Dans le cadre des procédures diligentées par les autorités de concurrence, les entreprises sont constamment confrontées à la nécessité de divulguer des informations confidentielles, souvent très sensibles. La protection de la confidentialité n’apparaît cependant pas assurée de manière uniforme dans ces procédures et leurs suites, l’intérêt des entreprises à la préservation de leurs secrets d’affaires étant mis en balance avec l’intérêt des autres parties et des tiers à avoir accès au dossier.
La protection des secrets d’affaires dans le contrôle de concentrations
Devant la Commission européenne, la protection des secrets d’affaires est assurée par le Règ. n°139/2004, le droit d’accès au dossier accordé aux parties ne s’étendant pas aux informations confidentielles. Leur divulgation est toutefois possible pour les besoins de la procédure, mais en version non-confidentielle. En France, le secret des affaires est également garanti en vertu de l’art. R. 463-15-1 C. com. qui réserve l’accès aux informations relevant du secret à l’Autorité et au Commissaire du Gouvernement, à charge pour les rapporteurs de constituer, si besoin, des versions non confidentielles pour les parties et les tiers. Par ailleurs, aucun déclassement n’est possible, l’art. R. 463-15 C. com n’étant pas applicable au contrôle des concentrations.
S’agissant des tiers, l’accès aux documents de la Commission sur le fondement du Règ. n°1049/2001 est exclu en vertu des arrêts de la CJUE Odile Jacob et Agrofert du 28 juin 2012. En effet, la divulgation des documents échangés entre la Commission et les parties notifiantes ou les tiers au cours de la procédure de contrôle de concentration est présumée porter atteinte à la protection des intérêts commerciaux des entreprises concernées. Dans le cadre d’un recours en annulation, le Tribunal de l’UE peut certes ordonner à la Commission la production de documents, y compris confidentiels, mais il est tenu en vertu de l’art. 67 du Règlement de procédure d’en vérifier le caractère confidentiel à l’égard d’une ou plusieurs parties avant de les verser aux débats. En France, depuis la Loi du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, aucun accès au dossier de notification n’est ouvert en application de la Loi de 1978 sur l’accès aux documents administratifs. Néanmoins, dans le cadre d’un recours contre une décision de l’Autorité, le Conseil d’Etat peut, le cas échéant à la demande d’une partie, enjoindre la communication de toute pièce du dossier, y compris confidentielle, s’il estime utile à la solution du litige.
La protection des secrets d’affaires dans les procédures antitrust et leurs suites
En matière d’antitrust, du moins dans le cadre de la procédure administrative, les entreprises bénéficient d’une certaine protection de leurs secrets d’affaires. Un déclassement des informations confidentielles demeure toujours possible si leur divulgation est nécessaire soit pour apporter la preuve d’une infraction, soit pour disculper une partie. Dans ce cas, comme le Rapporteur général de l’Autorité saisi d’une demande de déclassement au titre de l’art. R. 463-15 C. com., la Commission doit procéder à une mise en balance des intérêts en jeu avant d’accepter le déclassement de l’information confidentielle. Si le niveau de sensibilité le justifie, les documents confidentiels ne sont en pratique mis à disposition que des conseils des parties - dans une data room - sous couvert d’un engagement de confidentialité.
Si un accès des tiers au dossier de l’Autorité est exclu au titre de la loi de 1978 précitée, la question de l’application du Règ. n°1049/2001 au dossier de la Commission est, elle, pendante devant la CJUE. On ne peut qu’appuyer à cet égard les conclusions de l’Avocat général dans l’affaire EnBW qui préconise l’extension aux dossiers d’entente de la présomption reconnue en matière de concentrations par la jurisprudence Odile Jacob/Agrofert.
