Par Pierre-Olivier Bernard, associé fondateur d’Opleo Avocats
A la confluence de la gestion des ressources humaines et des données financières, l’ingénierie juridique et fiscale en matière de rémunération et d’avantages sociaux doit aussi répondre à des enjeux de gouvernance lorsqu’elle s’adresse aux dirigeants d’entreprise eux-mêmes. Or, définir une politique de rémunération répondant à leurs attentes, à celles de leurs cadres clés, et aux objectifs d’optimisation des entreprises, tient du défi dans l’environnement législatif français mouvant. Mais, plus que jamais, la compétitivité passe par la capacité des entreprises à attirer et retenir leurs talents, en particulier dans les secteurs de l’innovation où la création de valeur repose avant tout sur le capital humain. L’accès des dirigeants et de leurs cadres clés au capital de leur entreprise peut alors constituer une bonne formule.
Prudence encore… mais toujours mieux retenir et «incentiver»
Les management packages, largement éprouvés dans le cadre des LBO, trouvent naturellement ici un écho favorable. Mais s’ils permettent de créer dans la durée un réel alignement d’intérêts entre actionnaires majoritaires et talents de l’entreprise, ils doivent répondre à nombre de contraintes juridiques et fiscales et préserver l’équilibre financier entre le risque supporté par les dirigeants et leurs cadres clés, en tant qu’actionnaires minoritaires, et leurs perspectives de gain. A cet égard, l’administration fiscale poursuit toujours ses tentatives de requalification des gains ainsi réalisés en revenus professionnels, considérant qu’il ne s’agit pas de la contrepartie d’un risque financier mais d’une performance professionnelle. D’où l’intérêt de s’assurer que le prix versé par l’actionnaire minoritaire pour son accès au capital corresponde à sa valeur de marché. Valorisation réalisée en amont de l’investissement, par un expert indépendant voire deux à l’initiative de chacune des deux parties à l’opération se ménageant ainsi un débat contradictoire en cas d’éventuel contentieux.
L’accès des dirigeants d’entreprise et de leurs cadres clé au capital de leur entreprise se faisant ainsi en contrepartie d’un investissement capitalistique les mettant à risque sur le plan patrimonial, ces incertitudes fiscales semblent anachroniques et, au-delà de la réalité de ce risque financier, simplement ne pas tenir compte de l’évolution de l’environnement économique. Car de plus en plus, la création de valeur est ancrée sur le capital humain, donnée fort volatile pour les start-up et PME de croissance qui, faute de pouvoir attirer à elles les talents de haut niveau par des salaires à la hauteur, doivent mener une politique dynamique d’attraction et de rétention de ces talents. Dès lors, l’accès au capital de l’entreprise devient une bonne formule, voire la seule réponse à cet enjeu, et la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques du 6 août 2015, dite loi Macron, a fort opportunément redonné de l’intérêt à l’actionnariat salarié, améliorant en particulier le régime fiscal et social des Attributions Gratuites d’Actions (AGA) et de Bons de Souscription de Créateurs d’Entreprise (BSPCE). Entre gratuité et cadre légal clair pour l’accès au capital des salariés et mandataires sociaux, ces dispositifs tentent de répondre à cet enjeu.
L’apport de la Loi Macron
L’AGA, gage d’un partage immédiat d’une partie de la création de valeur, voit son régime favorisé à plus d’un titre. Les actions gratuites peuvent être réparties entre bénéficiaires avec plus de souplesse, les périodes respectives d’acquisition et de conservation sont réduites, la contribution salariale de 10 % disparaît et le taux de contribution patronale tombe de 30 à 20 %. Les gains d’acquisition et de cession sont désormais tous deux taxés selon le régime des cessions de valeurs mobilières, au barème progressif de l’impôt sur le revenu avec abattement éventuel fonction de la durée de détention des titres, sous réserve d’une période de conservation minimale de deux ans en pratique. Ainsi, si les titres sont conservés de deux à huit ans suivant la période d’acquisition, la pression fiscale marginale à l’impôt sur le revenu passe de 64,5 % à 42 %, le coût pour l’entreprise étant de 20 % sur les actions gratuites effectivement acquises.
