Transmission d’entreprise

La pédagogie et la communication pour faciliter la transmission d’entreprises

Publié le 29 juin 2021 à 11h29

Propos recueillis par Gilles Lambert

L’Observatoire BPCE notait en 2019 que les cessions-transmissions d’entreprises avaient baissé d’un tiers en trois ans, passant de plus de 76 000 opérations en 2013 à moins de 51 000 en 2016. Et alors que la reprise d’une société implique, de manière habituelle, une part d’incertitude, celle-ci s’est encore accrue avec la crise de la Covid-19. Le potentiel acquéreur doit se pencher sur la situation financière de l’entreprise, mais il doit également prendre en compte de nouvelles données, comme la capacité d’adaptation du business model. Afin d’enrayer la baisse des cessions-transmissions d’entreprises, les politiques publiques tentent donc de longue date de lever les freins juridiques. Sept experts dressent un état des lieux sur les modes d’information relatifs aux opportunités de cession, sur les outils juridiques et fiscaux disponibles pour la réussite d’une transmission, ainsi que sur la problématique de la sécurité juridique et fiscale des opérations de cession/transmission.

Comment se porte l’activité en matière de cession-transmission ?

Donatienne Piret, greffière, tribunal de commerce de Troyes, en charge du développement de la plateforme Marketplace.infogreffe.fr : Par l’observatoire des greffes des tribunaux de commerce, je peux vous communiquer les chiffres des immatriculations par rachat de fonds de commerce. Cela ne permet pas de savoir précisément combien d’entreprises ont été rachetées ou transmises, mais cela permet de dresser une tendance. Entre 2019 et 2020, nous avons constaté une baisse de 48 % de ce type d’immatriculation. En revanche, cette année, du 1er janvier à aujourd’hui, on ne constate qu’une baisse de 3 % par rapport à l’année dernière. Le chiffre qui me frappe le plus, c’est tout le potentiel qui reste encore en matière de transmission. Du 1er janvier 2021 à aujourd’hui, nous avons enregistré plus de 100 000 radiations d’entreprises, alors que seulement 1222 sociétés ont été reprises par rachat de fonds de commerce. Nous comptabilisons donc un nombre très important d’entreprises radiées qui ne sont pas reprises. Le potentiel est encore gigantesque sur la transmission, peut-être par un manque de transparence du marché, ou encore pour des raisons fiscales ou sociales.

François Vignalou, associé, Bignon Lebray : Il s’agit de chiffres qui portent sur des cessions de titres de sociétés et non de transmissions intrafamiliales, qui s’effectuent par actes notariés, et pour lesquels vous n’avez donc pas de visibilité, n’est-ce pas ?

Donatienne Piret : Il s’agit en effet des immatriculations par achat de fonds de commerce. Je n’ai pas aujourd’hui de chiffres plus précis concernant les cessions de parts sociales. Mais la tendance que je souhaitais souligner est, à cette date, une légère baisse de 3 % qui n’est pas incompatible avec le ressenti d’une augmentation de l’activité en matière de cessions-transmissions. L’effet Covid n’est pas celui auquel on s’attendait ; en effet, nous notons une augmentation importante du nombre des immatriculations (+ 72 % à mai), ce qui en apparence est une dynamique très positive, alors que potentiellement nous sommes confrontés à une situation de crise. Les chiffres sont perturbants parce qu’ils ne traduisent pas l’attente que nous pourrions avoir.

Xavier Rollet, associé, Racine : L’année passée a été très particulière, notamment dans le domaine de la transmission d’entreprise. Il y en a eu évidemment très peu, entre autres pour des questions de valorisations et en raison de circonstances exogènes qui tiennent tout simplement à la crise sanitaire. De manière générale, je pense que mes confrères partagent le même constat d’une baisse des transmissions familiales, car en réalité la transmission intrafamiliale est aujourd’hui moins l’objectif voire la philosophie de l’entrepreneur. En termes de cessions d’une manière générale, nous constatons dans notre pratique, puisque nous avons une activité forte sur les cessions d’entreprises, un très fort rebond depuis la moitié du second semestre 2020. Celui-ci est lié à la suractivité des fonds d’investissement, entre lesquels il y a d’ailleurs une concurrence très forte aujourd’hui, avec beaucoup de liquidités disponibles et investies dans le non-coté. J’ai l’impression que le capital tourne davantage qu’avant, en mettant bien sûr à part l’année 2020, qui malgré la reprise reste très particulière. Il reste des choses à améliorer pour encore encourager et faciliter les cessions comme les transmissions. Concernant les tendances de marché, jusqu’au mois de juillet, l’année 2020, a été une année assez calme par essence. Il y a eu très peu de deals clôturés sur les opérations de capital privé. Comme indiqué, dès septembre 2020, l’activité a bien repris. En revanche, les perspectives en termes d’activités autour de la transmission sont quand même plutôt bonnes. Il y a donc beaucoup d’appétit d’investisseur, beaucoup d’argent à investir. C’est un constat général. Il y a même une concurrence au niveau des acheteurs, ce qui engendre des surprimes de valeur aux entreprises qui ont passé la crise avec succès.

