Par Alexandre Dejardin et Jean-François Louit, avocats associés, Mayer Brown
La reconnaissance d’un principe statutaire d’éviction automatique d’un actionnaire
Un manager, salarié de la société anonyme Socotec jusqu’à son départ à la retraite en 2006, détenait des actions de ladite société. Le 14 juin 2006, la société lui a rappelé les stipulations de l’article 15-I des statuts selon lesquelles tout actionnaire qui cesse d’être salarié perd dès ce moment sa qualité d’actionnaire. La société lui a également demandé s’il souhaitait néanmoins conserver sa qualité d’actionnaire après la cessation de son activité professionnelle, sous réserve de l’autorisation du conseil d’administration prévue dans les statuts. Le manager a fait part de son souhait de demeurer actionnaire mais le conseil d’administration de la société Socotec a, lors de sa délibération du 19 octobre 2006, rejeté sa demande. Après plusieurs tentatives restées infructueuses de faire signer à l’ex-manager les ordres de mouvement de titres, la société l’a informé que les fonds correspondant à la valeur de ses titres avaient été virés sur son compte et a procédé d’autorité à la modification des registres en application des clauses statutaires. L’ex-manager a contesté devant les tribunaux la validité de son éviction en faisant notamment valoir qu’une telle clause n’est explicitement autorisée par aucune disposition légale. A l’issue de 9 ans de procédure, la Cour de cassation a rejeté ses demandes. L’originalité de la décision de la chambre commerciale tient dans ce qu’elle reconnait la possibilité de prévoir la perte automatique de la qualité d’actionnaire dans les statuts d’une société anonyme et qu’elle considère qu’il s’agit d’un principe statutaire différent de celui de l’exclusion. L’arrêt de la Cour d’appel de Versailles est explicite sur ce dernier point car il précise que «cette éviction, qui présente un caractère automatique, ne peut être confondue avec la clause d’exclusion telle qu’elle est prévue à l’article 15-III». En outre, la Cour d’appel a précisé dans sa décision que le conseil d’administration n’avait «aucun pouvoir discrétionnaire d’exclusion, mais seulement la faculté d’autoriser, s’il le juge opportun, un salarié actionnaire à demeurer actionnaire lorsqu’il quitte la société». Ce dernier point validé par la haute juridiction est assez pragmatique dans la mesure où il permet d’éviter l’écueil d’un principe d’éviction irréversible. Si cette position est maintenue sur le long terme, elle permettra, aux praticiens de pouvoir adapter ce principe d’éviction selon les souhaits des parties.
Vers de nouvelles solutions pratiques
Cette arrêt ouvre potentiellement la voie à de nouvelles solutions pratiques pour gérer le départ anticipé d’un manager d’une société sous LBO. Traditionnellement ces départs sont traités par des promesses de vente consenties par les managers à l’investisseur financier et par une clause d’exclusion mise en œuvre en cas de refus du manager d’exécuter la promesse. L’exclusion est une procédure relativement lourde qui n’exonère pas nécessairement la société de devoir recourir aux tribunaux lorsque l’associé exclu refuse de signer la documentation correspondante. Concernant les promesses de vente et s’agissant de conventions extrastatutaires, se pose la question de leur exécution forcée en cas de refus d’un managers de céder ses titres suite à un départ2. L’arrêt du 29 septembre 2015 valide un mécanisme statutaire pouvant conduire à forcer, de manière automatique, un manager à céder ses actions en cas de départ de la société. Cette solution très radicale au regard du droit de propriété soulève néanmoins de nombreuses questions.
Une décision qui soulève toutefois des interrogations et des questions d’adaptation
Si la chambre commerciale de la Cour de cassation a procédé à une stricte application du principe de la force obligatoire des contrats dans l’arrêt du 29 septembre dernier, il est nécessaire de s’interroger sur la portée de cette décision notamment en matière d’attribution gratuite d’actions et ce d’autant plus que la «loi Macron» en a fait à nouveau un outil attractif de motivation du management. S’il y a peu de doute sur la nécessité d’adapter les clauses statutaires d’éviction pour tenir compte de l’incessibilité des actions attribuées gratuitement pendant la période de conservation, quid de la cession forcée de ces mêmes actions attribuées gratuitement à l’issue de la période de conservation ? S’agissant d’un régime légal spécifique de rémunération, la chambre sociale de la Cour de cassation pourrait, comme elle l’a déjà fait en matière de stock-options3, considérer que l’éviction du salarié ayant quitté la société est une sanction pécuniaire prohibée par l’article L.1331-2 du Code du travail. Sans aller jusqu’à rendre inefficace la clause d’éviction statutaire, la chambre sociale pourrait également, comme en matière de stock-options, considérer que le salarié subit, du fait de son éviction, un préjudice dont la société lui doit réparation4. Par ailleurs, concernant le sujet majeur du prix des actions, la Cour de cassation, dans sa décision du 29 septembre 2015, valide l’arrêt de la Cour d’appel qui écartant le recours à l’article 1843-4 du Code civil considère comme applicable l’article 34 des statuts de la société permettant à son assemblée générale de fixer le prix des actions de l’ex-salarié évincé. La motivation de la chambre sociale manque toutefois de précision. Alors que l’ex-salarié invoque le recours à l’expert de l’article 1843-4 qui selon lui ne peut se voir opposer la clause d’évaluation statutaire, la Cour de cassation pour le débouter retient que «la Cour d’appel ayant, par des motifs non critiqués, exactement retenu qu’il résulte de l’article 1843-4 du Code civil que le pouvoir de désigner un expert […] appartient au seul président du tribunal […] la décision se trouve justifiée». Il serait donc souhaitable que la haute juridiction se prononce, à l’avenir plus, précisément sur ces points afin de clarifier le nouveau principe d’éviction qu’elle vient de poser.
