Management package

Concilier partage de valeur et exposition au risque

Publié le 28 juin 2019 à 15h13

Propos recueillis par Coralie Bach, Marie-Stéphanie Servos et Gilles Lamber

Dans un marché toujours actif, malgré un léger attentisme au début de l’année, les managers d’entreprises sous LBO continuent de peser sur les négociations des packages. Mais les «hommes clés» ne sont plus les seuls à bénéficier d’intéressement financier ; de plus en plus d’opérations impliquent un cercle élargi de salariés. Sept experts apportent leur analyse.

Etat des lieux du marché

Sylvain Charignon, associé, Winch Capital : Mon expertise couvre notamment les marchés français et italien. Malgré un léger recul de l’activité en début d’année, nous n’avons pas constaté de ralentissement sur le marché français. Aujourd’hui, le nombre de deals que nous avons signés depuis le début d’année est quasiment conforme à celui observé sur la même période en 2018. La raison est simple. Bien que nous, fonds, essayions de chasser les deals primaires, nous sommes tous conscients qu’il existe un effet de stock : le private equity a pris une grande place sur le marché français, et il y a un phénomène de rotation de capital. Le private equity reste un mode de sortie très privilégié. A l’effet macroéconomique près, le marché ne manquera pas de deals dans les semestres et années à venir.

Sommes-nous, ou non, à l’aube d’un sujet de cycle économique qui inciterait à prêter attention aux prix payés ? Sur le front des prix, je pense que les banquiers et autres investisseurs le savent. Il existe une sorte d’inertie sur le marché depuis 2018 : les dossiers qui nous sont proposés ont des attentes de prix très élevés. Nos actifs se payent, et leur prix n’est pas tabou. Mais en effet, le contre-scénario à tout cela serait un problème de cycle.

Arnaud Petit, managing director, Edmond de Rothschild Corporate Finance : Je suis d’accord avec ce que vous venez de dire. En effet, le début d’année a été relativement calme, nous avons senti un léger attentisme de la part des investisseurs. A la veille des fêtes de fin d’année, le bilan pour de nombreuses personnes était très positif et 2019 devenait plutôt une interrogation sur la poursuite ou non de cette excellente tendance. Le début de l’année a été plutôt calme, avec une reprise plus vigoureuse dès la fin février. Nous observons une reprise très forte, 15 % à 20 % au-dessus de l’activité de 2018. Les signaux macro sont donc plutôt rassurants, avec la baisse des déficits, le taux de chômage au plus bas. A noter que la crise des gilets jaunes a pu faire peur aux investisseurs et on pouvait craindre l’apparition d’une crise institutionnelle. Les craintes se sont donc dissipées. Néanmoins nous sentons encore un attentisme principalement du fait de notre positionnement dans le haut du cycle, déclenchant fort légitimement un attentisme sur les valorisations. Pour tempérer cela, des levées de fonds records ont été réalisées depuis 6-12 mois, prouvant ainsi qu’il y a des ressources financières dans les fonds alors même que les banques et les fonds de dettes continuent à prêter à des taux extrêmement attractifs. Les ingrédients nécessaires sont donc tous réunis pour espérer de belles années à venir. A noter néanmoins que les investisseurs sont de plus en plus sélectifs et valorisent beaucoup les actifs dits «de rendement», plus résilients que les actifs de croissance. Il s’agit précisément selon moi du type d’actif sur lequel l’appétit des fonds va se reporter. Ces derniers préféreront faire entrer dans leurs portefeuilles des actifs certes à plus forte valorisation, mais permettant de bien anticiper et passer une éventuelle crise à venir, plutôt que d’aller chercher, comme deux ans plus tôt, des actifs avec davantage de croissance mais plus risqués.

Stéphane de Lassus, associé, Charles Russell Speechlys : Nous avons eu deux cas de deals avec un process assez original : l’un n’est pas terminé et l’autre a été closé en décembre. Il s’agissait d’entreprises assez récurrentes, au stade du secondaire ou du tertiaire, dont les actionnaires et managers ont demandé que les offres soient faites exclusivement au prix, sans quoi ils ne les regarderaient pas. Un cahier des charges avec des points concernant la stratégie, et accessoirement le management package, avait été établi par les managers. Ce sont ces points qui allaient faire la différence. Je dois le dire, j’ai été étonné de cette pratique, néanmoins, nous avons reçu sept offres, toutes au prix. Quatre ont été retenues.

