Rencontre d'experts

Investissements santé : Une attractivité décuplée par la pandémie

Publié le 30 novembre 2020 à 18h28

Propos recueillis par Emmanuelle Serrano, Ekaterina Dvinina et Gilles Lambert

Remise en haut de la liste des priorités par les pouvoirs publics en raison de la crise de la Covid-19, la filière santé continue de drainer les investissements des fonds, toutes catégories confondues, ainsi que des industriels sur un échiquier mondialisé où la création de valeur peut découler de l’innovation technologique, législative et réglementaire.

Des fonds très actifs sur tous les segments

Cédric Moreau, partner, Sofinnova Partners (équipe Crossover) : En préambule, quelques mots sur Sofinnova Partners. Sofinnova Partners est un fonds de venture capital centré sur la santé et le développement durable depuis près de 50 ans, avec une quarantaine de collaborateurs à Paris, Londres, et Milan. Nous avons été pionniers du venture capital (VC) en Europe. Nous couvrons aujourd’hui l’ensemble de la chaîne de valeur du financement, de l’amorçage jusqu’à des stades plus matures de développement clinique, voire de commercialisation. Nous avons une stratégie diversifiée avec cinq thématiques de fonds, chacune animée par des équipes d’investissement dédiées couvrant le spectre de la santé, plus particulièrement la biopharmacie et l’instrumentation médicale, ainsi que tout ce qui est lié à la durabilité et aux enjeux ESG avec des investissements dans les biotechs industrielles. En ce qui me concerne, je travaille sur le segment capital croissance dans le fonds Crossover de Sofinnova Partners. Ce fonds vise à répondre à un besoin de financement identifié il y a déjà quelques années et qui est destiné à permettre aux sociétés de changer d’échelle, c’est-à-dire, grâce au capital croissance, de passer du niveau «start-up» à celui de «scale-up». Cela signifie que nous investissons dans des sociétés qui n’ont pas encore complété leur développement clinique mais qui sont quand même bien avancées, ce que nous appelons une étude clinique de phase 2 «preuve de concept». L’objectif est alors de les amener jusqu’aux phases ultimes de développement, voire de préparation de commercialisation. Nous avons lancé ce fonds Crossover il y a deux ans et demi pour satisfaire ce besoin qui se situe entre d’un côté l’amorçage, les séries A et B, et de l’autre les fonds de private equity buy-out pour lesquels il y a un besoin de chiffre d’affaires, d’Ebitda et de profitabilité. Nous assurons ce lien. Nous misons avant tout sur des équipes, accompagnons régulièrement des serial entrepreneurs, et sommes centrés sur les innovations de rupture. Nous cherchons des produits, des technologies de nouvelle génération qui répondent à des besoins médicaux importants et non satisfaits. Nous ne sommes pas dans l’amélioration incrémentale, ce qui est vraiment propre aux cinq verticales que je mentionnais concernant notre société, qui a un peu plus de 2 milliards d’actifs sous gestion. Notre mode de gestion est actif puisque, la plupart du temps, dans l’activité Crossover, nous détenons entre 10 et 25 % du capital de la société et intégrons le conseil d’administration. Concernant l’activité récente, elle a été extraordinairement active, contrairement à ce qu’un observateur extérieur pourrait penser de ce marché de la santé. Nous avons fait une trentaine de deals depuis le confinement, avec près de 150 millions d’euros déployés via nos fonds. Le cumul des tours de table auxquels nous avons participé représente une enveloppe globale de près de 800 millions d’euros sur cette période. Parmi les jalons historiques qui ont marqué cette année pour nos fonds, il y a la cession que nous avons opérée de la biotech Corvidia Therapeutics au groupe danois Novo Nordisk pour un montant de plus de deux milliards de dollars, ce qui représente une des plus belles opérations de Sofinnova Partners à ce jour. Cela a été une période ultra-dynamique. C’est un constat que nombre d’entre nous ont dû faire je pense. La santé a repris ses lettres de noblesse car, actuellement, elle est remise tout en haut des priorités. Cela a amené beaucoup de capitaux et beaucoup d’opportunités d’investissement. Aujourd’hui, pour faire simple, le plus gros ennemi de la Covid-19, c’est la biotech qui va produire des vaccins et de nouveaux produits thérapeutiques. Chez Sofinnova Partners, nous avons ainsi conduit de nombreux projets pour lutter contre la pandémie de Covid-19. Nous espérons en récolter les fruits dans quelques mois.

Arnaud Faure, associé, Actomezz, Andera Partners : Andera Partners est une plateforme de capital-investissement qui mobilise 75 professionnels, essentiellement basés à Paris mais nous avons aussi des bureaux à Milan et à Munich. Nous investissons à différents stades de développement de l’entreprise. Nous avons une équipe historique qui opère dans une certaine mesure sur le même segment que Sofinnova dans les sciences de la vie et le venture, par exemple dans le développement de molécules de médicaments en phase 2 mais aussi dans des prototypes de dispositifs médicaux. Nous en sommes à la cinquième génération de fonds représentant 345 millions d’euros et des investissements répartis à 60 % en Europe et à 40 % en dehors de cet espace européen, essentiellement en Amérique du Nord. Après cette phase de venture, d’autres équipes interviennent en capital, que ce soit en majoritaire ou minoritaire, voire à un stade encore plus avancé, via le fonds où je travaille personnellement avec un fonds obligataire qui réalise des opérations sponsorless, quand le management a déjà conclu avec succès une ou plusieurs opérations avec des fonds d’investissement et qu’il souhaite prendre le contrôle de l’entreprise qu’il gère depuis quelques années. Sur ces différents segments du capital-investissement, nous sommes capables d’investir dans des opérations comprises entre 3 et 70 millions d’euros. C’est la raison pour laquelle nous avons différentes équipes, qui, en fonction de la taille de l’opération, vont prendre en charge un segment de marché. Nous gérons 2,5 milliards d’euros d’actifs au total et dans la santé en particulier, notre équipe de venture a fait près d’une centaine d’opérations ces vingt dernières années tandis que les équipes de capital-transmission ont fait une vingtaine d’opérations dans le secteur de la santé, que ce soit avec des groupes de maisons de retraite, des laboratoires de biologie médicale, des entreprises spécialisées dans les prothèses et orthèses ou des façonniers pharmaceutiques. Ce sont les principaux secteurs dans lesquels nous avons investi ces dernières années et dans lesquels nous continuons d’investir.

