Management package

Aligner les intérêts dans un contexte d’incertitudes fiscales et sociales

Publié le 4 mai 2018 à 17h29    Mis à jour le 29 juin 2021 à 10h25

Propos recueillis par Marie-Stéphanie Servos, Gilles Lambert et Coralie Bach

Alors que la compétition entre les fonds conduit ces derniers à accorder d’importants avantages aux managers, les récentes décisions, en matière fiscale et sociale, appellent à la prudence. Le package doit rester équilibré au risque de s’attirer les foudres des administrations et des juridictions.

Etat des lieux

Jérôme Jouhanneaud, partner, Goodwin : Il est toujours compliqué de dresser une tendance dans un marché où la typologie de deals est très variée et où les acteurs de ces opérations n’ont pas tous les mêmes attentes. Chaque cas reste unique. Néanmoins, nous avons pu observer au cours des derniers mois, sur les opérations mid cap et large cap les plus emblématiques, que l’inversion du rapport de force entre managers et fonds s’était encore renforcé, y compris, et c’est sans doute la nouveauté, auprès d’acteurs traditionnels du private equity à culture majoritaire. Cette évolution est liée à une conjonction de paramètres : la concurrence accrue sur les deals les plus emblématiques, beaucoup de dry powder (argent disponible auprès des LPs et des fonds) et l’existence de financements disponibles attractifs tant sur le marché bancaire que sur celui de la dette privée. Ce constat concerne plus particulièrement les équipes de management détenant une part importante du capital, jouant ainsi un rôle central dans le choix de leur nouveau partenaire.

Parmi ces évolutions, nous avons observé que certains de ces fonds de LBO majoritaires dit «traditionnels» ont pu accepter de déplacer le curseur de leurs prérogatives d’actionnaires majoritaires un peu plus au profit des équipes de management, notamment s’agissant des conditions de révocation du CEO ou des conditions de mise en œuvre du droit de sortie forcée.

Ce constat doit néanmoins être relativisé dans la mesure où il ne concerne qu’un très faible nombre d’opérations, et que pour l’essentiel, le rapport de force fonds/management reste relativement équilibré et dicté avant tout par un objectif d’alignement d’intérêts.

Sébastien Pontillo, partner, Eversheds Sutherland : Ce changement de rapport de force est particulièrement avéré dans les opérations de grande taille. En l’occurrence, il s’agit de cas où les managers sont très aguerris dans la négociation. Le fonds peut parfois être obligé, du fait de la concurrence accrue, de céder des droits de veto ou de mettre en place des clauses dans le pacte qui sont très favorables aux managers, par exemple en matière de financement des build-ups. Ceci peut créer de la frustration pour le fonds.

Ce renversement dans la gouvernance n’est pas forcément positif. La gouvernance est créatrice de valeur, tant au bénéfice des fonds que des managers. Elle doit permettre un accompagnement, une prise de recul du management et offrir un véritable espace de discussion. Le LBO est parfois décrié, perçu comme une opération purement financière mais il s’agit de bien plus que cela. C’est un projet d’entreprise auquel le fonds adhère. Et ce dernier a un rôle d’accompagnement. Instaurer des organes de discussions, au-delà des organes de surveillance, est important. Cela passe par exemple par la création d’un comité de pilotage stratégique, dans lequel est discutée la mise en œuvre du plan stratégique de la société.

La nomination de membres indépendants au comité de surveillance est également une bonne chose, notamment en termes de gouvernance. Cela permet aux managers de comprendre les demandes de leurs actionnaires, surtout lors d’opérations primaires où les dirigeants ne bénéficient pas d’expérience préalable. Pour les financiers, c’est également une façon d’appréhender la réalité opérationnelle du business de manière plus rapide.

Anne-Sophie Silvera Darmon, senior legal counsel, direction juridique Bpifrance Investissement : Effectivement, il y a un renversement des rapports de force en présence. Cela est incontestable. Néanmoins, en ce qui concerne Bpifrance Investissement, le propos convient d’être plus modéré. Dans la mesure où nous ne prenons que des participations minoritaires et que nous pratiquons par conséquent régulièrement le co‑investissement, nous constatons que les managers sont souvent très demandeurs de notre participation dans les tours de table, au regard notamment de nos horizons de liquidité plus souples que pour les fonds classiques, et de notre faculté d’accompagnement.

En termes de gouvernance, nous ne lésinons jamais sur notre présence au board. Il est d’une importance primordiale de challenger positivement les managers. En outre, nous sensibilisons ces derniers à la responsabilité sociétale des entreprises afin qu’ils comprennent que l’appréhension des enjeux sociaux et environnementaux peut également être génératrice de valeur.

Stanislas Gaillard, partner, Equistone : Le management package est souvent l’un des critères décisionnels mis en avant lors d’opérations de LBO. Cependant, une telle opération n’est pas anodine. Il s’agit avant tout de la rencontre entre un fonds et un management. Limiter un choix de ce type à des conditions financières favorables ou à une rétrocession peut fausser la pertinence du choix du partenaire. Certes, dans le cas des processus de cession, le choix des partenaires est limité, du fait du critère «prix pour les vendeurs», mais il existe également d’autres critères à prendre en compte. Pouvoir bénéficier de l’accompagnement d’un fonds aux poches profondes dans les périodes de croissance est important. Autant que le fait d’avoir, à ses côtés, un fonds qui prend des décisions lorsqu’il faut les prendre ou qui reste présent à la table des négociations lorsque les choses vont mal. Aujourd’hui, l’environnement est plutôt favorable à l’économie française depuis l’élection d’Emmanuel Macron et rend les choses plus simples. Cependant, il ne faut pas faire preuve d’amnésie. L’économie française est passée par des phases plus compliquées et c’est dans ces phases que le couple fonds/management doit parfaitement fonctionner. Lorsque les choses se passent bien, le pacte d’actionnaires ne sert pas, l’application des clauses de ratchet est simple. Mais cela devient plus compliqué dans les autres cas.

