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Le retour à la juste valeur pour débloquer les sorties

Publié le 14 février 2014 à 15h39    Mis à jour le 29 juin 2021 à 10h34

L’année 2013 aura encore été chargée d’espoirs déçus pour les fonds contraints à délester leurs portefeuilles de participations datant du pic de la bulle LBO et qui se révèlent aujourd’hui difficilement vendables. Les process de sorties infructueux se multiplient et les dossiers de sociétés en difficultés reviennent sur le devant de la scène, bien plus abîmés que lors des premières restructurations opérées sommairement avec des «amend and extend».

Les stratégies de fuite en avant adoptées aussi bien par les sponsors que par les créanciers depuis les premiers dossiers de restructuration de 2009 atteignent leurs limites. Les acteurs du private equity doivent dorénavant affronter la réalité de la juste valeur de l’entreprise, oublier les valorisations déraisonnables, en rupture avec la réalité du marché, et renoncer aux scénarii trop optimistes de rebond du business plan, ainsi qu’aux rares perspectives d’IPO ou d’acquéreurs stratégiques prêts à payer un prix trop élevé.

L’effet boomerang des restructurations négligées

Les LBO de la bulle de 2006/2007 pèsent toujours sur les portefeuilles des fonds qui ne sont pas prêts à encaisser les pertes résultantes des leviers intenables et des business plans trop optimistes et malmenés par la crise. La difficulté de la position des sponsors est par ailleurs souvent accentuée par des pools de créanciers, composés en partie par de nouveaux acteurs, ayant acquis la dette avec une forte décote, résolus à prendre le contrôle des sociétés si l’occasion se présente.

Si la culture des banques françaises les a longtemps éloignées des «lenders leds», à l’inverse des prêteurs anglosaxons, elles sont dorénavant moins réticentes à convertir leurs créances en capital, comme le démontrent les exemples récents du marché. Elles deviennent plus intransigeantes avec les fonds auxquels elles ont déjà consenti des sacrifices lors d’une première vague de restructurations conduites sommairement, avec une renégociation de la dette, augmentant ainsi les taux d’intérêts et asphyxiant davantage la structure sous-jacente.

L’amélioration de la conjoncture n’ayant pas eu lieu, il n’est d’autre choix que de se remettre autour de la table des négociations afin de préserver ce qui peut encore l’être. Si les cas de «debt-to-equity swap» étaient rares lors des premières restructurations de 2009, avec certains dossiers emblématiques tels que Monier et CPI, ils se multiplient cependant depuis cet été.

Le triste bal a été ouvert avec la Saur faisant ainsi l’objet d’un accord obtenu in extremis entre un pool constitué de

60 banques et des quatre principaux actionnaires du numéro trois français de la distribution d’eau (le FSI, Séché Environnement, Axa PE et le fonds Cube). Les quatre actionnaires ont finalement perdu la totalité de leur investissement tandis que les banques, dont BNP Paribas, Natixis et Royal Bank of Scotland ont transformé une partie de leurs créances en capital, permettant ainsi de réduire de 40 % le montant de la dette de la Saur, de 1,7 milliard à 900 millions d’euros.

Terreal a souffert du même cas de figure en passant sous le contrôle de ses créanciers en juillet dernier, faisant ainsi perdre la totalité de son investissement à LBO France, qui avait racheté l’ex-filiale de Saint-Gobain en 2005 pour 860 millions d’euros.

Après la première restructuration, pourtant déjà lourde, menée fin 2009, le sponsor fut contraint de céder la main à ING, le fonds Park Square et Goldman Sachs qui contrôlent désormais plus de la moitié du capital, associés à une vingtaine d’autres créanciers. En contrepartie, Terreal a vu sa dette réduite de plus d’un tiers et son échéance décalée de trois ans.  Cette tendance ne semble que débuter. Fransbonhomme, Camaïeu et d’autres sont en proie à de difficiles bras de fers  entre actionnaires et créanciers afin de sceller un accord.