Antoine Colonna d’Istria, associé, Norton Rose Fulbright : Je tempérerais un peu ce qui vient d’être dit. En ce qui me concerne, l’année dernière a été une bonne année. Il y a eu de nombreuses opérations réalisées courant 2020 dont une grande partie avait été anticipée antérieurement. Organiser une opération de transmission, quelle qu’en soit la forme, prend énormément de temps. Certes la demande est plus forte que l’offre mais les entreprises familiales, en général, prennent du temps avant de prendre une telle décision et les valorisations sont souvent fondées sur les résultats de plusieurs années antérieures. Ainsi, pour des opérations qui se sont clôturées au premier trimestre 2021, les chiffres retenus sont ceux de 2019. Les acquéreurs considèrent souvent que 2020 est une année assez exceptionnelle et les valorisations, que ce soit des valorisations immédiates ou à terme, tiennent compte de l’évolution des résultats au cours des années antérieures. La valorisation à terme vise, par exemple, des compléments de prix qui peuvent être prévus pour tenir compte de l’effet Covid et de son caractère exceptionnel.

Je suis d’accord avec l’idée qu’il y a un potentiel considérable de transmissions, parce qu’effectivement, compte tenu de la démographie, il y a une grande population de personnes entre 55 ans et 70 ans qui cherchent à transmettre, que ce soit à l’intérieur de la famille, ou bien à des dirigeants plus jeunes qui sont capables de reprendre. Mais comme l’a dit mon confrère, c’est beaucoup plus difficile à mettre en œuvre qu’il n’y paraît parce qu’il faut trouver des volontaires compétents. De nombreuses opérations sont prêtes à être réalisées. Cependant, elles ne passent pas toujours par le cadre du pacte Dutreil, qui peut présenter des contraintes, mais éventuellement par d’autres systèmes d’apport à des sociétés holdings et par des gestions intermédiaires. Et évidemment, il y a des opérations plus classiques de cession avec l’entrée de spécialistes de la reprise d’entreprises, apportant de nouveaux fonds pour développer l’entreprise sur la base de valorisations qui tiennent compte de l’effet Covid, comme précédemment évoqué.

Je suis relativement optimiste pour les années à venir parce que la transmission est un élément essentiel du fonctionnement de l’économie et à ce titre contribue à la richesse de la nation. C’est à partir de ces entreprises que se créeront les emplois de demain. Donc il faut évidemment les favoriser.

Branka Berthoumieux, responsable reprise transmission CCI Paris Ile-de-France : Nous accompagnons depuis plus de 20 années, au travers d’un réseau national, les dirigeants de petites et moyennes entreprises sur leurs opérations de transmission et de développement. Ce sont des milliers de projets de rapprochement aboutis. En ce sens, le réseau consulaire dispose d’un poste d’observation privilégié pour mesurer le dynamisme du marché de la transmission d’entreprises. Nous n’avons pas constaté en 2020 de réel ralentissement des opérations de rapprochement en dépit du contexte sanitaire.

L’Ile-de-France concentre près de la moitié des opérations de rapprochement avec plus d’un tiers des entreprises qui ont à leur tête un dirigeant âgé de plus de 55 ans. Cependant, bon nombre de transmissions ne sont pas motivées par l’âge du capitaine. Au contraire, certains dirigeants éprouvés par la crise souhaitent se désengager de leur risque entrepreneurial plus rapidement que prévu tandis que d’autres envisagent une croissance externe. De plus en plus, les dirigeants n’attendent pas d’atteindre l’âge de la retraite pour engager un processus d’ouverture de capital. Nous sommes souvent confrontés à des dirigeants âgés de moins de 50 ans, qui envisagent le fait de s’adosser à un plus grand groupe comme un moyen de se renforcer et de poursuivre le développement de leur entreprise. En 2020 et en début d’année 2021, les sujets de la valorisation et de la sécurisation financière de l’opération ont été prégnants. Pour autant, les opérations engagées avant confinement ont pu progresser et aboutir selon le calendrier prévu.

Fiscalité de la transmission d’entreprise

Antoine Colonna d’Istria : J’interviens dans les opérations de transmission sur la partie contractuelle, mais aussi sur la partie fiscale qui est le coeur de mon métier. La gestion de ce genre de dossier du point de vue fiscal, peut présenter une grande complexité. C’est une opération qui doit s’inscrire dans le temps. Souvent, nous sommes confrontés à un paysage fiscal très mouvant, alors que l’un des objectifs des clients est celui de la stabilité des solutions proposées, notamment au regard des risques de remise en cause que certaines structures peuvent susciter. Ces risques peuvent provenir de différentes sources.