Antoine Vigneron, partner, 21 Invest : Nous intervenons pour notre part, chez 21 Invest, un peu plus en aval dans le cycle d’investissement, essentiellement en LBO sur le segment du smid (small and medium) cap, ce qui correspond à des PME dont la valeur d’entreprise est comprise entre 30 et 150 millions d’euros. Ce sont donc des entreprises déjà bien positionnées sur leur marché. Via des prises de participation en capital, nous accompagnons celles qui recherchent un partenaire pour engager une nouvelle étape de croissance, en France ou à l’international. Nous gérons ainsi à peu près un milliard et demi d’euros d’actifs en Europe à travers des bureaux en France, en Italie et en Pologne. La santé est un secteur clé de notre stratégie d’investissement, aux côtés de la tech et des services aux entreprises. Actuellement, en France, nous accompagnons trois sociétés dans le secteur de la santé : Landanger (instrumentation chirurgicale) ; ProductLife (réglementaire santé) et Synerlab (façonnage pharmaceutique). Par le passé, nous avons aussi été présents dans les services santé et notamment au capital de cliniques avec le groupe Almaviva Santé (NDLR : cédé en 2013 à GIMV et UI Gestion).

En ce qui nous concerne, le secteur de la santé est actuellement très dynamique. Il l’était déjà avant la pandémie mais cette crise agit comme un accélérateur de tendance qui renforcera encore son attractivité. Cela tient essentiellement à trois raisons. Premièrement, il n’y a jamais eu autant d’argent injecté dans le private equity qu’aujourd’hui. Les investisseurs, dans ce contexte de taux bas, cherchent un rendement attractif sur le long terme, ce qu’offre cette classe d’actifs. Deuxièmement, les fonds d’investissement se concentrent désormais sur les secteurs les plus résilients, bénéficiant de fondamentaux de croissance solides à long terme. L’incertitude économique actuelle les incite à faire preuve de plus de prudence et à se concentrer sur des segments relativement sécurisés et acycliques. Le secteur de la santé est donc porté par cette tendance. Enfin, de gros besoins en capitaux se font sentir dans le secteur de la santé, tirés par certains segments de marchés très fragmentés et sur lesquels une consolidation s’est engagée. Cette tendance s’explique très bien : face au vieillissement de la population, des gains de productivité sont nécessaires pour que les Etats puissent continuer à maîtriser le financement de leur système de santé. Tout cela génère une dynamique forte.

Matthieu de Kalbermatten, président, CellProthera : CellProthera est une biotech qui travaille dans la thérapie cellulaire. Nous avons développé une méthode de production de cellules-souches dérivées du sang périphérique (NDLR : sang qui circule dans le corps, hors de la moelle osseuse où il est fabriqué). C’est une thérapie cellulaire que nous exploitons pour régénérer différents tissus lésés, notamment ceux du muscle cardiaque pour des patients victimes d’un infarctus sévère. Le muscle cardiaque ne se régénère pas tout seul, on va donc l’aider en injectant des cellules-souches non différenciées, qui vont pouvoir régénérer le cœur endommagé. Pour l’instant, notre programme principal est mené au niveau clinique en France et en Angleterre. Ces produits de thérapie cellulaire sont des produits pharmaceutiques considérés comme des médicaments. Cela demande donc beaucoup de travail en termes de contrôle de la qualité et de travail en amont en termes d’essais précliniques en laboratoire ou chez l’animal avant de procéder à des essais cliniques classiques de phases 1, 2 et 3. Nous sommes en phase 2, comme l’évoquait Cédric Moreau tout à l’heure.

En termes de financement, nous avons eu un parcours atypique, dans la mesure où nous avons procédé à plusieurs levées de fonds tout au long de notre existence ces dix dernières années en arrivant à faire venir des groupes d’investisseurs privés.  A chaque jalon que nous avons réussi à franchir, nous avons levé un peu d’argent. Souvent les biotechs arrivent à lever beaucoup d’argent, ce qui leur permet d’avoir une visibilité sur plusieurs années. Nous étions plutôt sur de petites levées de fonds avec une visibilité assez courte. Par conséquent, nous sommes obligés de prouver assez rapidement la valeur de notre projet. L’avantage, c’est que nous avons réussi, à chaque étape, à augmenter notre valorisation, les investisseurs de départ et les fondateurs n’ont donc pas été trop dilués.

Pour nous, l’impact de la Covid est plutôt néfaste car nous sommes en plein essai clinique et nous avons besoin de recruter des patients. Cela se fait dans les centres hospitaliers, dans les CHU qui ont dû se réorganiser pour faire face aux vagues de patients Covid au détriment des activités liées aux essais cliniques. Toutes les équipes de cardiologie qui devraient normalement recruter des patients déprogramment toutes les opérations non vitales, dont les essais cliniques pour consacrer les lits disponibles aux patients Covid. Donc cela nous fait perdre du temps sur notre programme de développement. Or, les frais fixes courent, et l’argent qu’on lève y passe petit à petit. En revanche, cette année, nous avons anticipé ce problème et nous avons fait appel à des aides d’Etat comme les prêts garantis par l’Etat (PGE) et les autres outils mis en place par les pouvoirs publics. Nous disposons donc d’une sorte de bridge qui nous permet de couvrir cette période mais il ne faudrait pas qu’elle dure trop longtemps.