Le choix ne s’est pas nécessairement opéré sur le management package, mais plutôt sur la stratégie et les build-ups envisagés.

Patrick Mousset, associé, Stephenson Harwood : Concernant l’activité, j’ai remarqué la montée en puissance de fonds étrangers, américains ou canadiens. Les fonds canadiens sont devenus des acteurs d’importance, après avoir été investisseurs dans de gros fonds comme Ardian, et avoir ainsi appris le fonctionnement du marché français. Certains acteurs américains sont parfois un peu plus distants dans leurs relations avec les managers lors des négociations d’acquisition. Je me souviens d’un dossier en particulier où le cédant anglo-saxon a privilégié le prix sans aucune concertation avec le management, qui n’a pas été autorisé à discuter avec les potentiels acquéreurs, ni à négocier le package, ce qui n’a nullement dérangé l’acquéreur également anglo-saxon. L’offre n’incluait pas de package au départ, il a été négocié par la suite. Nous observons ces pratiques ces temps-ci, sur du large cap notamment. Certains fonds étrangers spécialisés dans l’infrastructure ont également parfois tendance à reporter les discussions sur les packages. Ils sont prêts à mettre le prix lorsque certaines opérations en valent la peine, mais sans se préoccuper tout de suite du management, ce qui est difficile à gérer par la suite.

Sur la partie microéconomique française, les gilets jaunes ont posé quelques problèmes, sur des dossiers dans le retail ou la restauration notamment. Nous avons noté des difficultés de valorisations, et même des arrêts de process. Aujourd’hui, certaines opérations que nous pensions boucler à l’automne dernier se sont trouvées interrompues. Nous ne savons pas vraiment comment les choses vont reprendre, car six mois de ralentissements importants risquent d’avoir un réel impact sur l’Ebitda.

Antoine Rouland, investment director, Agilitas : Nous travaillons essentiellement sur des opportunités hors marché et ne prétendons pas avoir une vision de l’intégralité des processus en cours. Cependant, un accroissement du volume de transactions augmenterait mécaniquement le nombre de processus en pause ou arrêtés. Dans certains cas, les attentes de prix sont trop élevées, l’organisation des processus trop tendue, les attentes des managers en termes de packages sont trop élevées… De façon générale, la question du management package est fondamentale pour la bonne réalisation de la transaction, car il s’agit de l’outil clé pour l’alignement des intérêts.

Christophe Leclerc, associé, Accuracy : Je suis d’accord. Nous observons également des process s’arrêter en cours de route, pas forcément pour des raisons bien identifiées. L’activité transactionnelle se polarise, et pour reprendre ce que disait Arnaud, certains fonds recherchent de la croissance et mettent de côté les sociétés qui ne sont pas en forte croissance ; d’autres cherchent de la résilience. Au milieu de ces deux pôles, il y a le reste du marché, impacté par les aspects macroéconomiques, tel que le retail, la restauration ou l’hôtellerie. Nous constatons, chez certains de nos clients issus de divers secteurs d’activités, un ralentissement. Rien de dramatique, mais cela implique des changements. Ajoutez à cela les attentes liées aux valorisations très élevées… et le process est chamboulé.

Sur les management packages, nous constatons une tendance à un retour à des choses plus simples qu’auparavant. Mais il y a aussi des managers qui entament leur quatrième ou cinquième LBO, et qui atteignent un niveau de sophistication élevé. De ce fait, il existe des schémas extrêmement complexes, difficiles à comprendre pour les nouveaux managers qui entrent dans ces process. J’ai le souvenir d’un dossier dans lequel cinq instruments différents à destination des managers ont été mis en place. Il y avait deux étages d’entrée des managers, les instruments n’étaient pas les mêmes aux mêmes étages. Il faut ensuite expliquer aux managers comment tout cela se comporte, sachant que certains instruments peuvent être conditionnés à la performance d’autres instruments… Une fois tout cela mixé, la question se pose de savoir qui comprend ce management package, hormis la personne qui l’a mis en place. Ce genre de situation reste cependant marginal, et spécifique aux gros LBO.