La première est évidemment liée à la rétroactivité de la loi fiscale. Les clients nous demandent d’avoir une certitude quant au montant de l’impôt qu’ils devraient payer. Dans la mesure où certains d’entre eux anticipent la transmission de leur entreprise, il faut que nous puissions leur donner précisément cette information. Comme on le sait, les droits de mutation, et notamment les taux, sont calculés conformément aux règles en place au moment de la transmission effective. Entre la signature du pacte et la réalisation effective de la transmission, le taux et la méthode de calcul de l’impôt peuvent être amenés à évoluer. Le législateur, l’administration fiscale et les conseils devraient mener une réflexion afin de stabiliser définitivement la fiscalité applicable. 

Le deuxième type de risque est lié à la solidité fiscale de la structure, notamment au regard de l’évolution de la jurisprudence. Une décision rendue récemment par la Cour de cassation pour définir plus précisément la notion de holding animatrice illustre la situation où des structures qui avaient été savamment mises en place, d’un point de vue juridique et patrimonial, par les conseils sont remises en cause plusieurs années après leur mise en œuvre, entraînant un certain nombre de désillusions pour les investisseurs. Le pacte Dutreil étant applicable aux holdings animatrices comme aux sociétés opérationnelles, la stratégie fiscale peut, dans ce cas, être soumise à l’aléa des évolutions jurisprudentielles.

Un troisième type d’aléa concerne la valorisation. En France, il y a un régime de sécurisation de la valorisation, appelé le rescrit valeur. Or, cette possibilité que la loi fiscale ouvre d’obtenir un tel rescrit ne fonctionne pas. La plupart des entreprises ne souhaitent pas suivre cette procédure. Pour vous donner un exemple, l’administration fiscale a publié un rapport sur son activité en matière de rescrit. En 2018, il y a eu deux demandes de rescrit valeur et en 2019, aucune. On pourrait s’interroger sur les raisons de cet échec parce que la valeur, c’est un sujet majeur de la transmission. Pourquoi le fisc n’est-il pas davantage consulté pour se protéger contre ces aléas et donc sécuriser l’opération ? Généralement les entrepreneurs et les entreprises y sont réticents, car comme le révèle un rapport du Sénat de 2017, ils préfèrent garder l’anonymat et craignent qu’un rescrit débouche, in fine, sur un contrôle fiscal. Enfin, ils considèrent qu’il est difficile de concilier la valorisation de l’Administration avec celle des banques. Souvent les approches et les méthodes de calcul sont totalement différentes, l’Administration jugeant sur la base du passé et les banques jugeant sur celle de l’avenir.

Comment exploiter le potentiel en matière de transmissions

Donatienne Piret : Un million d’entreprises ont des dirigeants entre 60 et 70 ans, dont 300 000 qui sont vraiment actives. Donc effectivement, il y a un fort potentiel d’entreprises à transmettre. Je crois qu’il faut à la fois pouvoir anticiper ces questions et peut-être même aller chercher ces entreprises et leur proposer des options pour pouvoir céder plus facilement. Et je pense aussi que nombreuses sont les personnes qui souhaitent reprendre : étudiants, chômeurs, salariés, entrepreneurs. Et ils ne trouvent pas forcément aujourd’hui l’entreprise qui leur convient parce qu’ils pensent parfois que c’est trop compliqué ou que ce n’est pas pour eux. Je pense qu’il faut faciliter et fluidifier ceci. La marketplace que vient de lancer Infogreffe est un outil qui peut vraiment aider les cessionnaires et les cédants afin de multiplier les opportunités de reprise et de transmission en visant un plus grand public.

François Vignalou : Je voudrais compléter un peu ce qui a été dit sur la distinction entre cessions et transmissions. En matière de cession, il y a beaucoup d’argent qui existe sur le marché, il y a des fonds qui veulent investir. Il y a des outils qui existent pour mettre en relation des repreneurs et des vendeurs. Je pense que naturellement, les choses vont s’accélérer parce qu’il va y avoir les départs en retraite et des dirigeants qui vont vouloir céder. Et lorsque les dossiers sont bien ficelés, on trouve facilement du financement pour pouvoir acquérir. Pour les transmissions, il y a un frein psychologique fort de la part du dirigeant actionnaire qui devrait partir à la retraite, et qui, pour résumer, a peur de quitter son travail, de se retrouver à la maison, de faire un mauvais choix sur le repreneur ou encore a peur de la fiscalité. Et à l’opposé, l’enfant ou les enfants repreneurs, à qui l’entreprise est transmise, ont aussi besoin de démontrer qu’ils sont capables, légitimes, et qu’ils vont avoir la capacité de développer l’entreprise. Comment peut-on envisager l’avenir et accélérer ses transmissions ? Je pense que la réponse réside dans un besoin d’explication, d’information, de communication pour lever ces peurs, pour expliquer la fiscalité, qui est l’un des premiers critères de blocage. Il faut expliquer que la fiscalité n’est pas si confiscatoire, parce qu’il existe des outils pour adoucir le coût fiscal des transmissions. Je pense que le rôle des conseils, c’est de travailler à plusieurs (avocats, notaires, experts-comptables). Ces derniers doivent évangéliser, accompagner, expliquer que ces opérations se mènent, certes avec certaines techniques, mais à des coûts réduits pour pouvoir initier une dynamique de transmission.

