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Jurisprudence fiscale et sociale : évolutions récentes en matière de management package

Publié le 4 mai 2018 à 11h45    Mis à jour le 29 juin 2021 à 10h25

Quels sont les changements notables pour vous dans le domaine des management packages ces derniers temps ?

On peut évoquer une évolution asymétrique du risque fiscal et du risque de charges sociales.

Le second a été particulièrement augmenté depuis les décisions Kiabi et Lucien Barrière. Dans l’affaire Lucien Barrière, à l’occasion de l’entrée de Colony Capital dans le groupe, six cadres dirigeants se sont vu offrir la possibilité d’acheter des bons de souscription d’actions. Quatre ans après, ils en ont revendu une partie en réalisant une plus-value. Les Urssaf, suivies par la cour d’appel de Paris (arrêt du 6 juillet 2017), ont considéré que ce gain avait été réalisé «à l’occasion de leur contrat de travail» conformément à l’article L. 242-1 du Code de la sécurité sociale ; il devait donc être traité comme un salaire assujetti à cotisations sociales.

C’est un événement majeur mais l’analyse surprend. Jusqu’à présent, on évoquait toujours le risque de charges sociales sur les plus-values réalisées au dénouement du package, mais sans réellement y croire dès lors que dans l’immense majorité des cas, les managers qui réalisent des plus-values en sortie de LBO sont des personnes qui ont fait un investissement personnel et ont donc pris un risque financier réel, souvent significatif, ce qui, conceptuellement et économiquement, exclut toute idée de rémunération : la rémunération c’est la contrepartie du travail, la plus-value c’est la contrepartie de l’investissement, du risque pris. Ou alors, il fallait admettre que lorsque l’intéressé réalise une moins-value, il y a une sorte de salaire négatif qui pourrait donner droit à un remboursement de cotisations sociales.

Pour autant, c’est la décision prise par la cour d’appel de Paris, et elle rend l’environnement très incertain à cet égard. Ainsi, alors que la jurisprudence fiscale a depuis longtemps (milieu des années 2000), et en dépit de positions persistantes de l’administration, sanctuarisé la qualité de dirigeant en excluant qu’elle induise par elle-même une requalification en salaires des plus-values réalisées, la jurisprudence sociale, sur la base du texte précité, remet au goût du jour cette sorte de contamination originelle des gains réalisés par une personne qui investit alors qu’elle est en fonction.

Dans l’affaire Kiabi, moins commentée mais à peine plus ancienne (31 mai 2017), la cour d’appel de Douai s’est également prononcée en faveur des Urssaf : en 2007 et 2008, des cadres titulaires de bons de souscription d’actions les ont exercés et ont acquis des actions de la société à un prix déterminé. Sur la foi de l’article L. 242-1 du code précité, sans égard pour l’investissement réalisé et sans rechercher s’il dissimulait un avantage quelconque, les Urssaf ont soumis à cotisations sociales l’ensemble du gain, donc non seulement la plus-value d’acquisition mais aussi celle réalisée à l’occasion de la cession des actions.

Nous attendons donc la décision de la Cour de cassation, saisie de l’affaire Barrière, et sommes raisonnablement optimistes. En effet, la cour d’appel de Paris procède à une application selon nous trop large de l’article L. 242-1 du Code de la sécurité sociale, sans tenir compte de la réalité, de l’ampleur et de la normalité de l’investissement du manager, et en rejetant un argument solide de prescription. Mais elle fait aussi une analyse circonstanciée de l’affaire, dans laquelle il faut reconnaître que la documentation disponible était teintée de notions d’intéressement (comme dans l’affaire Kiabi d’ailleurs). Au passage, la cour rejette tout alignement de doctrine entre l’administration fiscale et l’administration sociale, ce qui est regrettable car la sécurité juridique voudrait qu’une administration profite des années d’expérience de son homologue au lieu de repartir à zéro.

En tout état de cause, l’interprétation proposée n’est pas assez cadrée : soumettre aux charges sociales la plus-value ayant pour contrepartie directe l’investissement, au seul motif que son auteur est salarié, c’est un peu comme assujettir aux mêmes cotisations la donation d’un conjoint au seul motif qu’il a été rencontré sur le lieu de travail.

Cela étant, en attendant la décision de la Cour de cassation, on observe un alignement renforcé des intérêts entre le fonds et le management. Dans leur intérêt commun, il faut privilégier le recours aux instruments parfaitement encadrés par la loi, comme par exemple les actions gratuites, ainsi bien sûr que les pistes d’investissements réels et significatifs, notamment en actions ordinaires. A cet égard, on observe d’ailleurs que les débats récurrents pour donner un cadre légal et sécurisé à l’investissement du management tournent systématiquement autour de l’idée de risque financier, en s’inspirant de la réglementation dite «Arthuis» relative au carried interest. Enfin, si la Cour de cassation devait confirmer la décision de la cour d’appel de Paris, il resterait peut-être l’alternative d’une question prioritaire de constitutionalité afin de réserver le cas de l’investissement réalisé par le salarié dans le dispositif L. 242-1 du Code de la sécurité sociale.