Il est donc important de revenir aux bases : qu’est-ce qu’une alliance fonds/manager ? Qu’est-ce qu’un projet de LBO pour des managers ? Tout cela n’est pas neutre. Il arrive que des managers souhaitent faire un MBO. Mais trop souvent, ces derniers sont attirés par les plus-values qu’ils peuvent réaliser,

sans être réellement conscients des réalités qui y sont liées. Encore une fois un MBO n’est pas une opération anodine.

Les LBO comportent une part de risque, pour les managers et pour les fonds. Nous parlons souvent des opérations qui se passent bien, moins de celles dont ce n’est pas le cas. Pourtant, il est impératif de sensibiliser les managers aux risques, qu’ils soient internes, vis-à-vis de l’entreprise, ou liés à la pression du LBO. Le LBO est un accélérateur de temps : en cinq ans, il est possible de réaliser des objectifs qui seraient réalisés en dix ans dans d’autres circonstances. La concentration des efforts est maximale. Ainsi, la relation qui peut se nouer, la confiance entre un fonds et son partenaire manager, est primordiale. Un pacte décrit certes l’ensemble des clauses, mais ne prévient pas lorsqu’il y a des écueils, des incompréhensions, ou si les objectifs sont différents. Il faut en tenir compte.

Enfin, il y a un deuxième point, primordial : l’alignement des intérêts. C’est l’objectif et le principe de base du management package. Tenter de «tirer», d’un côté ou de l’autre, en faveur du fonds ou bien du management, est une conduite potentiellement destructrice de cet alignement d’intérêts. Pourtant, ce dernier protège à la fois le fonds et le manager, sur toute la durée du deal. Lorsqu’il n’y a plus d’alignement d’intérêts, lorsque la confiance est rompue, il y a fort à parier que la conclusion sera regrettable, pour l’une ou pour l’autre des parties. Soit le fonds sera insatisfait, soit le management. Il y aura toujours une conséquence d’un déséquilibre des droits.

Jean-Pascal Amoros, partner, Claris Avocats : Dans le marché qui vient d’être décrit, les managers peuvent être parfois tentés de proposer des règles de gouvernance déraisonnables, entamant la relation de confiance qui doit se nouer entre les dirigeants et le fonds lors de la négociation du pacte d’actionnaires. Le rôle du conseil est de veiller à sérier et expliciter les demandes formulées par le management, pour éviter tout malentendu avec le fonds sur leur légitimité et/ou leur finalité.

Compte tenu de l’influence qu’exerce actuellement le management dans la négociation des actifs les plus convoités à l’achat, nous observons, en notre qualité de conseil des managers, que certains fonds se montrent très à l’écoute des problématiques de choix des managers, pour les convaincre qu’ils auront les moyens et les marges de manœuvre pour déployer leur plan de développement, dans le cadre d’un contrat de mariage où les facteurs affinitaires entrent en ligne de compte.

Au-delà des règles de vie commune reflétées par la gouvernance mise en place, le climat d’échanges entre le management et le fonds doit être serein pour que le fonds puisse appréhender les vecteurs de croissance porteurs de création de valeur pendant la durée du LBO. Il est essentiel pour le management de faire partager ses convictions et de susciter une adhésion du fonds à son business plan. Le management recherche en effet non seulement un soutien financier, mais aussi un accompagnement stratégique et l’appui du réseau que le fonds peut mettre à sa disposition pour faciliter la réalisation des opérations de croissance externe, notamment.

Les managers sont très curieux du mode de gouvernance pratiqué par les fonds candidats dans leurs autres participations. Ils cherchent à comprendre quelle est la granularité du contrôle du fonds sur les décisions de gestion, l’intervention du fonds en tant que conseil opérationnel du management, le recours à des experts comme administrateurs indépendants par exemple. Ces enjeux opérationnels ont une importance primordiale et vont bien au-delà de la seule question du profil financier du management package.

Jérôme Jouhanneaud : Lors des débriefings d’offres, qu’il s’agisse du premier ou du deuxième tour, nous nous apercevons que les critères les plus déterminants pour le management sont rarement ceux du management package ou de la gouvernance. C’est l’adhésion du fonds, l’entente entre ce dernier et l’équipe de management qui constitue le premier critère. Le marché du LBO en France est extrêmement mature. Aussi, les offres s’alignent assez naturellement et il est rare de terminer un processus avec des écarts très significatifs sur la gouvernance et les termes économiques des management packages. Il existe par ailleurs des cas dans lesquels des fonds candidats surenchérissent sur le management package, sans pour autant qu’ils soient retenus. Encore une fois, parce que le premier critère est la confiance entre deux équipes. Cela prime sur tout le reste. A conditions financières à peu près équivalentes, évidemment.

Quelles nouveautés ?

David Robin, partner, Andera Partners : La maturité du marché et l’intensité concurrentielle actuelle ont eu pour conséquence une standardisation des pratiques sur l’ensemble des segments de marché et une plus grande exigence des dirigeants envers leurs partenaires financiers.

Chez Andera Partners, nous nous positionnons sur le small cap et le mid cap. Nous constatons que les pratiques dans la structuration des packages et des pactes se sont diffusées, d’abord du large cap au mid cap, puis maintenant au small cap.

Par ailleurs, les managers étant maintenant très aguerris, soit de leur propre fait, soit du fait de leur conseil, in fine, les acteurs les plus motivés sur une acquisition finissent par s’aligner sur les aspects quantitatifs du management package ; si c’est bien souvent un préalable, ce n’est pas le facteur discriminant pour le management.

