Presque deux ans après l’entrée en vigueur de la loi Sapin 2, une question demeure : comment les entreprises vont initier la coopération avec les Autorités sur des faits qui pourraient être constitutifs de manquements graves à la probité tels que la corruption, le trafic d’influence, le blanchiment de fraude fiscale ?
Cette question semble primordiale autant pour les Autorités que pour les entreprises. Les Autorités bénéficieraient d’un canal additionnel de découverte de faits délictueux, en plus des dénonciations d’agents de l’AFA, suite à un contrôle, en application de l’article 40 du Code de procédure pénale ou des alertes des whistleblowers. Quant aux entreprises, elles pourraient se placer dans une situation plus équilibrée et plus maîtrisée pour négocier avec l’autorité judiciaire ou administrative. Ce serait également la possibilité de s’assurer du respect de ses droits et obligations et de mieux maîtriser ses coûts, ses engagements, son calendrier et sa communication.
Il apparaît crucial, pour inciter à la coopération pleine et prompte des entreprises, de mettre en place des règles claires et prévisibles, qui permettraient d’approcher les termes d’un règlement.
A première vue, la révélation spontanée des faits présenterait l’avantage d’ouvrir la voie d’un règlement de la situation au moyen d’une CJIP. Un tel règlement peut présenter un intérêt pour l’entreprise, pour plusieurs raisons. D’une part, ce règlement permet à l’entreprise une certaine maîtrise du quantum, dans la mesure où le montant ne pourrait être supérieur au maximum de l’amende d’intérêt public pouvant être imposée dans une CJIP (30 % du chiffre d’affaires annuel moyen des trois derniers exercices connus de l’entreprise). D’autre part, il évite la condamnation pénale et l’exclusion corrélative des marchés publics (français ou étrangers) car il «n’emporte pas déclaration de culpabilité et n’a ni la nature ni les effets d’un jugement de condamnation» (CPP, art. 41-1-2, II, al. 4) et n’est pas soumis à la condition d’une reconnaissance de culpabilité, au moins lorsqu’il est mis en œuvre avant l’ouverture d’une information judiciaire (CPP, art. 41-1-2).
Pour autant, la CJIP n’étant pas de droit, ces garanties sont insuffisantes dans la mesure où la loi Sapin 2 n’offre aux entreprises aucune certitude que la révélation spontanée des faits en permettra la conclusion. La circulaire du ministère de la Justice du 31 janvier 2018 rappelle à cet effet que la possibilité de mettre en œuvre cette procédure «pourra s’apprécier en fonction de plusieurs critères», notamment le «caractère volontaire de la révélation des faits» et «le degré de coopération avec l’autorité judiciaire dont la personne morale fait preuve». Il ne s’agit donc que de simples indicatifs et nullement de garanties.
A cet égard, il convient de rappeler que la loi Sapin 2 n’apporte pas de réponse à la situation des personnes physiques, dans le cadre d’une approche négociée. Dès lors, il est délicat pour les organes sociaux de l’entreprise qui s’interrogent sur la nécessité de dénoncer spontanément des faits, de documenter l’intérêt social à le faire. En somme, l’absence de référentiel, même indicatif, permettant aux entreprises d’estimer le bénéfice qu’elles sont susceptibles de retirer d’une révélation spontanée de faits délictueux ne plaide pas en faveur du système établi par la loi Sapin 2, qui à ce jour contient peu de dispositif encourageant effectivement la coopération avec l’autorité de poursuite qui reposerait sur la certitude, ou même la présomption, d’une récompense de cette coopération.
Ces règles incitatives existent pourtant déjà en France en matière de droit de la concurrence, ainsi qu’outre-Manche et outre-Atlantique s’agissant de la lutte contre la corruption.
En matière de droit de la concurrence, le dispositif d’incitation à l’autodénonciation, s’agissant des ententes anti-concurrentielles, existe depuis 2001. Ce mécanisme est prévu à l’article L. 464-2-IV du Code de commerce qui dispose qu’une «exonération totale ou partielle des sanctions pécuniaires peut être accordée à une entreprise ou à un organisme qui a, avec d’autres, mis en œuvre une pratique prohibée par les dispositions de l’article L. 420-1 s’il a contribué à établir la réalité de la pratique prohibée et à identifier ses auteurs, en apportant des éléments d’information dont l’Autorité ou l’administration ne disposaient pas antérieurement […]».
Force est de constater que la clarté et la prévisibilité des avantages ou inconvénients pour les entreprises concernées d’informer les autorités, ont contribué à la révélation de nombreux accords délictueux au regard du droit de la concurrence. L’Autorité de la concurrence a su établir des règles permettant à une entreprise volontaire au programme de clémence d’évaluer à l’avance quel bénéfice elle peut attendre de sa coopération.
Qu’en est-il des systèmes étrangers ? Le système britannique permet aux compagnies qui envisagent de coopérer avec le Serious Fraud Office suite à des infractions au United Kingdom Bribery Act (UKBA) d’évaluer quels avantages elles tireraient de cette coopération, au visa notamment du Deferred Prosecution Agreements Code of Practice ou encore les recommandations de sanctions édictées dans les Sentencing Guidelines (Fraud, Bribery and Money Laundering Offences Definitive Guideline). Ces textes ont été publiés en 2014.
Aux Etats-Unis, s’agissant des infractions au Foreign Conduct Pratices Act (FCPA), le Department of Justice (DoJ) a établi une politique pénale, inaugurée en 2016 et mise à jour en 2017 consistant à faire bénéficier les entreprises, en l’absence de circonstances aggravantes (telles que l’implication des dirigeants dans la commission des faits, la perception de profits significatifs liés à l’infraction, l’omniprésence d’une culture de non-conformité au sein de l’entreprise ou la récidive), d’une présomption de non-poursuite dès lors qu’elles ont révélé les faits délictueux, coopéré pleinement avec l’autorité de poursuite et pris en temps utile les mesures nécessaires pour faire cesser et prévenir le renouvellement de ces infractions.
A noter qu’aux Etats-Unis, la présence de circonstances aggravantes ne constitue pas un obstacle au recours à la justice négociée car l’entreprise qui s’autodénonce pourra tout de même bénéficier d’une réduction de 50 % de la tranche inférieure du barème d’amende des United States Sentencing Guidelines – sauf en cas de récidive – et l’entreprise évitera d’être mise sous monitorship si, au moment de la résolution, elle a mis en place un programme de conformité effectif.
De nombreuses voix s’élèvent, à l’instar de celle de Charles Duchaine, l’actuel directeur de l’Agence française anti-corruption, qui a récemment indiqué que : «Le système doit être prévisible, lisible, les parquets doivent pouvoir, sans complaisance aucune, garantir aux entreprises qui s’autodénonceraient qu’elles y trouveront une contrepartie, un avantage. La vertu, même tardive des acteurs économiques doit être récompensée […]». En effet, le statu quo actuel qui ne garantit ni immunité, à l’exemple du droit de la concurrence en France et en Europe, ni présomption de non-poursuite, à l’exemple du droit américain s’agissant des infractions tombant sous le champ d’application du FCPA.
Les autorités gagneraient à apporter à l’édifice Sapin 2 un tel complément qui conduirait les entreprises à réorienter leurs réflexes lorsqu’elles sont confrontées à ces situations et à s’engager résolument et très vite dans une démarche de transparence et de remédiation.
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