L’accès aux marchés des émissions high yield et des financements bancaires américains est de plus en plus attractif pour les opérations européennes de private equity.
Au cours des douze derniers mois, la liquidité des marchés européens de financement bancaire s’est améliorée. Cette tendance a été favorisée par la réapparition de quelques fonds CLO, moteurs importants du boom des opérations de LBO jusqu’en 2007. Les disponibilités de financements senior et mezzanine demeurent toutefois soumises à de nombreuses contraintes. Les coûts peuvent être élevés et les termes et conditions du financement manquer de flexibilité. Dans ce contexte, les investisseurs financiers s’intéressent davantage aux sources de financements alternatifs que peuvent représenter les émissions obligataires à haut rendement, dites high yield, et la dette bancaire américaine.
Que se passe t-il sur le marché ?
Au moment de mettre sous presse le présent article, le marché européen des émissions obligataires high yield connaissait une année record en termes d’émissions et avait dépassé le marché de la dette classique en montant absolu. Historiquement, les émissions d’obligations high yield n’étaient utilisées que pour une partie (souvent subordonnée) de la structure de financement mise en place lors d’acquisitions par des fonds d’investissement. Nous assistons aujourd’hui à une nette progression de ce produit, certaines opérations étant désormais entièrement financées via des obligations high yield (en une ou plusieurs tranches) avec, si nécessaire, une facilité de crédit renouvelable dite super senior (communément appelée super senior RCF). Dans de telles structures, les obligations sont gouvernées par le droit de l’Etat de New York et la facilité de crédit renouvelable par le droit anglais, avec la particularité que la facilité de crédit renouvelable « incorpore » les covenants principaux des obligations high yield, le contrat de crédit précisant que ces covenants sont interprétées, à l’instar des obligations high yield, d’après le droit de l’Etat de New York. Dans le cadre de processus d’enchères, l’acquéreur devra solliciter auprès de banques un engagement ferme de fournir un prêt-relais, autrement appelé bridge to high yield, afin d’être en mesure de présenter une offre d’acquisition financée, en attendant la possibilité d’émettre les obligations soit dans le cadre d’un séquestre pre-closing, soit peu après le closing afin de refinancer le prêt-relais. Ces prêts-relais sont eux aussi typiquement soumis au droit anglais et intègrent également des covenants interprétés par le droit de l’Etat de New York.
Un certain nombre d’autres opérations, notamment dans le cadre de refinancement de dettes LBO existantes, ont été financées sur le marché bancaire américain, dit marché du Term Loan B. Cette offre de dette venant des Etats-Unis présente, par rapport aux crédits bancaires européens, plus de flexibilité, un coût minoré, des engagements financiers allégés de type high yield (covenant-lite), à l’exception d’un simple leverage ratio qui ne vient à s’appliquer qu’en cas de tirage additionnel. Ce type de financement est régi et négocié conformément au droit de l’Etat de New York et aux pratiques du marché américain, bien que la dette soit allouée, pour partie, à des investisseurs européens.
Quel impact de cette tendance sur les opérations ?
Grâce à ces produits, les investisseurs financiers ont désormais accès à plus de liquidités. Néanmoins, les structures de financement sont souvent plus complexes et requièrent un niveau élevé de technicité de la part des parties impliquées (investisseurs, prêteurs, conseils juridiques, etc.), ainsi qu’une expertise multi-juridictionnelle. La complexité de ces processus ne doit pas être sous-estimée : différents droits applicables, pratiques de marché et régimes d’insolvabilité se combinent et créent de potentiels conflits et divergences qui nécessitent une attention toute particulière. Ainsi, par exemple, les vendeurs sur le marché européen s’attendent typiquement à ce que les offres d’acquisition présentées par des fonds de private equity soient accompagnées de financements fermes. Aux Etats-Unis, ce niveau de certitude ne constitue pas la pratique de marché dominante et les contrats d’acquisition sont par conséquent assortis de conditions de financement.
En outre, il semble important de s’interroger sur la question des ajustements de structure de financement nécessaires afin de permettre aux clauses originellement prévues dans le cadre du régime d’insolvabilité de droit américain “Chapter 11” d’être applicables et compatibles avec la myriade de régimes d’insolvabilité qui coexistent en Europe. Ces types de financement nécessitent également la négociation de clauses de coopération, dont l’étendue pourra sembler aller au-delà des pratiques de marché aux yeux de vendeurs européens. Ces clauses, insérées dans les contrats d’acquisition, permettent à l’acquéreur de s’assurer que le vendeur et la cible fourniront, entre la signature et le closing, l’assistance nécessaire afin de permettre à l’acquéreur d’accéder à ces marchés bien en amont de la réalisation de l’acquisition, permettant ainsi d’éviter de closer l’opération via un tirage du bridge to high-yield.
Alors que le marché européen du private equity s’est initialement développé à partir du marché américain, les termes et conditions des opérations sont devenus significativement différents. Il sera intéressant d’observer si, au fil du temps, l’utilisation croissante du droit et des techniques de financements américains conduira à une plus grande convergence des termes et conditions des opérations entre les marchés européen et américain de private equity. En attendant, les cabinets d’avocats capables de fournir le type d’expertise multi-produits et multi-juridictionnelles décrit ci-dessus demeureront très sollicités.
Questions à… Gaëtan Gianasso et Thomas Margenet-Baudry, associés, Latham & Watkins
Quelles sont les particularités de votre équipe dédiée à ces dossiers ?
Notre équipe a cette particularité de pouvoir intervenir sur l’ensemble des problématiques liées à une opération de sortie de LBO tant en corporate qu’en finance, marchés de capitaux, restructuring et fiscalité. Il est essentiel de pouvoir accompagner nos clients sur tous les aspects de la transaction, y compris dans l’hypothèse où l’opération de sortie serait organisée sous forme de dual track, même si les dual tracks sont plus rares en période de baisse des marchés. Notre vocation est de gérer les projets de nos clients dans leur globalité.
Comment accompagnez-vous vos clients dans le contexte actuel ?
Nous accompagnons nos clients tout au long de l’investissement. Ainsi, nous connaissons les sociétés détenues en portefeuille et sommes en mesure d’intervenir sur l’ensemble des scénarios de sortie. Ceci nous permet d’optimiser les chances de succès d’une opération.
Gaëtan Gianasso
Avocat au barreau de Paris, Gaëtan Gianasso est associé du cabinet Latham & Watkins au sein du département corporate, dont il dirige la pratique au sein du bureau de Paris. Sa pratique couvre le droit des sociétés, les fusions et acquisitions et, en particulier, les acquisitions avec effet de levier (LBOs). Il possède une expérience significative en qualité de conseil auprès d’investisseurs institutionnels dans le domaine du private equity, notamment dans le cadre de leurs acquisitions et cessions, ainsi que dans le financement de ce type de transactions.
Thomas Margenet-Baudry
Avocat aux barreaux de Paris et New York, Thomas Margenet-Baudry est associé du cabinet Latham & Watkins au sein du département corporate. Il intervient principalement sur des opérations de marché, dans le cadre d’émissions de produits de dette, equity et equity linked, ainsi qu’en droit boursier de manière générale. Au cours des quatre dernières années, il est intervenu sur un très grand nombre des émissions obligataires high yield effectuées par des groupes français, notamment dans des contextes LBO.