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La lutte contre la corruption transnationale et la règle non bis in idem

Publié le 27 février 2015 à 16h51    Mis à jour le 29 juin 2021 à 10h32

La corruption d’agents publics étrangers est une infraction qui, par définition, implique plusieurs États. C’est l’archétype du délit transnational. Les entreprises confrontées à des poursuites judiciaires sur ce fondement doivent donc, dans la majorité des cas, faire face à une multiplicité de poursuites dans des environnements juridiques souvent très différents.

De la part, d’abord, des autorités de l’État au service duquel l’agent corrompu est employé. De la part, ensuite, des autorités de l’État dans lequel l’entreprise poursuivie est établie, soit au titre de la compétence personnelle, soit parce que les faits constitutifs de l’infraction, ou une partie d’entre eux, se sont déroulés sur son territoire. D’autres États, encore, peuvent être concernés : que l’on songe à l’hypothèse où l’entreprise concernée est la filiale d’un groupe coté aux États-Unis ou qui, sans faire partie d’un groupe coté aux États-Unis, a réglé, par exemple, le montant des commissions illicites par le biais d’un compte en dollars. Pour peu que ce paiement ait transité par l’intermédiaire d’un « consultant » établi dans un quatrième pays, il pourrait y avoir pas moins de quatre États différents qui pourraient légitimement faire valoir leur compétence pour poursuivre et sanctionner l’infraction de corruption d’agents publics étrangers.

Cette hypothèse de multiplicité des poursuites n’avait pas échappé aux rédacteurs de la Convention de l’OCDE, dont l’article 4 relatif à la compétence prévoit que, lorsque plusieurs États sont compétents à l’égard d’une infraction de corruption d’agents publics étrangers, ces États doivent se concerter, à la demande de l’un d’entre eux, afin de décider lequel est celui qui est mieux à même d’exercer les poursuites. Dans la réalité, toutefois, les choses sont bien différentes, du moins s’agissant des entreprises françaises, dont le système répressif est perçu par les États-Unis, en particulier, mais également par l’OCDE, comme manquant singulièrement d’efficacité. Le dernier rapport de décembre 2014 de suivi écrit de Phase 3 de l’OCDE relatif à la France est à cet égard symptomatique de la difficulté qui est la nôtre à convaincre nos partenaires internationaux de la détermination de nos institutions à lutter contre la corruption transnationale. Nos textes ne seraient pas suffisamment répressifs et notre procédure insuffisamment efficace. Pourtant, des réformes substantielles ont été faites, notamment avec la loi du 6 décembre 2013, et des procédures sont en cours ; leur nombre aurait même augmenté depuis 2012, si l’on en croit le dernier rapport de l’OCDE de décembre 2014. Du coup, le regard porté par nos partenaires sur nos institutions n’évoluant guère, sinon à la marge, les entreprises françaises restent toujours confrontées à une multiplicité de poursuites, notamment de la part des autorités américaines, mais aussi de la part des autorités françaises, ne serait-ce que pour donner à la communauté internationale les gages attendus de notre détermination à lutter contre la corruption. L’article 4 de la Convention de l’OCDE reste donc pour l’essentiel lettre morte.

Ce qui conduit inévitablement à se poser la question de la conformité de cette multiplicité de poursuites avec la règle non bis in idem.

Or, si l’article 6 du code de procédure pénale prévoit que « l’action publique pour l’application de la peine s’éteint […] par la chose jugée », les articles 113-9 du code pénal et 692 du code de procédure pénale n’accordent en revanche le bénéfice de cette règle, lorsque la chose jugée l’a été à l’étranger, que lorsque la compétence française repose sur la compétence personnelle. En d’autres termes, si la compétence française, concurrente de la compétence étrangère, résulte de ce que l’un des éléments constitutifs de l’infraction de corruption d’agents publics étrangers s’est déroulé, ne serait-ce qu’en partie, sur le territoire français, alors la règle non bis in idem, telle qu’elle est formulée par l’article 6 du code de procédure pénale, ne s’applique pas.

La justification généralement donnée pour expliquer l’éviction de la règle non bis in idem dans cette hypothèse tient à des considérations tirées de la souveraineté territoriale. La reconnaissance, en France, de l’autorité de chose jugée qui s’attache à une décision pénale étrangère constituerait une atteinte insupportable à la souveraineté nationale puisqu’elle aboutirait à donner effet à une loi pénale étrangère pour se prononcer sur des faits qui, même en partie, ont porté atteinte à l’ordre public français.

Une telle considération parait toutefois bien mince, au regard des impératifs de justice et d’équité qui fondent la règle non bis in idem, lesquels ne sont pas moins impérieux quand il s’agit de la chose jugée à l’étranger.