Raphaël Chantelot, associé, LPA-CGR : Pour compléter la présentation sectorielle faite précédemment, je voudrais souligner que nous avons la chance d’opérer dans un milieu extrêmement intéressant et dynamique, où les acteurs sont très bien formés et où les entrepreneurs désireux de créer des sociétés sont nombreux, et cela dans un contexte où la demande est assurée par des tarifs garantis. Les fonds ont des liquidités importantes et les acteurs établis ont le souhait de réaliser des projets stratégiques pour leur développement. C’est un écosystème vertueux qui devrait beaucoup évoluer dans les années qui viennent. La pandémie imprime aussi un effet d’accélération dans un paysage pré-Covid qui était déjà très bien orienté. J’ai noté pour ma part deux points intéressants. D’abord, certains acteurs souhaitent se recentrer sur leur core business par des cessions, ce qui crée des opportunités pour de petits laboratoires plus agiles qui pourront mieux valoriser ces actifs un peu trop compliqués à développer pour de grands groupes. Nous avons ainsi accompagné les laboratoires Delbert, par exemple sur une opération de ce type. De plus, des acteurs étrangers, plus souvent des industriels que des fonds, viennent en France pour y faire des opérations stratégiques. A cette occasion, ils enrichissent le marché de leurs propres pratiques et spécificités. L’an passé, nous avons ainsi accompagné le rachat d’UPSA, cédé par l’Américain Bristol Myers Squibb (BMS) au groupe japonais coté Taisho Pharmaceuticals. Enfin, les entreprises pharmaceutiques françaises acquièrent aussi de la technologie en trouvant des partenaires à l’étranger, par exemple dans l’optique.

Luc Castagnet, associé, Lerins & BCW : Concernant le marché de la santé, on constate une très forte dynamique, que cela soit du côté des fonds ou des opérateurs de santé. Nos équipes interviennent aux côtés d’acteurs de l’hospitalisation privée ou publique, surtout dans les cliniques MCO (médecine, chirurgie, obstétrique), mais également auprès des cabinets de praticiens (laboratoires d’anatomopathologie, de radiothérapie, ophtalmologues, plateaux d’imagerie médicale, etc.) qui ouvrent de plus en plus leur capital à des investisseurs financiers. On observe une vraie dynamique qui ne s’est absolument pas ralentie pendant cette crise de la Covid-19 même si la réalité de terrain peut parfois se compliquer, comme l’a évoqué Matthieu de Kalbermatten avant moi.

Cette dynamique est liée au fait que les entreprises de santé sont très résilientes. Elles réussissent, tous les jours, à transformer cette crise en quelque chose de positif. Les personnels soignants sont remarquables, les managers, que ce soit dans le public ou le privé, sont créatifs et positifs et les financiers le sont tout autant. Nous nous trouvons dans une fantastique énergie que nous aimerions voir se poursuivre. Bien entendu, les grandes manœuvres de recomposition du capital ont lieu dans l’hospitalisation privée. KKR vient de prendre le contrôle d’Elsan, Vivalto Santé est très actif, C2S serait sur le marché, les opérations de concentration ne sont pas près de s’arrêter dans les deux à trois années à venir. De nouveaux développements vont aussi faire leur apparition et je pense notamment à l’entrée d’acteurs privés au capital des sociétés de médecins. C’est quelque chose d’extrêmement novateur qui se fait de plus en plus puisque la législation le permet. Il y a aussi les établissements de santé privés d’intérêt collectif (Espic) qui sont des établissements de droit privé soumis à une tarification publique et qui représentent des parts de marché. A mon avis, ce secteur de l’hospitalisation et des cliniques devrait rester encore très dynamique dans les années à venir.

Mathieu Selva-Roudon, associé, LPA-CGR : Je voulais revenir sur ce point de la résilience du secteur de la santé. Celui-ci bénéficie effectivement d’une progression en volume historique due notamment à la croissance démographique combinée au vieillissement de la population. Mais des facteurs plus récents comme l’intelligence artificielle (IA), la R&D et l’innovation appuient cette dynamique. Chez LPA-CGR avocats, nous avons vu cette année que le confinement n’a pas du tout freiné le calendrier des opérations en cours. Les deals ont avancé à un rythme soutenu. Les fonds de private equity se sont montrés très présents, que l’on parle des fonds spécialisés dans la santé ou même de fonds plus généralistes dont certains consacrent 20 % à 30 % de leurs portefeuilles à la santé au sens large. On a pu constater effectivement une forte appétence pour certains laboratoires pharmaceutiques indépendants, des sociétés de services ou des sociétés plus tournées vers l’innovation. C’est un secteur refuge qui se montre particulièrement résilient dans le contexte actuel.

Fonds versus industriels : une dichotomie qui tend à s’estomper

Anne-Laure Marcerou, associée, Dentons : Concernant les produits de santé (médicaments, dispositifs médicaux, produits de biotechnologie), il y a une vraie concurrence entre industriels et fonds d’investissement au niveau des processus compétitifs notamment pour ce qui est des valorisations. Si un industriel a identifié une cible comme stratégique, il va pouvoir effectivement proposer un prix particulièrement attractif, ce qui peut renforcer la concurrence avec les fonds. Mais on note aussi finalement un mouvement de partenariat entre industriels et fonds, mouvement qui va d’ailleurs en se renforçant. Les industriels se lancent dans le corporate venture et créent leurs propres fonds d’investissement afin de pouvoir prendre pied dans des sociétés innovantes. On observe des schémas plus créatifs avec un investissement conjoint entre industriels et fonds dans une même société. On peut aussi voir des industriels, comme MicroPort, groupe chinois coté à la Bourse de Hong Kong, qui font entrer des fonds en minoritaires dans différentes business units afin de lever des capitaux et de sécuriser un financement complémentaire. Ils conservent le contrôle et continuent à consolider leurs différentes divisions et cela leur permet d’augmenter leurs investissements et leur force de frappe. Ce groupe chinois vient ainsi de faire entrer en minoritaire le fonds d’investissement Hillhouse Capital dans sa division robotique. Plus on avance, plus on voit que cette dichotomie entre fonds et industriels s’estompe, les industriels restant en tout état de cause les partenaires privilégiés pour le développement et pour les sorties.

