 510 GW de capacité éolienne d’ici 2030. Cela nécessite une augmentation annuelle des capacités de 48 GW pour l’énergie photovoltaïque et de 36 GW pour l’énergie éolienne. Les CPPA sont promus comme des instruments incontournables pour faciliter de nouveaux investissements dans la production renouvelable, puisqu’ils permettent une sécurisation contractuelle des revenus sur le long terme.

La réforme envisagée veut lever un certain nombre de freins au développement des CPPA, notamment pour mieux protéger les producteurs des risques de contreparties, c’est-à-dire le risque pour un producteur de voir son acheteur faire défaut à ses obligations de paiement. La Commission souhaite ainsi imposer aux Etats membres de mettre en place des mécanismes de couverture contre ce type de risques. A cet égard, la France a annoncé fin 2022 la mise en place d’un fonds de couverture des écarts de revenus causés par le défaut d’une contrepartie, géré par BPI France et dont l’objectif est de prendre en garantie dès 2023 des CPPA portant sur des puissances installées jusqu’à 500 MW.

Pour appuyer le développement des CPPA, la proposition de réforme vise également à autoriser les producteurs participant à un appel d’offres public de soutien à vendre une partie de leur production via un CPPA. Enfin, la Commission souhaite imposer aux fournisseurs d’électricité de se couvrir de manière appropriée, en sécurisant l’approvisionnement de leur portefeuille de clients par des achats d’électricité sur les marchés à terme, mais également via des contrats d’achat à long terme.

En France, un essor plus tardif

En comparaison avec d’autres pays européens, en Espagne et en Europe du Nord notamment, le développement des CPPA en France fut d’abord timide1, principalement pour les raisons suivantes : le maintien de mécanismes de soutien public très favorables aux producteurs comme aux consommateurs ; l’impossibilité de valoriser les revenus des garanties d’origine en bénéficiant en même temps de dispositifs de soutien ; plus généralement, le fait que le mix électrique français est déjà largement décarboné grâce au nucléaire, incitant moins que dans d’autres pays européens à développer la filière renouvelable.

La pratique des CPPA en France est récente et désormais en plein essor. Elle est favorisée par la montée en maturité des filières renouvelables entraînant une diminution corrélative des coûts de production, ainsi que par le développement des interconnexions. L’évolution des politiques de soutien aux énergies renouvelables constitue également un facteur clé : les premiers mécanismes de soutien arrivant progressivement à échéance, les opérateurs se tournent vers de nouvelles formes de contractualisation ainsi qu’à un recours accru aux financements privés. Enfin, l’accroissement de la demande en électricité, l’objectif de neutralité carbone d’ici à 2050 et la volonté affichée des opérateurs économiques de consommer une énergie « verte » constituent de formidables vecteurs de déploiement des CPPA.

A fin 2022, une quarantaine de CPPA conclus avec des entreprises de secteurs divers (industrie manufacturière, grande distribution, transports) et représentant un volume cumulé de 2 500 GWh par an avaient été recensés en France2. A titre d’illustration récente, Voltalia et Leroy Merlin ont annoncé en 2023 la signature du premier CPPA éolien en France, pour une durée de vingt-trois ans. En 2023, EDF a signé plusieurs CPPA avec L’Oréal qui produiront l’équivalent de 25 % de la consommation d’électricité de l’entreprise en France pour une durée de quinze ans.

Les apports de la loi ENR

Jusqu’à présent, les CPPA étaient conclus en France sans cadre réglementaire spécifique, en parallèle des mécanismes de soutien et selon les besoins du marché. La loi relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables (ENR) promulguée le 10 mars 2023 institue un cadre juridique propre aux CPPA et comporte plusieurs avancées. Les producteurs sont désormais soumis à l’obtention de l’autorisation d’achat pour revente prévue à l’article L. 333-1 du Code de l’énergie pour les CPPA conclus à compter du 1er juillet 2023. A défaut pour le producteur d’être titulaire d’une telle autorisation, le CPPA pourra désigner un producteur ou fournisseur tiers, déjà titulaire de l’autorisation, afin qu’il assume, par délégation, les obligations incombant aux fournisseurs d’électricité.

La loi ENR introduit ensuite la possibilité pour les candidats, dans le cadre d’une procédure de mise en concurrence, de remettre des offres mixtes combinant CPPA et obligation d’achat ou contrats de complément de rémunération pour la vente de l’électricité produite3, à l’instar de ce qui est déjà prévu dans d’autres pays européens. Les CPPA conclus dans le cadre des appels d’offres mixtes devront être soumis au contrôle de la Commission de régulation de l’énergie. Enfin, la loi ENR autorise désormais les pouvoirs adjudicateurs4, principalement les personnes publiques et parapubliques, à recourir à des contrats de vente directe « à long terme », ce afin d’éviter que les dispositions du Code de la commande publique imposant une remise en concurrence périodique des contrats viennent faire obstacle à la conclusion des CPPA5.

La loi ENR omet en revanche de consacrer la possibilité de cumuler dispositifs de soutien et valorisation des garanties d’origine, c’est-à-dire la possibilité pour un producteur de céder les garanties d’origine dans le cadre de son CPPA, alors qu’une telle évolution aurait constitué un facteur incitatif supplémentaire.

Perspectives

Instruments attractifs de contractualisation sur le long terme, les CPPA n’en demeurent pas moins complexes à mettre en œuvre, particulièrement dans un contexte de volatilité rendant ardue la définition d’un prix sur le long terme. Leur promotion par les pouvoirs publics, le déploiement de pratiques contractuelles standardisées, ainsi qu’une couverture efficace des risques de contrepartie constitueront des éléments clés de leur succès. La volonté exprimée par la Commission européenne dans le cadre de sa proposition de réforme de promouvoir le développement des CPPA, ainsi que les améliorations introduites par le législateur national constituent en tout cas des signaux encourageants en faveur de leur déploiement.

1. A fin septembre 2021, seules 500 MW de nouvelles capacités avaient été contractées sur la base de PPA en France, tandis qu’en Espagne et au Royaume-Uni, les capacités contractées sous forme de PPA atteignaient respectivement 13 GW et 6,1 GW. Source : Pexapark, IRENA et Analyse E-CUBE Strategy Consultants.

2. Rapport, « Baromètre des achats d’énergie verte en France, Q4 2022 », Capgemini Invent, prod.ucwe.capgemini.com/fr-fr/wp-content/uploads/sites/6/2022/11/4emeTrimestre2022-BarometreEnergiesVertes.pdf

3. Nouvelle rédaction de l’article L. 311-12 du Code de l’énergie.

4. Tels que définis aux articles L. 1211-1 et L. 1212-1 du Code de la commande publique.

5. Article L. 331-5 du Code de l’énergie.


La lettre d'Option Droit & Affaires

Société en participation dans le secteur artistique et culturel : n’avez-vous rien à déclarer ?

Racine Avocats

Dans le secteur artistique et culturel où les collaborations sont fréquentes, il arrive parfois que l’administration requalifie une « simple » collaboration de société en participation. Une telle requalification peut être génératrice d’impôts que les partenaires, de toute bonne foi, étaient loin d’imaginer au départ.

Lire l'article

Chargement en cours...

Chargement…