Et de fait, il existe de nombreux accommodements avec ce principe, notamment dans le droit conventionnel. C’est ainsi que la convention sur les stupéfiants du 30 mars 1961 a été interprétée par la Cour de cassation comme conférant l’autorité négative de la chose jugée à une décision étrangère, en l’occurrence une décision syrienne, alors même qu’un trafic de stupéfiants avait eu lieu en France, de sorte que la règle non bis in idem a pu, dans cette affaire, faire obstacle à une condamnation en France. Il existe également des exceptions en droit interne, notamment l’article 7 du code disciplinaire et pénal de la marine marchande, qui reconnaît l’application de la règle non bis in idem, sans restriction géographique.

Si cette question a pu faire l’objet de questions prioritaires de constitutionalité, aucune n’a encore percé le filtre des juridictions de fond. Quant à la Cour européenne de sauvegarde des droits de l’homme, si elle reconnaît la protection découlant de la règle non bis in idem, elle en limite les effets aux seules poursuites par un même État.

En définitive, la règle non bis in idem n’est prise en compte qu’à travers le principe de proportionnalité des peines. Si le principe ne fait donc pas obstacle à une poursuite en France, en présence d’une condamnation prononcée à l’étranger, dès lors que la compétence française n’est pas fondée sur la seule compétence personnelle des juridictions françaises, le juge français doit, en prononçant la peine, tenir compte de la peine infligée par la juridiction étrangère. Mais comment assurer cette proportionnalité lorsque l’on sait que les peines infligées, notamment par les autorités américaines, peuvent atteindre des sommes sans commune mesure avec les peines encourues en France ? Sauf évidemment à prononcer des peines symboliques, mais alors l’intérêt de mobiliser autant de ressources pour en arriver là paraît tout relatif. On peut donc légitimement se poser la question de l’intérêt de ces poursuites multiples, qui ressemblent davantage à une fuite en avant pour satisfaire les exigences de nos partenaires internationaux qu’à une politique pénale réfléchie.

Questions à… Dominique Mondoloni, associé, Willkie Farr & Gallagher LLP

Dominique Mondoloni est associé au sein du département contentieux et arbitrage de Willkie Farr & Gallagher LLP. Il conseille principalement dans les dossiers de contentieux commerciaux, financiers et civils et le droit pénal des affaires. Il intervient également comme arbitre ou comme conseil dans le cadre d’arbitrage commerciaux et institutionnels.

Quelles sont, selon vous les problématiques en matière de lutte contre la corruption transnationale ?

Dominique Mondoloni :Lorsqu’une entreprise française est confrontée à une poursuite engagée par les autorités américaines sur le fondement du FCPA (Foreign Corrupt Practices Act), souvent, d’ailleurs, concurremment avec une poursuite française, la problématique essentielle tient à la manière dont les autorités américaines abordent ces poursuites. A la différence de la France, où l’enquête sera menée par la police sous le contrôle le plus souvent d’un juge d’instruction, les autorités américaines s’attendent pour leur part à ce que l’enquête soit menée directement par l’entreprise concernée, avec ses avocats, dont les autorités américaines attendent une coopération sans faille. Ce qui pose évidemment des problèmes, non seulement pour l’entreprise, mais également pour les avocats qui conduisent ces investigations. Comment communiquer le résultat de ces investigations, sans violer l’article 1bis de la loi du 16 juillet 1980 ? Comment préserver le secret des correspondances des salariés tout en menant une enquête robuste ? Comment éviter le reproche qui pourrait être fait par les autorités américaines d’un défaut de coopération, dans l’hypothèse où les obstacles de droit interne empêchent d’aller plus loin ? Toutes ces questions doivent être envisagées en amont de manière à pouvoir mettre en place les outils adaptés, sans encourir de reproches ni d’une part, ni d’autre.

Quelles sont les particularité de votre équipe dédiée à ces dossiers ?

Dominique Mondoloni : Notre équipe est totalement transnationale. Nous avons des avocats à Washington DC, dont trois associés, tous anciens parquetiers fédéraux, et des avocats à Francfort, Londres et Paris. Lorsque nous constituons des équipes pour traiter des dossiers spécifiques, toutes les ressources sont exploitées, quel que soit l’endroit où elles se trouvent de telle sorte qu’il n’est pas inhabituel qu’un avocat à Paris travaille sur un dossier en Espagne avec un associé du bureau de Washington DC et d’autres collaborateurs du bureau de Londres. L’expérience ainsi acquise nous permet de conseiller nos clients avec une réelle connaissance pratique des sujets qui se posent dans toutes les juridictions.

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