Les managers nous questionnent évidemment sur notre capacité à les accompagner financièrement dans la durée et valident notre capacité à partager une vision commune et une véritable entente relationnelle, c’est évidemment fondamental dans un «mariage» entre une équipe et un fonds. Mais aujourd’hui, nous constatons, enfin, devrait-on dire, que les dirigeants nous interrogent désormais énormément sur nos capacités réelles d’accompagnement. Ce n’est un secret pour personne, lorsqu’un management voit «pitcher» cinq fonds dans la journée, à la fin il aura récolté cinq fois le même type de présentation. Ce qui va donc faire la différence, c’est l’équipe, son track, sa conviction et sa réputation. C’est encore plus vrai pour nous qui réalisons deux tiers de nos deals en primaire.

Aujourd’hui, les dirigeants nous challengent sur notre capacité à apporter de la valeur à leur projet de développement et sur nos réalisations concrètes notamment sur l’international et les croissances externes. Nous échangeons beaucoup sur la réalité de notre accompagnement.

Les dirigeants qui s’apprêtent à signer une opération primaire se renseignent sur nous, sur notre comportement en cas de situation difficile, et sur notre style de gouvernance. Actuellement, cela va même au-delà puisque nous sommes challengés, via les conseils notamment, sur le propre business model de notre société de gestion et de nos fonds, avec des questions du type : de quel vintage date le fonds qui va investir dans l’opération ? Où en est-il de sa période d’investissement ? L’équipe de la société de gestion est-elle stable ? etc.

Il y a encore quelques années, il aurait été inenvisageable de nous challenger sur ces points. Nous voyons cela de façon très positive. En effet, cela permet de créer un peu de différence dans un marché très standardisé et très mature.

Cependant, il existe parfois un paradoxe : les équipes de direction veulent à la fois des investisseurs à haute valeur ajoutée dans l’accompagnement, mais peuvent obtenir, compte tenu de la tension concurrentielle, des conditions de gouvernance extrêmement avantageuses. Cela peut rompre l’équilibre nécessaire dans une bonne gouvernance d’entreprise et dans l’alignement d’intérêts entre les parties. Cela nous conduit parfois à leur demander s’ils veulent un partenaire qui les challenge, ou quelqu’un qui signe au bas de la page. Bien que nous percevions cette dualité, nous sommes parfois amenés à renoncer à investir car nous ne pensons pas qu’il soit sain de concentrer les clés du «business» et du pacte dans les mains d’une seule personne, et ce d’autant plus que dans le small cap, les sociétés sont souvent déjà très incarnées par nature.

Stanislas Gaillard : Certains managers ont besoin de rationaliser le choix du partenaire. La quantification du package et des droits semble être, à cet égard,  la manière la plus objective. Mais cela obère d’autres critères tout aussi important tels que l’expérience

ou la réputation du fonds. Il y a des cas dans lesquels des managers prendront des références, mais in fine, ils sont relativement rares. Nous avons l’habitude de laisser des numéros de téléphone de managers avec lesquels nous avons déjà travaillé. A chaque fois, les cas sont très différents : il peut s’agir d’expansion internationale green field, de build up à l’étranger, en Asie, par exemple, ou encore de situation de retournement ou d’amélioration de performance. Chacun peut trouver la situation convenant le mieux à ses interrogations. Cependant, nous constatons que seul un manager sur trois fera la démarche de téléphoner à l’un de nos 100 managers. Ce qui est foncièrement dommageable, puisque la réussite même de cette alliance fonds/manager dépend fortement du type d’opération. Dans le cas où une entreprise souhaite s’étendre aux Etats-Unis, par exemple, faire le choix d’un fonds franco-français, qui n’a ni bureau, ni expérience passée de croissance externe dans le pays, est une erreur. Il est facile d’imaginer que cette relation sera décevante in fine. Pourtant, et très souvent, les choses se passent ainsi.

Jean-Pascal Amoros : Cela dépend beaucoup du profil du manager. Certains managers aguerris n’hésitent pas à conduire des investigations poussées sur les fonds pressentis. Les managers établissent ainsi une sorte de «scoring» affinitaire, qui évalue les «soft skills» mises en avant par le fonds ainsi qu’un benchmark des situations passées, mises en perspective de leur vision stratégique pour l’entreprise. Dans les instructions qu’ils donnent à leurs conseils, les managers ayant déjà vécu plusieurs LBO ont des attentes très précises et pointues à cet égard, et ils sont de plus en plus nombreux.

Stanislas Gaillard : Il y a des managers qui sont presque des «professionnels» du LBO. Ils connaissent parfaitement le fonctionnement des fonds, le maîtrisent. Ils se renseignent certainement, mais se posent aussi des questions : quels sont leurs besoins vis-à-vis du fonds ? Qu’est-ce que ce dernier peut leur apporter ? Autant de questions qui définissent les éléments sur lesquels ils se focaliseront durant la négociation. De fait, en la durcissant mais uniquement sur les points importants.

David Robin : Le choix du partenaire et la négociation qui en découle se déportent. Plus le manager a d’opérations réalisées à son actif, plus il négocie la gouvernance et fera son choix sur la capacité réelle du fonds à l’accompagner et l’affinité qu’il aura créée avec l’équipe d’investissement. Tandis que pour les opérations primaires, l’aspect pédagogique sur le fonctionnement et les enjeux d’une première opération est évidemment plus présent. Les managers nous posent des questions, mais effectivement, peu font la démarche de téléphoner à d’anciens dirigeants lorsque nous leur laissons des références. Un sur trois seulement, fait cette démarche. En définitive, ils s’attachent bien plus à analyser la compréhension que nous avons de leur business et la qualité de nos échanges durant les négociations. L’inverse est également vrai. Un manager peut nous écarter sur des questions de package, ou sur la dynamique d’échange. Nous le faisons également. En effet, un management trop agressif dans la négociation de certaines clauses n’augure rien de bon pour l’avenir en cas de situation difficile. Cette situation annonce un désalignement d’intérêts et des tensions avec l’équipe dirigeante lors des situations plus difficiles que toute société rencontre.