Arnaud Petit : Je note depuis quelques années une tendance de plus en plus forte à l’intermédiation dans les transactions au détriment du gré à gré, avec des banquiers d’affaires de plus en plus sollicités. Cela a un impact sur les managers qui, même sur des LBO primaires, sont mieux éduqués et donc plus exigeants face aux fonds. J’observe aussi ce recours à l’intermédiation non seulement sur les processus de cession, mais également de plus en plus sur la structuration du management package. Même sur de petites opérations, le manager est accompagné par un avocat dédié au management package. Cela va dans le sens de ce qui a été dit précédemment : les managers sont plus éduqués, et parfois plus exigeants parce qu’ils sont accompagnés par des intermédiaires qui essaient d’obtenir le meilleur pour leur client.

Jacques-Henri Hacquin, associé fondateur, NG Finances : Effectivement, le trouble sur le nombre d’instruments dans certains deals à différents étages vient aussi des revirements de la jurisprudence et de l’instabilité fiscale… Tout cela provoque des incertitudes. Aussi, certains acteurs décident de retourner à des instruments assez simples. D’autres, à l’inverse, préfèrent essayer de trouver de nouvelles formes, de créer des schémas différents, ne sachant pas exactement dans quelle situation ils se trouvent. Pour prendre un exemple concret, jusque-là, les opérateurs sur le smid optaient habituellement pour des schémas classiques, avec une rétrocession qui variait selon le multiple et différents seuils de TRI. Aujourd’hui, du fait de l’accélération des process, il est devenu commun de voir des deals sortir au bout de deux ou trois ans plutôt qu’après quatre ou cinq ans habituellement.

Conséquences, nous voyons des management packages, dans lesquels les rétrocessions dépendent du TRI sur une période de deux ans, suivie du multiple après deux ans. Cela traduit une volonté des investisseurs et des managers de s’aligner selon la performance. Autrement dit, s’il s’agit d’une entreprise de croissance capable de générer suffisamment de rendement pour une sortie à deux ans, la rétrocession pour les managers se base sur le TRI. Mais si, pour différentes raisons, la croissance n’est pas suffisante au bout de deux ans, le management ne doit pas être pénalisé par un objectif de TRI difficilement atteignable. On raisonne alors sur un multiple par rapport à l’investissement initial en fonds propres.

On note également une évolution sur les typologies d’instrument. Nous étions confrontés auparavant à des BSA (bons de souscription d’actions)/ratchet classiques, puis aux ADP (actions de préférence) ratchet, et désormais aux ADP négatifs, des ADP taux, des ADP rendements qui viennent justement pallier un schéma de «sweet equity» destiné à simplifier les choses mais aussi à se prémunir contre l’insécurité fiscale que nous pouvons voir avec l’actualité juridique.

Patrick Mousset : Sur le smid, il y a un retour à des instruments relativement sûrs fiscalement, avec des AGA (actions gratuites), des BSPCE (bons de souscription de parts de créateur d’entreprise) pour les fondateurs sur des deals primaires. Nous revoyons également les BSA. Sur du smid, il s’agit davantage d’actions ordinaires, ou ADP ; paradoxalement, nous sommes amenés à faire moins d’OC (obligations convertibles).

Le rôle des conseils et intermédiaires

Sylvain Charignon : Je partage le constat de l’intermédiation, de la présence de conseils aux côtés du management, y compris dans des deals primaires ou lors des carve-out.

Christophe Leclerc : Pensez-vous justement que cela est bien ?

Sylvain Charignon : Je pense que c’est d’abord le signe d’un marché mature et donc fluide avec des intermédiaires et des conseils. Mais il est effectivement parfois étonnant de voir arriver autour de la table des managers et leurs conseils avec des idées assez arrêtées de la structure qu’ils attendent et qu’ils ont définie selon les pratiques du marché. C’est une situation qui a ses avantages et ses inconvénients.

Point positif, grâce aux conseils notamment, les demandes totalement extravagantes sont vite évacuées. C’est vrai pour la question du management package, mais aussi pour la gouvernance et les conditions de performance notamment. Le terrain de jeu est relativement balisé. Après, en tant que fonds, nous devons aussi rappeler que chaque deal est différent, au niveau des risques de l’investissement, du management, etc. Les pratiques de marché ne sont donc qu’une indication. Il va donc s’agir de partir d’une situation de négociation donnée, de trouver une marge de manœuvre parfois favorable au management, parfois moins.

