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Investigations internes – Garanties déontologiques et enjeux du secret professionnel des avocats

Publié le 12 avril 2019 à 11h31

Les entreprises françaises de plus en plus confrontées à la nécessité de mener l’enquête

Conformité, vigilance, éthique des affaires : ces notions ont pris ces dernières années une ampleur sans précédent dans les réflexions stratégiques des sociétés françaises. Plus que jamais, les entreprises doivent être en mesure de démontrer à tout moment leur intégrité et conformité afin d’éviter de s’exposer à des sanctions et des risques réputationnels aux enjeux financiers parfois considérables. Aux obligations, notamment en matière de droit de la concurrence, droit financier et droit de la consommation, se sont ajoutées celles, renforcées, de conformité et de lutte contre la corruption. Les sociétés ne doivent pas seulement se doter des moyens nécessaires pour prévenir les violations des dispositions réglementaires, en cas d’alertes ou de soupçons de dysfonctionnements, elles doivent en rechercher les causes et mettre en place les mesures nécessaires afin d’y remédier, notamment, par des enquêtes internes visant à recueillir des informations qu’il conviendra d’analyser sur le plan juridique.

Rien d’étonnant donc que la pratique des investigations internes, déjà bien développée dans les pays anglo-saxons («forensic investigation») et en Allemagne, tende à s’ancrer dans l’hexagone.

Pourquoi des avocats ?

Les entreprises ont souvent recours à l’assistance des avocats, soumis en toutes circonstances à des règles déontologiques strictes, garantissant ainsi l’exécution de ces enquêtes en toute indépendance et dans le respect des principes essentiels d’intégrité de la profession. La protection des échanges entre l’avocat et son client par le secret professionnel est alors un enjeu majeur. Les incertitudes dont témoignent les confrères britanniques et allemands traduisent l’importance de la reconnaissance par les juridictions des spécificités de ces pratiques.

Dans un contexte international, avec l’implication de juristes internes étrangers, la protection du secret des correspondances doit être examinée au cas par cas. Etant rappelé que même s’ils bénéficient localement de la protection du legal privilege, les juristes internes étrangers ne bénéficient pas en France de la protection du secret des correspondances entre avocats ou entre un avocat et son client, comme l’a précisé la Cour de cassation dans sa décision du 3 novembre 2016.

Enfin, avant même de démarrer l’enquête, des questions juridiques parfois complexes et souvent transversales, se posent, que ce soit en droit social, en matière de protection des données personnelles, de gouvernance ou de réglementation sectorielle.

Des règles déontologiques précisées

Saisi d’une demande d’avis déontologique relative à une enquête réalisée par un cabinet d’avocats au sein d’une entreprise l’ayant mandaté à l’effet de «faire ressortir des éléments permettant de corroborer ou non l’existence d’actes constitutifs de harcèlement moral», l’Ordre des avocats de Paris a présenté son rapport en 2016.

Les règles intégrées en annexe XXIV du règlement intérieur du barreau de Paris, intitulée : «Vade-mecum de l’avocat chargé d’une enquête interne», votées en septembre 2016, confirment que l’enquête interne entre bien dans le champ professionnel de l’avocat, qu’elle s’inscrive dans le cadre de l’activité d’expertise ou dans celle de conseil et d’assistance.

Comme l’indique le rapport précité, les avocats français doivent être en mesure de réaliser des enquêtes internes car il serait anormal que les entreprises françaises soient contraintes de recourir à des avocats étrangers. D’autant plus que la déontologie des avocats n’est pas un obstacle à la réalisation de ces enquêtes mais est au contraire garante de leur exécution en toute indépendance.

De manière générale, il incombe à l’avocat chargé d’une enquête interne – outre le respect des principes essentiels de la profession d’avocat – d’expliquer à tout tiers, avec lequel il pourrait entrer en contact en vue de l’accomplissement de l’enquête, la mission dont il est saisi et le caractère non coercitif de celle-ci. Il lui faut également préciser à ces tiers que leurs échanges ne sont pas couverts par le secret professionnel et que leurs propos pourront être, en tout ou partie, retranscrits dans son rapport.

L’avocat conseil ou expert ?

Deux hypothèses sont à distinguer :

– soit l’avocat est chargé d’accomplir, pour la société qui le mandate, une mission générale de conseil et d’assistance dans laquelle s’inscrira éventuellement une enquête interne. Dans cette hypothèse, à la différence du cas de l’avocat chargé d’une activité d’expertise, le secret professionnel pourra s’appliquer aux échanges et correspondances entre l’avocat et son client ;

– soit l’avocat intervient strictement en qualité d’expert et dans ce cas son enquête et tout contenu qui matérialiserait les résultats d’une telle enquête ne seront pas couverts par le secret professionnel.

Quel que soit le cas de figure, l’avocat devra expliquer aux personnes auditionnées pour les besoins de l’enquête interne, que leurs déclarations ne sont pas couvertes par le secret professionnel. Bien entendu, l’avocat ne peut assister son client à l’issue de sa mission dans le cadre des procédures qui seraient dirigées contre des personnes qu’il a auditionnées dans le cadre de l’enquête interne.

Des outils facilitateurs

Les nouveaux outils d’intelligence artificielle et d’analyse des données permettent de traiter des quantités considérables de documents. Mais si ces outils peuvent faciliter le travail en amont, ils ont leurs limites et l’avocat enquêteur conserve un rôle essentiel pour mener à bien sa mission en vue de recueillir et sélectionner les informations, auditionner les personnes et réaliser les analyses juridiques. Les nouvelles technologies soulèvent toutefois d’autres questionnements quant à leur efficacité de protection du secret professionnel et de la confidentialité des échanges avec les avocats, autant de sujets dont il conviendra de tenir compte à l’avenir.

Omar Qureshi, Partner CMS Cameron McKenna Nabarro Olswang, Head of Corporate Crime

«En droit anglais, le concept du secret professionnel est extrêmement fort car il y a une forte divulgation dans les litiges judiciaires et le secret permet d’offrir une protection contre la communication de certains types de documents. Toutefois, au cours des 20 dernières années, la protection offerte par les avocats et le secret professionnel dans le cadre d’un litige a été menacée en raison d’un certain nombre d’affaires qui ont réduit la portée et la nature de cette protection. Dans le contexte des enquêtes, il n’est pas possible de revendiquer la protection du secret professionnel à moins que l’enquête n’ait été menée par des avocats ou sous leur direction. Même lorsque les avocats mènent l’enquête, la protection du secret professionnel concernant le produit du travail de l’enquête - par exemple, les notes des entrevues avec les témoins ou même les rapports de conclusions factuelles - a été contestée ces dernières années dans un certain nombre de cas, avec des résultats mitigés et parfois contradictoires. La position demeure quelque peu incertaine en attendant que la Cour suprême du Royaume-Uni ait eu l’occasion de prendre position.»

Dr. Joachim Kaetzler, partner, CMS Hasche Sigle, global cohead of banking & finance group

«En Allemagne, plusieurs décisions limitant le champ du secret professionnel de l’avocat quant aux preuves et déclarations obtenues pendant l’enquête interne ont créé un environnement incertain.

A la suite de pressions continues en faveur de la reconnaissance de la responsabilité pénale des entreprises en Allemagne, un projet de réforme de la responsabilité des entreprises en cas d’infractions de leurs employés et dirigeants est attendu dans les prochains mois. Le projet devrait prévoir plusieurs règles sur le devoir des sociétés de mener leurs propres enquêtes internes et sur la protection par le secret professionnel des preuves obtenues au cours de l’enquête.»

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