Stanislas Gaillard : Une négociation de management package nécessite toujours des compromis. Plus les montants sont poussés vers le haut, plus le risque doit être élevé. Aujourd’hui, l’administration fiscale et sociale veille. Pour cette dernière, le mieux est l’ennemi du bien. Il en va de même pour la gouvernance. Chacune des clauses du pacte peut être négociée, tirée vers le haut, ou soumise à contrepartie. Il est étonnant de voir que la recherche d’un compromis n’est pas systématique. Pourtant, le pacte idéal n’existe pas. Il faut en être conscient.

Sébastien Pontillo : Les packages sont relativement différents, selon le type d’opération. Concernant les opérations de grande taille, nous n’avons pas noté de changement significatif. Dans la grande majorité des cas, les packages sont toujours structurés sous forme d’actions de préférence qui sont évidemment valorisées par un expert indépendant, ce qui est extrêmement important. Pour les fonds, le fait que les managers payent leur package est important. Cela participe à l’alignement des intérêts. Les actions gratuites sont un complément du package du manager. Il y a des cas dans lesquels les dirigeants négocient, pour eux, une part importante de l’enveloppe d’actions gratuites. Pourtant, selon moi, elles constituent plutôt un instrument d’intéressement du troisième cercle, voire du deuxième. Mais ce genre de pratique est de plus en plus courant.

Concernant les opérations de plus petite taille, les typologies sont moins classiques. Il y a une plus grande liberté dans la manière de structurer les instruments. Récemment, nous avons traité une opération de capital développement, avec un mécanisme de «reverse ratchet». Ce mécanisme consiste à ce que le fonds souscrive des obligations convertibles (OC) qui sont converties à la sortie, en fonction du niveau de taux de rendement interne (TRI) et/ou, du multiple d’investissement du fonds. Concrètement, si le TRI et/ou le multiple sont inférieurs à un montant déterminé au début de l’opération, le fonds convertit ces obligations. Il s’agit d’une structuration intéressante des choses qui n’est pas fondamentalement différente d’une mécanique classique de dilution du fonds à la sortie, en fonction du TRI et/ou multiple. In fine, il s’agit d’un partage de plus-value. Néanmoins, le comité de l’abus de droit s’est positionné l’année dernière en validant ce mécanisme de «reverse ratchet». En l’occurrence, il s’agissait d’une situation dans laquelle les managers étaient très majoritaires. En aurait-il été de même avec des managers minoritaires ? C’est une question à laquelle seul un fiscaliste pourrait répondre, mais qui retient néanmoins l’attention.

L’impact de la fiscalité

Stéphane Chaouat, managing partner, Weil : Ce qui se dégage des descriptions qui sont faites quant aux évolutions des rapports de force et des mécanismes, c’est la certitude que la fiscalité n’est pas simplement une incidence. C’est un élément déterminant de ces évolutions. Un basculement s’est opéré, d’un système inspiré de l’intéressement, nous sommes passés, au cours des dernières années, à un système qui relève davantage du co-investissement. Cela s’explique aussi par le fait que, plus nous nous rapprochons du co-investissement plus le risque fiscal s’éloigne.

L’impact de la fiscalité sur l’évolution des pratiques et la définition des packages est généralisé. Il est juste d’affirmer, aujourd’hui, que tous les LBO sont regardés par l’administration fiscale. Il fut un temps où les parties pouvaient espérer ne pas être contrôlées. Ce temps est révolu, et l’entrée en vigueur de la «flat tax» ne risque pas d’inverser la tendance. En outre, il existe aujourd’hui un deuxième risque, social celui-là, même si nous gardons l’espoir d’un retour à la raison sur ce sujet.

Cette dimension fiscale a un impact direct dans la négociation et la structuration des accords. Comprendre comment fonctionne l’administration fiscale lors des négociations, comprendre comment elle appréhende des sujets, comme le ratchet, par exemple, est essentiel, car quel que soit son retard sur les pratiques, elle le rattrape toujours, et très vite. A une époque, son point de vue était simple : lorsqu’un manager gagne de l’argent, celui-ci est considéré comme un bonus. L’administration fiscale n’envisageait pas qu’il soit possible de gagner des sommes importantes en un temps restreint. Puis, elle a fini par l’accepter. Aujourd’hui, il n’est plus question d’idéologie, il s’agit juste de «cocher» la bonne case, selon elle, celle du salaire, plutôt que de la plus-value.

Enfin, une autre évolution a fait son apparition, au gré des discussions et des transactions. L’administration fiscale considère que si pour un euro investi, le fonds, comme le management, ont un retour équivalent, il s’agit d’une plus-value ordinaire qui n’a pas vocation à être redressée.

En revanche, si le manager gagne davantage que le fonds par euro investi, elle considère que la différence correspond forcément à autre chose qu’à la contrepartie d’un investissement. Cette partie-là, l’administration continue de la requalifier en salaire. Elle n’accepte pas l’idée qu’il soit possible voire indispensable d’avoir des instruments différents, pour répondre à des situations différentes. La surface financière d’un fonds n’est pourtant pas celle d’un manager. Ce qui explique qu’il y ait une prise de risques supplémentaires, avec des perspectives qui peuvent s’avérer plus intéressantes. C’est finalement la notion de «hurdle» (partage de la plus-value décorrélé au-delà d’un seuil de rentabilité prioritaire) qui est encore difficile à faire admettre par l’administration. Toutefois, nous percevons des évolutions favorables.

