Expertise

La responsabilité de l’actionnaire : il faut raison garder

Publié le 26 juin 2015 à 11h22

Les trois dernières années ont été marquées par une vague importante de restructurations. S’agissant du large cap et du mid cap la plupart ont pu trouver une issue dans un cadre amiable. Certaines cependant ont conduit à l’ouverture de procédures collectives.

Dans de nombreux dossiers importants des entreprises se sont présentées devant le tribunal avec une trésorerie devenue exsangue sans aucun moyen pour financer une période d’observation d’une durée satisfaisante, les contraignant ainsi à trouver dans des délais très courts des repreneurs. Les plans de cession ainsi arrêtés ont plus ou moins limité la «casse sociale» mais ont, dans tous les cas, laissé un montant d’insuffisance d’actif très important compte tenu du caractère souvent symbolique du prix de cession. Dans ces procédures, dans lesquelles le rôle des pouvoirs publics a souvent été déterminant, il est à craindre la tentation d’un «troisième tour» sur le terrain des responsabilités.

Les tentations sont fortes

De-ci de-là on commence à lire ou à entendre des propos qui vont en ce sens. Nombreux sont ceux qui évoquent ainsi la mise en cause de la responsabilité des anciens actionnaires. Sont ainsi brandies les menaces de comblement d’insuffisance d’actif, voire d’action en responsabilité de droit commun sur le fondement de l’article 1382 du Code civil, voire même de co-emploi. S’agissant des fonds, la menace est encore plus forte puisque la mise en cause de celui qui est considéré comme la «poche profonde» est plus que tentante. Une table ronde récente entre professionnels du secteur a ainsi démontré que certains (mandataires judiciaires, voire administrateurs ou même avocats) envisageraient une distinction plus que fumeuse entre des LBO vertueux et des LBO toxiques. De même la tentation peut être forte pour un manager dont la responsabilité est recherchée d’alléguer, pour se défendre lui même, qu’il n’avait en réalité aucune marge de manœuvre et qu’il subissait le diktat de son actionnaire. Les managers devraient bien peser leur décision avant d’entrer dans cette voie. Outre les obstacles procéduraux et de fond que présente cette argumentation, elle ne saurait en tout état de cause, même démontrée, exonérer le manager de sa propre responsabilité.

Rappel nécessaire des principes

Dans ce contexte, il apparaît souhaitable de rappeler un certain nombre de principes et surtout l’état actuel de la jurisprudence en la matière.

Il n’existe pas de régime de responsabilité propre pour l’actionnaire.

Ce dernier peut engager sa responsabilité en tant que dirigeant de droit. A noter que dans ce cas, les représentants permanents de personnes morales dirigeantes sont soumis aux mêmes obligations et aux mêmes responsabilités civiles et pénales que s’ils étaient dirigeants en nom propre.

L’actionnaire peut également engager sa responsabilité s’il est dirigeant de fait. Il doit alors être démontré qu’il a assumé en fait la gestion sous le couvert ou en lieu et place des représentants légaux et qu’il l’a fait en toute indépendance des actes positifs de gestion engageant la personne morale. Ce qui ne couvre donc que des cas très symptomatiques. Il faut cependant se montrer vigilant face à certains qui militent pour une extension de cette notion, fort heureusement toujours rejetée aujourd’hui par la jurisprudence.

Dans les deux cas, la qualité de dirigeant ne suffit pas à elle seule, encore faut il qu’il ait commis des fautes de gestion ayant entraîné tout ou partie de l’insuffisance d’actif conformément aux termes de l’article L 651-1 du Code de commerce. Le fait de ne plus être dirigeant au moment où la société se retrouve en procédure collective ne suffit pas pour écarter toute responsabilité des anciens dirigeants. L’actionnaire n’est donc pas à l’abri de toute recherche de responsabilité, après un lender’s led par exemple.

La notion de co-emploi est également souvent utilisée comme un épouvantail. Elle permet au salarié de diriger ses demandes contre un autre employeur que celui avec lequel il a contracté. Là encore, même s’il convient de demeurer attentif aux tentatives de certaines juridictions de premier degré, elle ne saurait être retenue que dans l’hypothèse d’une véritable confusion «d’intérêts, d’activité et de direction» à la marge un peu dans les mêmes conditions que cet autre épouvantail que constitue la confusion des patrimoines. Là encore donc, il ne peut s’agir que de cas rarissimes, nécessairement déviants.

