Parole d’expert

De FRAM à Airseas : retour d’expérience sur dix ans de prepack cession

Publié le 13 décembre 2024 à 17h21

Jeantet    Temps de lecture 6 minutes

Le prepack cession à la française fête ses dix ans, l’occasion de revenir sur ce mode efficace de cession d’entreprises en difficulté au travers de deux dossiers significatifs et que presque dix ans séparent : FRAM en 2015 et Airseas en 2024.

Par Laïd Estelle Laurent, associée responsable du département Restructuring/Distress M&A et Jean Delapalme, collaborateur, Jeantet

D’inspiration anglo-saxonne, et introduit dans le Code de commerce en 2014, le prepack cession est une procédure hybride bien connue des praticiens du restructuring, mettant à profit le cadre amiable et confidentiel d’un mandat ad hoc ou d’une conciliation pour rechercher des repreneurs potentiels et négocier la reprise de l’entreprise en plan de cession, avant de basculer en procédure collective pour faire adopter le plan par le tribunal dans un délai resserré.

En 2015, il est apparu comme l’outil idéal pour mener à bien la cession du voyagiste FRAM, alors en grande difficulté. L’objectif initial était de trouver de nouveaux investisseurs, mais avec un secteur touristique durement affecté par la vague d’attentats de 2015, la cession en urgence de l’activité s’est imposée comme la seule solution pour éviter une liquidation « sèche ». Neuf ans après, la start-up nantaise Airseas, qui équipe les navires marchands de son système « Seawing », une aile de kite géante destinée à réduire la consommation de carburant, s’est trouvée à cours de liquidités en raison d’un allongement de la phase de développement, et a également eu recours au prepack cession pour céder l’activité à son principal client et investisseur, le transporteur japonais K LINE.

Deux dossiers très dissemblables, par l’activité cédée, mais aussi par le profil du repreneur : concurrent avant tout désireux de reprendre la clientèle dans le cas de FRAM, et, dans le cas d’Airseas, client soucieux d’assurer la pérennité d’un produit dans lequel il avait massivement investi. De nombreux enseignements peuvent être tirés sur les avantages indéniables, mais aussi les points d’amélioration, d’une procédure largement saluée pour son efficacité.

Associer tous les acteurs à la réussite du projet

La réussite du prepack cession implique de s’assurer que les différents acteurs sont disposés à participer activement et positivement au processus de cession. De ce point de vue, dès 2015 et à travers le dossier FRAM, il est apparu que le prepack cession, qui ne peut être mis en œuvre qu’à l’initiative du dirigeant de la cible, ménage à ce dernier un rôle actif dans la recherche du meilleur repreneur, quand le plan de cession « classique » est davantage subi par le dirigeant et l’actionnaire. S’agissant d’Airseas, le candidat à la reprise a eu le souci d’associer au maximum le fondateur à la réussite du projet, en négociant avec lui un accord d’accompagnement post-reprise. L’implication et l’adhésion des salariés sont par ailleurs indispensables !

Equilibre fragile entre confidentialité et nécessité de susciter des offres

Nous, praticiens, mettons régulièrement en avant la confidentialité de la conciliation préalable, qui permet de négocier un plan de cession tout en protégeant le plus longtemps possible l’entreprise de la publicité négative qui accompagne toute procédure collective. En pratique, cependant, la confidentialité s’avère parfois difficile à préserver. Pour FRAM, ses difficultés étaient de notoriété publique dès avant que le conciliateur se voie confier une mission « prepack ». Paradoxalement, cela a favorisé la recherche de la meilleure offre possible : des candidats se sont déclarés spontanément, en dehors de ceux initialement approchés par le conciliateur.S’agissant d’Airseas, une vraie discrétion a d’abord été maintenue : le conciliateur a directement contacté les quelques acteurs clés du marché, et a diffusé des annonces sans dévoiler le nom de la cible. K LINE, qui est vite apparu comme l’unique candidat à la reprise, tenait beaucoup à ce que les difficultés rencontrées par Airseas, qu’il avait largement financé, reçoivent le moins d’écho possible. Les échanges avec le dirigeant se sont – momentanément – rafraîchis lorsque ce dernier a révélé dans les médias le processus en cours, appelant les investisseurs français à se mobiliser pour qu’Airseas ne passe pas sous pavillon étranger. On sait que le conciliateur, s’il souhaite une fixation immédiate de l’audience d’examen des offres, devra démontrer au tribunal que l’offre « prépackagée » remplit les conditions légales requises pour envisager un plan de cession, mais également l’efficacité de ses démarches prospectives.

En dehors de cas isolés, il faut admettre qu’il est difficile de concilier deux exigences contradictoires, et la confidentialité fera parfois les frais d’une prospection efficace.

Accélération du processus de cession

Au-delà de la confidentialité, c’est l’accélération du processus de cession, une fois la procédure collective ouverte, qui constitue l’atout majeur du prepack cession. Si le tribunal consent à fixer immédiatement l’audience d’examen des offres, la cession peut intervenir très rapidement. Ainsi, pour FRAM, le jugement d’ouverture a été rendu le 30 octobre 2015, et le plan de cession arrêté le 25 novembre 2015. Il en a été de même pour Airseas, courant janvier 2024, la procédure collective a été ouverte et l’offre examinée et arrêtée.

Cette accélération présente l’avantage indéniable de réduire au maximum l’impact néfaste de la procédure collective sur l’activité cédée, et incite les candidats à présenter immédiatement leur meilleure offre.

Elle oblige en revanche les différents intervenants à travailler efficacement, et à faire preuve d’inventivité pour traiter certaines inconnues, telles que les revendications potentielles de tiers sur la propriété d’actifs (le délai du revendiquant étant de trois mois à compter du jugement d’ouverture). Cette célérité s’articule également difficilement, avec certains délais impératifs du droit social ou avec l’obligation de consultation des cocontractants concernés, y compris sur des offres déposées huit jours seulement avant l’audience d’examen.

Reste que, dix ans après son introduction dans le Livre VI, le prepack cession a prouvé son extrême efficacité !

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