Mais, puisqu’il est admis que l’ordinaire est sanctuarisé, il faut privilégier le «sweet equity» lorsque c’est possible.

Sébastien Pontillo : L’administration fiscale dispose désormais en son sein d’experts financiers. Ces derniers comprennent les modèles, et la façon dont les choses sont structurées.

Jérôme Jouhanneaud : Effectivement, l’administration fiscale a aujourd’hui une approche économique très éduquée, quelle que soit la sophistication des instruments utilisés dans l’opération. A chaque sortie, elle est en mesure de comparer le multiple réalisé pour chaque euro respectivement investi par les investisseurs financiers et le management. Il faut être en capacité de justifier, par une prise de risque supplémentaire, le différentiel de multiple réalisé. Les rapports d’experts sont donc nécessaires.

En présence de «sweet equity», il faut être en mesure de démontrer une certaine proportionnalité entre le taux préférentiel appliqué sur les instruments du fonds, et l’«upside» potentiel pour le management en cas de performance des fonds propres au-delà de ce taux préférentiel. On observe qu’un taux préférentiel de l’ordre de 10 % est, en général, jugé suffisamment élevé pour justifier que le management n’a pas été indûment avantagé par la structure d’investissement retenue. Les experts indépendants qui interviennent en amont de l’opération pour valider ces taux de marché permettent également de renforcer la déductibilité fiscale de ces intérêts pour l’émetteur. L’enjeu est donc double.

Stanislas Gaillard : Le sujet du management package sert aussi à traiter la multitude des rôles du manager et la schizophrénie de ce dernier. Ce dernier est manager, président de la société, responsable devant les tiers, et aussi actionnaire. Certes, il se rend au bureau tous les jours, il reçoit un salaire chaque mois mais il est également actionnaire. Et s’il bénéficie de droits au titre des différentes fonctions, il a aussi des devoirs. Toutes les négociations autour du management package doivent garantir un équilibre entre ces différents rôles.

Etre actionnaire est synonyme de risque. Nul ne remet en cause le risque que prend un créateur de start-up. Et nul ne doit remettre en cause, d’une façon ou d’une autre, le risque que prend le manager en étant actionnaire.

La fonction de manager est si importante, et prenante quotidiennement, que nous devons d’une certaine manière booster la fonction d’actionnaire pour conserver un alignement d’intérêts et de traitement. Cette notion est par ailleurs très importante dans le marché dans lequel nous nous trouvons. Au-delà de 75 millions d’euros, plus de 50 % des opérations qui sont réalisées sont des opérations secondaires. Ce qui veut dire que l’actionnaire vendeur est aussi acheteur. Il faut remettre les choses à leur place afin de trouver un équilibre entre ces trois positions : le manager, l’actionnaire vendeur, et l’actionnaire acheteur.

Stéphane Chaouat : C’est un véritable enjeu qui se trouve au centre des discussions avec l’administration.

En observant l’évolution de la jurisprudence, nous constatons une convergence vers l’idée que le risque fiscal est inversement proportionnel au risque financier. Que ce soit en première instance ou en appel, à Paris ou ailleurs.

La grille de lecture de la jurisprudence est très claire : le risque financier doit bel et bien exister au moment de l’investissement. Pourtant, l’administration persiste en ne suivant pas le comité de l’abus de droit, quand bien même in fine, nous trouvons généralement un terrain d’entente. Toutefois, ce lien entre les sommes gagnées et les fonctions existe toujours. Et si l’administration fiscale évolue sur ce point, il est remis au centre du jeu par l’administration sociale. Cette dernière n’arrive pas à se défaire de ce lien qui existe entre les sommes gagnées et les fonctions car le code de la sécurité sociale précise que sont des rémunérations, tous les revenus obtenus en lien ou à l’occasion du contrat de travail.

Anne-Sophie Silvera Darmon : En effet, le juge social n’intègre pas le critère du «risque» pris par le manager dans sa jurisprudence récente. En application du code de la Sécurité sociale, la chambre sociale adopte une position stricte en considérant que dès lors qu’un avantage est accordé à un salarié en contrepartie ou à l’occasion d’un contrat de travail, alors le gain issu de cet avantage devra être requalifié en salaire.

Sébastien Pontillo : Il est possible d’espérer une évolution des réflexions de l’administration fiscale. En effet, la jurisprudence fiscale est plus claire. Et effectivement, partant du principe qu’un risque capitalistique est pris par les managers, et qu’une moins-value n’est pas impossible, l’administration est régulièrement contredite par les juridictions comme cela a été le cas en 2017.

Il est très important d’accompagner ce mouvement dans la rédaction de la documentation. L’objectif étant d’éviter, dans les préambules, d’écrire des choses qui ne correspondent pas forcément à la réalité. Il ne s’agit ni d’intéressement, ni d’«incentive» salarié, mais d’un investissement capitalistique. Il est nécessaire de faire un travail de présentation de la réalité économique. Ce point, très important, joue un rôle dans les débats entre l’administration et les intéressés, lors de redressements.

Jérôme Jouhanneaud : Effectivement, à la lecture des arrêts, les magistrats relèvent les expressions malheureuses dans les contrats qui auraient pu être évitées.