Reste alors la tentation de la «boite de pandorre» que pourrait constituer les autres cas de recours à l’article 1382 du code civil. En soi, la menace du recours à ce fondement «fourre tout» démontre bien que les fondements propres aux procédures collectives s’avèrent insuffisants pour les tenants de l’ordre répressif. Il n’est pas question ici de soutenir que l’actionnaire serait exempt de toute responsabilité. Comme tout justiciable il est responsable des fautes qu’il a commises si elles ont entraîné un préjudice. Mais encore faut-il que l’appréciation de cette responsabilité soit strictement encadrée. On devra démontrer une véritable faute en prenant en compte tous les paramètres du comportement que l’on peut légitimement attendre de cet acteur. On devra également démontrer sans ambigüité le lien de causalité entre ce comportement et le préjudice allégué, en analysant notamment le comportement de ceux qui se prétendent victimes, et celui des autres acteurs qui ont pu intervenir (créanciers pouvoirs publics et même salariés).

Seuls les cas pathologiques sont sanctionnés

En conséquence, l’éventuelle mise en cause de la responsabilité de l’actionnaire ne peut être retenue que dans des conditions très strictes. Comme le montre l’analyse des décisions rendues en la matière, la responsabilité de l’actionnaire ne peut et ne doit être retenue que dans les cas dans lesquels il a eu un comportement véritablement déviant (par exemple en s’immisçant pleinement dans la gestion, en vidant sa filiale de toute substance etc …). Bref, des cas manifestement pathologiques, heureusement forts rares.

On rappellera en outre que dans ces dossiers, l’actionnaire a le plus souvent tout tenté pour éviter cette procédure et qu’il est celui qui, après les salariés qui n’auraient pas été repris et les banques, a le plus souvent le plus perdu. Si le fait de perdre sa mise pour un actionnaire n’est pas choquante en soi puisqu’il constitue le fondement même du risque entrepreneurial, lui imputer la responsabilité de l’échec pour imaginer indemniser les autres partenaires de l’entreprise doit en revanche être analysé avec beaucoup plus de circonspection.

Question à…Laurent Jourdan, avocat associé, Racine

Laurent Jourdan est avocat au barreau de Paris depuis 1994. Il est titulaire d’un doctorat d’Etat en Droit et d’un DEA de Droit des Affaires de l’Université de Paris-Panthéon Sorbonne (1994). Avant de rejoindre Racine en avril 2013, Laurent Jourdan était associé chez Wragge & Co depuis 2010, responsable du département contentieux et, précédemment, associé chez Lefèvre Pelletier & Associés (1999-2010). Laurent Jourdan enseigne en Master II à l’IEP Paris, après avoir enseigné à l’Université de Paris-I Panthéon Sorbonne pendant 10 ans (CAVEJ).

Quelle sont les particularités de votre équipe dédiée au LBO en difficulté ?

Notre équipe dispose d’une force de frappe unique permettant disponibilité constante et réactivité immédiate. L’équipe restructuring comprend quatre associés (Antoine Diesbecq, Emmanuel Laverriere, Barna Evva et moi-même) et 6  collaborateurs. Nous sommes donc en capacité de traiter les dossiers majeurs de la place (dernièrement Guy Degrenne, Gad, Geoxia, Terreal, Clestra, Fagor Brandt, Groupe Gascogne, My Ferry Link, AIM…). Nous intervenons de manière transversale; tous les départements de notre cabinet peuvent être mobilisés immédiatement. Notre expertise est reconnue depuis longtemps en droit des entreprises en difficulté. J’interviens pour ma part depuis vingt ans sur ces problématiques. Nous sommes une des équipes les plus actives en retournement de LBO et en dossiers cross borders. Nous disposons de spécialistes reconnus dans leurs domaines, en financement et en private equity.

En social, nous disposons d’une équipe de deux associés dédiés au restructuring, capables d’intervenir à toute les phases de restructuration (nous sommes intervenus par exemple sur Ascometal, Tilly Sabco…). Nous sommes capables d’intervenir à tous les stades des difficultés : qu’il s’agisse d’un traitement amiable ou judiciaire. Nous intervenons sur toutes les problématiques de restructuration de dette, restructuration sociale, préparation des plans, reprise des actifs. Nous intervenons aussi bien pour les fonds, les débiteurs que pour les banques ou autres créanciers. Nous avons également une grande pratique des contentieux en matière de responsabilité des dirigeants et des établissements financiers, ce qui nous permet d’anticiper les difficultés dans la phase du conseil. Notre connaissance de longue date des différents intervenants du secteur (administrateurs, mandataires, magistrats, cellules de restructuring) nous permet de travailler de façon récurrente et en confiance avec les meilleurs intervenants de la place. Ainsi, nous sommes en capacité de mobiliser autour du client l’équipe la plus immédiatement opérationnelle possible.

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