A l’instar du plan de sauvegarde pré-packagé introduit par la pratique, consacré par la loi dite «SFA» du 22 octobre 2010 et aujourd’hui étendu à toute sauvegarde par l’intermédiaire de la sauvegarde accélérée (autre mesure importante de l’ordonnance), le plan de cession a désormais droit lui aussi à son prepack.La principale question était de savoir quelles seraient les modalités de «mise en œuvre» de ce prepack dans le cadre de la procédure collective et si le repreneur retenu en phase amiable pouvait bénéficier d’une totale exclusivité.
Par Vincent Pellier et Alexandra Bigot, Willkie Farr & Gallagher LLP
L’une des mesures phares de l’ordonnance du 12 mars 2014 modifiant le livre VI du Code de commerce est d’introduire, dans le cadre de la procédure de conciliation, la possibilité pour le conciliateur d’organiser, à la demande du débiteur et après avis des créanciers participants à la conciliation, «une cession partielle ou totale de l’entreprise qui pourrait être mise en œuvre, le cas échéant, dans le cadre d’une procédure ultérieure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire»1. A l’instar du plan de sauvegarde pré-packagé introduit par la pratique, consacré par la loi dite «SFA» du 22 octobre 2010 et aujourd’hui étendu à toute sauvegarde par l’intermédiaire de la sauvegarde accélérée (autre mesure importante de l’ordonnance), le plan de cession a désormais droit lui aussi à son prepack.
La principale question était de savoir quelles seraient les modalités de «mise en œuvre» de ce prepack dans le cadre de la procédure collective et si le repreneur retenu en phase amiable pouvait bénéficier d’une totale exclusivité.
Nous avons donc, comme de nombreux praticiens, lu avec beaucoup d’attention le projet de décret de l’ordonnance, qui, loin de répondre à toutes nos interrogations, apporte néanmoins quelques éclairages intéressants, sous réserve que ce projet soit confirmé dans sa version définitive.
L’approche classique…
Traditionnellement, la «mise en œuvre» d’un plan de cession comprenait, dans le cadre de la procédure collective : (a) la fixation par le Tribunal d’une date limite de dépôt des offres (DLDO)2, (b) une publicité par voie de presse réalisée par l’administrateur afin de permettre la recherche du plus grand nombre de candidats repreneurs3, (c) une analyse des offres reçues par l’administrateur4 avec le cas échéant, une présentation par chaque candidat de son offre au juge-commissaire, (d) une information consultation des institutions représentatives du personnel sur les plans de licenciement induits par le périmètre des différentes offres5, (e) une audience en chambre du conseil arrêtant le plan de cession de l’entreprise6, précédée des convocations des différentes parties et le cas échéant, des améliorations apportées par chacun des candidats repreneurs à leurs offres respectives au plus tard deux jours ouvrés avant la date de l’audience7.
…sera-t-elle bouleversée par le prepack ?
L’esprit d’un prepack étant d’anticiper, dans le cadre des procédures confidentielles que sont le mandat hoc et la conciliation, les opérations qu’il faudra ensuite exécuter le plus rapidement possible dans le cadre de la procédure collective (on pense spontanément aux négociations pouvant intervenir en phase amiable avec les créanciers bénéficiant d’un droit de rétention ou pouvant faire valoir un transfert de la charge des sûretés entre les mains du candidat repreneur), on pouvait donc légitimement s’interroger sur le fait de savoir si tout ou partie des étapes mentionnées ci-avant pouvaient être réalisées en amont ou devaient être réalisées en aval de la procédure collective.
L’ordonnance est restée muette sur ce point, à l’exception toutefois de la modification introduite à l’article L. 642-2 I alinéa 2 du Code de commerce, aux termes de laquelle le Tribunal n’est pas obligé, lors de l’ouverture de la procédure collective, de fixer une DLDO si les offres «formulées dans le cadre des démarches effectuées par le mandataire ad hoc ou le conciliateur» sont satisfaisantes et contiennent l’ensemble des informations requises par le II de ce même article (prix offert, conditions de règlement…). A cet égard, l’introduction du terme «mandataire ad hoc ou» au sein de cet article laisse penser que le prepack cession pourrait se passer d’une procédure de conciliation préalable, limitée à cinq mois.
Cette modification laisse supposer que si le Tribunal estime qu’il n’y a pas lieu de fixer de DLDO, cela signifie donc qu’il n’y pas lieu de rechercher des candidats repreneurs supplémentaires et partant, que la publicité par voie de presse, qui jusqu’à présent est obligatoire et impose en général le respect d’un calendrier compris entre quinze jours et trois semaines au minimum, n’est pas indispensable.
Le projet de décret confirme cette supposition tout en laissant la possibilité à de nouveaux candidats de se manifester.
