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Le droit français et la transmission d’entreprise

Publié le 15 octobre 2018 à 16h11    Mis à jour le 29 juin 2021 à 10h30

Qui dit «transmission d’entreprise» dit anticipation ! Principe tarte à la crème tant il est récurrent chez l’ensemble des conseils qui accompagnent les entrepreneurs dans la transmission de leur entreprise. Mais lorsque anticipation il y a, a-t-on l’arsenal juridique pour y répondre ?

Par Pierre-Olivier Bernard, associé fondateur, Opleo Avocats

A l’heure de la loi Pacte, qui aborde notamment le sujet de la transmission d’entreprise, il n’est pas inutile de faire le point, tant la question se pose à chaque nouvelle législature.

Cette anticipation dépend moins des modalités de la transmission que du choix du repreneur, les modalités n’étant que la conséquence de ce choix.

Ce choix ne sera pas le même selon qu’il s’agit d’un entrepreneur pour qui l’entreprise représente l’œuvre d’une vie ou d’un «serial entrepreneur» qui voit dans l’entreprise un actif dont la cession lui permettra d’investir dans une nouvelle aventure entrepreneuriale.

En tout état de cause, la transmission devra permettre d’assurer la pérennité de l’entreprise et de sécuriser son prix de vente. Le repreneur idoine sera celui qui permettra de garantir et de développer la valeur intrinsèque de l’entreprise au-delà de la seule personne de son fondateur.

Les outils de la transmission devront permettre la transmission du capital et du contrôle en fonction de la qualité de ce repreneur

S’agissant de la transmission du capital et du contrôle au sein du groupe familial, le recours à des donations dans le cadre d’un pacte Dutreil pourra être envisagé au moins partiellement, complété le cas échéant par un LBO familial1. L’entrepreneur pourra donner le contrôle de l’entreprise à l’enfant compétent, tout en veillant à ne pas spolier les autres. Cette technique vise la donation-partage d’une entreprise2 avec attribution en pleine propriété des titres à l’enfant repreneur, à charge pour lui de verser à sa fratrie une soulte dont le règlement, financé par la dette bancaire, est pris en charge par une holding à laquelle les titres reçus par donation-partage ont été apportés3.

S’agissant d’une transmission aux salariés de l’entreprise, hormis certains dispositifs limités qui leur sont offerts, la transmission se fera généralement en totalité à titre onéreux. Dans ce cas, l’entrepreneur pourra recourir également à la technique du LBO pour transmettre son entreprise aux salariés dont il se sera assuré des compétences avant de les faire accéder au capital, progressivement ou par une cession cash4. Le recours au LBO permettra aux salariés d’accéder au capital de l’entreprise en limitant leur apport personnel, l’acquisition étant financée en partie par la dette bancaire.

Enfin, si l’entrepreneur préfère transmettre à des tiers au groupe familial et aux salariés de l’entreprise, là encore le recours au LBO permettra aux acquéreurs d’accéder au capital de l’entreprise en limitant leur apport personnel, l’acquisition étant financée en partie par la dette bancaire.

Dans tous les cas de transmission, on observe également le recours à des instruments financiers complexes, tels certains outils optionnels permettant à terme une relution dans le capital sans mise de fonds initiale trop importante ou encore la souscription à des titres composites permettant d’avoir le contrôle de l’entreprise.

La loi Pacte ne prévoit à ce stade que d’améliorer le pacte Dutreil le plus souvent utilisé dans le cadre d’une transmission au sein du groupe familial ou le LBO au profit des salariés. Hormis l’amélioration du crédit-vendeur dont le mécanisme reste limité, la loi Pacte n’améliore pas les transmissions hors cercle familial et hors cercle de l’entreprise qui représentent pourtant plus de 80 % des transmissions. Notamment, les restrictions qui se sont succédées ces dernières années pour limiter toujours davantage la capacité de déduction des intérêts d’emprunt bancaires dans les opérations de LBO ne sont pas assouplies.

Or, ces transmissions sont nécessaires pour permettre de répondre aux autres objectifs de la loi Pacte qui sont la croissance et le développement des entreprises. Les opérations de transmission favorisent les opérations de rapprochement et d’acquisition nécessaires pour atteindre la taille critique.

1. Le LBO familial a été introduit par la loi de finance de 2009, venue compléter l’article 787 B du Code général des impôts.

