Que l’on nous pardonne ce titre un peu provocateur, mais l’on éprouve tout de même une petite déception à la lecture du texte du projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises (dit «Pacte»), en cours de discussion à l’Assemblée nationale à l’heure où nous écrivons ces lignes. Le projet perd en effet l’occasion de moderniser la transmission des entreprises.
Par Bruno Dondero, professeur à l’Ecole de droit de la Sorbonne (Université Paris 1), of counsel CMS Francis Lefebvre Avocats
Le projet Pacte est officiellement consacré à la croissance et à la transformation des entreprises et il ne se présente donc pas comme une réforme de la transmission d’entreprise. Pourtant, peut-on prétendre transformer les entreprises si l’on ne s’attaque pas à la question de leur transmission ? La transmission d’une entreprise est une étape essentielle de sa vie, voire la clé de sa survie, qu’il s’agisse de la transmission aux héritiers de l’entrepreneur ou de la cession faite volontairement par l’entrepreneur, soit pour profiter d’une plus-value, soit pour financer l’acquisition d’une nouvelle entreprise, ou qu’il s’agisse encore de la reprise d’une entreprise en difficulté par une personne prête à en assurer le redressement.
Avant toute chose, il faut signaler une faiblesse de notre droit, qui est l’absence de définition de… l’entreprise ! La plupart des sociétés exploitent des entreprises et beaucoup de personnes physiques exercent une activité d’entrepreneur, mais ni l’entreprise ni l’entrepreneur ne sont définis par le Code civil ou le Code de commerce. Cette absence de définition n’empêche pas l’entreprise d’être omniprésente dans les débats actuels, et notamment dans la redéfinition de son rôle que se propose de mettre en œuvre le projet de loi Pacte. Mais à vouloir appréhender quelque chose qui n’a pas été défini, on est contraint de toucher d’autres notions : ainsi parle-t-on de modifier l’intérêt des entreprises mais c’est à l’intérêt des sociétés civiles et commerciales que Pacte s’attaque…
Si l’on veut forcer un peu le trait, on reprochera à Pacte d’ignorer la transmission d’entreprise (1) et même parfois d’être résolument hostile à ce que l’entreprise change de mains (2).
1. Ignorer la transmission d’entreprise ?
Le projet de loi Pacte ne se donne pas pour ambition de révolutionner la transmission d’entreprise, à la différence de la proposition de loi adoptée par le Sénat en juin dernier1. Pacte aurait-il une telle ambition, d’ailleurs, qu’il faudrait identifier où les dispositions nouvelles devraient prendre place, l’une des caractéristiques de notre droit étant de ne pas disposer d’un corpus de règles spécifiques à la cession d’entreprise.
La cession de fonds de commerce est certes encadrée par quelques articles du Code de commerce, et des dispositions éparses de ce code et du Code civil font référence à la cession de parts sociales ou d’actions. Mais les dispositions sur la cession de fonds de commerce sont très majoritairement consacrées à une garantie de paiement (le privilège du vendeur du fonds de commerce). Et les textes sur les cessions de droits sociaux ne s’intéressent pour l’essentiel qu’à des aspects ponctuels de la cession, le plus souvent envisagée du seul point de vue de la société (agrément de la cession par les organes sociaux, opposabilité de la cession à la société et aux tiers).
Notre droit manque de dispositions lisibles définissant les droits et obligations des parties à une cession d’entreprise. Un entrepreneur étranger qui chercherait à accéder à un chapitre du Code de commerce l’informant sur ce à quoi l’engagerait l’acquisition d’une entreprise française aurait ainsi bien du mal à trouver une réponse. S’il parvenait à savoir que le «fonds de commerce» correspond à l’entreprise – mais cette notion vieillotte n’est même pas définie par le Code de commerce – il ne trouverait que des dispositions abordant certains aspects très particuliers de la transmission.
L’investisseur étranger qui chercherait le chapitre sur la cession de parts sociales ou la cession d’actions serait lui aussi peu avancé par la consultation du Code de commerce. C’est plutôt dans le Code civil qu’il trouverait des réponses aux questions fondamentales ; mais, il faudrait lui expliquer que les articles traitant spécifiquement de la cession de parts ou d’actions sont très rares, et que c’est le droit commun de la vente, et, avant lui, le droit général des contrats qui régissent les cessions d’entreprise.
L’un des objectifs du projet de loi Pacte est aussi de faire œuvre de clarification de notre droit. C’est ainsi le droit des sociétés cotées qui sera rendu plus lisible, puisqu’une ordonnance devrait habiliter le gouvernement à harmoniser les dispositions sur ces sociétés et à les regrouper au sein d’une division dédiée. Des transferts de textes du Code de commerce au Code monétaire et financier sont également prévus. Il est donc regrettable que l’on n’ait pas cueilli l’occasion pour clarifier le statut de l’entreprise et de la transmission d’entreprise.
2. Décourager la transmission d’entreprise ?
Au-delà de ce désintérêt relatif pour la transmission d’entreprise, notre droit – il n’est pas le seul – prend parfois des positions résolument hostiles à cette transmission. A cet égard, le projet de loi Pacte comporte deux volets – l’un présent dans le projet original, l’autre résultant d’un amendement – qui travaillent l’un et l’autre à dissuader de transmettre l’entreprise.
Le projet de loi envisage tout d’abord d’opérer la transposition de la directive 2017/828 du Parlement européen et du Conseil du 17 mai 2017, directive dont l’objectif est de «promouvoir l’engagement à long terme des actionnaires». L’intérêt d’un actionnariat de long terme se comprend aisément : il permet de mieux identifier la politique de l’entreprise sur la durée. Les mesures contenues dans la directive ne sont pas mauvaises pour l’entreprise, puisqu’elles contribuent essentiellement à renforcer les droits des actionnaires. Il demeure que l’idée selon laquelle un actionnariat figé serait nécessairement favorable à l’intérêt de la société est toujours un peu surprenante.
L’autre innovation qui retient l’attention est l’institution du fonds de pérennité économique (FPE), qui est une personne morale à laquelle les associés/actionnaires d’une ou plusieurs sociétés exerçant une activité industrielle, commerciale, artisanale ou agricole ont apporté leurs droits sociaux. Cet apport est particulier, puisqu’il est «gratuit et irrévocable». On connaissait les actions gratuites, mais pas encore l’apport gratuit… Les parts ou actions sont attribuées au FPE afin qu’il les gère, exerce les droits qui y sont attachés et utilise ses ressources dans le but de contribuer à la pérennité économique des sociétés détenues et puisse réaliser ou financer des œuvres ou des missions d’intérêt général. En quoi cela affecte-t-il la transmission d’entreprise ? Tout simplement par l’affirmation selon laquelle les actions ou parts détenues par le fonds sont en principe inaliénables. Et aussi par le fait que lorsque le fonds disparaîtra, son actif devra être transféré à un bénéficiaire désigné par les statuts ou à un autre FPE, à une fondation reconnue d’utilité publique ou à un fonds de dotation.
En conclusion, ce n’est pas tant l’expression d’une critique adressée au projet de loi Pacte qu’il faut voir dans les lignes qui précèdent que la formulation d’un petit regret. Il est dommage de ne pas avoir saisi l’occasion pour moderniser et clarifier le droit de la transmission d’entreprise. Mais peut-être est-il encore temps ?
1. Proposition de loi visant à moderniser la transmission d’entreprise, adoptée en première lecture par le Sénat le 7 juin 2018.