Olivia Guéguen, associée, Dentons : Je rejoins ce que dit mon associée bien entendu. Au sein de notre cabinet, nous avons une importante équipe Life Sciences et nous intervenons sur de nombreuses transactions tout au long du cycle de la vie des sociétés, aussi bien sur le large venture que sur des opérations de M&A et de LBO sur des cibles matures. Le secteur de la santé était en plein boom avant la crise sanitaire et la pandémie n’a fait que confirmer la résilience de ce secteur. C’est pour ça que je ne qualifierais peut-être pas ce phénomène de bulle. A mon avis, c’est une tendance de long terme portée par de vrais sous-jacents démographiques, le souhait des populations d’investir dans la santé et une innovation toujours croissante. Sur les opérations de large venture type séries B et C, que nous suivons soit côté investisseurs, soit côté sociétés, on observe des investisseurs dont le spectre est de plus en plus large. Au départ, sur le segment des biotechs et medtechs françaises, on voyait beaucoup de fonds français. Mais plus la taille des levées de fonds augmente, plus les investisseurs sont des acteurs étrangers, essentiellement européens et américains, et plus les fonds de corporate venture rattachés aux groupes pharmaceutiques comme Novo Holdings, le fonds de Novo Nordisk, Pfizer Ventures ou Boehringer Ingelheim Venture Fund sont présents.Tous ces fonds investissent dans une perspective qui n’est pas uniquement financière. L’avantage pour les sociétés cibles, c’est de pouvoir compter sur un investisseur ayant une vision du marché affûtée. Les sociétés cibles, en tout cas celles que nous suivons, cherchent des investisseurs qui, au-delà du financement, vont apporter dans les réunions de board leur vision et leur savoir-faire en termes d’orientation de la recherche et de stratégie d’accès au marché. Certes, le risque est que cela génère des conflits d’intérêts qu’il faudra gérer. Autre tendance : on observe beaucoup d’opérations de carve-out car en dépit de la résilience du secteur, le contexte de la crise sanitaire conduit certains groupes à recentrer leurs efforts sur certains métiers en se délestant d’activités qui ne font plus partie de leur «core business». Nous travaillons actuellement sur quelques opérations de ce type qui se seraient réalisées à moyen terme mais sont accélérées par le contexte de la Covid-19. Pour les fonds, un spin-off de groupe industriel, c’est une opportunité de LBO primaire. Cela suppose néanmoins dans le secteur de la santé de gérer des aspects techniques délicats sur lesquels nous sommes sollicités, comme par exemple la création d’un établissement pharmaceutique auquel il faut transférer tout un ensemble d’autorisations tout en gérant des périodes transitoires complexes. Ce sont des scénarii que nous avions souvent vus par le passé dans des contextes de retournement mais que l’on voit de plus en plus dans des contextes in bonis.

Antoine Vigneron : Je suis d’accord avec Anne-Laure Marcerou et Olivia Guéguen, il existe un flou grandissant entre industriels d’un côté et fonds d’investissement de l’autre. Les industriels peuvent apparaître comme des fonds à travers des véhicules d’investissement «corporate», tandis que les fonds, par les plateformes de consolidation qu’ils soutiennent, peuvent raisonner comme des industriels. Ainsi chez 21 Invest, au travers de nos investissements, quand nous accompagnons des projets de consolidation, c’est bien un regard d’industriel que nous portons sur les cibles, avec l’analyse des synergies et un raisonnement sur la valeur stratégique qui peut en découler. D’autre part, s’agissant de la nature des opportunités actuelles, nous constatons une dynamique particulièrement forte sur les opérations de LBO primaire en raison de la Covid. En effet, de nombreuses sociétés familiales ou entrepreneuriales ont souffert de devoir traverser seules cette crise. Certaines ont alors passé le pas de la recherche d’un partenaire, à la fois pour sécuriser une partie de leur patrimoine et pour pouvoir financer les opportunités d’acquisition qui émergeront de cette crise. Les opérations primaires représentent chez 21 Invest les trois quarts de nos investissements aujourd’hui et nous avons développé une réelle expérience dans ce type d’accompagnement.

Concernant les opportunités offertes par le secteur de la santé, il y a aujourd’hui trois tendances fortes qui portent notre intérêt. Tout d’abord, comme évoqué précédemment, il y a cette logique de consolidation et de recherche de taille critique dans les services santé, ce qui est sain, car cela répond à une demande indirecte des pouvoirs publics pour compenser l’inflation naturelle du vieillissement de la population par des gains de productivité. On observe ce phénomène depuis de nombreuses années dans les cliniques, les laboratoires d’analyses médicales ou le façonnage pharmaceutique mais elle n’en est encore qu’à ses débuts dans les établissements rassemblant des radiologues, des dentistes, des ophtalmologues ou des vétérinaires. Cette lame de fond s’est installée pour longtemps car elle répond à un besoin fondamental : le financement de services de santé de qualité pour le plus grand nombre. Deuxième tendance intéressante, la digitalisation dans plusieurs segments de santé qui s’accélère dans une logique là aussi de recherche de gains de productivité, que ce soit à l’hôpital, dans les services de santé ou même dans les usines pharmaceutiques, l’industrie pharmaceutique ayant pris du retard par rapport à d’autres industries dans l’automatisation et la digitalisation de leur outil de production. Enfin, la troisième lame de fond consiste en un outsourcing décomplexé au sein de nombreuses chaînes de valeur. Certains services considérés comme non stratégiques sont externalisés, laissant à des sociétés dédiées le soin de les réaliser avec une meilleure efficacité et souvent avec un meilleur prix. C’est le cas par exemple dans la chaîne de valeur du médicament où les laboratoires pharmaceutiques ont depuis des années externalisé au fil du temps une partie de leur recherche, puis de leur développement et de leur production de médicaments. Plus récemment, on constate également une externalisation de tout ce qui est lié aux affaires réglementaires, la stratégie des laboratoires étant désormais de se concentrer uniquement sur quelques maillons jugés les plus rémunérateurs. Ces tendances sont sources d’opportunités et de projets de croissance que 21 Invest cherche à accompagner.