La partie outils est aussi assez balisée. Par exemple, je n’ai pour ma part pas fait de BSA depuis des années. En revanche, je sens quand même une sorte de désarroi parmi les conseils à choisir entre les instruments. Que préférer ? L’ADP ou l’AGA DP ? Je préfère pour ma part l’ADP parce qu’elle est payée par le management. Par ailleurs, l’AGA a été créée pour l’action ordinaire, pour faire accéder les salariés au capital. Mettre un effet de levier aussi énorme sur un instrument gratuit pose question. N’y a-t-il pas un sujet fiscal ? Je ne sais pas.

Christophe Leclerc : Le fait de bénéficier de l’accompagnement des conseils des managers, surtout dans le cadre d’un LBO primaire, permet de tirer vers le haut les négociations et ajoute beaucoup de fluidité dans le process. Ces conseils familiarisent leurs clients aux règles du marché. Sans eux, chaque point du deal serait à négocier. Ils maîtrisent aussi la problématique de l’évaluation des instruments, ce qui nous permet d’anticiper des problèmes que nous rencontrons généralement, en leur absence, à quelques jours du closing. Cette intermédiation a donc un rôle plutôt positif dans le déroulement du deal.

Patrick Mousset : L’intermédiation permet de faire comprendre au manager, ou au fondateur dans un deal primaire, l’importance de se concentrer sur les questions importantes. Je suis par exemple intervenu sur une opération qui a été largement retardée du fait de l’absence de conseillers aux côtés du fondateur. Cette opération small cap a nécessité plus d’un an d’échanges du fait de sa complexité.

Arnaud Petit : Même si cette intermédiation auprès des managers a, en effet, son utilité, il faut garder une certaine vigilance sur les attentes qu’on peut installer chez les dirigeants. Chaque opération garde ses propres spécificités et on ne peut pas tirer des conclusions hâtives sur les dernières opérations sans faire une analyse plus précise du contexte de la transaction et de la société cible. Un LBO tertiaire d’une cible en croissance, très sécurisée, n’est pas comparable à un LBO primaire avec une moindre visibilité. Les management packages seront alors légitimement très différents. Dans certaines opérations, cette intermédiation peut risquer d’augmenter de manière injustifiée les attentes du manager et remettre en cause l’opération, du fait de l’écart entre les attentes et la réalité de la proposition.

Antoine Rouland : Cette professionnalisation et cette intermédiation sont globalement positives pour le manager et le fonds, mais il existe en effet un risque à vouloir dupliquer certaines pratiques et méthodes sur des deals qui n’ont rien de comparable en termes de risque ou de complexité. Cela peut entraîner des situations étonnantes, avec des packages mal calibrés.

J’observe que notre objectif d’aligner les équipes de management avec leurs objectifs de transformation opérationnelle nous entraîne souvent vers une simplification des structures financières et des mécanismes d’intéressement. Cette simplification génère plus de flexibilité pendant la période d’investissement pour des injections de capital, des acquisitions ou toute autre initiative de création de valeur. A montants égaux, des mécanismes d’intéressement trop complexes pourraient nuire au bon alignement des intérêts des différents acteurs.

Arnaud Petit : Face à une offre de plus en plus pléthorique, j’observe qu’aujourd’hui les dirigeants sont dans des positions «royales» et peuvent énumérer leurs demandes : un fonds «management friendly», long terme, spécialisé sur un secteur, qui donne de bons packages, etc.

Sylvain Charignon : C’est la loi de l’offre et de la demande. Les équipes de management talentueuses à la tête de jolies entreprises deviennent rares face à une offre de fonds pléthorique.

Jacques-Henri Hacquin : Il y a actuellement une conjoncture de liquidités qui fait que les managers ont le choix, surtout lorsqu’ils sont à la tête d’actifs de qualité.

Sylvain Charignon : D’où une logique de bon sens qui doit revenir. Nous ne sommes pas opposés à l’octroi d’un package généreux mais ce n’est pas un cadeau. C’est une contrepartie à un investissement et une prise de risque, avec des vrais leavers. Je regrette de voir certains fonds faire un peu n’importe quoi en sortant de ces critères de bon sens et d’entrepreneuriat. C’est malsain.

Arnaud Petit : Sachant que les management packages en France sont largement supérieurs à ceux des autres pays.

Christophe Leclerc : C’est historique. Cela fait presque dix ans que nous constatons cette réalité, sachant que les pratiques françaises très favorables aux managers sont en train de se diffuser à l’étranger, notamment en Italie, en Espagne, en Allemagne. Des cabinets français de conseil aux managers s’implantent d’ailleurs dans ces pays.