2. Hors les sociétés unipersonnelles.

3. Le dispositif est fiscalement attrayant sous réserve de conclure un pacte «Dutreil» : pour le calcul des droits de mutation à titre gratuit, l’abattement de l’assiette fiscale de 75 % s’applique sur tous les titres transmis, et non sur la seule part reçue par le repreneur, dès lors que les conditions d’engagement de conservation des titres imposées dans le cadre du pacte «Dutreil» et d’apport à la holding sont respectées.

4. Prenons le cas d’un dirigeant qui, âgé de 55 ans et détenant en 2018 la totalité du capital de sa société, souhaite transmettre progressivement celle-ci à son bras droit. Pour parvenir à ce résultat, le dirigeant peut réaliser plusieurs opérations successives dans le temps. Ainsi, en 2018, il cédera 40 % de ses actions à un fonds et 15 % à son bras droit, conservant 45 % du capital, il gère toujours l’entreprise et profite du produit de la vente de 55 % des actions. En 2023, le dirigeant procédera à une seconde opération en cédant 20 % de son capital à un fonds et 10 % à son successeur. Fort du nouveau produit de vente de 30 % des actions, il pourra se retirer des opérations fonctionnelles. Enfin, en 2027, interviendra une troisième et dernière opération, le dirigeant allant vendre les 15 % restants de son capital.

Questions à… Pierre-Olivier Bernard, associé fondateur, Opleo Avocats

Quelles sont selon vous les problématiques dans le contexte actuel du marché ?

La dynamique de la transmission d’entreprises constitue en France toujours un enjeu essentiel de la pérennité du tissu économique. Cependant, cette question est abordée à chaque nouvelle législature, finalement sans qu’on y réponde complètement, ou alors lorsque des avancées se produisent, la législature suivante remet en question les dispositifs antérieurs. Dans la période actuelle où l’on sent un engouement pour l’entrepreneuriat et une volonté de favoriser la dynamique entrepreneuriale, il serait opportun d’envisager ce sujet de manière plus globale en y intégrant les problématiques liées à notre conception du droit patrimonial qui conduit à ne pas reconnaître d’un côté la propriété juridique et de l’autre la propriété économique. Une telle distinction pourrait offrir des opportunités dans le cadre de la transmission même en dehors du cercle familial, ne serait-ce qu’en matière de responsabilité. Une tentative lointaine a voulu y remédier à travers la loi sur la fiducie et nous rapprocher du trust anglo-saxon sans y parvenir. A la fois pour des raisons de compétitivité et de stabilité, revoir ce sujet y compris sous l’angle constitutionnel pourrait être une solution. Le passage d’une PME à la taille d’une ETI en dépend.

Quelles sont les particularités de votre équipe dédiée à ces dossiers ?

L’organisation de la transmission de l’entreprise rend essentielle la détermination du choix du repreneur, comme l’anticipation du sort des dirigeants et cadres dirigeants de l’entreprise ayant ou non un accès au capital de l’entreprise. Nous accompagnons les entrepreneurs dans la réflexion et la définition en amont, puis dans la structuration et la mise en œuvre des modalités de la transmission, en prenant en compte la qualité du cédant et celle du repreneur. Les talents croisés de nos équipes en droit patrimonial, en droit des sociétés, en fiscalité et en droit social, combinés à notre connaissance approfondie des problématiques des entrepreneurs, nous permettent d’offrir des solutions originales, sur mesure, face aux enjeux. Mais attention, compte tenu à la fois de la nécessité de travailler très en amont dans le temps ce sujet et de l’instabilité chronique législative, nous veillons à intégrer, comme critère d’appréciation des solutions proposées, le degré de réversibilité dans le temps de nos recommandations.

Par ailleurs, les dossiers que nous traitons ayant souvent une dimension internationale, nous animons un réseau international de partenariats avec plusieurs cabinets indépendants d’avocats ou de conseils patrimoniaux, comptables et fiscaux de renom, partageant le même positionnement en termes de clientèle. Nous entretenons avec eux des relations de confiance de longue date, chacun adhérant à une charte énumérant les principes de qualité, de confidentialité et de gestion des conflits d’intérêts. Un gage d’efficacité et de célérité pour notre intervention hors des frontières.

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