Luc Castagnet : Concernant les cessions d’actifs dans l’hospitalisation privée, après la phase de concentration où les groupes ont absorbé un certain nombre d’établissements de santé, parmi lesquels certains étaient moins performants, il y a une volonté de céder certains de ces actifs sous-performants par rapport aux attentes des grands groupes. Toutefois, il est extrêmement compliqué pour un groupe «successful» de fermer un établissement de santé au motif qu’il perd 800 000 euros ou 1 million d’euros par an. Pour venir à bout de cette situation, souvent complexe, les groupes recherchent des partenariats avec les hôpitaux publics en leur proposant de créer un véhicule commun : le groupement de coopération sanitaire (GCS), propre au monde de la santé. Ce véhicule permet d’accueillir les activités de l’établissement de santé privé, sous le contrôle et l’organisation de l’hôpital public. C’est extrêmement intéressant pour l’hôpital, qui récupère des parts de marché, puisqu’il y a un opérateur concurrent sur le marché en moins, et cela renforce de facto aussi la valeur de l’hôpital. Pour le groupe privé, c’est un moyen de céder son activité déficitaire tout en agissant comme un bon opérateur vis-à-vis de l’Etat puisqu’il n’y a ni fermeture, ni plan social. De plus, le fait de rentrer dans le giron du secteur public n’empêche pas de poursuivre une activité privée, parfois même sous tarification publique, ce qui est plus favorable à l’exploitant. Cette tendance de cessions d’actifs évoquée par mes consœurs concerne donc également les groupes de santé où la dynamique s’avère être très vertueuse puisqu’il n’y a pas de réduction de l’offre de soins mais une restructuration. Ce secteur de la santé arrive même à être innovant sur le plan juridique, ce que je trouve très intéressant en tant que praticien.

La santé, un terrain de jeu mondial pour les investisseurs

Cédric Moreau : Il est bon de rappeler que le marché de la santé – même s’il y a des spécificités locales en termes de réglementation, d’agréments, de remboursement, etc. – est un marché mondial. Le terrain de jeu est global, que ce soit en Europe, en Asie ou aux Etats-Unis. Chez Sofinnova Partners, nous concentrons notre action sur l’Europe, puisqu’environ 70 % de nos actifs y sont investis, mais nous avons près de 30 % de nos actifs investis en dehors de l’espace européen, en majorité aux Etats-Unis. L’écosystème européen se caractérise par des activités scientifiques et de R&D de très haute qualité, avec des sociétés attractives pour les investisseurs étrangers qui de plus en plus viennent à nos côtés pour les développer. En tant que leader dans notre domaine, nous jouons ce rôle de syndication. Attirer nos pairs internationaux permet d’apporter des financements complémentaires mais aussi d’étoffer les expertises et d’ouvrir les réseaux afin d’attirer les meilleurs talents. Quand une société cherche à recruter le responsable médical (chief medical officer ou CMO en anglais) d’une entreprise innovante, elle doit être capable d’aller le chercher n’importe où dans le monde. Par ailleurs, depuis le début de la pandémie, nous constatons une accélération du partage des connaissances et des échanges autour des publications. Actuellement, il y a plus de 200 vaccins en phase de R&D et une cinquantaine d’essais cliniques en cours. Tout cela montre l’extraordinaire mobilisation dont le secteur de la santé est capable sur l’échiquier mondial, avec des investisseurs qui opèrent partout sur la planète.

Olivia Guéguen : Je pense que nous avons exactement la même vision. Il y a un mouvement relativement récent d’internationalisation qui a pris de l’ampleur. Les investisseurs étrangers apportent effectivement une perspective différente. Quand ils viennent nous voir pour investir dans une cible française, ils attendent des audits approfondis au plan français mais quand il s’agit de confirmer le potentiel de l’innovation dans laquelle ils investissent, ce qui les intéresse aussi c’est la revue propriété intellectuelle US que notre équipe de Washington pourra leur fournir. Concernant le recrutement d’équipes étrangères, je suis moi-même assez stupéfaite de la capacité des biotechs et medtechs françaises de taille encore modeste à attirer des talents et à ne pas hésiter à recruter un chief medical officer ou un chief business officer basé à Boston et non pas à Paris. Sur ce point, comme Cédric le mentionne, les industriels et les fonds étrangers jouent un rôle prépondérant dans le recrutement de ce type de talents.

Raphaël Chantelot : Le secteur pharmaceutique est marqué par une pléthore d’acteurs très différents, qui ont essaimé depuis le secteur hospitalier et les «big pharma». Un certain manque d’efficience que l’on peut observer dans le secteur hospitalier et des laboratoires d’analyses crée un mouvement d’externalisation, cela génère aussi de facto des opportunités pour de nouveaux acteurs, comme le montre le mouvement de concentration des cabinets de radiologie et des cliniques, par exemple. Beaucoup d’entreprises, y compris de petites sociétés biotech cotées, devraient s’engager dans un mouvement de consolidation, soit entre elles soit sous l’impulsion d’acteurs étrangers cherchant à accéder au marché français, à de la technologie, ou simplement à des distributeurs de qualité en Europe. Il y aura certainement des opérations de concentration intéressantes et variées à surveiller prochainement.

Luc Castagnet : Nous avons évoqué les investisseurs étrangers qui s’intéressent à nos entreprises. Il faut savoir qu’il y a aussi des groupes de santé français qui cherchent à investir à l’étranger. Par exemple, le groupe Elsan a déjà réalisé un investissement au Maroc et cherche à se développer. Nous conseillons également deux groupes de santé en Afrique de l’Ouest qui ont engagé des pourparlers avec des fonds européens, africains et aussi français. Pour mémoire, le groupe Ramsay Générale de Santé, numéro 1 de l’hospitalisation privée en France, a pris le contrôle l’année dernière du groupe suédois Capio qui détenait des cliniques en Suède, en Pologne, en France et en Allemagne. Comme je l’ai indiqué tout à l’heure, le deuxième axe de développement, c’est la capacité d’investir dans l’activité même des médecins. Les jeunes générations de praticiens ne sont pas particulièrement enclines à s’endetter pour créer des sociétés avec des endettements lourds sur les matériels ou les locaux. Elles préfèrent être des prestataires de services de soins. Les laboratoires d’analyses ont été les premiers à s’ouvrir aux capitaux financiers, demain ce sera les dentistes, les ophtalmologues, les anesthésistes, les groupes de radiologues. Bien entendu, les ordres professionnels chercheront à bloquer mais la lame de fond est en train d’atteindre tous les professionnels de santé.

Et demain, quels relais de croissance ?