Antoine Rouland : Notre activité est très internationale, je constate donc ces différences de pratiques entre les marchés. Le management est systématiquement clé dans la réussite d’une transaction, quel que soit le pays, c’est pourquoi nous recherchons avant tout des managers capables de démontrer de fortes qualités entrepreneuriales. Cependant, il existe des différences culturelles qui affectent l’importance et la structure du management package. La culture française accorde une place à l’entrepreneur particulièrement importante, ce qui renforce le poids du dirigeant dans la structuration de ce package.

Patrick Mousset : Il y a également une vision de l’interchangeabilité des managers très différente. Dans certains pays anglo-saxons, les fonds sont persuadés qu’il existe un grand nombre de managers potentiellement disponibles ; alors qu’en France, nous associons l’entreprise à son management et sommes moins enclins aux changements de direction.

Sylvain Charignon : La statistique des changements de managers opérés par les fonds est très forte aux Etats-Unis. C’est largement plus de la moitié des deals.

L’incertitude fiscale

Stéphane de Lassus : Nous avons évoqué précédemment l’incertitude fiscale dans la structuration des packages... Malheureusement, je pense que l’incertitude fiscale ne sera jamais levée. Récemment, un banquier m’a demandé pourquoi les simples plans de bonus n’étaient pas plus utilisés. C’est une solution, en effet. Il serait possible de verser le management package sous forme de bonus, en prenant en compte les conséquences en matière de cotisations sociales, mais dans la limite d’un certain montant. Un tel versement, dans des proportions de plusieurs millions d’euros, trop éloignées des pratiques du marché, serait inéluctablement qualifié d’acte anormal de gestion, et ne serait donc pas déductible au niveau de la société, avec pour conséquence un coût supplémentaire de plus de 30 %.

Chaque opération est donc confrontée à un risque fiscal, ou social. Néanmoins certaines guidelines se dessinent en matière fiscale, grâce à des outils bien valorisés, présentant un risque réel, mais contenu.

Récemment, les jugements défavorables aux managers sont plus rares et les décisions des comités d’abus de droit sont le plus souvent favorables. Des questions peuvent encore se poser, mais le cas des promesses de rétrocessions a été tranché par le Conseil d’Etat, de même que la question des BSA et leur intégration dans un PEA… Globalement, l’administration obtient gain de cause quand les éléments n’ont pas été correctement évalués, ou quand le deal comportait trop de conditions préférentielles. Un bon schéma avec de vraies prises de risques et une rigueur juridique sans faille limite très largement le risque fiscal effectif.

La question des actions gratuites

Stéphane de Lassus : Pour revenir sur le choix de l’outil ADP versus AGA, le débat ne porte pas tant sur la taille du deal mais sur l’appétence au risque du manager. Il est important, pour nous conseils, de savoir si un manager est prêt à prendre un risque financier de perte totale de son investissement, et s’il est prêt à s’engager dans un contentieux fiscal. Dans ce sens, les bénéficiaires des management packages doivent être limités à un nombre restreint de personnes prêtes à affronter ces différents risques.

L’outil des actions gratuites, qui semble être aujourd’hui apprécié dans différents formats d’opérations, et dont le coût, social ou fiscal, est un peu plus élevé, ne me semble pas dépourvu d’incertitudes ou de risques de redressement. La nouvelle définition de l’abus de droit concernera, dès l’année prochaine, les opérations «principalement» fiscales et non plus «exclusivement» fiscales. La question se pose de savoir si l’utilisation qui est faite aujourd’hui des AGA correspond à la philosophie du texte et ne risque pas, à ce titre, un redressement. Ceci appelle donc à une certaine prudence et à faire preuve de mesure dans l’usage de cet outil.

Les aspects sociaux

Stéphane de Lassus : L’arrêt de la Cour de cassation dans l’affaire des BSA de l’opération Lucien Barrière a largement été évoqué. Il est d’abord important de noter qu’il ne s’agissait pas stricto sensu d’une opération de private equity.

Cet arrêt qui a été rendu par la chambre sociale, et non en chambre mixte, a le principal défaut de ne pas apporter de définition au terme «conditions préférentielles». L’enjeu de la décision qui sera rendue par la cour d’appel de renvoi est d’apporter une définition à cette notion. Il est donc nécessaire de faire preuve de prudence, mais à ma connaissance les Urssaf n’ont pas saisi l’opportunité de la publication de cet arrêt pour s’engager dans une vaste campagne de redressement des sorties de LBO qui ont eu lieu ces dernières années.