Stéphane Chaouat : Je partage la même analyse. Nous consacrons ainsi du temps à revoir la documentation, à se mettre en alerte au moindre mot qui fâche. Même s’il est parfaitement clair qu’aucun avantage ne sera concédé, et que la seule chose qui importe est l’alignement d’intérêts, il faut surveiller toute imprécision ou certaines qualifications dans la documentation car elles peuvent être nuisibles. Nous essayons de notre mieux d’éviter ces écueils.

Concernant les rapports avec l’administration fiscale, nous constatons une autre évolution au regard de la jurisprudence. Il y a des cas dans lesquels des managers investissent un ou deux ans de salaires nets. D’autres, s’endettent, hypothèquent leur maison. Il est évidemment anormal de traiter leurs gains comme du salaire. C’est pourquoi une deuxième étape est en train de s’organiser dans les services vérificateurs, ils vont s’attacher à vérifier qu’il n’y a pas de compensation ou garantie de ce risque. Encore une fois, la philosophie de fond doit ressortir de la documentation.

Stanislas Gaillard : Il nous est arrivé, lors d’une réunion, qu’un conseil fiscaliste désapprouve la demande du conseil financier. Vous est-il déjà arrivé, en tant qu’avocat, de faire face à des cas intéressants économiquement mais trop risqués fiscalement ?

Jérôme Jouhanneaud : Bien sûr. Le fiscal est le juge de paix. Nous nous devons de conseiller à nos clients des schémas qui fonctionnent, et donc de poser des limites qui reposent sur l’alignement d’intérêts et sur une prise de risque capitalistique. C’est un sujet dont nous discutons toujours avec nos clients, et sur lequel nous ne transigeons pas, dans leur intérêt.

Stéphane Chaouat : C’est de moins en moins le cas. La décision Barrière au sujet des Urssaf a le mérite d’éclaircir la question de l’alignement d’intérêts : aujourd’hui, l’imperfection expose tout le monde.

Jean-Pascal Amoros : Effectivement, et les fonds sont très sensibles à ces problématiques, y compris sur le risque fiscal. En effet, par ricochet, ce dernier rejaillit sur l’ensemble de l’opération. Aujourd’hui, lorsqu’est mise en place une structure d’investissement du management, la boîte à outils dont nous disposons s’est encore enrichie du fait des dernières réformes fiscales. Depuis l’instauration de la «flat tax» et la suppression du délai de détention de deux ans, le BSA a ainsi retrouvé toute son attractivité. Jusqu’à présent, nous avions recours à des ADP ratchet, puisque le BSA par hypothèse avait vocation à être dénoué à la sortie. Par rapport à l’ADP ratchet, le titulaire de BSA n’est pas actionnaire, ce qui peut dans certains cas constituer un avantage en termes de gouvernance. Par ailleurs, les dernières réformes ont également remis les actions gratuites au goût du jour. Elles n’ont pas vocation à remplacer le management package, mais peuvent servir de complément sur diverses fonctions. Si elles sont bien utilisées, elles sont sécurisées au plan fiscal et social, puisqu’il s’agit précisément d’un instrument légal dédié à l’actionnariat salarié.

Elles peuvent être intéressantes, notamment pour les seconds cercles de managers pour lesquels les montants d’investissement sont moindres. En effet, dès lors que le gain d’acquisition est inférieur à 300 000 euros, le gain résultant de cet outil est bien mieux traité au plan fiscal et social que de la rémunération.

Le BSA reste malgré tout perçu de manière négative, comme en témoigne encore récemment la jurisprudence Barrière. Pourtant, bien expertisé, il remplit la même fonction qu’une action de préférence ratchet («ADP ratchet») et doit retrouver sa place dans la boîte à outils du management package. Tout cela n’est qu’une question de combinatoire.

Les deux éléments clés sont les suivants : il faut qu’il y ait une prise de risque, et qu’elle soit démontrable par la souscription au juste prix des instruments en capital par le management.

Stéphane Chaouat : Plus les risques sont élevés, au niveau financier, plus l’envie d’avoir son mot à dire est légitime. C’est d’ailleurs bon signe lorsqu’il y a des discussions qui s’intensifient, avec le sponsor, sur la gouvernance.

Les actions gratuites offrent un potentiel intéressant, que ce soit pour le premier ou le deuxième cercle. Certes, le régime a été martyrisé. Mais, la limite fixée à 300 000 euros, qui est en vigueur actuellement, concerne la valeur des actions au moment où le bénéficiaire en devient propriétaire. Pour l’appréciation de valeur qui intervient après, il s’agit d’un gain de cession soumis à la «flat tax» sans limitation. Dans cette matière comme en d’autres, la bonne solution réside dans un mixte. Il faut avoir un panier composé de différentes choses : des actions gratuites, de l’ordinaire et si nécessaire, des BSA ou des ADP. Ce sont les packages les plus équilibrés, qui ne tombent pas dans l’excès, qui ont le plus de chances de réussir.

Jérôme Jouhanneaud : Les cas dans lesquels des actions gratuites sont attribuées au premier cercle concernent plus généralement les LBO large cap, dans le cadre desquels le management se voit attribuer ces actions à un niveau limité à moins de 10 % de capital. L’attribution d’actions gratuites au premier cercle dans des LBO secondaires mid cap, est souvent impossible, du fait, effectivement, de cette limitation des 10 %.

Sébastien Pontillo : Le terme «non excessif» pour le package est intéressant. Au-delà du conseil juridique et de la rédaction du contrat, il existe une interaction entre le manager, le fonds, et le conseil financier. Quand le fonds, par exemple, fait deux fois la mise, le manager bénéficie d’un multiple plus important. Philosophiquement, c’est une bonne chose que cela soit limité à des montants raisonnables, que l’administration peut considérer comme acceptables. Cette notion d’équilibre est certes subjective, mais elle est néanmoins très importante.