Branka Berthoumieux : Il reste encore fort à faire sur le marché de la reprise sur les prochaines années, et ce d’autant que certaines activités particulièrement impactées du fait de la crise sanitaire auront besoin d’être accompagnées dans des projets d’alliance, de partenariat et d’adossement. Les opérations de croissance externe permettent à des TPE/PME de croître et favorisent l’émergence des ETI qui sont en faible nombre en France. Nous sommes actuellement très sollicités par des dirigeants pour les accompagner sur leur stratégie de développement et nous les aidons à entrer en relation avec d’autres dirigeants sur des activités complémentaires et en forte synergie.

Pacte Dutreil

Antoine Colonna d’Istria : Il faut effectivement faire comprendre qu’en France, les outils existent pour adoucir la fiscalité. Je reviens au fameux pacte Dutreil qui fait l’objet d’un projet de circulaire rendu public par l’Administration, et au sujet duquel les commentaires, y compris dans les journaux grand public, ne sont pas toujours positifs. Il me semble quand même que c’est un outil particulièrement attractif par rapport à ce qui existe dans d’autres pays. Certes, il y a eu un grand nombre de modifications qui ont été effectuées par le législateur au cours des 20 dernières années, mais elles sont sans doute aussi justifiées par la volonté d’adapter la loi aux situations très variées et de plus en plus complexes que nous rencontrons nous-mêmes dans notre pratique, ainsi qu’à la nécessité de soumettre le dispositif à un certain nombre de conditions, comme cela a d’ailleurs été énoncé à l’origine du texte. Il faut rappeler que la première mouture du pacte Dutreil avait été censurée par le Conseil constitutionnel qui estimait que les contraintes de mise en œuvre du dispositif n’étaient pas suffisantes au regard du principe de l’égalité devant la loi fiscale compte tenu des avantages fiscaux majeurs qu’il octroyait. Ainsi, l’exonération partielle des droits de succession doit, conformément à la Constitution, être soumise à un certain nombre d’engagements de la part des héritiers. Les contraintes du pacte Dutreil ne doivent donc pas être vues comme un obstacle définitif, il s’agit seulement de critères à respecter. Je crois que, comme mon confrère l’a souligné, les professionnels du droit doivent être capables d’accompagner et de rassurer leurs clients. Il semble assez irréaliste de souhaiter supprimer les conditions qui permettent de bénéficier d’un tel régime fiscal favorable. Cependant, il ne faut pas non plus que la loi devienne totalement inintelligible. Notre rôle de conseil, en effet, est de la rendre lisible et donc applicable. Il faut veiller à garder cet équilibre et faire en sorte que les critères soient réalistes et cohérents avec l’esprit de cette loi, qui est de favoriser la transmission aux héritiers.

Certaines propositions de l’administration fiscale vont à l’encontre de cet esprit. C’est par exemple le cas de l’obligation pour le dirigeant qui a transmis tous les titres de sa société de ne pas continuer à codiriger la société avec ses héritiers. Cela paraît complètement incongru parce que la coopération et la codirection sont nécessaires lors du passage de relais pour assurer la réussite d’une transmission. De même, l’obligation de conserver des actions pour le dirigeant pour pouvoir postérieurement à la transmission continuer à diriger la société, qui fait partie des propositions de l’Administration, impliquerait qu’il ne puisse pas transférer toutes ses actions dans la société. Il serait nécessaire de retrouver l’esprit initial du texte visant à faciliter, dans les meilleures conditions, la transmission des entreprises. Parfois, ces dispositifs ont tendance à être un peu complexifiés par l’administration. Il y a un effort à faire, de part et d’autre, mais notre rôle, en tant que conseil, est de montrer que des mécanismes favorables de transmission existent et qu’ils peuvent être mis en œuvre.