1.Cass. Com., 29 sept. 2015, n° 14-17343, Sté Socotec, F-D.
2. Pour un cas d’espèce où la Cour d’appel de Paris a reconnu la validité d’une cession forcée suite au licenciement d’un salarié : CA Paris P. 5, ch. 8, 28 févr. 2012, n° 10/16807, SAS Ouverture internationale.
3. Cass. soc., 21 oct. 2009, n° 08-42.026.
4. Cass. soc., 29 sept. 2004, n° 1767.
Questions à... Alexandre Dejardin et Jean-François Louit, avocats associés, Mayer Brown
Quelles sont selon vous les problématiques actuelles du marché ?
Elles recouvrent principalement deux aspects assez différents : le premier concerne les outils d’incentive à notre disposition, le second la nature des processus de cession.
Tout d’abord, suite aux réformes fiscales intervenues courant 2012 et au durcissement de la position de l’administration fiscale, les praticiens se sont retrouvés quelque peu démunis quand aux outils à disposition pour structurer les «management packages». La mise en place de l’abattement fiscal selon la durée de détention a conduit à conserver les valeurs mobilières comme principal outil des «management packages». Néanmoins l’exclusion des BSA de ce régime de faveur, l’interdiction d’inscrire en PEA les BSA et les actions de préférence ainsi que le durcissement du régime des stock-options et des actions gratuites ont singulièrement réduit les marges de manœuvre des praticiens ces dernières années.
L’entrée en vigueur de la «loi Macron» le 7 août dernier a opportunément rouvert le chapitre des actions gratuites en assouplissant tant leur fiscalité que leur régime juridique. Cet assouplissement, qui permet de notamment rendre un plan efficace au bout de trois ans, conduit actuellement les praticiens à étudier la mise en place de ces nouveaux plans tant à l’entrée d’une opération que dans le cadre d’une renégociation en cours de LBO.
Par ailleurs, nous intervenons à nouveau, depuis le début de l’année 2015, sur plusieurs opérations «large cap» dans le cadre de processus en «dual track» (IPO ou LBO secondaire) voire parfois en «triple track» (aux deux premiers s’ajoute la cession à un industriel). Ces opérations lourdes, avec des processus parallèles, impliquent d’avoir, aux côtés des managers, des équipes dédiées et capables de gérer l’ensemble des problématiques soulevées dans le cadre de ce type de dossier (corporate, fiscalité, règlementation boursière et financement).
Quelles sont les particularités de votre équipe dédiée
à ces dossiers ?
Au sein de notre bureau de Paris, la pratique dédiée aux dirigeants et groupes familiaux rassemble une douzaine d’avocats répartis au sein de différentes équipes notamment corporate, fiscale et sociale. Nous sommes un des rares cabinets internationaux de la place à disposer d’une telle équipe dédiée ayant l’expérience de l’accompagnement des dirigeants sur l’ensemble du spectre des opérations corporate (LBO primaire, secondaire, renégociation/restructuration, sortie en IPO). Par ailleurs, Mayer Brown dispose également de bureaux dans les principales places financières mondiales. Cette présence globale nous permet d’accompagner les équipes de management qui sont aujourd’hui très souvent internationales.
Comment accompagnez-vous vos clients ?
Nous accompagnons nos clients sur le long terme et les conseillons très souvent sur plusieurs opérations. Notre rôle principal est de faciliter pour eux ces opérations complexes. Nos clients attendent aussi que nous soyons force de proposition et que nous participions activement à la conclusion du « deal ». Enfin, notamment en raison de la formation initiale des membres de l’équipe, notre compréhension des aspects financiers nous permet de fluidifier nos échanges avec les différents intervenants de la transaction (conseils financiers, investisseurs, commissaires aux comptes, etc.) tout en assurant à nos clients une compréhension globale de l’opération.