L’autre évolution notoire en matière de management package est, heureusement, en sens opposé : le comité de l’abus de droit et le juge fiscal nous offrent une grille de lecture stabilisée, et finalement assez simple : le risque fiscal est inversement proportionnel au risque financier pris par le dirigeant et ce dernier doit être réellement propriétaire des actions pour bénéficier du régime des plus-values. Ainsi, fiscalement, la fonction n’est pas un péché originel, contrairement à ce qui ressort de la jurisprudence sociale. En revanche, les promesses dénouées juste avant la cession avec possession éclair des actions, et les investissements garantis, quasi gratuits ou manifestement avantageux par rapport aux valeurs réelles, ne fonctionnent pas.

Ce sont les principes dégagés ou confirmés en dernier lieu par la jurisprudence fiscale dans les affaires : Editis (tribunal administratif de Paris, 12 juillet 2016), Wendel (le 6 mars 2018, la cour administrative d’appel de Versailles a infirmé les redressements sans aborder le sujet de fond, mais simplement parce que l’intéressé avait logé les titres dans une société familiale dont l’administration ne contestait pas l’existence sur le terrain de l’abus de droit : la cour en déduit qu’évidemment la société ne peut être salariée), Royal Moto France (cour administrative d’appel de Versailles 26 janvier 2017) et G7 (tribunal administratif de Paris 8 mars 2017). Dans cette dernière affaire, le tribunal estime même que si le risque financier existe sans garantie au moment de l’investissement, le manager qui se voit attribuer une promesse d’achat l’année suivante conserve le bénéfice du régime des plus-values (l’administration a fait appel de ce jugement).

Quelles sont les particularités de votre équipe sur ces sujets ?

Comme vous le savez, notre cabinet est très actif dans le domaine du private equity. Nous avons donc mis au point une offre fiscale complète pour nos clients, de la structuration des acquisitions bien sûr – y compris la modélisation des flux financiers et fiscaux – à la conception et mise en place des management packages, en passant par les due diligences. Mais surtout, nous avons une importante expertise en conseil patrimonial afin de prendre en compte les contraintes et les souhaits des dirigeants et familles, ce qui est un atout très apprécié, y compris lorsque nous représentons les investisseurs financiers car nous anticipons ensemble toutes les problématiques. De plus, nous intervenons sur un grand nombre de redressements fiscaux et contentieux en la matière, cela nous permet d’être parfaitement à jour sur la doctrine et sur le mode opératoire de l’administration, ce qui là encore est déterminant dans l’évaluation des risques et pour le conseil lors de la mise en place des accords. Au fond, nous fonctionnons comme un one-stop shop pour appréhender l’ensemble des sujets fiscaux en lien avec le LBO, au bénéfice de tous les intervenants : sponsor, management, prêteurs, et ce en amont, au cours et à la suite d’une opération.

Questions à… Jérôme Jouhanneaud, associé de Goodwin Procter LLP

Comment définirez-vous la signature de votre cabinet ?

Créé en 1912 à Boston, Goodwin est un cabinet d’avocats d’affaires composé de plus de 1 000 avocats répartis au sein de 10 bureaux aux Etats-Unis (Boston, Los Angeles, New York, San Francisco, Silicon Valley, Washington DC), en Europe (Francfort, Londres, Paris) et en Asie (Hong Kong). Goodwin fait partie du «top 50» des cabinets à l’échelle internationale, en termes de chiffre d’affaires. Depuis juillet 2016, Goodwin est implanté en France. Le bureau de Paris s’appuie sur l’expertise et le savoir-faire d’équipes reconnues comme leaders sur le marché du «private equity» et du M&A. Du mid au large cap, les 45 avocats du cabinet (dont 11 associés) interviennent aux côtés de leurs clients – industriels, institutions financières et dirigeants – en matière de fusions-acquisitions, «private equity», financement, fiscalité ainsi qu’en structuration et création de fonds, avec comme secteurs de prédilection la finance, les sciences de la vie, le capital investissement, l’immobilier et les technologies.

Depuis que nous avons créé le bureau français de Goodwin, il y a bientôt deux ans, nous avons retrouvé cette agilité et profondeur de marché propres aux cabinets mid cap, qui constituent l’ADN de l’équipe. Dans le même temps, le très fort ancrage de Goodwin à la fois aux Etats-Unis, son marché d’origine, et au Royaume-Uni, où il dispose déjà de 60 avocats, nous permet de poursuivre et d’accélérer notre montée en gamme sur le transactionnel. Nous avons pu immédiatement déployer de réelles synergies avec les équipes américaines sur des deals cross-border, comme le rachat en 2016 de Key Plastics par Mecaplast (devenu Novares) contrôlé par Equistone ou la levée de fonds de l’éditeur franco-américain Ivalua auprès de KKR en 2017.

L’expertise pointue de l’équipe américaine de Goodwin dans la tech et les life sciences nous permet d’accroître notre légitimité sur ces segments porteurs, axes de développement majeur du bureau parisien.

Comment accompagnez-vous vos clients ?

Notre vision globale aiguisée par la pratique des deals cross-border et notre pluridisciplinarité nous permettent d’accompagner nos clients sur toutes les problématiques de leurs deals, aussi bien au niveau fiscal que corporate ou de financement. Nous avons par exemple récemment conseillé le management d’Exclusive Networks dans son troisième LBO avec Permira, accompagné le consortium Compagnie Marco Polo, Apax Partners et Bpifrance dans le LBO primaire d’Eric Bompard, et conseillé Cerba Healthcare dans le rachat de Bio7 ou encore la medtech Surgivisio dans sa levée de fonds de 10,7 millions d’euros.

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