A mon sens, la leçon que pourrait nous apporter cet arrêt est de privilégier les modes d’investissement en capital, de s’orienter vers des montages moins complexes, couplés avec des actions ordinaires, pour démontrer la réelle qualité d’investisseur en capital du manager, en somme d’appliquer les mêmes règles de prudence qu’en matière de fiscalité.

Patrick Mousset : Il est important de bien prendre en compte cette notion de risque de perte en capital. Nous sommes souvent confrontés à des clients qui ne souhaitent pas être exposés à ce risque, et malheureusement cela n’est pas réalisable. Il est parfois difficile de le faire comprendre, que ce soit dans le cadre d’un deal primaire, mais aussi à un niveau plus avancé. C’est là que réside le risque de requalification.

Les demandes de liquidité anticipées

Stéphane de Lassus : A l’inverse, dans des opérations secondaires, je constate que parfois les fonds sont amenés à demander un réinvestissement important de la part des managers. En contrepartie, les managers ont des exigences de liquidité ponctuelle à une échéance de trois ou quatre ans. Cette situation contribue à désaligner les intérêts et à contrevenir au principe selon lequel l’investissement se réalise au moment de la sortie.

Christophe Leclerc : Dans le cadre d’un deal important sur lequel je suis intervenu, la durée de l’investissement était particulièrement longue, de l’ordre de 6-7 ans. Certains managers, qui approchaient de leur départ à la retraite, ont négocié une sortie anticipée, et une clause de liquidité à quatre ans. Un an et demi après le closing de cette opération, l’entreprise se trouve être en situation de sous-performance.

La question se pose aujourd’hui du règlement de cette liquidité partielle et de la valeur à laquelle cette liquidité va s’effectuer. Si le fonds essayait aujourd’hui de rechercher des mécanismes permettant de néanmoins justifier la réalisation de certains objectifs et de créations de valeur, cette situation présenterait un risque maximum de requalification et de redressement. Je conseille, dans ce contexte, de ne pas exercer cette option de liquidité partielle, alors que les multiples sont à la baisse dans ce secteur d’activité, même si les managers concernés sont ici dans le cas d’un réel engagement financier et d’une réelle exposition au risque de perte.

Patrick Mousset : Dans le domaine de l’infrastructure, les durées d’investissement sont plus longues. Les managers demandent fréquemment dans le cadre de la structuration du package des clauses de liquidité. Nous essayons de les dissuader, ou en tout cas de chercher un fondement à cette liquidité, qui soit un élément exogène permettant de capter cette plus-value avant la sortie de l’opération. En dehors de ces cas particuliers, je déconseille fortement d’accéder à ces demandes de liquidité.

Sylvain Charignon : C’est un mécanisme que je ne pratique, en effet, jamais.

Patrick Mousset : A mon sens, le seul moyen légal de sortie partielle est le recours au FCPE. Le deal est effectué avec un FCPE abondé en amont par le groupe. Les salariés sont titulaires des parts du FCPE et peuvent bénéficier de liquidités dans les conditions légales, dont les montants ne sont pas très importants, mais qui restent intéressants.

L’ouverture du package à d’autres niveaux de l’entreprise

Sylvain Charignon : Ce sujet amène la question de l’ouverture de ces différents schémas d’intéressement à d’autres niveaux de collaborateurs de l’entreprise, voire à l’ensemble des salariés. Le top management dispose de leviers forts, et des rétrocessions très élevées, car il se trouve au centre de l’opération. Il s’agit d’ailleurs d’une situation qui est propre à la France. Aux Etats-Unis par exemple, le top management ne bénéficie pas d’une telle position et de tels avantages.

Dans nos organisations, et notamment à France Invest, nous devons continuer à réfléchir à la façon de diffuser ce partage de valeur par les fonds, et pas seulement au niveau du top management, via des outils simples.

Jacques-Henri Hacquin : La loi Pacte prévoit un élargissement de l’utilisation des AGA, avec la possibilité d’en attribuer de nouvelles au fil du temps.

Stéphane de Lassus : Cela peut constituer une solution, notamment, lorsque l’horizon de sortie s’éloigne. Quand les relations se passent bien, l’attribution d’AGA supplémentaires peut permettre aux managers d’attendre plus sereinement la sortie.

