Expertise

Des approches culturelles différentes en Europe

Publié le 12 février 2016 à 17h51    Mis à jour le 29 juin 2021 à 10h27

Jérôme Jouhanneaud, King & Wood Mallesons

Si le principe d’alignement d’intérêts entre fonds et managers est un principe universel quelle que soit la patrie du LBO, sa traduction dans les management packages se colore de spécificités locales liées à la fois à des facteurs historiques de marché et à un contexte fiscal différent chez nos voisins européens.

Par Jérôme Jouhanneaud, associé,  King & Wood Mallesons

L’exception française vaut-elle aussi en matière de management package ? L’analyse comparative des pratiques de nos voisins européens tendrait à le faire croire. Réputée plus «manager friendly», la version du management package à la française est indéniablement plus complexe, plus riche et sophistiquée que les instruments homologues allemand et britannique.

Le «sweet equity» truste les packages allemand et britannique

Ainsi, aussi bien au Royaume-Uni qu’en Allemagne, la structuration des management packages se fait essentiellement à base de «sweet equity» avec un «hurdle» moyen proche des 10 %. Une structuration qui offre l’avantage de la simplicité et de la lisibilité mais qui peut engendrer un désalignement d’intérêts en cas de sous-performance du LBO. Cette structuration est loin de prédominer dans les pratiques hexagonales où le sweet equity est souvent combiné à (voire remplacé par) des instruments relutifs payés à leur valeur de marché. L’introduction de ces instruments, essentiellement sous forme d’actions de préférence, permet par exemple de tenir compte du multiple réalisé sur l’investissement du fonds, afin que le partage de valeur à la sortie ne dépende pas que du TRI de l’opération. Les managers qui auront souscrit les instruments relutifs pourront ainsi capter une part additionnelle du prix de cession (ou supporter une perte plus importante), en fonction du risque capitalistique supplémentaire qu’ils auront pris en souscrivant les titres «ratchet». De ce point de vue, les management packages à la française peuvent donc comporter un upside et une part de risque plus importants, tout en permettant des profils de risques adaptés à chaque cercle de l’équipe de management.

Pourquoi de telles disparités ? En Allemagne, la pression de l’administration fiscale sur les instruments dit «ratchet» se révèle encore plus pesante qu’en France et ne donne pas aux acteurs du LBO germanique la même souplesse dans la structuration des opérations. Qui plus est, les instruments de type stock-options et actions gratuites ne bénéficient pas de la même attractivité juridique et fiscale que celle découlant des assouplissements récemment introduits par la loi Macron.

Au Royaume-Uni en revanche, intervient de manière plus prégnante un facteur historique de marché qui tend à traduire l’idée que le manager peut être perçu comme une «commodity», affectant de facto son pouvoir de négociation. Cela contraste avec le marché du private equity en France qui est dominé par les opérations midcap dans lesquelles le dirigeant est davantage au cœur du dispositif. Il est ainsi rarissime qu’un fonds s’engage en France dans une opération de LBO sans avoir sécurisé en amont l’adhésion du management et plus particulièrement son niveau de réinvestissement.

Cette approche française contraste avec celle des fonds anglo-saxons, plus particulièrement sur les opérations large cap, qui abordent parfois ces opérations sans faire du réinvestissement de l’équipe de management une condition de la transaction. Il est donc également rare que le management bénéficie d’instruments ratchet en sus d’un sweet equity, même si les motifs, s’agissant du marché anglais, sont moins d’ordre fiscal que culturel.

Des conditions de départ et de sortie plus strictes

Cette différence d’approche et de pratique entre la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni s’illustre également dans les conditions de dénouement des clauses de leavers.

Pour une plus grande sécurité fiscale, les acteurs du private equity allemand cherchent à éviter tout risque d’assimilation entre la qualité d’actionnaire et celle de dirigeant. La pratique en Allemagne autour des clauses de leavers s’oriente donc vers la suppression des concepts de vesting qui font dépendre le prix de rachat de la durée de présence des managers au sein de l’entreprise.

Au Royaume-Uni en revanche, le vesting est systématique pour les titres permettant aux managers  de bénéficier du sweet equity, tandis que les actions détenues pari passu avec l’investisseur financier sont généralement cédées à leur valeur de marché telle qu’appréciée par un tiers expert (la méthode classique de valorisation sur la base du multiple d’EBITDA payé lors de l’acquisition n’étant généralement pas appliquée par les fonds anglo-saxons, contrairement à la pratique française et allemande). Autre particularité britannique à forte teneur symbolique : les managers sont souvent tenus de consentir des garanties à l’entrée du nouveau fonds majoritaire. Celles-ci portent usuellement sur leur bonne foi à l’égard de l’élaboration du business plan et à l’absence de tout autre accord avec des tiers ou conflit d’intérêts susceptible d’entraver leur implication dans l’entreprise. Contrairement à la pratique très établie en France et en Allemagne, les managers au Royaume-Uni peuvent également être tenus de consentir des garanties à la sortie de manière non pari passu avec le fonds vendeur. Bien que la force juridique de telles clauses soit discutable, elle donne incontestablement le ton des rapports de force existants entre management et fonds dans le cadre d’une sortie.