Xavier Rollet : Le pacte Dutreil est en effet un outil formidable que beaucoup de pays nous envient. Il crée une vraie incitation à la transmission, on le vérifie tous les jours. Cela signifie qu’il faut le préserver. Il nous faut, en revanche, faire un effort de pédagogie car le pacte Dutreil fait partie des dispositifs les plus complexes qui soit. En pratique, le dispositif regorge de pièges techniques parfois difficile à appréhender, y compris pour les vrais spécialistes. A cet égard, il est à noter que les derniers commentaires de l’administration fiscale, malheureusement, n’échappent pas à la règle. Certes, l’idée n’est pas de détourner ou d’abuser du système du pacte Dutreil, qui est, encore une fois, très efficace, mais afin d’être certain de combler toutes lacunes réglementaires qui pourrait bénéficier à un contribuable, Bercy s’acharne à vouloir surréglementer le système pour en faire une « usine à gaz ». Une partie des derniers commentaires de l’administration sur le dispositif Dutreil sont éloquents à ce titre. Il faut rappeler que le manque de simplicité prive une partie de ce dispositif de son efficacité. J’appelle de mes vœux la mise en place d’un outil simple. Il est aujourd’hui très difficile d’expliquer le mécanisme du pacte Dutreil à un étranger. Comme les chiffres le montrent, beaucoup de chefs d’entreprise ont l’âge de les transmettre. L’idée de sanctuariser ce pacte est une excellente chose, mais des discussions constructives entre les professionnels et Bercy devraient pouvoir s’engager afin d’arriver à des solutions simples et pérennes. Dans certains pays, comme en Angleterre, les relations entre l’Administration et les praticiens permettent de mener des conversations constructives et de s’engager dans de véritables partenariats. Il ne s’agit plus alors systématiquement de rapports de force entre contribuables et administration fiscale.

Pistes d’amélioration

Xavier Rollet : L’idée n’est pas de prôner une simplification à outrance qui dévoierait le système, nous en sommes conscients. Le pacte Dutreil doit effectivement s’appliquer non pas à des gens qui veulent se dérober au paiement de l’impôt, mais à des gens qui veulent transmettre l’entreprise familiale à des générations qui vont poursuivre l’aventure. C’est la philosophie du pacte Dutreil. Il est donc indispensable que des critères s’appliquent effectivement pour s’assurer du respect de ces conditions. En revanche, et je partage les exemples qui ont déjà été donnés, imposer l’obligation pour le donateur de se séparer de l’intégralité des titres, ou encore l’obligation d’avoir le signataire à chaque fois, n’ont pas de sens et ne servent aucune logique fiscale. C’est le pragmatisme fiscal qui doit guider la réflexion comme toujours. Il y a différents thèmes sur lesquels on peut travailler. Certains prônent une exonération de 100 %. Avec 75 % le montant de la réduction d’impôt me semble déjà assez intéressant. Il avait été avancé par certains praticiens qu’une exonération totale pourrait être octroyée en contrepartie d’un engagement de conservation des titres plus longs. Je ne pense pas qu’il s’agisse là de bonnes pistes car difficilement présentables politiquement.

Antoine Colonna d’Istria : Je suis tout à fait d’accord avec vos propos, surtout si l’on ajoute aux 75 % la décote de 50 % qui s’applique aux chefs d’entreprise de moins de 70 ans. Et puis, je pense qu’il ne faut pas se faire d’illusions, une exonération totale serait anticonstitutionnelle au regard du principe de l’égalité devant l’impôt, je ne vois pas comment un législateur pourrait voter une telle mesure.

Xavier Rollet : Le socle actuel d’une réduction de 75 % pour une détention de 2 + 4 ans, reste tout assez équilibré. Cependant, je pense que dans la mise en place pratique, et notamment les questions concernant le signataire du pacte, les sociétés interposées ou la qualité du dirigeant, les règles devraient être adaptées afin de coller davantage aux contraintes opérationnelles des chefs d’entreprise. Sans rentrer dans le détail mais, par exemple, dans le cas précis des conditions de direction de l’entreprise transmise, je m’interroge sur la nécessité de confier effectivement et systématiquement la direction à la génération future. Le sujet de la direction est en fait souvent un frein à la transmission intergénérationnelle. Est-ce qu’un membre de la famille est toujours capable, ou même volontaire, pour assumer la direction opérationnelle de l’entreprise familiale ? Malgré cela il devrait être possible de conserver le capital de l’entreprise au sein de la même famille, dans la mesure où la stabilité de l’actionnariat est un gage de pérennité de l’entreprise. C’est un exemple parmi d’autres qui, je pense, pourrait faire l’objet d’une amélioration. A mon sens, la direction opérationnelle doit être confiée aux meilleurs éléments, qui ne sont pas forcément parmi les membres de la famille.