Jacques-Henri Hacquin : Initialement, les AGA ne pouvaient pas représenter plus de 10 % du capital de la société. Or la loi Pacte assouplit le calcul de ce plafond et permet de créer une sorte de compte à rechargement.

Patrick Mousset : La mise en œuvre et la gestion d’un FCPE ont un coût qui peut être élevé pour certaines tailles de transactions. De plus, il n’est pas possible d’investir 100 % des titres dans les titres de l’entreprise, généralement ces derniers ne représentent que 50 % du FCPE. Par ailleurs, la crise de 2008 avait généré des pertes pour les salariés qui avaient investi, les FCPE ont donc été moins nombreux par la suite. Cela étant dit, ils reviennent à nouveau mais sur des opérations mid et large cap. Pour les plus petites opérations, nous privilégions les actions gratuites.

Arnaud Petit : Pour ma part, je suis plus réservé sur l’élargissement du management package à l’ensemble des salariés. Selon moi, le package doit rester cantonné à un nombre limité de managers. Certes, lorsqu’il est élargi à l’ensemble des salariés, il y a un effet positif sur la motivation et l’intérêt à réussir, mais il faut penser aux cas où l’opération ne se passe pas comme prévu. J’ai vu des sociétés mid cap, entre 15 et 30 millions d’euros d’Ebitda, où le dirigeant demandait à impliquer quasiment tous les salariés dans le management package. Un tel schéma sera compliqué à mettre en place et à gérer puisqu’il faudra informer très régulièrement les salariés sur les résultats de l’entreprise, avec le stress que cela peut générer durant les bas de cycles. Deuxièmement, il coûtera cher à la société, et troisièmement, il faut penser aux conséquences pour les salariés en cas de mauvaise performance.

Stéphane de Lassus : Tous les salariés ne doivent pas investir.

Arnaud Petit : Et pourtant, c’est une demande que j’ai reçue plusieurs fois ces derniers mois. De plus en plus d’entrepreneurs souhaitent impliquer toute leur équipe, et sont étonnés quand je leur fais part de mes réticences. Selon moi, le package doit rester cantonné aux managers clés.

Sylvain Charignon : Je suis d’accord. C’est pourquoi il est important de bien définir les différents cercles en pensant aux conséquences tant en termes d’outils d’intéressement que de communication. L’information donnée n’est en effet pas la même pour un membre du comex que pour un salarié n’ayant pas ce niveau hiérarchique.

Pour notre part, en small et mid cap, nous raisonnons généralement selon le schéma suivant : pour le premier cercle, nous proposons des outils de ratchet avec de la prise de risque, nous sommes très sensibles sur ce point. Nous demandons à ces managers d’investir leur argent, en étant conscients du risque de perte, avec en contrepartie un gain potentiel intéressant si le deal se passe bien. Pour le deuxième cercle, qui peut inclure une dizaine de personnes, nous proposons plutôt des AGA en prenant le soin d’expliquer l’outil. Enfin, sur des deals un peu plus importants, il peut nous arriver de mettre en place un FCPE. Mes expériences sur ce sujet ont plutôt été positives, mais là encore il faut faire preuve de prudence, en panachant les titres et en assurant une bonne communication.

Jacques-Henri Hacquin : Le dirigeant suit généralement une motivation sociale. S’il souhaite intéresser l’ensemble des salariés, c’est pour les récompenser et non pour les mettre en situation de risque. Je pense notamment à un dossier où nous avons mis en place un panachage d’instruments pour répondre à cette volonté du dirigeant, sans toutefois utiliser le FCPE car la taille de l’entreprise était trop faible. C’est en tout cas une tendance de fond qui permettra peut-être de ne plus présenter le management package comme un instrument dédié à une population limitée de salariés ou mandataires sociaux, mais de montrer aussi qu’un LBO peut bénéficier à un cercle bien plus large.

Arnaud Petit : Une solution que je trouve très bien est le bonus ex post, à la sortie du fonds. J’ai rencontré des fonds qui, après avoir réalisé une belle opération, décident de rétribuer une partie de leur plus-value sous forme de bonus exceptionnel versé à tous les salariés. C’est une pratique que j’observe de plus en plus.

Stéphane de Lassus : La loi Pacte prévoit cette possibilité sous forme de prime d’intéressement avec, comme conséquence, un coût allégé en termes de charges sociales.