Le paradoxe français

Plus globalement en France, nous disposons d’une large palette d’instruments pour assurer l’alignement d’intérêts entre managers et fonds et calibrer les mécanismes de partage de valeur en fonction des différents scenarii de performance du deal, de durée du LBO et du degré de risque capitalistique pris par chacun des acteurs. Il est donc regrettable que, par les multiples offensives fiscales sur la requalification des titres optionnels et le régime de taxation des plus-values, le législateur tende paradoxalement à amoindrir l’appétence au risque des managers et à les acculer à des instruments de type actions gratuites dont l’usage dans les management packages devrait être popularisé par la loi Macron (même si cet usage devrait être systématiquement couplé avec un investissement pari passu avec le fonds).

De fait, les incertitudes fiscales sur le régime des management packages en France ont réduit l’usage des instruments ratchet au bénéfice du sweet equity. Autrefois essentiellement réservé aux LBO primaires, cet usage s’ouvre aujourd’hui aux opérations secondaires et tertiaires moyennant une sophistication des montages avec des hurdles variables. Cette variabilité intervient essentiellement via l’abaissement du hurdle au bout d’une certaine durée ou via l’ajustement (à la hausse ou à la baisse) du taux d’intérêts en fonction de la performance globale de l’opération. Ainsi, si la tendance en France va vers un alignement avec les pratiques européennes, le marché français semble conserver une longueur d’avance en matière de sophistication et de créativité.

Questions à… Jérôme Jouhanneaud, associé, King & Wood Mallesons

Comment voyez-vous l’évolution des pratiques du marché?

Au-delà du contexte fiscal qui introduit des incertitudes toujours importantes sur les management packages et restreint la palette des outils ratchet, nous constatons dans la pratique que les négociations entre managers et fonds sont toujours tributaires d’un rapport de forces lié à l’importance du manager dans la réussite du LBO, telle qu’elle est perçue par les sponsors. En cela, chaque opération est un cas particulier. Contrairement aux idées reçues, ce n’est pas la pression concurrentielle sur un deal qui donne le pouvoir au manager. Nous avons ainsi vu des deals très courtisés par les fonds au stade des enchères, et dans lequel l’acquéreur sélectionné n’a entamé ses discussions avec les dirigeants de la cible qu’une fois le closing de l’opération réalisé. Inversement, nous avons pu constater le très fort pouvoir de négociation de managers dans le cadre de MBI, sans concurrence entre acquéreurs à l’achat, tant le succès de l’investissement reposait sur le management. Cette différence de traitement n’est pas exclusivement due à la «qualité» du management, mais aussi beaucoup à l’industrie sur laquelle l’entreprise opère et à son stade de développement. Il n’y a donc aucune règle absolue en la matière.

Quelles sont les particularités de votre équipe dédiée à ces dossiers?

Le bureau parisien de KWM, qui réunit près de 70 avocats, s’est taillé une réputation de leader incontestée sur le marché du private equity français aussi bien auprès des fonds que des managers. Notre cabinet participe par ailleurs au groupe de travail Management Package organisé par l’AFIC ayant notamment pour objectif la sécurisation de leur traitement fiscal.

Comment accompagnez-vous vos clients ?

Notre vision globale aiguisée par la pratique des deals cross-border et notre pluridisciplinarité nous permettent d’accompagner nos clients sur toutes les problématiques de leurs deals aussi bien au niveau fiscal que corporate ou de financement. Nous avons développé une expertise particulièrement pointue sur les sujets de partage de la valeur à la fois côté GPs sur les problématiques de carried interest et côté managers dans le cadre de leurs opérations de LBO. Nous avons par exemple récemment accompagné le management de Cérélia, Europe Snacks, Abylsen, Maisons du Monde et SMCP.

Dans la même rubrique

De FRAM à Airseas : retour d’expérience sur dix ans de prepack cession

Le prepack cession à la française fête ses dix ans, l’occasion de revenir sur ce mode efficace de...

Etat des lieux des transmissions familiales

Le cabinet Racine a soufflé ses 40 bougies l’année dernière et compte aujourd’hui 250 avocats...

Voir plus

Chargement en cours...

Chargement…