Donatienne Piret : En effet, quand les enfants n’ont pas le profil, il est vrai qu’il faut trouver la bonne personne et c’est un problème. Le dirigeant dans ce cas se retrouve un peu seul. Il existe pourtant de nombreuses associations qui existent pour accompagner ces chefs d’entreprise. Souvent, il est même difficile de s’avouer comme étant cédant. Par la marketplace que nous avons mise en place, il est possible de rechercher des repreneurs mais aussi des investisseurs ou des partenariats, ou se déclarer « à l’écoute de toutes propositions ». Si dans les mentalités, les choses changeaient en anticipant mieux le projet de cession, cela permettrait de ne pas perdre de valeur au moment de transmettre le témoin en étant mis en relation avec davantage de candidats potentiels à la reprise de l’entreprise. Au sein des greffes, nous constatons en effet que de nombreuses sociétés, qu’elles soient en procédure collective ou in bonis, finissent en radiation faute de trouver un repreneur. Les questions fiscales sont de toute évidence des éléments qui peuvent paraître compliqués et sur lesquels il faudrait communiquer, mais la problématique porte également sur la rencontre du bon repreneur, sans se limiter à sa région, ou à son entourage en rendant bien plus public les projets de cession. Les entrepreneurs aujourd’hui gardent une certaine opacité sur le fait qu’ils vendent, alors qu’au contraire, pour attirer beaucoup plus de cessionnaires pour toutes ces entreprises qui sont aujourd’hui radiées, il faudrait justement qu’ils en parlent et que plus de monde en ait connaissance.

Xavier Rollet : Il me semble également qu’il n’y a pas assez d’incitation à transmettre aux dirigeants et salariés de la société. Ces derniers sont souvent les mieux placés pour la reprise de l’entreprise. Les SCOP ont beaucoup été mises en avant, mais elles ne sont pas forcément la solution idéale. Il n’en demeure pas moins qu’il serait bon de mettre en place des mécanismes beaucoup plus incitatifs, en tout cas moins pénalisants pour la reprise du capital, ou d’une partie du capital, que les systèmes actuels tels que les actions gratuites ou équivalents dont la portée en termes de transmission est en fait limitée. Un dispositif qui permettrait aux dirigeants et salariés de l’entreprise de reprendre tout ou partie du capital dans des conditions spécifiques et incitatives serait à mon avis une excellente chose. La loi Pacte a mis en place des mesures de crédit d’impôt très limitées et difficiles à appliquer. Cette partie transmission aux dirigeants et salariés, à mon avis, devrait être creusée bien davantage, l’avenir des transmissions d’entreprise passe certainement aussi par là.

Julie David, directeur ingénierie patrimoniale, Natixis Wealth Management : Je partage les constats venant d’être dressés. Je les compléterais volontiers en soulignant l’importance d’une anticipation de l’opération de transmission qui doit être commencée dès que l’intention de transmettre commence à se dessiner. Celle-ci comporte un important volet patrimonial sur lequel devront travailler de concert et sans précipitation, l’ensemble des conseils de l’entrepreneur. Le dispositif Dutreil est dans ce registre un outil incontournable, car il offre des possibilités de personnalisation significatives. Il est par exemple possible de transmettre le capital aux descendants ou à certains d’entre eux sans désavantager les autres, d’intégrer des cadres dirigeants dans le pacte afin qu’ils assument eux-mêmes la fonction de direction, d’utiliser les effets de levier propres aux schémas de LBO, etc.

Le besoin d’anticipation que j’évoque est aussi en lien avec la nécessité d’explorer avec l’entrepreneur le détail des éventuels avantages fiscaux plus périphériques attachés au dispositif Dutreil. Je pense notamment à la possibilité, dans certains cas, de différer et de fractionner les droits de donation. Les échanges à tenir permettent aussi de traiter avec efficience le volet à titre onéreux pouvant exister quand l’entrepreneur souhaite, ce qui est fréquent, à la fois transmettre à titre gratuit une fraction de son outil de travail, mais également en vendre une autre fraction.

François Vignalou : Le pacte Dutreil est un bon outil. Il ne faut pas oublier l’objectif du législateur qui est de permettre la transmission et la pérennité de l’entreprise. Pour répondre à la question de savoir ce qui devrait être simplifié, je pense qu’il faudrait garder la condition de transmission et pérennité de l’entreprise, et supprimer toutes les autres conditions. Dès lors que l’administration fiscale peut vérifier que les héritiers ont bien reçu la société et cherchent à la pérenniser, les autres conditions sont presque inutiles. Aujourd’hui, on utilise principalement le pacte Dutreil, en combinaison avec d’autres outils, notamment le paiement différé, les sociétés holding. Les opérations sont souvent aussi un mix de plusieurs opérations, avec une transmission aux enfants, couplée avec une ouverture aux dirigeants ou aux salariés, voire l’entrée d’un fonds, qui va apporter du cash à l’entreprise pour se développer et qui va permettre de racheter une partie des actions de l’actionnaire cédant qui va ainsi obtenir des liquidités pour sa vie d’après. Il n’y a pas une technique meilleure qu’une autre, chaque opération fait l’objet d’un traitement au cas par cas. Il faut également saluer que le dispositif bénéficie d’une grande souplesse, mais le pacte Dutreil doit conserver un certain équilibre : dans la mesure où la fiscalité est assez faible, il faut garder l’objectif de transmission et pérennisation.

