Expertise

Extension des mécanismes d’incentive de type LBO dans les groupes industriels

Publié le 29 mai 2013 à 15h09    Mis à jour le 29 juin 2021 à 9h56

Carole Degonse et Diana Hund

Par Carole Degonse, associée et Diana Hund, collaboratrice, Curtis, Mallet-Prevost, Colt & Mosle LLP

A côté des mécanismes d’épargne salariale classiques existants depuis des décennies dans les groupes industriels (plans d’attributions gratuites d’actions, bonus, plan d’épargne entreprises, etc.) des mécanismes d’incentive calqués sur les management packages des opérations de LBO et liés à la performance ont fait leur apparition depuis quelques années dans certains groupes industriels, qui n’ont pourtant pas intrinsèquement vocation à mettre en place ce type d’outils. Néanmoins, malgré certaines contraintes juridiques et fiscales, ces mécanismes peuvent s’avérer attrayants tant pour les industriels eux-mêmes que pour les bénéficiaires des plans.

Lors de l’acquisition d’une société sous LBO, un industriel pourra facilement convaincre l’actionnaire majoritaire cédant en proposant un prix significativement supérieur à celui proposé par des fonds de private equity afin de remporter la vente. Néanmoins, certaines opérations ont montré que le prix n’était pas le seul critère décisif pour réaliser l’acquisition.

Dans les sociétés sous LBO, les cadres dirigeants jouent un rôle considérable dans le processus de vente et, alors que l’actionnaire majoritaire poursuit un but strictement financier en termes de gains réalisés en sortie, le management doit également se projeter dans la nouvelle transaction et sur son avenir dans la configuration sociétale post-acquisition. Les industriels peuvent alors se trouver confrontés à deux catégories d’équipes dirigeantes : celles, d’une part, qui vont privilégier la voie du private equity et la mise en place d’un management package ; et celles, d’autre part, pour lesquelles la perspective de rejoindre un groupe industriel s’avère la plus opportune sur le plan opérationnel, mais qui sont toutefois désireuses de bénéficier d’un mécanisme d’incentive. L’octroi d’un welcome bonus, les augmentations des salaires et la mise en place de mécanismes d’épargne salariale sont des dispositifs certes attractifs, mais qui peuvent cependant s’avérer moins performants qu’un management package pouvant offrir un retour sur investissement significativement supérieur à toute épargne salariale, même si l’investissement requis reste à risque.

Dans ce contexte et afin de convaincre des dirigeants clés, certains industriels proposent de mettre en place un mécanisme d’incentive de type LBO. Ce type de processus n’est certes pas une pratique courante mais peut être utilisée dans des cas spécifiques, non seulement dans le cadre d’un processus de vente, mais également en cours de vie sociale, afin de motiver et fidéliser des cadres dirigeants et les lier à la performance du groupe.

Un management package dans un groupe industriel fait ressortir des particularités du fait que certaines composantes essentielles du LBO (rendement, sortie, structuration) ne s’y trouvent pas. Trois principales singularités sont à traiter dans un tel schéma : les critères de performance, la structuration du package au sein du groupe et la liquidité.

La performance financière ne pourra pas être appréciée de la même manière que dans un LBO où le management associe sa performance à celle du retour de l’investisseur financier. Le rendement du capital ne pourra pas constituer un critère de performance. Aussi, les critères attachés aux instruments émis en faveur des cadres seront-ils le plus souvent comptables (valeur de l’actif net, résultat opérationnel, génération de trésorerie ou volume d’affaires généré).

Par ailleurs, la structuration d’un mécanisme d’incentive au sein d’un groupe industriel devra tenir compte (i) de l’existence de plusieurs catégories de cadres qui évoluent dans des sociétés/divisions différentes du groupe, (ii) de la mise en place d’un régime d’intégration fiscale qui pourrait être remise en cause en cas de détention capitalistique par les cadres bénéficiaires supérieure à 5% et (iii) des contraintes réglementaires inhérentes à tout groupe coté. En outre, des aspects d’ordre patrimonial seront également à considérer dans des groupes familiaux souhaitant mettre en place un tel schéma.

Enfin, si la liquidité à terme ne pose pas de difficulté dans les opérations de LBO dans lesquelles une sortie permettra d’assurer une liquidité « naturelle », la situation est toute autre lorsqu’un incentive est mis en place au sein d’un groupe industriel. Un cas de sortie quel qu’il soit n’étant pas un objectif inhérent aux groupes industriels, la liquidité devra être organisée selon des termes et conditions préalablement fixés, soit via le rachat par l’une des entités du groupe ou ses actionnaires principaux des instruments détenus par les bénéficiaires du plan d’incentive, soit, lorsque la société tête de groupe est cotée, en permettant aux bénéficiaires du plan d’incentive de détenir des instruments leur donnant accès à terme au capital de l’entité cotée, la liquidité se faisant alors par le marché. Quelle que soit la structure de l’incentive mise en place, celle-ci devra être validée par les commissaires aux comptes, notamment au regard de l’application des normes IFRS.