L’attribution des BSPCE s’adresse aux jeunes entreprises, s’appréciant davantage dans le futur car le partage de la création de valeur n’intervient qu’une fois le prix d’exercice dépassé. Son régime fiscal et social a toujours été plus favorable : le gain net réalisé lors de la cession est soumis au régime des plus-values de cession de valeurs mobilières, aux taux forfaitaires de 19 % et de 30 %, si le bénéficiaire exerce son activité dans l’entreprise depuis moins de trois ans à la cession, les prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine s’ajoutant au taux global de 15,5 %. Et, les gains de cession des titres acquis étant exclus de l’assiette des cotisations de sécurité sociale, société émettrice et employeur des bénéficiaires ne supportent aucune charge sociale du fait de leur attribution. Attribution dont les conditions au sein des groupes de sociétés ont été assouplies par la loi Macron. Désormais, les entreprises émettrices peuvent être issues de concentrations, de restructurations, d’extensions ou de reprises d’activités préexistantes, les BSPCE peuvent être émis par une maison-mère aux salariés et mandataires sociaux de ses filiales détenues à plus de 75 % et la condition de détention directe et continue par une personne physique à hauteur d’au moins 25 % a disparu.
Répondant à un réel besoin, l’amélioration de ces dispositifs est à saluer même si la pression fiscale est encore très forte. La prudence reste, toutefois de mise. Les débats sur les packages de rémunérations des dirigeants d’entreprise, décriés ces dernières années face à certains abus bien qu’isolés et minoritaires mais considérés comme contraires aux règles de bonne gouvernance, avaient suffi à conduire le législateur à rendre si confiscatoire leur régime fiscal et social qu’ils étaient voués à tomber en désuétude. Le recours à ces dispositifs doit donc rester mesuré, conditionné à des objectifs de performance, gage tout au moins en partie du respect des règles de bonne gouvernance, en particulier lorsqu’ils profitent à des cercles restreints de cadres.
Questions à… Pierre-Olivier Bernard, associé fondateur d’Opleo Avocats
Quelles sont selon vous les problématiques actuelles du marché?
Même sous les feux croisés de la régulation post-crise financière et d’une reprise fragile de la croissance, le marché français du LBO, à l’image des marchés européen et américain, s’est montré très dynamique en 2015, profitant notamment d’un marché de la dette aux taux historiquement bas. Mais seuls les bons actifs ont trouvé preneur.
Si les feux sont aussi au vert en ce début d’année 2016, le contexte des requalifications fiscales des management packages n’en reste pas moins d’actualité, l’insécurité sur ce sujet polluant toujours les débats. Nous avons certes anticipé très en amont les apports de la loi Macron, au regard du régime juridique et fiscal des attributions gratuites d’actions (AGA) et de Bons de Souscription de Créateurs d’Entreprise (BSPCE). Cependant, nous ne sommes pas convaincus que ces instruments gratuits répondent parfaitement à la problématique des management packages, au regard en particulier de l’alignement d’intérêts entre les parties à un LBO. Question de philosophie.
Quelles sont les particularités de votre équipe dédiée à ces dossiers?
Opleo Avocats, reconnu de longue date pour sa compétence en matière de rémunérations et d’avantages sociaux, se situe résolument à la confluence de la gestion des ressources humaines et des données financières, partant d’une gouvernance dédiée à ses trois pôles d’expertises répondant aux besoins des hommes et femmes clés de l’entreprise : Capital humain, Capital professionnel et Capital privé. Pôles d’expertises animés par une approche transversale des compétences pointues de chaque avocat. Ainsi à même de structurer de manière optimale les management packages sous toutes ses dimensions - juridiques, fiscales, sociales et patrimoniales - le cabinet assure le suivi de l’intégralité de l’opération, peu importe que les sociétés soient ou non cotées et que l’accès doive s’ouvrir à un capital de droit étranger.
Comment accompagnez-vous vos clients ?
Hommes et femmes clé de l’entreprise, acteurs du cercle vertueux de la création de valeur, pour eux-mêmes et leur entreprise, sont nos clients. Jamais leurs vies professionnelles et personnelles n’ont été aussi intimement liées. Nous les accompagnons dans leurs prises de décisions, en respectant leurs intérêts sur tous ces plans. Cela, à partir d’une relation intuitu personae cultivée sur le long cours, et donc d’une connaissance intime de leur parcours et de leurs aspirations. Ainsi, plus d’une douzaine d’avocats du cabinet, rompus depuis plus de quinze ans à l’accompagnement des personnes physiques, porte leur réflexion et répond à leurs questionnements dans leur globalité.