Julie David : Comme je l’indiquais précédemment, nous travaillons le plus souvent sur des dossiers de dirigeants dont l’entreprise constitue une grande partie de leur patrimoine. Leur vie a été consacrée à l’entreprise et ils ont besoin, lors de sa transmission ou de sa cession, de récupérer une fraction de la richesse qu’ils ont créée. Une bonne anticipation permettra de réaliser la cession dans les meilleures conditions et de sauvegarder ainsi le potentiel de fabrication d’un revenu supplémentaire, souvent indispensable après la cession d’activité. La démarche garantit par ailleurs une harmonisation avec le reste du patrimoine privé progressivement constitué au fil des années d’entreprenariat.

S’agissant du pacte Dutreil, j’ajouterais que nous sommes unanimes, je pense, pour dire qu’il est un outil dont l’efficacité au profit des entrepreneurs n’a cessé de croître. Nous observons toutefois, en contrepartie, une réelle complexification du dispositif. Cette évolution, déjà évoquée par d’autres intervenants de cette table ronde, et bien illustrée par la récente publication des commentaires de l’Administration sur les évolutions apportées au dispositif Dutreil – par la LF 2019 – doit être bien perçue par chacun. Elle suppose à l’évidence que le dirigeant s’entoure d’une équipe d’experts. C’est la maîtrise de ces derniers qui va assurer la bonne fin des opérations et qui va contenir les risques de remise en cause par l’administration fiscale.

Branka Berthoumieux : A ce jour, les outils financiers et juridiques existent pour permettre à une transmission de se réaliser dans de bonnes conditions. Les évolutions constatées tant sur le Pacte Dutreil que sur les dispositions d’abattement de la taxation des plus-values en faveur des TPE/PME permettent à un cédant pour peu qu’il soit bien informé et conseillé d’optimiser l’opération de cession sur le plan fiscal. Ce qui est plus délicat, et qui est le nerf de la guerre, est la mise en relation avec le bon repreneur en capacité d’assurer la pérennité de la société et son développement futur.

Risques juridiques et manque de prévisibilité

Antoine Colonna d’Istria : Comme déjà évoqué, les demandes de rescrits valeurs sont trop rares, pour diverses raisons plus ou moins justifiées. Malheureusement, la relation avec l’administration fiscale en France, contrairement à ce que l’on peut rencontrer dans d’autres Etats, n’est pas suffisamment tournée, à mon sens, vers l’accompagnement. Dans ce genre de situations complexes, une plus grande relation de confiance serait souhaitable. La relation de confiance a été mise en place dans la vie de l’entreprise, mais ne pourrait-elle pas être instaurée aussi dans le cadre des opérations de transmission, c’est-à-dire en assurant que la solution qui a été choisie, in fine, est la bonne, sans risquer une remise en question plusieurs années après ? Il serait profitable que les relations avec l’Administration soient plus détendues, plus apaisées, puisque l’objectif ici est de conserver les groupes familiaux pour permettre une pérennité de l’entreprise et donc des emplois.

Xavier Rollet : En effet, pour préparer les équipes opérationnelles à la reprise, une dizaine d’années au moins est nécessaire, même si techniquement l’opération en elle-même peut être réalisée en quelques mois.

Antoine Colonna d’Istria : Dans un dossier dans lequel je suis intervenu, la transmission s’est espacée sur plus de 20 ans. Bien sûr, cela peut être plus court, mais les situations sont toutes différentes.

Donatienne Piret : Un repreneur qui cherche une société à reprendre a besoin de deux ans pour trouver la bonne société. Le cessionnaire a besoin de 5 à 10 ans pour se préparer. Les besoins en termes de durée ne sont pas forcément les mêmes côté repreneur ou cédant.

Branka Berthoumieux : Ce sont des projets de longue haleine tant pour les cédants que pour les repreneurs. La règle d’or pour les cédants est l’anticipation et la préparation du projet. Au-delà des aspects purement techniques, juridiques, fiscaux et comptables, cette préparation permet au dirigeant de se préparer psychologiquement à transmettre son entreprise et lève ainsi certains freins sous-jacents. De même,  un repreneur insuffisamment préparé sera peu crédible vis-à-vis d’un cédant et d’un partenaire financier. Nous insistons auprès des dirigeants sur la nécessité de ce temps de préparation au travers d’actions de sensibilisation et de formation.

