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King & Wood Mallesons - La sortie du minoritaire récalcitrant : quels recours pour le majoritaire pris en otage ?

Publié le 12 décembre 2014 à 9h59    Mis à jour le 12 décembre 2014 à 16h31

Le développement des LBO depuis une quinzaine d’années a inévitablement généré son lot de contentieux, qui se produisent souvent à l’occasion des opérations de sortie.

Les sorties de LBO (sauf introduction en bourse, cas de sortie finalement marginal des opérations de LBO) requièrent en effet que les vendeurs soient en mesure de fournir sinon 100 % du capital, en tout cas au moins 95 % du capital et des droits de vote, seuil de la mise en place de l’intégration fiscale pour le futur acquéreur. C’est pourquoi les clauses de sortie obligatoire, à la main du majoritaire, permettant à ce dernier de mettre en vente 100 % du capital et des droits de vote, sont d’usage dans les transactions de ce type.

On a donc vu, ces dernières années, une fâcheuse tendance de la part d’actionnaires minoritaires à tenter de faire échec à ces clauses, en subordonnant leur participation à la sortie à l’obtention d’un prix supérieur à celui du majoritaire1, surtout si la plus-value espérée initialement n’est pas au rendez-vous.

Certains minoritaires vont même jusqu’à faire placer leurs titres sous séquestre, mettant ainsi un obstacle judiciaire à l’exécution de la clause de sortie obligatoire.

Deux décisions récentes des juges du fond sont heureusement venues faire échec à ces stratégies.

L’exécution forcée d’une clause de sortie obligatoire

Un important arrêt du 28 janvier 20142 de la Cour d’Appel de Paris a approuvé le juge des référés d’avoir ordonné l’exécution forcée d’une clause de drag along (sortie obligatoire), considérant que cette mesure ne se heurtait à aucune contestation sérieuse dès lors que la promesse contenue dans le pacte était claire.

Les tribunaux acceptent depuis quelques années d’ordonner l’exécution forcée d’obligations issues des pactes d’actionnaires lorsqu’aucune impossibilité juridique, matérielle ou morale n’y fait obstacle3 et non plus de se limiter à une simple réparation par équivalent. L’innovation de cet arrêt est qu’il reconnaît sans ambiguïté au juge des référés le pouvoir d’ordonner l’exécution forcée d’une clause de sortie obligatoire4.

Les circonstances soulevaient pourtant un certain nombre de difficultés, qui, de prime abord, pouvaient rendre difficile le recours au juge des référés.

La clause de sortie obligatoire contenue dans le pacte d’actionnaires stipulait que les associés minoritaires consentaient une promesse irrévocable de céder leurs titres à l’acquéreur dont l’offre serait acceptée par les majoritaires, dès lors que l’offre portait sur 100 % des titres, comportait un prix de cession payable en numéraire et que la garantie de passif n’excédait pas 50 % du prix de cession. Aux termes de cette clause, les minoritaires donnaient également mandat aux majoritaires de signer les actes de cession dès lors que les conditions juridiques de l’offre étaient les mêmes pour tous.

A l’issue d’un processus de vente initié par tous les associés, une offre remplissant les conditions du pacte était acceptée par les majoritaires, qui ont donc notifié aux minoritaires la mise en œuvre de la clause de sortie obligatoire.

Le prix offert, s’il suffisait pour rembourser la dette d’acquisition, ne permettait pas aux associés vendeurs de retrouver leur mise initiale. Certains minoritaires ont alors refusé de céder leurs titres. L’offre acceptée par les majoritaires ayant une durée de validité brève, ceux-ci ont, avec la société, assigné en référé les minoritaires récalcitrants aux fins de leur donner injonction de céder leurs titres à l’offrant sous astreinte.

Les minoritaires justifiaient leur refus en prétextant l’existence de contestations sérieuses sur le fondement principalement de la rupture d’égalité entre cédants : les majoritaires avaient convenu de verser une quote-part de leur prix de cession à certains autres cédants. En outre, les récalcitrants et les majoritaires étaient les seuls à être soumis à une clause de non-concurrence, à l’exclusion des autres cédants.

Par ordonnance du 2 avril 2013, le Président du tribunal de commerce de Paris a jugé que la clause était claire, que le prix était le même pour tous (le fait que les majoritaires acceptent d’affecter une partie de leur quote-part du prix au bénéfice d’autres cédants, n’affectait pas les récalcitrants) et que la clause de non-concurrence s’imposait aussi bien aux majoritaires qu’aux récalcitrants, une clause similaire ayant été convenue par accord séparé entre l’acquéreur et les autres cédants. Il a ensuite caractérisé l’urgence, condition nécessaire de son intervention, en retenant que la résistance des récalcitrants bloquait la vente, dont l’absence de survenance exposait les autres associés, et la société vendue, à des dommages imminents importants et irréversibles justifiant une condamnation sous astreinte.

Cette décision a été confirmée par la cour d’appel, qui a notamment souligné que le juge des référés avait compétence pour appliquer les stipulations claires d’un pacte et ainsi en ordonner l’exécution forcée. Revêtant la forme d’une promesse de cession, la clause de sortie obligatoire devait donc recevoir application car elle avait été levée conformément au pacte.