Cédric Moreau : Matthieu de Kalbermatten nous a présenté brièvement son approche de la thérapie cellulaire. Cette forme d’innovation a évidemment une valeur médicale immense. De plus, elle contribue à redistribuer les cartes en termes d’économie de la santé et de politique de fixation des prix et de niveaux de remboursement. D’autres domaines sont aussi très ouverts à l’innovation, comme celui du système nerveux central. La société américaine Biogen a récemment fait l’actualité puisqu’elle devrait obtenir l’approbation d’un traitement contre la maladie d’Alzheimer. Or, le reste de l’industrie s’est cassé les dents pendant des dizaines d’années sur cette maladie. La valeur de la société s’est envolée de plus de 40 % grâce à ce premier produit prometteur. En ces temps de pandémie, les gens ne réalisent pas toujours que développer un vaccin prend normalement plusieurs années, voire une décennie dans certains cas. Si l’industrie pharmaceutique et les biotechs sont capables de mettre au point un vaccin en moins d’un an, ce sera une prouesse jamais vue. Là encore, les sociétés les plus avancées comme Moderna, par exemple, ont recours aux nouvelles technologies à base d’acide ribonucléique messager (ARN messager ou ARNm). Elles sont très différentes de celles mises en œuvre dans les vaccins traditionnels réalisés jusqu’ici. Toutes ces innovations sont très prometteuses car elles créent de la valeur pour le secteur de santé et influencent les pratiques médicales ainsi que les organisations délivrant les soins.

Matthieu de Kalbermatten : Enormément de recherches sont en cours. Il y a une vraie capacité à développer des produits très innovants, beaucoup moins agressifs, sans effets secondaires importants, comme on l’a connu jusqu’à présent avec des médicaments classiques basés sur de la chimie. La biotech, en particulier avec la thérapie cellulaire autologue, apporte un système très efficient pour traiter une problématique spécifique, sans les effets secondaires. Par contre, il faut vraiment que les étoiles soient toutes alignées pour que cela aille vite. Pour cela, les autorités réglementaires doivent être très affûtées et comprendre la science et la technicité qu’il y a derrière. Il faut qu’elles soient prêtes à prendre des directions un peu plus innovantes. L’ANSM (agence nationale de sécurité du médicament) vient d’ouvrir un guichet innovation pour permettre une interaction rapide entre autorités de régulation et industriels. En Asie, d’autres pays comme le Japon ou la Corée du Sud ont été plus précurseurs encore en mettant en place des «fast-tracks» (procédures de désignation accélérée d’une autorité de santé). Elles existaient déjà mais elles ont été développées de façon beaucoup plus significative. Le Japon, par exemple, peut traiter des patients en mode de traitement courant avec ces nouvelles biotechnologies, sous réserve qu’elles aient démontré un niveau de sécurité suffisant, sans passer par des essais cliniques très longs de phase 3. Cela permet d’amener rapidement ces produits sur le marché pour traiter les patients en manque d’alternative thérapeutique. Chez CellProthera, cela fait dix ans que nous travaillons sur un produit autologue, c’est-à-dire que nous prenons des cellules du patient pour les lui réinjecter. Le risque est très faible en comparaison d’autres médicaments classiques souvent synonymes d’effets secondaires. Cet assouplissement réglementaire est le bienvenu sachant que la réglementation s’était considérablement durcie par le passé, puisque par exemple les greffes de moelle osseuse, faisant aussi partie des thérapies cellulaires, n’ont pas été à l’époque considérées comme des médicaments. C’est aujourd’hui une thérapie courante, pratiquée par les hématologues qui traitent des patients en utilisant le sang purifié qu’ils réinjectent chez le patient. Ce traitement n’étant pas considéré comme un médicament, il n’a pas été nécessaire de passer par toutes les étapes de validation et pourtant, c’est remboursé.

Auparavant, il y avait une façon de faire très établie pour autoriser des médicaments classiques sur le marché. Cela prenait dix ans avec une multitude de développements et d’essais cliniques à faire. Il y a peut-être une voie intermédiaire à trouver non seulement au niveau des autorités réglementaires, mais aussi de nos hôpitaux qui réalisent des essais cliniques dont les processus administratifs sont souvent malheureusement assez longs. Ces établissements ne disposent peut-être pas toujours non plus des ressources pour mener ces essais. Les tests cliniques de phases précoces sont ainsi rarement réalisés en France, alors qu’on a des équipes extrêmement compétentes. Il faudrait améliorer la vitesse d’exécution puisque pour une start-up, comme pour une grosse entreprise pharmaceutique, la vitesse est essentielle.

La gestion de la volatilité

Cédric Moreau : Je pense que l’année 2020 a constitué un curseur important, en particulier concernant les sujets de valorisation et de volatilité. Je le disais tout à l’heure, il faut regarder notre marché sur un plan mondial. Si nous regardons ce qu’il s’est passé aux Etats-Unis, cette année a été extraordinairement dynamique, avec des montants investis absolument colossaux. On bat tous les records d’introduction en bourse sur le Nasdaq biotech aux Etats-Unis. On est au plus haut. Des montants très significatifs ont été engagés : via l’effet vertueux des acteurs spécialistes présents depuis un certain temps et qui ont pu accumuler de la performance et, le cas échéant, réinvestir leurs plus-values, mais également par l’intermédiaire des fonds beaucoup plus généralistes (par exemple les fonds de pension aux Etats-Unis) qui se sont largement renforcés. Le secteur de la santé s’est alors retrouvé surexposé dans leurs portefeuilles avec des effets mécaniques extrêmement puissants en termes de liquidités sur les marchés et donc de valorisation. L’Europe a suivi, dans une moindre mesure et avec un décalage comme on l’observe historiquement. On a vu aussi beaucoup d’activité en Asie, notamment sur les places financières à Hong Kong et Shanghai. Ce sont des mouvements planétaires que nous suivons de près afin d’appréhender s’il s’agit de tendances durables ou plus sporadiques. Nos échanges d’aujourd’hui montrent que nous sommes tous résolument confiants sur le fait que ces tendances favorables pour le secteur de la santé devraient se poursuivre dans les prochaines années. Les initiatives engagées sur le plan des financements tant publics que privés en 2020 s’inscrivent dans des stratégies à moyen-long terme pour cette industrie de la santé. En tant qu’investisseur, il faut néanmoins savoir se montrer sélectif et ne pas céder à des effets de mode générant des effets d’aubaine. En tout cas, 2020 restera une année historique pour le secteur des sciences de la vie à tous points de vue.