Quant à l’accès des victimes de pratiques anticoncurrentielles au dossier dans le cadre d’actions en damage claim, depuis l’arrêt de la CJUE Pfleiderer, il dépend de l’appréciation par le juge national de la mise en balance entre le droit des victimes à obtenir réparation et la préservation de l’attractivité du programme de clémence. Le droit des entreprises à la protection de leurs secrets d’affaires, dans ce cas, passe au second plan. Ainsi, le nouvel al. 2 de l’art. L. 462-3 C. com. permet à l’Autorité de transmettre au juge tout élément qu’elle détient sur des pratiques anticoncurrentielles, y compris donc des documents confidentiels, à l’exclusion des documents de clémence. De manière analogue, la proposition de directive damage claim publiée par la Commission en juin 2013 exclut de l’accès aux preuves les déclarations de clémence et les propositions de transaction. Une divulgation d’informations confidentielles est donc admise. En outre, selon cette proposition, les juridictions nationales devront disposer de moyens efficaces permettant de protéger les informations confidentielles. Dans ce contexte, il faut souhaiter que l’harmonisation envisagée de la protection du secret des affaires au niveau européen se concrétise par une proposition de la Commission.
Questions à… Noëlle Lenoir et Marco Plankensteiner, associés, Kramer Levin
Quelles sont, selon vous les problématiques en matière de contrôle des concentrations ?
Dans un contexte où les entreprises deviennent des acteurs économiques globaux et les systèmes de contrôle de concentrations nationaux et régionaux se généralisent, l’analyse de la contrôlabilité des opérations s’avère de plus en plus complexe, mobilisant souvent des ressources significatives. La difficulté majeure vient de l’hétérogénéité des systèmes de contrôle. Des concepts clés, comme la notion de concentration, ne sont pas appréhendés de la même manière. Des seuils de notification définis en chiffre d’affaires côtoient des seuils en valeur d’actifs ou en parts de marché. Ce constat appelle un effort de simplification, au moins au niveau européen, qui pourrait passer par une convergence des systèmes nationaux de contrôle vers des critères de contrôlabilité plus homogènes.
Quelles sont les particularités de votre équipe dédiée à ces dossiers ?
Notre équipe contrôle des concentrations vous accompagne sur vos opérations françaises, européennes et internationales, de l’étude de la faisabilité d’une opération à la constitution de dossiers de notification et aux négociations d’engagements auprès des autorités compétentes.
Vous bénéficiez des compétences multi-juridictionnelles et multilingues de nos avocats : plusieurs disposent d’une double inscription au barreau de Paris et auprès d’un ou plusieurs barreaux américains ou européens, assurant ainsi une parfaite coordination des procédures auprès des autorités concernées. Nos bureaux aux Etats Unis nous apportent en tant que besoin le soutien nécessaire. Nous privilégions une approche juridico-économique de ces dossiers qui demandent une excellente compréhension des contraintes business et de l’environnement économique auxquels vous êtes soumis. Dans ce contexte, la double-formation – école de commerce / faculté de droit – de certains de nos collaborateurs est un atout précieux. Notre parfaite connaissance des exigences de nos interlocuteurs au sein des autorités de concurrence, nationales comme européennes, nous permet d’élaborer une stratégie de notification assurant la meilleure efficacité.
Noëlle Lenoir
Noëlle Lenoir est spécialisée en droit de la concurrence, droit public des affaires et droit constitutionnel ainsi qu’en matière de réglementation européenne et d’alliances stratégiques. Ministre des Affaires Européennes français de 2002 à 2004, son action gouvernementale l’a conduite à participer aux négociations avec les pays d’Europe centrale et orientale en voie d’accession à l’Union européenne ainsi qu’au développement du droit et des institutions européens et aux affaires politiques et économiques des Etats membres.
Marco Plankensteiner
Marco Plankensteiner intervient sur l’ensemble des questions de droit de la concurrence, de la distribution et de la consommation. Il assiste des grands groupes français et internationaux dans leurs procédures de contrôle des concentrations tant au niveau national que communautaire. Il les conseille par ailleurs dans le cadre de leurs accords commerciaux sur des problématiques de coopération horizontale ou verticale. Enfin, il les représente dans le cadre de leurs procédures devant les autorités françaises et européennes de concurrence et de leurs contentieux commerciaux devant les juridictions françaises.