Le calendrier sera sans nul doute accéléré…
Il est ainsi prévu d’introduire, au sein de l’article R. 642-40, (dont l’alinéa 2 prévoit que «Toute cession d’entreprise fait l’objet d’une publicité par voie de presse»), un alinéa 4 aux termes duquel, lorsque le Tribunal ne fixe pas de DLDO, «le tribunal s’assure que, compte tenu de la nature de l’activité en cause, les démarches effectuées par le mandataire ad hoc ou le conciliateur désigné en application des articles L. 611-3 ou L. 611-6 rendaient inutile toute autre publicité». Autrement dit, si la recherche de candidats repreneurs dans le cadre d’une procédure de mandat ad hoc ou de conciliation (qui peut, selon nous, soit demeurée confidentielle, comme cela est déjà le cas lorsque des banques d’affaires sont mandatées pour rechercher des candidats repreneurs, soit devenir publique, le débiteur pouvant renoncer à la confidentialité offerte par ces procédures) rend inutile tout autre appel d’offres, il n’est pas nécessaire de réaliser une publicité par voie de presse. La mention «démarches effectuées par le mandataire ad hoc ou le conciliateur» semble toutefois présupposer la mise en œuvre d’un réel processus ouvert et compétitif. Afin de s’assurer qu’une nouvelle publicité n’est pas nécessaire, et donc que la recherche de candidats repreneurs en amont de la procédure collective a été réalisée dans des conditions permettant d’assurer une compétition entre les candidats repreneurs, l’ordonnance a d’ailleurs prévu un garde fou en précisant, au sein de l’article L. 642-2 alinéa 2 du Code de commerce, que «L’avis du ministère public [lorsque le Tribunal décide de ne pas fixer de DLDO] est recueilli lorsque l’offre a été reçue par le mandataire ad hoc ou le conciliateur».
Au regard de l’objectif du prepack, un temps précieux est donc gagné dans le cadre de la procédure collective, qui pourrait ne durer que quelques semaines (et le cas échéant être combinée avec une sauvegarde accélérée s’il est prévu une cession partielle de l’entreprise et un plan de sauvegarde de l’activité non cédée). Pour autant, l’ordonnance prévoit les gardes fous requis pour maintenir le principe d’un réel appel d’offres, sous la responsabilité de l’administrateur et le contrôle du ministère public, devant permettre d’éviter les dérives constatées dans certains prepack régis par le droit anglais.
…mais une «privatisation» totale du prepack semble compromise
Même en l’absence de DLDO et donc en l’absence de publicité supplémentaire, il est néanmoins laissé la possibilité à de nouveaux candidats repreneurs de se manifester. Au sein de l’alinéa 3 de l’article R. 642-1 du Code de commerce, il est ainsi prévu d’indiquer que lorsque le Tribunal ne fixe pas de DLDO, «il fixe la date de l’audience d’examen des offres ; d’autres offres de reprise peuvent parvenir au liquidateur ou à l’administrateur, s’il en a été désigné, au plus tard huit jours ouvrés avant cette date». Outre le fait qu’il nous semble très difficile, dans l’hypothèse où une offre de reprise était reçue huit jours avant la date de l’audience, d’organiser l’information consultation des institutions représentatives du personnel sur le plan de licenciement induit par le périmètre de reprise de cette offre, on ressent une certaine hésitation du législateur à permettre une entière «privatisation» du plan de cession dans le cadre des procédures de conciliation et de mandat hoc.
On ne peut que comprendre cette hésitation au regard du contexte politique actuel, dont les principaux acteurs prônent les vertus de la «transparence». A titre d’exemple, la loi dite «Florange», dont une partie seulement a été censurée et qui fait l’objet d’une nouvelle mouture en discussion, a introduit un nouvel alinéa à l’article L. 631-13 aux termes duquel l’administrateur doit informer les représentants du comité d’entreprise, les délégués du personnel ou le représentant des salariés de la possibilité qui leurs est offerte de soumettre une ou plusieurs offres de reprise. Pour mettre en œuvre réellement un prepack cession, il faudrait donc faire participer durant les procédures de mandat ad hoc ou de conciliation les institutions représentatives du personnel, au risque de générer durant ces procédures autant de craintes et de perturbations sociales que dans le cadre d’une procédure collective. La pratique permettra sans nul doute d’apporter au fil de l’eau des solutions innovantes à cette difficulté.
1. Alinéa 1er modifié de l’article L. 611-7 du Code de commerce.
2. Article L. 642-2 I alinéa 1er du Code de commerce
3. Articles L. 642-22 et R. 642-40 du Code de commerce.
4. Article L. 642-4 du Code de commerce.
5. Article L. 642-5 du Code de commerce.
6. Idem.
7. Article R. 642-1 du Code de commerce.