Arnaud Faure : Je suis d’accord avec ce qui vient d’être dit sur la partie biotech qui a nettement profité cette année de cette tendance. Sur les secteurs de la santé plus matures, les évolutions sont plus contrastées, suivant que l’activité est affectée ou non par la Covid. Je pense en particulier aux cabinets dentaires qui ont tous été fermés pendant le confinement. Leur rentabilité et donc leur valorisation en ont souffert mécaniquement. A l’inverse, les laboratoires de biologie médicale profitent à plein de la crise actuelle. Leurs niveaux de rentabilité devraient donc être exceptionnellement élevés cette année. Il faudra d’ailleurs retraiter un effet Ebitda exceptionnel et très positif dans les valorisations. On observe une sortie de crise sanitaire en K entre ceux qui ne sont pas du tout affectés par la Covid et voient leurs niveaux de valorisation s’accroître compte tenu de leur résilience, et les entreprises qui, elles, ont subi le confinement et dont la valorisation va diminuer cette année.

Un environnement en plein boom mais avec ses contraintes spécifiques

Mathieu Selva-Roudon : Avant de parler des risques et des contraintes, je voudrais apporter une précision concernant les opportunités du secteur santé. Nous avons largement parlé de la digitalisation, de l’innovation et du développement de thérapies innovantes. Je rejoins complètement ce qui a été dit, je n’y reviens pas. On a peut-être oublié une autre tendance de fond, qui est celle de l’évolution du parcours patient. Nous constatons, par exemple, l’émergence de la PSAD, c’est-à-dire des soins à domicile. C’est une tendance qui va s’accélérer et s’inscrit d’ailleurs également dans une logique de consolidation : beaucoup de petits acteurs épars vont se regrouper. De manière plus générale, le lien est de plus en plus perceptible entre la santé, le bien-être et la prévention. Là aussi, c’est une tendance lourde selon nous. Un certain nombre de start-up se positionnent frontalement sur ces sujets. L’usage de la data et la question des données de santé joueront un rôle central dans cette évolution.

Concernant les risques et les contraintes, il s’agit en effet d’un secteur totalement encadré où les contraintes réglementaires sont importantes et parfois lourdes (autorisations préalables, marquages, certifications, contrôle des prix, législation sur les cadeaux pour la promotion des médicaments, contrôle des investissements étrangers, etc.). La fiscalité, qui est mon domaine d’intervention, ne constitue pas à proprement parler une contrainte, mais plutôt une zone frontière entre la gestion du risque et l’opportunité de se démarquer de ses concurrents (typiquement, la fiscalité des flux intragroupes, véritables drivers dans les grands groupes pharmaceutiques, en est une bonne illustration). Il y a naturellement des particularités à prendre en compte. Quand on achète une molécule, soit on achète un droit de propriété industrielle, soit une marque, soit les deux. Le traitement fiscal ne sera pas le même. Evidemment, il faut mentionner le Crédit d’impôt recherche (CIR) qui concerne très directement les biotechs et medtechs, mais qui touche plus largement d’autres acteurs de la santé. Un laboratoire spécialisé en produits «MITM» («maladies d’intérêt thérapeutique majeur») peut parfaitement être concerné par ce dispositif fiscal, même lorsqu’il rachète un produit mature auprès d’un big pharma (la R&D peut toucher les process de fabrication ou la recherche de nouvelles formes galéniques). Il faut souligner ici que le CIR, au-delà d’un certain montant, déclenchera automatiquement un contrôle fiscal.

Luc Castagnet : Pour rebondir sur ce que vient de préciser Mathieu Selva-Roudon sur l’HAD, ces nouveaux secteurs et métiers constituent de nouvelles perspectives d’investissement. Plusieurs groupes viennent de créer des départements dédiés à l’hospitalisation à domicile parce qu’ils considèrent qu’aujourd’hui, c’est quelque chose qui n’est pas suffisamment développé et que ce mode d’hospitalisation présente de nouvelles opportunités. A mon sens, l’HAD est un des enjeux majeurs de ces prochaines années.

Olivia Guéguen : Le secteur de la santé est confronté à un certain nombre de contraintes, notamment réglementaires. C’est la quadrature du cercle puisqu’il faut concilier l’exigence de sécurité avec l’efficacité et la rapidité, que ce soit au stade des travaux de recherche, de la fabrication ou de la mise sur le marché des produits de santé. Concernant ces contraintes, notre intervention est très variable, selon que nous intervenons pour un groupe industriel ou pour un fonds. En général, le premier a des équipes internes qui connaissent le sujet par cœur et qui ont eu une appréciation assez fine du sujet. Le second a en revanche besoin d’externaliser cette revue dans une très large mesure.

Concernant les aspects réglementaires et les questions d’accès au marché, quand la société cible est une société innovante dont l’activité porte sur le développement d’un produit, nous procédons à des revues qui portent moins sur la vérification de la conformité réglementaire que sur l’évaluation de la stratégie réglementaire suivie en vue de la mise sur le marché, l’objectif étant d’éclairer l’avancée des processus de type FDA et ce qui peut bloquer ou retarder l’accès au marché. Quand il s’agit d’une opération de carve-out d’une activité de production de médicaments ou de dispositifs médicaux, l’objectif est de définir la structuration qui va permettre de réaliser l’opération dans le respect des exigences réglementaires. Les investisseurs financiers peuvent être réticents vis-à-vis de ce genre d’opération car ils craignent de se heurter à d’importantes difficultés, y compris de timing, qui risquent finalement de rendre le deal moins intéressant. L’expérience montre qu’en anticipant bien les choses, en les intégrant bien dans le process M&A et en structurant les accords transitoires nécessaires avec le vendeur, cela se gère très bien. Mais c’est une barrière à l’entrée et l’on voit rarement des fonds généralistes dépourvus d’équipes santé dédiées s’intéresser à des sujets compliqués sur le plan réglementaire.

Anne-Laure Marcerou : Au sujet des contraintes, je mentionnerai l’évolution de la réglementation sur les investissements étrangers. Il y a quelques mois, pour répondre à la crise sanitaire, elle a été renforcée notamment dans la biotechnologie désormais considérée comme un secteur «sensible». Une autorisation est donc nécessaire pour un investissement étranger dans ce domaine. La difficulté est que la notion de «biotechnologie» n’est pas définie dans le texte et est donc susceptible d’une interprétation extensive. Même si l’objectif principal de cette nouvelle règle est d’éviter les investissements opportunistes dans des sociétés développant des produits ou des technologies stratégiques, comme des vaccins ou des traitements contre la Covid, le champ d’application est de facto beaucoup plus large. Heureusement, le processus est assez efficace et les autorités répondent rapidement. Nous avons pu l’expérimenter récemment lors d’un investissement dans une société fabriquant des produits destinés à faciliter la digestion, sans lien aucun avec les difficultés sanitaires actuelles mais issus de la fermentation biologique.

