Transmission d'entreprise

Entreprises : le Pacte du gouvernement français

Publié le 15 octobre 2018 à 15h10    Mis à jour le 29 juin 2021 à 10h30

Chloé Enkaoua

Présenté en Conseil des ministres le 18 juin et actuellement discuté au Parlement, le projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises, dit loi Pacte, ambitionne de faire bouger les lignes en France pour plus de compétitivité. Retour sur le contexte et les grandes lignes d’un plan d’action aussi salué que décrié.

Des origines du projet de loi Pacte

«Il y a 12 000 entreprises de taille intermédiaire en Allemagne… contre 4 600 en France ! Nous partons donc affaiblis par rapport à nos partenaires et concurrents allemands.» C’est le constat sans appel fait par Bruno Le Maire à Colmar en février dernier pour justifier la mise en place de son plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises (Pacte) sur le territoire français, initié en octobre 2017, qui ambitionne de donner aux ETI et PME tricolores les moyens nécessaires pour se transformer, innover et générer des emplois. «Notre première volonté est de lever les obstacles à la croissance des entreprises à toutes les étapes de leur développement, de leur création à leur transmission, en passant par leur financement. Il faut également remettre les entreprises au centre de la société, notamment en associant les salariés aux résultats et en modifiant le Code civil», a en outre expliqué le ministre de l’Economie et des Finances.

Afin de mettre sur pieds son projet de loi, c’est la méthode de la co-construction qui a été choisie. A la suite d’une première phase de consultation qui s’est déroulée du 23 octobre au 10 décembre 2017, six groupes de travail incluant chacun un député et un chef d’entreprise ont ainsi restitué leurs travaux avant une consultation publique qui s’est tenue du 15 janvier au 5 février dernier. En a résulté un document hétéroclite et très dense – près de 1 000 pages –, qui comporte aujourd’hui pas moins de 73 articles.

Au total, le texte qui devait initialement être présenté en Conseil des ministres le 18 avril dernier aura été décalé pas moins de six fois. La faute à l’absence de mesure phare ? Simple priorisation des réformes ? Il a en tout cas fini par être présenté par Bruno Le Maire en Conseil des ministres le 18 juin dernier, et a été adopté en Commission spéciale à l’Assemblée nationale où il était examiné depuis le 5 septembre dernier. S’il se pose en facilitateur de la vie des entreprises à chaque étape de leur développement, le projet de loi peine, dans les faits, à trouver une cohérence tant il brasse de sujets divers et variés. Un seul et même objectif, cependant : celui de la croissance des entreprises afin que la France redevienne économiquement compétitive. Dans le détail, le projet est divisé en quatre chapitres distincts exposant des mesures pour assouplir et simplifier l’activité des entrepreneurs, pour stimuler le financement des entreprises en fonds propres et renforcer la protection de leur innovation, pour les inciter à mieux partager la valeur créée et à repenser leur place dans la société, et enfin pour adapter certaines dispositions du droit national au droit de l’Union européenne.

Simplifier, innover, inciter, adapter

Parmi les principales mesures destinées à encourager la création et la croissance des ETI, on retrouve notamment la création d’un guichet unique électronique pour l’accomplissement des formalités liées à la création et à la vie des entreprises (article 1), l’article 2 relatif au regroupement des registres des entreprises via un registre général dématérialisé qui centralisera à l’horizon 2021 toutes les informations, l’article 4 proposant la suppression de l’obligation de stage de préparation à l’installation (SPI), actuellement d’un montant de 250 euros, afin de réduire les coûts et les délais de création de PME artisanales, ou encore l’article 12 relatif à la suppression de l’obligation d’un compte bancaire dédié pour les micro-entrepreneurs dégageant un chiffre d’affaires annuel inférieur à 5 000 euros, et ce en vue de simplifier le lancement d’une activité. Afin de faciliter également le rebond des entrepreneurs et de leur offrir une seconde chance, l’article 15 propose notamment une simplification des procédures de liquidation judiciaire avec des délais raccourcis de 6 à 9 mois maximum pour les entreprises n’ayant pas plus d’un salarié et réalisant un chiffre d’affaires de moins de 300 000 euros, et de 12 à 15 mois maximum pour les entreprises réalisant un chiffre d’affaires de moins de 750 000 euros. Objectif : encourager la naissance de nouvelles PME et ETI françaises, qui sont actuellement la principale source d’emplois dans l’Hexagone avec respectivement 100 000 et 300 000 emplois nets créés.

