Par Thierry Grimaux, associé, Valtus Transition
La sous-performance économique générale provoque une recrudescence du nombre de sociétés en difficulté. Tous les secteurs, toutes les tailles de sociétés, toutes les structures capitalistiques sont impactées, mais la catégorie des sociétés sous LBO connaît des difficultés propres.
La sous-performance rattrape les entreprises
Les LBO en difficulté sont ceux signés entre 2005 et 2007. Personne n’anticipait de crise à l’époque et les business plans étaient construits sur des hypothèses de croissance. La dette a été calibrée et structurée à partir de ces anticipations, qui ne sont plus valables aujourd’hui. En 2009 déjà, la première secousse économique a bousculé certains LBO, qui ont été renégociés sur la base de scénarios plus conservateurs. Mais personne n’avait anticipé la durée ni la dureté du ralentissement, et c’est une seconde vague de difficultés que nous observons désormais. On distingue d’ailleurs deux types de dossiers : ceux déjà traités en 2009, mais nécessitant un nouveau travail. Et ceux pris en charge pour la première fois, souvent plus gros, et qui de ce fait ont pu passer à travers les mailles en 2009. Petits et gros sont rattrapés par une sous-performance économique qui ne leur permet pas d’atteindre les objectifs de leur BP et les met face à une dette qu’ils ne peuvent plus porter. Pour autant, ces sociétés ne sont pas nécessairement opérationnellement menacées, mais leur structure capitalistique et ses répercussions en termes de service de la dette les pousse souvent à diminuer au maximum les investissements, avec des effets à moyen et long termes, plus ou moins catastrophiques.
Quels manageurs de crise aujourd’hui ?
En 2009, beaucoup de sociétés ont connu des problèmes liés à leur mode de gestion. Elles manquaient parfois d’outils de pilotage et d’amélioration de la performance, tels que des reportings réguliers et précis, leur trésorerie n’était pas optimisée, ou leurs marchés et leurs clients pas suivis d’assez près. Il fallait alors faire intervenir des experts de crise pour les accompagner : des manageurs capables de prendre des décisions rapidement et avec peu de données. Ces profils sont très différents de ceux des manageurs de croissance. Là ou ces derniers peuvent analyser les informations, peser les options et prendre le temps de décider, les manageurs de crise doivent se comporter en véritables machines à décider. Ils interviennent dans un contexte social perturbé, au milieu de collaborateurs inquiets, dont certains peuvent même avoir quitté la société. L’information est souvent brute ou insuffisante, mais malgré cela, la prise de décision est indispensable pour assurer la survie de la structure.
Aujourd’hui, les difficultés qu’il faut traiter sont d’une autre nature : la gestion a déjà été optimisée, sans quoi la société n’aurait pas survécu aux dernières années. Le traitement financier ne suffit plus. C’est dans leur business économique que les structures sont attaquées. Et à ce compte, les sociétés sous LBO sont les plus sensibles. En effet, la seule garantie de vie d’une entreprise est de créer de la valeur. Pas uniquement de la valeur financière, mais surtout de la valeur ajoutée. Elle doit proposer une offre que le client valorise et recherche. Cela lui assure d’augmenter son chiffre d’affaires et d’accroître ses marges. Cette valeur est le fruit d’efforts en matière de marketing, de recherche, d’innovation, elle nécessite donc des investissements. Or, les sociétés sous LBO portent une dette qui leur impose des contraintes financières, souvent au détriment de cet investissement. Elles sont donc mécaniquement plus touchées.
Pour résoudre leurs difficultés, les sociétés n’ont plus seulement besoin de manageurs capables d’endiguer une crise, de ralentir la chute. Il leur faut des personnes ayant également une compréhension de leur métier, de leur problématique économique, capables de faire redémarrer l’activité.
Nouveaux marchés, innovation : les clés du redémarrage
Le redémarrage exige une modification en profondeur du modèle d’une société. Il peut d’ailleurs être complémentaire de la gestion de la crise et intervenir dans un second temps, une fois la situation stabilisée. Il s’agit de créer une rupture avec le fonctionnement existant jusque-là, de façon à ouvrir de nouveaux marchés, et cela nécessite souvent l’intervention d’une personne extérieure, capable de pacifier le climat social et de créer un nouvel élan autour d’objectifs communs.