France Invest a d’ailleurs fait un certain nombre de propositions sur ce sujet, reprises en partie dans la loi Pacte. C’est encore assez récent et nous verrons comment cet outil sera appréhendé par les entreprises. Cela contribue, en tout cas, à s’engager vers davantage de partage de la valeur ajoutée à tous les niveaux de l’entreprise.

Patrick Mousset : Ce nouveau régime de partage de plus-value, inauguré par la loi Pacte, pourrait constituer une solution pour les transactions smid cap peu adaptées au FCPE. Attention toutefois, avec ce régime, on ne peut pas vendre avant trois ans. Si le fonds sort avant, les managers n’ont rien…

Jacques-Henri Hacquin : C’est la raison pour laquelle ce régime me semble plus adapté à des cercles deux ou trois.

Patrick Mousset : Sachant que le plafond est d’environ 13 000 euros, montant que l’on pourrait considérer comme faible.

Jacques-Henri Hacquin : Ces bonus peuvent en tout cas être négociés au sein du pacte afin de prévoir une prime lorsqu’un niveau de performance est atteint. Il est aussi possible de demander à l’acquéreur de payer une partie de cette prime. Dans ce cas, les actionnaires informent les salariés de cette contribution. C’est une pratique qui a déjà été mise en place et qui ne pose aucun problème au niveau juridique ou fiscal.

Arnaud Petit : Dans les opérations que j’ai suivies, la prime a toujours été payée intégralement par le fonds sortant, mais ce point peut effectivement être discuté.

Antoine Rouland : Si l’intention derrière cette démarche semble bonne, je pressens un risque que cette pratique devienne un élément supplémentaire de négociation dans des processus déjà complexes. Outre ses attentes de prix, le vendeur demandera à l’acheteur potentiel un niveau de bonus pour les salariés versé à la sortie.

Je suis plutôt favorable à l’élargissement de l’intéressement. Il faut toutefois respecter des règles de prudence, et bien expliquer à l’intégralité des salariés le fonctionnement de ces outils.

Arnaud Petit : Je pense cependant que le management package est un outil puissant d’alignement d’intérêts pour des managers qui ont des leviers forts sur la stratégie et les résultats de l’entreprise. Même si tous les salariés contribuent aux bons résultats de la société, ils n’ont pas tous la même emprise. Au final, impliquer tous les salariés de manière identique dans le management package peut désaligner les intérêts.

Jacques-Henri Hacquin : Mais ils ne versent pas la même prime.

Arnaud Petit : J’ai déjà vu des opérations où le management package et les instruments étaient les mêmes pour tout le monde. Bien sûr, la somme investie par les différentes catégories de salariés variait, mais à l’échelle individuelle, elle représentait toujours un montant important.

Christophe Leclerc : C’est surprenant car, comme nous le disions tout à l’heure, nous distinguons généralement les différents cercles de managers et salariés, avec des instruments adaptés à chaque cercle. Même le cercle trois, généralement, est limité à un certain nombre de managers.

Lorsqu’il s’agit d’impliquer tous les salariés, le FCPE ou le versement d’un bonus sont plus adaptés. Ce sont des outils simples avec pas ou peu de prise de risque.

Le FCPE, même s’il n’est pas adapté à toutes les tailles de deals, est un outil assez puissant. J’ai en tête une société sous LBO, employant des dizaines de milliers de salariés, qui a un FCPE en place depuis vingt ans. Je suis toujours impressionné par la bonne compréhension de l’ensemble des salariés de la stratégie de l’entreprise et du fonctionnement d’un LBO. Le risque est par ailleurs dilué puisque le FCPE est mis en place au niveau de la société opérationnelle, et non de la holding, il n’est donc pas exposé à tout le levier financier. Le FCPE est en outre investi de manière diversifiée, avec seulement 50 % des fonds investis dans les titres de la société. Aujourd’hui, ce FCPE est significatif puisqu’il possède 10 % du capital du groupe et il y a en plus un vrai sentiment d’appartenance à la société. Cependant, en cas de coup dur, la communication est primordiale. Mais c’est éducatif pour tout le monde. Les employés comprennent qu’on ne gagne pas à tous les coups, qu’il faut rester prudent et ne pas investir toute son épargne. Le top management, quant à lui, est incité à expliquer ce qui s’est mal passé et les solutions qu’il faudrait mettre en place, et à remotiver l’ensemble des équipes.

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