Le reste du projet de loi Pacte regorge de mesures diverses dont certaines ont été plus particulièrement discutées depuis l’annonce du projet. Parmi elles, les mesures 44 à 52 relatives au transfert et à la composition du capital des trois sociétés emblématiques Aéroports de Paris (ADP), Engie (ex-GDF) et la Française des jeux. Concrètement, la loi Pacte prévoit de supprimer les contraintes légales empêchant l’Etat de céder ses parts dans ces entreprises, faisant ainsi un pas supplémentaire vers la privatisation. Les investissements étrangers en France s’apprêtent par ailleurs à être bouleversés via le renforcement de leur régime de contrôle (articles 55 et 56). Le décret Montebourg mis en place en 2014, qui soumet actuellement les investissements étrangers dans les entreprises françaises appartenant aux secteurs de l’énergie, du transport, de la santé, de l’eau et des télécoms à une autorisation préalable obligatoire du gouvernement, se verrait ainsi consolidé, le projet de loi Pacte prévoyant en effet d’élargir ces domaines à l’intelligence artificielle, aux drones, à l’industrie spatiale, à la cybersécurité, à la robotique et au stockage de données de masse. Une manière de sécuriser les secteurs stratégiques et innovants français.

Autre mesure particulièrement médiatisée et plutôt clivante, celle relative à l’objet social des entreprises (article 61). En effet, le projet de loi propose d’amender l’article 1833 du Code civil disposant que «toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés», en y ajoutant l’intérêt des actionnaires, des salariés et de l’environnement. Cette réforme se place ainsi dans le prolongement direct des recommandations du rapport Notat-Sénard, qui avait été remis au gouvernement le 9 mars dernier, et contribue à nourrir les discussions brûlantes sur la RSE.

Un projet de loi controversé

Dans les faits, cette modification du Code civil proposée par le projet de loi Pacte a du mal à passer auprès de certaines associations d’entrepreneurs qui pointent du doigt une disposition susceptible de générer de l’instabilité sur le plan juridique, notamment au regard des disparités financières et opérationnelles entre les différentes sociétés.

Pour le reste, d’aucuns pointent également du doigt un projet de loi un peu «fourre-tout» qui mêle entre deux dispositions «concrètes» une ribambelle d’autres propositions hétéroclites et à moindre intérêt telles que la réduction de la durée des soldes, ou encore l’expérimentation de véhicules autonomes.

Des interrogations subsistent également, notamment celles de la Compagnie nationale des conseils en propriété industrielle (CNCPI) et de l’association des conseils en propriété industrielle (ACPI) qui, si elles saluent un texte ambitieux et des «mesures efficaces de propriété intellectuelle pour soutenir la dynamique d’innovation et amplifier la croissance des entreprises françaises», se questionnent néanmoins sur l’efficacité de certaines dispositions destinées aux PME pour protéger, défendre et valoriser leurs créations, à l’instar du «certificat d’utilité français» envisagé dans le projet de texte. «Il pourrait s’aligner davantage sur les législations étrangères qui ont déjà fait leurs preuves, par exemple en Allemagne et en Chine, en particulier sur leur champ d’application, leur système judiciaire et la possibilité d’un dépôt conjoint d’une demande de modèle d’utilité et d’une demande de brevet sur une même invention, avec des mécanismes sophistiqués d’articulation», soulignent-elles dans un communiqué de presse en date du 5 juillet dernier.

En tout, ce ne sont pas moins de 2 132 amendements qui ont été déposés à l’Assemblée nationale, où le projet de loi Pacte vient d’être examiné en commission spéciale. De quoi susciter des débats houleux dans l’hémicycle. Prochaine étape : le Sénat pour ce projet de loi que Bruno Le Maire continue de défendre bec et ongles. Selon une évaluation du Trésor citée par le ministre, les articles du Pacte relatifs à la hausse des seuils sociaux (article 6), à la suppression du forfait social sur l’intéressement pour les entreprises de moins de 250 salariés et sur la participation dans les entreprises de moins de 50 salariés (article 57) et à l’introduction du mécanisme de cross-class cram-down dans la législation française (article 64), dont les conséquences ont été évaluées ex ante, pourraient en effet à elles seules rehausser l’activité de près de 1 point de PIB à long terme, et de 0,3 point dès 2025.

Le texte ne devrait en tout état de cause entrer en vigueur que début 2019, compte tenu du calendrier parlementaire qui devrait prioriser dans les prochaines semaines l’examen du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale.

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