Jean-Pascal Amoros : Il existe des cas particuliers notamment dans des situations de retournement, où les multiples peuvent être extrêmement élevés avec un prix d’acquisition payé à l’origine, tant par le fonds que par les managers, très faible du fait de difficultés financières de l’entreprise. Il s’agit alors de recréer une histoire actionnariale de création de valeur pour une société qui n’en a plus. En l’occurrence, l’effet visuel du multiple peut apparaître anormalement élevé. Cependant, il faut remettre cette situation dans son contexte : le réamorçage d’une courbe de croissance après un trou d’air majeur qu’il a fallu redresser. En somme, les circonstances peuvent justifier des leviers qui se rationalisent a posteriori. Face à l’administration, il faut être en mesure de faire valoir l’existence d’un risque très élevé au départ.

Jérôme Jouhanneaud : Il y a parfois une corrélation entre la valeur d’entreprise retenue dans une opération et le montant du management package. On observe notamment que dans les LBO secondaires dans lesquels le management réinvestit largement, parfois 70 % de sa mise, des prix d’équilibre se créent plus facilement. En résultent des prix de sortie qui ne sont pas forcément maximisés, laissant ainsi plus de place à la négociation des management packages.

Le risque social

Anne-Sophie Silvera Darmon : Les décisions de la chambre sociale de la Cour de cassation et du conseil d’Etat sont très attendues. Il y a l’espoir que celles-ci soient davantage empreintes de discernement, sensibles aux réalités économiques et alignées sur la doctrine de l’administration fiscale. Cette position serait cohérente. En effet, la charge de la preuve incomberait aux administrations fiscales et sociales, d’une part. D’autre part, la prise en compte du critère de risque pourrait alléger les rigidités de la jurisprudence actuelle. Par ailleurs, cette position serait cohérente avec la décision Kiabi rendue par les juges de la cour d’appel de Douai, dans laquelle l’attendu de principe laisse entendre que si le management package avait été structuré au travers de mécanismes légaux, tels que les stock-options ou les actions gratuites, la position des juges aurait été différente. Il est donc essentiel que les prochaines décisions entérinent la position du juge social sur le sujet, en espérant que celle-ci s’aligne sur la jurisprudence du juge fiscal.

Stéphane Chaouat : Sur le plan fiscal, les sujets de qualification en salaires datent de 1995. A l’époque, une instruction précisait que certains dispositifs très encadrés subissaient une fiscalité allégée. Pas aussi favorable que le régime des plus-values, mais allégée néanmoins.

L’instruction rappelait que si le strict cadre légal n’était pas respecté, il n’était pas question d’obtenir l’avantage fiscal, et encore moins le régime des plus-values.

Sur le plan social, il y a une grande différence à l’heure actuelle. Un texte existe, et celui-ci est malléable. Le code de la Sécurité sociale dit «ce qui est perçu à l’occasion du contrat de travail est du salaire». Mais jusqu’à présent, il était entendu qu’en cas d’investissement, la qualification en salaire devait être exclue. En effet, l’investissement, pour nous, est exclusif de la notion même de rémunération.

Le cas Barrière est surprenant car il s’agissait d’une petite affaire, qui n’avait rien d’excessif pour les managers. Certes, la documentation manquait de prudence mais la solution retenue paraissait excessive. Il fallait évidemment se pourvoir en cassation, car il était inenvisageable de laisser une telle décision définitive.

Jean-Pascal Amoros : Dans l’affaire Kiabi, la décision rendue par la cour d’appel de Douai, défavorable au management, n’avait pas donné lieu, en effet, à un pourvoi, ce qui laissait planer l’incertitude.

Stéphane Chaouat : La décision du pourvoi prise, une autre question se posait. Fallait-il faire une QPC ? Nous avions estimé que, dans cet article du code de la Sécurité sociale, quelque chose ne fonctionnait pas. Un ajout de précision serait nécessaire, pour régler le problème. Cependant, ce n’est pas le choix qui a été fait. Toutefois, le pourvoi a été introduit, ce qui est une très bonne chose. Désormais, il faut s’armer de patience, et attendre que la Cour de cassation tranche.

Il se peut que ce soit un incident de parcours, et qu’in fine, la jurisprudence sociale s’aligne sur la jurisprudence fiscale. Un risque est évalué sur une réalité. Ce qui est gagné en contrepartie directe n’a pas à être requalifié en salaire. Finalement, on sanctuarise la notion de dirigeant, comme cela a déjà été fait en fiscalité depuis 2006 et 2008, par le Conseil d’Etat.

Sébastien Pontillo : J’ai le même sentiment et je pense que les Urssaf vont évoluer. Autrefois, l’administration fiscale et les Urssaf étaient assez «étanches» et ne communiquaient pas entre elles, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. On peut donc penser que les Urssaf vont aussi évoluer dans leur réflexion et se dire, comme l’administration fiscale, même si les avantages accordés au titre des packages sont bien en lien avec le statut de salarié ou mandataire, que la prise de risque reste néanmoins bien présente. Je pense également que c’est un accident de parcours et nous pouvons espérer pour l’année prochaine une décision qui va dans le bon sens.

Jérôme Jouhanneaud : Dans l’attente de ce sursaut de l’administration sociale, la pratique a réagi et tente de se prémunir contre ce risque de deux manières.

D’une part, France Invest réfléchit à des guidelines ayant vocation à être agréées par l’administration fiscale et sociale afin d’apporter une sécurité juridique aux schémas de management package. Parmi les critères qui permettraient de justifier qu’il s’agit d’un co‑investissement, figurent :

– le caractère à risque de l’investissement ;

– le montant significatif investi par les cadres et dirigeants (1 % de la valeur des fonds propres investis ou un tiers de la masse salariale) ;

– l’existence d’une rémunération de marché.