Conclusion

Julie David : Il convient en conclusion de souligner une nouvelle fois la complexité du dispositif Dutreil. L’idée clé est effectivement de pouvoir travailler en anticipation et en bonne collaboration avec les différents conseils des dirigeants, dont les experts-comptables, les avocats, les notaires.

Précision importante à mes yeux : les opérations de transmission doivent aussi intégrer d’autres sujets tels que la protection de la famille et du conjoint, l’entrée au capital de cadres dirigeants, la structuration de management package, la mise en place de financement… Chez Natixis Wealth Management, nous avons la chance d’offrir une large gamme de service tournée vers les patrimoines privés et professionnels (corporate advisory, management package), dont la transmission de l’entreprise constitue une opportunité de mise en œuvre.

Antoine Colonna d’Istria : La problématique de la transmission est protéiforme. L’anticipation est essentielle, et il faut savoir s’entourer de conseils dans la mesure où certains mécanismes sont complexes. En effet, c’est une architecture qui mélange des aspects juridiques, fiscaux et financiers. Nous travaillons en coordination avec toutes ces compétences qui sont nécessaires pour organiser les transmissions. Il est important de souligner qu’il existe des modalités pour mener ces opérations dans les meilleures conditions. L’objet de cette discussion et toutes ces pistes d’améliorations que nous suggérons ne signifient pas pour autant que les mécanismes actuels soient défaillants. Cela fonctionne, mais nous tendons toujours vers leur amélioration, vers l’excellence. Dans ce sens, davantage de lisibilité permettrait de donner plus d’efficacité et d’efficience à ces dispositifs. Nous devons rester prudents dans ce que nous proposons à nos clients. En conclusion, je pense que c’est un chantier extrêmement important parce que compte tenu de la démographie, il y a effectivement, et je crois que les pouvoirs publics en sont conscients, la nécessité absolue de faciliter cette transmission et de s’entourer des meilleurs conseils pour y parvenir.

Xavier Rollet : Il est important de sanctuariser le pacte Dutreil. Cela a été une priorité des gouvernements précédents et je pense que c’est toujours d’actualité. On a parlé d’évolution de la législation et effectivement de l’incertitude quant aux évolutions futures. Or, en l’espèce, l’anticipation reste primordiale. Malheureusement, les dirigeants étant concentrés sur leur gestion opérationnelle, ils ne pensent pas suffisamment à préparer en amont la transmission, tout au long du développement de la société. Il s’agit d’un point capital. Un accompagnement de long terme par des conseils est nécessaire, et pas seulement au moment où doit s’opérer le choix du mode de transmission. Leur démarche dans la transmission doit être la même que celle qui prévaut en matière de stratégie opérationnelle, car une bonne transmission est bien un facteur de pérennité de la société.

Donatienne Piret : Je pense, pour conclure, qu’avec la Marketplace.Infogreffe.fr ou les autres plateformes qui existent aujourd’hui, nous avons encore un énorme travail pour aider à ce que les repreneurs potentiels puissent rencontrer plus facilement les opportunités de reprise, avec l’anticipation suffisante pour que, justement, cette continuation et cette transmission se fassent de manière plus fluide.

François Vignalou : Le marché de la transmission, de la reprise d’entreprise en France est assez surprenant. Les outils sont efficaces, comme le pacte Dutreil. Les conseils, les banquiers, les experts sont présents pour les accompagner. Le marché est bien identifié, avec un million de dirigeants entre 60 et 70 ans qui vont probablement devoir céder leur entreprise. Pour autant, seulement un tiers de ces entreprises sont transmises, le reste étant radié ou mis en liquidation. Et donc, la question est de savoir pourquoi il existe un tel écart entre le potentiel et la réalité. La réponse est sans doute un déficit de communication. Nous, professionnels, essayons tous de communiquer et d’expliquer que nous sommes compétents et armés pour accompagner les entreprises dans leur transmission. Mais peut-être qu’il faudrait imaginer, comme l’Etat le fait parfois sur d’autres sujets, une campagne nationale pour inciter les dirigeants à transmettre, leur expliquer que c’est une opération qui peut se dérouler sereinement et à moindre coût quand elle est encadrée par des conseils.

Branka Berthoumieux : On ne peut que se réjouir de ce contexte de stabilité fiscale et de ces mesures, au travers d’assouplissements, qui vont en faveur de la transmission. Fluidifier le marché, sensibiliser les cédants et les repreneurs, les aider à mieux se préparer, autant de tâches qui font partie de longue date des missions quotidiennes du réseau consulaire, très proche du tissu économique essentiellement composé de PME/TPE, en complémentarité avec les conseils habituels des chefs d’entreprise et dans une logique d’interprofessionnalité.  

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