Or, il suffirait que les prêteurs, les mezzaneurs, le management et les sponsors acceptent de négocier sur des bases de valorisation réalistes. Les fonds qui ont réussi à finaliser leur levée pendant les brèves fenêtres de tir de la crise préfèrent parfois laisser la main aux créanciers plutôt que de réinvestir sur des bases qui n’auraient de cesse que d’accentuer leurs pertes. Ils sont alors malmenés par les hedges funds qui ayant racheté de la dette décotée sur le marché secondaire prennent ainsi le contrôle des entreprises alors qu’ils n’ont souvent pas d’équipes corporate dédiées. Ces nouveaux acteurs ont aussi une vision biaisée de la valeur des cibles puisqu’ils la considèrent par le seul prisme de la dette. Tenant rigueur –parfois à raison- aux sponsors, les banques devraient cependant comprendre qu’il n’est pas non plus dans leur intérêt de céder le contrôle à des hedge funds anglo-saxons qui n’ont souvent pas d’équipe française pour mener à bien le retournement de la cible et une vision stratégique du marché français limité. Ils se contentent alors de mandater des conseils en restructuration opérationnelle, tels qu’Alix Partners ou Alvarez & Marsal, entraînant ainsi une certaine déresponsabilisation du management.

Le retour à la raison pour les cibles bien portantes

Le problème de la juste valeur se pose également pour les cibles ne rencontrant pas de difficulté. Ces dernières font l’objet de valorisations ambitieuses car les vendeurs les ont eux-mêmes achetées à un prix élevé lors de la bulle, mais également car ils souhaitent valoriser leur résilience à la crise.

Cette situation a dernièrement conduit à l’échec de nombreux process de ventes, et ceci non sans conséquence pour les cibles, dont le management a été inutilement mis sous pression et dont les sociétés peuvent être marquées durablement par l’échec de ces transactions. Les écarts entre acheteurs et vendeurs varient parfois du simple au double, décrédibilisant les différents acteurs du secteur. Un exemple récent dont l’actionnaire principal souhaitait obtenir une valorisation élevée. À l’issue de six mois de process durant lesquels le business a été délaissé, ils n’ont finalement obtenu que des offres inférieures au montant de la dette. Cela aurait pu être évité si la société avait accepté une restructuration de la dette avec ses banques autour d’une valorisation objective de la juste valeur, prenant en compte le nouveau contexte du marché, bien loin des perspectives prometteuses envisagées lors du LBO initial.

Questions à…Bertrand Grunenwald, Associé-gérant, conseil en financement et restructuration, Ricol & Lasteyrie

Bertrand Grunenwald est un spécialiste reconnu de la restructuration financière, dont il a abordé tous les aspects au cours de sa carrière : origination de dette, montages financiers, financements de projet, marchés de dette, convertibles, restructuration, distressed, fusions et acquisitions. 

 

 

Comment voyez-vous évoluer les sorties de LBO ?

Le réamorçage de la sortie des LBO ne tient qu’à un seul et principal facteur : la juste valeur. Les principaux acteurs doivent comprendre que le marché n’achète pas de valorisations aléatoires et ils doivent accepter les conséquences des leviers excessifs des années de la bulle ; alors les transactions pourront reprendre. Les conditions sont toutes réunies pour que le marché retrouve un peu de dynamisme : le crédit est de retour pour des cibles dont les fondamentaux sont sains et aux prix raisonnables, les investisseurs qui ont dernièrement réussi de belles levées de fonds sont à la recherche active de sociétés attractives, mais ils ne sont cependant plus prêts à les surpayer comme par le passé.

L’utopie du rebond du BP, de la sortie en bourse, du trade buy par un investisseur stratégique sont autant de tentatives décevantes pour essayer de retrouver de la valeur et du TRI au-delà du remboursement de la dette.

Les contreparties ne sont pas dupes et attendent patiemment que le fruit murisse. La société continue donc de s’appauvrir d’intérêts excessifs, incapable d’investir avec management démobilisé par les tentatives de process à répétition.

Il semble que la question qui a été oubliée, est celle de «la vraie valeur» qui, si tout le monde s’y référait, permettrait de réaliser des transactions dans des conditions plus sereines, tenant compte des agendas, des efforts financiers mais aussi de l’attitude et du travail effectué par les différentes parties prenantes.

Quelles sont les particularités de votre équipe dédiée à ces dossiers ?

Le principal atout de notre équipe chez Ricol & Lasteyrie est l’indépendance nécessaire à une évaluation objective et déconnectée des intérêts des parties prenantes du deal.

Notre coeur de métier est l’évaluation financière mais également la transaction avec une importante sensibilité au prix, qui est un élément parmi d’autres du processus de vente.

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