D’autre part, lors de la structuration des opérations, on constate une évolution de la pratique tendant à éviter que les mécanismes de «put & call», «good & bad leaver» (option de vente et d’achat en cas de départ des managers), ne puissent être utilisés contre les managers pour tenter de justifier une requalification des gains résultant des investissements réalisés par le management. Ces options sont en effet celles qui créent le lien juridique entre la qualité de salarié et celle d’investisseur. Afin de réduire le risque y afférent, certains n’hésitent pas à gommer toute distinction entre les modalités de rachat des titres «pari passu» des managers en fonction des cas de «good ou bad leavers».

Stéphane Chaouat : Il est certain que cela n’est pas compatible avec les deals tels qu’ils sont envisagés actuellement. Cependant, à partir du moment où il y a un investisseur, et c’est en cette qualité uniquement qu’il réalise une plus-value, il pourrait conserver ses titres en cas de départ avec incessibilité organisée. Cette évolution des pratiques n’est pas évidente. Pourtant, systématiquement, l’administration revient sur cette idée, dans ses écritures, et ce depuis la fin des années 1990, et notamment sous l’instruction de 2001. La condition de présence est l’élément caractéristique pour opérer le basculement, de plus-value, à salaire. Et donc les leavers soulèvent la question.

Jérôme Jouhanneaud : Il faut pouvoir l’expliquer par un intuitu personæ.

Stéphane Chaouat : L’administration a des ressources infinies. Il y a eu un cas, dans lequel une personne a réalisé sa plus-value quelques années après avoir été licenciée par la société, sans que la clause de «bad leaver» n’ait été mise en œuvre.

A priori, il n’y a pas de lien entre les fonctions, et la plus-value, puisque celle-ci a été réalisée après le départ du manager. Pourtant, l’administration fiscale a estimé que, sans sa présence à un moment donné dans l’entreprise, la plus-value n’aurait pas été possible. Au fond, il peut y avoir cette contamination originelle, qui croise l’argumentaire Urssaf.

Jean-Pascal Amoros : Concernant l’arrêt Barrière, tant attendu par les praticiens, il semble raisonnable d’attendre une forme d’alignement de la jurisprudence sociale sur la jurisprudence fiscale qui s’est affinée sur une période de 15 ans.

Stéphane Chaouat : D’autant que, dans l’affaire Barrière, l’argument a été soulevé devant la cour d’appel, qui l’a écarté. L’administration fiscale et l’administration sociale sont autonomes, avec, chacune, leur doctrine.

Jean-Pascal Amoros : Il existait néanmoins des circonstances de fait qui sont peut-être venues influencer le débat : la question de la prescription. En effet, si elle avait voulu fonder son redressement sur l’existence éventuelle d’un rabais sur le prix d’acquisition des BSA, l’action de l’Urssaf, introduite tardivement, aurait été prescrite. Ce qui est néanmoins surprenant, c’est que la cour d’appel ait suivi les Urssaf en admettant de soumettre à cotisations l’intégralité de la plus-value constatée à la cession des BSA, sans rechercher un éventuel avantage consenti au moment de leur souscription.

David Robin : En termes d’attractivité du marché français, il serait effectivement nécessaire que cela soit ainsi. Définir un cadre fiscal et social aplanirait le débat. Nous sommes tributaires de cet aspect réglementaire à l’entrée, mais également à la sortie, puisqu’il y a un cas sur deux aujourd’hui où la sortie fait l’objet de discussions.

Jean-Pascal Amoros : Dans le cadre de l’élaboration de la loi Pacte, formulons le souhait qu’un amendement vienne préciser ce texte social dont la généralité du vocabulaire utilisé est source d’incertitude en l’état.

Stéphane Chaouat : Il y a effectivement un bref passage sur la mise en place d’un mécanisme de participation des salariés au succès des opérations.

Sébastien Pontillo : Ce n’est pas très clair, voire flou, notamment sur la proposition de «reversement aux salariés» d’une partie de la plus-value générée par le fonds.

Conclusion

Anne-Sophie Silvera Darmon : En tant qu’investisseur institutionnel public, nous sommes très favorables à l’association des salariés à l’actionnariat de l’entreprise. C’est stimulant et créateur de valeur. Nous sommes en faveur, notamment, des contributions relatives à la loi Pacte qui prévoient de retravailler le mode de calcul du plafond de 10 % des actions gratuites. Toutefois, nous restons vigilants. A notre sens, les «soft skills» et l’humain doivent constamment être au cœur des préoccupations dans ces opérations. Notre faculté d’accompagnement est vaste, avec notamment la possibilité de mettre en relation les managers avec des experts avec lesquels nous travaillons régulièrement. Nous contribuons donc à éduquer les managers vis-à-vis de cette responsabilité sociétale d’entreprise. L’objectif étant qu’ils assimilent que les décisions stratégiques à prendre doivent cumuler plusieurs critères, notamment sociaux et environnementaux afin de permettre une augmentation de la création de valeur. Aujourd’hui, il a été démontré que la prise en compte de ces critères permet une amélioration significative des performances et de la compétitivité des entreprises.

Sébastien Pontillo : Une réflexion concernant la RSE : il y a des fonds sur la place qui imposent désormais aux cibles d’établir un rapport RSE. Ils n’investissent pas, si ce n’est pas le cas, quand bien même ces sociétés ont moins de 100 millions d’euros de chiffre d’affaires, et ne sont pas assujetties à l’obligation légale de produire ce rapport. Cette évolution est intéressante, même si elle concerne des segments de marché plus petits puisque par définition, il s’agit d’une obligation pour les groupes de tailles plus importantes.

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