La recherche de croissance à l’international compte parmi les premiers réflexes mais peut s’avérer complexe. Pour une société de petite ou moyenne taille, à la culture française et dont les dirigeants ne maîtrisent pas nécessairement l’anglais, la tâche n’est pas aisée. Ils ont alors recours à des développeurs : des personnes ayant une expérience de développement à l’international, capables de les aider à trouver des partenaires ou des clients dans des marchés en croissance tels que l’Europe de l’est, l’Amérique latine ou l’Asie.
La numérisation fait également partie des axes de croissance, et nécessite de la même façon la contribution d’un collaborateur possédant une expérience spécifique. Ses compétences techniques, mais également la vision nouvelle qu’il apportera à des structures qui n’ont parfois pas fait évoluer leurs techniques de vente depuis des années, permettront de modifier le modèle économique. Le passage au digital, avec des plateformes de vente et de service en ligne, permet d’atteindre plus de clients et d’ouvrir de nouveaux marchés.
Le redémarrage peut également provenir d’une innovation majeure, comme en témoignent les changements profonds que connaît l’industrie du textile en matière de logistique. L’arrivée de concurrents nouveaux, fonctionnant sur des cycles de 3 mois là où ils étaient traditionnellement de 12 à 15 mois, renouvelant leurs produits tous les 15 jours plutôt que tous les 6 mois, force le secteur à évoluer. Les autres acteurs doivent s’adapter pour survivre, et modifier leur chaîne de conception-fabrication-approvisionnement pour la rendre plus réactive.
3 questions à... Thierry Grimaux, associé, Valtus Transition
Quelles sont les problématiques actuelles du marché ?
Thierry Grimaux : Les sociétés sous LBO connaissent aujourd’hui des difficultés liées à leur modèle économique. Elles sont généralement viables opérationnellement et bien gérées, mais ont besoin d’une rupture pour leur permettre de redémarrer.
En fonction des situations, elles peuvent avoir besoin de deux types d’interventions. Soit elles se trouvent en crise profonde, et il leur faudra un manageur à la fois capable de gérer la crise et de stabiliser la situation, puis de redémarrer. Soit elles ont déjà passé la phase de discussions et de renégociations entre actionnaires et banquiers, et il leur faut alors un profil en mesure de recréer un climat social positif et d’unifier les collaborateurs autour d’un nouveau modèle et de nouveaux projets. Ces actions sont évidemment largement compliquées par l’absence de moyens et la méfiance générale dont s’accompagne la crise.
Quelles sont les particularités de vos équipes dédiées ?
Thierry Grimaux : L’équipe «Gestion de crise» de Valtus Transition compte une centaine de professionnels d’horizons divers : un tiers sont des mandataires sociaux, un tiers possèdent une dominante financière, le dernier tiers sont des spécialistes des ressources humaines. Un certain nombre d’entre eux possèdent plusieurs de ces compétences et agissent comme des CRO complets.
Tous nos collaborateurs ont en commun l’expérience vécue des situations de crise, et la capacité à les traiter. Ils ont fait le choix de travailler en indépendant : certains ont souhaité faire du management de crise leur profession, d’autres recherchent de nouvelles expériences entrepreneuriales. Cette large palette de compétences et d’appétences nous permet de sélectionner, en fonction de chaque société et de son contexte spécifique, la personne adaptée. En fonction de la problématique, les missions peuvent durer de 7 mois (pour les missions financières et RH) jusqu’à 18 mois (dans le cas d’intervention d’un mandataire social).
Comment accompagnez-vous vos clients dans le contexte actuel ?
Thierry Grimaux : Nous accompagnons nos clients en étant en permanence à leur côté, en leur restituant nos propres expériences et en leur montrant de nombreux cas qui se sont résolus de façon positive. Notre rôle est de les soutenir et de faire apparaître pour eux des pistes de résolution des difficultés, des nouveaux axes de développement. Pour cela, l’intervention, non seulement de manageurs de crise, mais également de personnes comprenant leur métier est essentielle.
Nous sommes de plus en plus sollicités, d’une part parce que le nombre de sociétés en difficulté augmente, mais également parce que les entreprises et leurs actionnaires ont de plus en plus le réflexe de faire appel à des structures comme les nôtres. Et les nouvelles solutions apportées par les banques pour gérer les crises, telles que les lendersled ou l’intervention de fonds de restructuration devraient augmenter cette demande. Ce réflexe vient encore un peu tard, mais il n’est jamais trop tard pour prendre de bonnes décisions.