Le lender-led est une opération de restructuration au terme de laquelle les créanciers acceptent de convertir tout ou partie de leurs créances en capital, leur permettant en échange de prendre le contrôle de l’entreprise. Longtemps, cette opération a été regardée comme l’apanage des anglo-saxons. Mais l’état d’esprit des prêteurs français (à l’exception de certains qui y sont fortement opposés) a évolué avec l’expérience et le durcissement de la crise. Précédemment, les banques considéraient que le fait de prendre les clés et de devenir actionnaire était trop risqué : elles craignaient notamment le risque d’action en comblement de passif. Désormais, dans les situations où la perte des créanciers menace d’être trop importante et où il n’y a pas d’alternative actionnariale crédible, si les créanciers croient en la valeur du sous-jacent et ont confiance dans les fondamentaux économiques de l’entreprise, ils envisageront de manière active de prendre le contrôle de la société. Il existe alors plusieurs schémas de gouvernance, impliquant le plus souvent l’intervention de personnes indépendantes. Si le lender-led apparaît comme une solution de plus en plus crédible, sa mise en application appelle à une certaine vigilance.
Dans cette opération, le prêteur reste prêteur, mais devient également actionnaire. Tant que la société se porte bien, cela ne crée pas de problème, mais si elle rencontre de nouvelles difficultés des questions se poseront. Et cela d’autant plus que la culture de la responsabilité de l’actionnaire est très forte en France : contrairement à un actionnaire de type fonds d’investissement, qui ne serait pas toujours financièrement en mesure de réinvestir, les banques sont perçues comme capables de réinvestir. Si le droit voudrait que les banques soient protégées au même titre que les autres actionnaires, puisque le rôle de l’actionnaire ne varie pas en fonction de sa qualité, la pratique en France peut conduire à des solutions différentes.
Le portage, une fausse bonne idée ?
Dans une opération de lender-led, les créanciers ont parfois recours à un intervenant extérieur, généralement de type fonds de restructuration, pour réaliser un portage. Le nouvel acteur va porter les titres de la société et en sera donc l’actionnaire, mais uniquement pour une durée déterminée et dans le cadre de conditions de sortie prédéfinies. Cet outil juridique, qui permet aux prêteurs de ne pas devenir actionnaires, présente toutefois des inconvénients. Tout d’abord, il ne permet pas de remettre en place une structure bilancielle saine pour la société : en effet, celle-ci se retrouve avec un actionnaire à durée déterminée, qui n’est généralement pas en risque économique. En outre ce montage peut fragiliser la société dans sa gestion opérationnelle en envoyant un message négatif à ses partenaires, fournisseurs et clients : comment expliquer que le nouvel actionnaire fait du portage ? Enfin, le fait que les créanciers aient recours à un montage financier de ce type pourrait donner lieu à des contestations dans le cas de nouvelles difficultés.
Les golden shares ou fiducies : alternative ou préparation du lender-led ?
Les golden shares constituent un instrument utile au profit des prêteurs dans le cadre des restructurations. Il en existe deux types : les golden shares de prise de contrôle, qui peuvent être octroyées aux prêteurs lorsque l’effort qui leur est demandé est particulièrement important. Elles leur permettent, dans le cas d’une nouvelle sous-performance de la société, définie par des ratios précis, de devenir majoritaires au niveau économique et en droits de vote. La seconde catégorie de golden shares autorise ses détenteurs à déclencher la vente de l’actif. Elles sont par exemple attribuées aux prêteurs dans le cadre de l’extension de la maturité de la dette, pour s’assurer que l’actionnaire ne cherchera pas par la suite à gagner de nouveau du temps par une nouvelle extension ou une sauvegarde. De façon plus radicale et automatique, dans la mesure ou elle entraîne une dépossession préalable au profit d’un fiduciaire -pouvant d’ailleurs avoir des impacts fiscaux- la fiducie (gestion ou sûreté) est une solution susceptible de manière sécurisée et contraignante d’assurer pour le futur, en cas de survenance d’un événement factuel ou juridique prédéfini, la vente de l’actif, la remise des titres ou encore la gestion par un tiers, etc. Les golden shares comme les fiducies sont des outils assez souples susceptibles de multiples aménagements contractuels sur lesquels il n’y a néanmoins aucun recul jurisprudentiel. On peut même les combiner puisqu’il est possible de mettre une golden share dans une fiducie ou de cumuler une golden share sur certains droits et une fiducie sur d’autres, dans le cadre d’une même restructuration. Néanmoins, l’efficacité réside souvent dans la simplicité du mécanisme choisi. Pour conclure, il nous semble que ces outils sont donc une alternative à une prise de contrôle immédiate, mais leur objet reste bien de la permettre sans aléa à la prochaine difficulté prédéfinie rencontrée...
3 questions à… Jean-Pierre Farges et Laurent Mabilat, avocats associés, Ashurst
Quelles sont les problématiques actuelles du marché ?
Les douze prochains mois seront encore occupés par des restructurations. Nous en avons actuellement beaucoup en cours et nous voyons arriver de nouveaux dossiers. A ceux-ci s’ajoutent les situations déjà traitées en 2009, mais de façon insuffisante. Les restructurations actuelles diffèrent fondamentalement de celles qui ont été réalisées en 2008-2009. A l’époque certains laissaient en place des zombies deal en espérant un redémarrage économique rapide. Aujourd’hui, les mesures mises en oeuvre sont plus radicales car l’environnement économique s’est durci. Certaines sociétés voient leur modèle économique totalement remis en cause.
Quelles sont les particularités de votre équipe dédiée à ces dossiers?
Ashurst dispose d’un avantage clé pour gérer ce type de dossiers. Nous sommes l’un des seuls cabinets de la place à couvrir l’ensemble des compétences spécifiques avec des équipes de premier plan pour traiter des difficultés des entreprises (restructurations, financements, corporate, fiscalité, social et contentieux y attachés). L’équipe restructuring pluridisciplinaire du bureau de Paris est composée d’une quinzaine d’avocats dédiés. Notre spécialisation historique sur le segment du LBO associée à nos compétences spécifiques, à notre présence internationale et notre expérience du conseil pour tous types d’acteurs de ce marché particulier, nous donnent une vision globale unique du marché.
Comment accompagnez-vous vos clients?
Nous offrons systématiquement à nos clients une approche stratégique basée sur une forte expérience et une réelle spécialisation. Nous sommes en mesure de délivrer un service à la pointe des dernières évolutions du marché et ce, que la restructuration soit amiable ou en procédure collective. Nous avons ainsi l’expérience des ouvertures de procédures amiables transfrontalières, de la gestion de procédures simultanées amiables ou collectives dans différents pays voire sur différents continents. Nous avons été pionniers dans les déplacements de COMI, la mise en place de golden shares - fiducies, de DIP financing ou encore sur les lender-led. Nous sommes convaincus que notre organisation interne qui incite à faire intervenir chacun des associés les plus compétents dans son domaine pour travailler ensemble au traitement des difficultés rencontrées nous permet d’assurer le meilleur niveau de service à nos clients.