La mise en place de plans d’incentive de type LBO peut présenter une alternative intéressante à l’octroi de bonus, particulièrement coûteux tant pour la société que pour les cadres du fait du niveau des charges sociales. Tout risque de requalification ne peut être exclu (comme cela est le cas dans les opérations de LBO). Mais les perspectives de gain peuvent s’avérer plus importantes et l’annonce récente du nouveau régime des plus-values, s’il est adopté, pourrait encourager l’extension de la mise en place de management packages au sein des groupes qui ne sont pas sous LBO. L’incentive s’inscrivant davantage dans la durée que dans une opération de LBO, le nouveau régime des plus-values (renforcement des abattements pour durée de détention) pourra s’avérer favorable aux cadres et ce d’autant plus, que le régime du PEA que l’on pensait menacé pourrait finalement être préservé.

3 questions à... Carole Degonse et Henri Pieyre de Mandiargues, associés

Comment voyez-vous évoluer les management packages dans les opérations de LBO ?

Carole Degonse : Les managers favorisent une relation équilibrée avec les fonds d’investissement, moins axée sur la recherche d’une performance financière absolue, qui mette en avant le projet industriel commun, les moyens humains et matériels pour y parvenir et une répartition des pouvoirs bien balancée.

Crise oblige, nous remarquons que les management package se structurent avec une prudence accrue, tant dans la préparation des business plans par l’équipe de management, dans les structures de financement et d’investissement utilisées que dans les demandes de partage de valeur (notamment dans les conditions et seuils de déclenchement du partage). Nous notons une volonté des équipes de choisir et sélectionner avec plus d’attention qu’avant des partenaires long terme et responsables capables de mobiliser le financement nécessaire à la réalisation du business plan.  La phase d’approche et de discussion du projet d’entreprise entre l’équipe de management et les fonds d’investissement est de manière générale beaucoup plus approfondie.

Quelles sont les particularités de votre équipe dédiée à ces dossiers ?

Carole Degonse : Notre équipe compte maintenant plus de dix avocats, tous sensibilisés aux problématiques fiscales, comptables, financières, sociales au-delà de leur compétence juridique. Certains d’entre eux ont eu des expériences professionnelles précédentes, dans lesquelles ils conseillaient des fonds d’investissement. D’autres ont une compétence plus marquée sur le financement d’acquisition. D’autres enfin, compte tenu de l’angle très international et intégré du cabinet Curtis, ont travaillé sur des opérations de management package ou de fusions-acquisitions aux USA ou dans d’autres pays de l’UE. Tous apportent leur expérience au service d’une vision différente et très «transactionnelle» de la pratique du management package, dans laquelle l’équipe de management est l’acteur central d’une opération d’acquisition d’un type particulier. Enfin, notre compétence en private equity dans de nombreux bureaux du Cabinet (UK, Allemagne, Italie, USA…) nous permet de mettre à disposition de nos clients impliqués dans des opérations de LBO multi-juridictions les meilleurs spécialistes.

Comment accompagnez-vous vos clients dans le contexte actuel ?

Carole Degonse : Plus que jamais, préparer une opération le plus en amont possible est essentiel et tous les acteurs du domaine du private equity reconnaissent le caractère indispensable du conseil des équipes de management, tant pour fluidifier le processus que pour éduquer les équipes de management à l’environnement du LBO. Nous travaillons à transformer un manager salarié en entrepreneur et co-actionnaire de son groupe, à prendre un risque patrimonial personnel. Actuellement, beaucoup de managers doutent qu’un LBO soit une solution appropriée pour leur groupe ou même à titre personnel, car ces opérations ont plutôt mauvaise presse. Nous aidons donc les dirigeants à considérer l’extraordinaire opportunité que peut représenter un projet de ce type, sur le plan entrepreneurial, industriel, humain, sans oublier le plan patrimonial. Dans le cadre de nos négociations,  nous mettons d’ailleurs plus qu’avant l’accent sur le respect du projet d’entreprise et les conditions du «vivre ensemble» avec le fonds que sur les conditions financières de la participation du management à la création de valeur.   

Nous portons une attention toute particulière aux aspects de négociation du financement et de la fiscalité personnelle des dirigeants, alors que la donne fiscale changeant, le levier fiscal des opérations de LBO devrait tendre à diminuer.

Nous sommes actifs dans plusieurs projets dans lesquels des investisseurs industriels concurrencent les fonds d’investissement et avons beaucoup réfléchi avec les équipes de management à la réplication de modèles issus du LBO auprès d’acheteurs stratégiques avec beaucoup de succès.

Dans la même rubrique

Etat des lieux des transmissions familiales

Le cabinet Racine a soufflé ses 40 bougies l’année dernière et compte aujourd’hui 250 avocats...

Les mécanismes de transmission d’entreprises aux salariés

Qu’il en soit le fondateur ou non, un chef d’entreprise désireux de transmettre celle-ci a souvent à...

Voir plus

Chargement en cours...

Chargement…