Le séquestre des titres : une décision originale du juge des référés

Cette espèce5 concernait le cas d’un ancien dirigeant dont, au moment du départ, les titres avaient été rachetés par l’actionnaire majoritaire en exercice de promesses croisées de type «good leaver / bad leaver». Contestant en justice le prix retenu à l’occasion de la levée de cette promesse, cet ancien dirigeant avait fait placer ses titres sous séquestre, le temps du litige. Survient alors une offre de sortie, portant sur 100 % des titres de la société concernée. Afin de ne pas bloquer l’opération de sortie, le juge des référés, saisi par l’actionnaire majoritaire, a accepté d’ordonner que soit substitué au séquestre sur les titres, un séquestre correspondant au montant de la demande de l’ancien dirigeant, qui serait abondé par l’acquéreur par prélèvement sur le prix global pour 100 % des titres. De cette façon, les intérêts de tous étaient préservés : ceux de l’acquéreur et du majoritaire, qui pourront réaliser l’opération de sortie sur 100 % des titres, ainsi que ceux de l’ancien dirigeant, qui, une fois son contentieux avec son ancien actionnaire définitivement réglé, recevra tout ou partie de la somme séquestrée (selon que sa réclamation sera ou non accueillie).

Ces deux décisions, qui doivent être approuvées tant sur le plan des principes juridiques que sur celui du pragmatisme, constituent d’excellentes nouvelles pour la sécurité juridique des opérations de capital-investissement.

1.Une stratégie similaire a pu être utilisée par des actionnaires de sociétés dont les titres sont inscrits sur un marché réglementé, en faisant obstacle à la procédure de retrait obligatoire qui requiert la détention, par les actionnaires majoritaires, d’au moins 95% des droits de vote.

2. CA de Paris, Pôle 1 chambre 3,  28 janv. 2014 RG 13/07887

3. Notamment : CA Paris, 21 décembre 2001, RG n° 2001/00052 ; CA Versailles, 14 octobre 2004, n° 03-4586 ; CA Paris 21 décembre 2007, n° 07-17846  CA Paris 14 février 2012, n° 11/14683

4. Art. 872 du CPC : “Dans tous les cas d’urgence, le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence du tribunal, ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend”.

5.Tribunal de Commerce de Paris, ordonnance de référé du 20 octobre 2014

Questions à…Maxence Bloch, associé chez King & Wood Mallesons

Quelles sont selon vous les problématiques actuelles du marché ?

Le marché se caractérise par une abondance de liquidités. Les levées de fonds ont été importantes et continuent à se produire pour des montants satisfaisants, et le marché du financement d’acquisition continue à être actif, notamment grâce à la présence des fonds de dette. Cependant, ces liquidités peinent quelque peu à s’investir. La faiblesse de notre économie fait qu’assez peu d’entreprises ont la capacité de présenter des profils de croissance intéressants. Parmi celles-ci, ce sont celles qui réalisent leur croissance à l’international qui tirent leur épingle du jeu. Cela a pour effet de concentrer l’intérêt des investisseurs sur certains actifs ayant fait leur preuve, dont la valorisation reste élevée. D’où également l’importance des LBO secondaires par rapport au nombre de LBO primaires, qui reste modeste dans le segment des midcap et au-dessus. On constate par ailleurs que les sorties de LBO par introduction en bourse demeurent assez peu nombreuses, pour des raisons tenant aussi bien à la réglementation qu’à l’incertitude qui règne sur les marchés financiers. Une dernière tendance qui se fait jour : l’augmentation des transactions dites «management led» sur des sociétés qui se sont développées au travers de LBOs successifs et qui trouvent dans cette solution une structure à plus long terme que dans un LBO plus «classique».

 

Quelles sont les particularités de votre équipe dédiée à ces dossiers ?

Notre cabinet offre une équipe de spécialistes dédiés au LBO, qui se sont concentrés sur ce marché depuis près de vingt ans. Nous sommes reconnus comme un des leaders sur le segment mid-cap mais également de plus en plus présents sur le segment large-cap, ainsi que le démontrent les opérations que nous avons conseillées et nos différents classements dans les guides les plus réputés. Notre cabinet s’appuie sur la synergie entre notre équipe création de fonds – leader incontesté en la matière – et nos équipes dédiées aux transactions – notamment corporate, financement, fiscalité, concurrence. Au total, sur les 65 avocats du cabinet à Paris, ce sont une cinquantaine d’avocats dont une partie très importante de l’activité est consacrée au capital-investissement, et qui s’est encore renforcée en 2014 avec la nomination de deux associés, d’une counsel et l’arrivée de six collaborateurs. Notre équipe corporate s’est également beaucoup diversifiée sur les opérations de M&A plus classiques, que ce soit dans le cadre de build-ups de sociétés sous LBO, ou pour des clients industriels, et a intégré la dimension contentieuse des opérations de M&A, qui devient un élément de plus en plus important.

 

Comment accompagnez-vous vos clients ?

Les opérations de LBO impliquent l’intervention de beaucoup de spécialités : corporate bien sûr, mais aussi fiscalité, financement, droit de la concurrence, etc. Pour autant, il est essentiel que le client ait un point d’entrée principal, et ne soit pas renvoyé d’un spécialiste à l’autre, selon la question posée. L’équipe corporate joue donc un rôle central dans les opérations, en devant être suffisamment pluri-disciplinaire pour coordonner l’ensemble des spécialistes impliqués sur le dossier, sans que le client soit noyé par le nombre d’intervenants. Dans ce cadre, le rôle de l’associé corporate est clé. Nous nous attachons également à garantir la présence effective des associés sur le dossier, en veillant à ce que délégation ne signifie pas éloignement du dossier.

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