Raphaël Chantelot : En effet, nous sommes confrontés régulièrement à ce type de questions. C’est effectivement une barrière à l’entrée. Le texte du Code monétaire et financier évoque, de manière très générale, la «protection de la santé publique». Il est difficile de trouver plus vaste comme définition. Evidemment, un investisseur étranger ne prendra jamais le risque de faire un investissement majeur dans le secteur de la santé, que ce soit un laboratoire pharmaceutique ou un investissement même secondaire dans les cliniques, sans passer par le processus d’approbation. Et là, on vient d’ajouter dans les textes d’urgence du Covid-19, au mois de mai 2020, les «biotechnologies», sans apporter plus de précisions. La question se pose donc de savoir ce qu’est une «biotech». Par exemple, une medtech est-elle une biotech ? On se trouve donc dans un contexte de grande incertitude réglementaire. Il s’agit d’un point sur lequel nous insistons auprès de nos clients et que tous les investisseurs ont en tête car il est susceptible de les mettre en porte-à-faux lors d’un processus d’enchères ou de vente en raison des conditions suspensives et des délais ajoutés par cette approbation administrative.

Cédric Moreau : La réglementation dans le secteur de la santé est extrêmement présente. Elle constitue un aspect clé pour un investisseur qui doit être en mesure de bien évaluer la voie réglementaire lui permettant d’obtenir la mise sur le marché d’un produit. La crise de la Covid l’a montré : beaucoup d’études cliniques conduites trop rapidement et hors des standards internationaux ont créé beaucoup de confusion. Heureusement, il y a des garde-fous avec des cahiers des charges extrêmement précis, des dizaines d’études, des critères d’évaluation extrêmement importants à valider. C’est un point essentiel que nous regardons de très près en tant que fonds pour nous assurer que la société dans laquelle nous investissons va appliquer les bonnes pratiques dans le respect des exigences réglementaires. On peut évoquer en France les ATU (autorisations temporaires d’utilisation) qui font actuellement l’objet d’un vif débat. Emmanuel Macron a annoncé début septembre qu’il s’agissait d’un véritable avantage compétitif. Des textes sont actuellement en cours de rédaction avec, là aussi, des aspects propres à la santé susceptibles d’avoir des traductions plus locales. On peut avoir ainsi une ATU pour un médicament en France, sans avoir eu encore l’agrément EMEA au niveau européen. Tout cela apporte un peu de complexité, mais c’est lié aux enjeux de compétitivité d’un pays par rapport à l’autre. En France, sur les dix dernières années, on a perdu une part de marché importante sur les essais cliniques développés sur le sol français à cause des questions administratives ralentissant les process. Là où il est possible d’avoir un agrément en un mois en Belgique, plusieurs mois sont nécessaires en France. La réglementation est un risque à analyser et à évaluer, mais c’est aussi un facteur de compétitivité et de différenciation à l’échelle internationale. Ce sont des points d’attention auxquels les fonds comme le nôtre font attention. Le crédit d’impôt recherche a été évoqué. On peut saluer l’action du gouvernement qui a en accéléré le versement. Cette année, l’accès au PGE a été aussi accordé aux sociétés innovantes. Initialement, son versement était basé sur le chiffre d’affaires ; or, faute de chiffre d’affaires, il était alors compliqué d’y être éligible.

Arnaud Faure : La santé est un secteur où les contraintes sont nombreuses mais sa résilience rend ce secteur attirant aux yeux des investisseurs, comme l’atteste le nombre d’investissements dans ce domaine. Cela signifie que dans le cadre des due diligences, une attention particulière doit être portée à la vérification des bonnes pratiques. Dans ce secteur d’activité, les due diligences sont d’ailleurs beaucoup plus présentes que dans d’autres filières. En ce qui concerne les contraintes de détention du capital, les investisseurs financiers sont suffisamment innovants pour trouver des solutions permettant de profiter de la création de valeur, sans forcément détenir la majorité du capital de l’entreprise. On parvient ainsi à investir dans le secteur, malgré toutes ces contraintes.

Antoine Vigneron : Les contraintes juridiques, fiscales ou réglementaires propres au secteur de la santé sont en effet nombreuses et peuvent freiner certains investisseurs dans leurs ambitions mais elles s’avèrent aussi des barrières à l’entrée efficaces face à de nouveaux entrants et nous les voyons donc aussi comme des atouts. Il y a également souvent dans le secteur de la santé une contrainte propre à la durée du cycle des projets qui peut s’avérer plus longue que le cycle d’investissement auquel sont habitués les fonds d’investissement. Enfin il y a évidemment la complexité du modèle tarifaire avec une régulation et un financement par l’Etat plus ou moins prégnant et dont les perspectives sont difficiles à anticiper. C’est un sujet sur lequel nous passons beaucoup de temps avant d’investir.

Luc Castagnet : Je voudrais insister sur un aspect prospectif. Un de nos clients, le groupe Vivalto Santé, a décidé de demander à son conseil d’administration et à l’assemblée générale de ses actionnaires de devenir une société «à mission» au sens de la loi Pacte. Cela signifie qu’au-delà du but lucratif, un groupe de santé peut aussi avoir une finalité sociale. C’est un vrai pari parce que ce groupe considère que le monde de la santé, compte tenu de son dynamisme et de la pandémie actuelle, doit être au cœur de considérations allant au-delà des seuls aspects entrepreneuriaux. Ce virage, qui n’est pas une démarche marketing selon moi, est assez intéressant au-delà de son caractère innovant. La qualité des conseils juridiques a été soulignée par les intervenants, mais il faut aussi saluer la qualité des investisseurs de long terme qui accompagnent cette dynamique et permettent de répondre aux besoins de santé de la population. Dans tous les cas de figure, c’est cette dynamique générale qui fait la valeur de notre secteur. 

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