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Les acteurs du private equity confrontés aux enseignements de Darwin

Publié le 7 avril 2017 à 17h41    Mis à jour le 29 juin 2021 à 10h26

 Temps de lecture 9 minutes

L’effet combiné d’une crise économique longue et profonde, de changements technologiques majeurs et d’une mondialisation des échanges sans précédent affecte le monde de l’entreprise et oblige à repenser drastiquement et rapidement le projet industriel de bon nombre de sociétés, PME, ETI ou grands groupes. Lorsque l’actionnariat de ces entités est contrôlé par des acteurs du private equity, la capacité d’adaptation de ces derniers au changement est mise à l’épreuve ; elle est, toutefois, indispensable pour assurer, comme le suggérait Darwin, la survie de leur espèce.

Il est maintenant accepté que la reprise d’entreprises par des acteurs du private equity, pour peu que certaines dérives soient évitées, apporte aux entreprises sous contrôle de ces investisseurs un environnement favorable à leur développement et à leur croissance et, à leurs équipes dirigeantes, un élément de motivation et une expérience d’autonomie de gestion qui leur permet généralement de progresser dans leur dimension managériale. Les exemples sont nombreux de «belles endormies» dans des grands groupes internationaux, qui ne bénéficiaient pas de l’intérêt ou de la capacité d’investissement de leur actionnaire et qui, passées sous contrôle d’un investisseur financier, reçoivent les moyens de leurs ambitions et se transforment en pépites, souvent leaders de leur secteur : Converteam, Cegelec, Neopost ou encore Constellium en sont des exemples. Dans un autre registre, des opérations de réorganisation d’un actionnariat familial ont été rendues possibles via l’intervention d’acteurs du private equity. Nul doute donc que le principe même de la reprise d’entreprise par des acteurs du private equity soit généralement créateur d’effets vertueux.

Ces investisseurs, qui n’aiment rien plus que la prévisibilité et qui rejettent l’incertitude, ont-ils pour autant la capacité de s’adapter aux mutations profondes des entreprises et aux changements de paradigmes anticipés par les dirigeants, lesquels posent les stratégies nécessaires pour que leurs entreprises devancent (ou à défaut s’adaptent à) ces mouvements de fond ? Faut-il revoir ou amender le modèle économique du groupe ? Faut-il conquérir des parts de marché par croissance externe et si oui, de quelle manière y parvenir ? Faut-il accélérer l’internationalisation et comment ? Quelle transformation (générationnelle, organisationnelle, culturelle) mener dans l’entreprise pour assurer sa transmission, son développement et sa pérennité dans un environnement très compétitif ? Quels sont les coûts réels de ces ambitions de croissance et de transformation ? Ces questions amènent les équipes de management à mettre l’accent sur trois éléments fondamentaux dans leur relation avec les investisseurs financiers, éléments sur lesquels la vision traditionnelle des fonds d’investissement doit évoluer.

1. Pour mener à bien des transformations, y compris via des opérations de croissance externe nécessitant une longue phase d’intégration, ou s’adapter à des mutations significatives, les équipes de management ont besoin de temps et d’imposer leur horizon à l’investisseur financier qui soutient leur business plan. Pourtant, les investisseurs financiers souhaitent traditionnellement demeurer maîtres du temps et conserver toute l’optionalité de calendrier possible pour maximiser leur retour sur investissement. Dans ce nouvel environnement, si les fonds de private equity souhaitent rester attractifs, ils doivent nécessairement s’adapter au tempo posé par le management, d’autant qu’ils subissent désormais la concurrence d’acteurs plus long terme tels que les family offices, les acteurs de la dette privée ou encore les groupes industriels, qui, pour la plupart, sont capables de mettre en place des schémas de participation capitalistique des managers au moins aussi avantageux et performants que ceux des LBO. Il semble donc nécessaire que les sponsors acceptent de partager avec les équipes de management la gestion de l’horizon de temps et, pour corollaire, de structurer des management packages sur des bases nouvelles, prenant en compte un horizon de sortie plus lointain (par exemple en se fondant sur des critères de multiple d’investissement plutôt que de TRI, ou en prévoyant des clauses de respiration à l’occasion d’un refinancement de la dette ou d’une opération de leveraged recap).

2. La réussite d’un business plan ambitieux et transformant passe par ailleurs par la recherche d’une gouvernance différente et plus équilibrée, au service du plan d’affaires et en ligne avec la durée de celui-ci et d’une répartition plus claire des pouvoirs entre les investisseurs financiers et les dirigeants. Ces dernières réclament traditionnellement de leurs actionnaires une capacité à prendre des décisions rapidement et une autonomie dans la gestion du groupe, même si certaines décisions visant à protéger l’investissement du sponsor ou l’activité de l’entreprise nécessitent l’approbation préalable de ce dernier.

Si sur le premier point les fonds d’investissement répondent bien aux attentes du management (le circuit décisionnel n’a bien souvent rien de commun avec ce que certains managers ont pu connaître dans les grands groupes industriels, le contact direct du management avec l’actionnaire étant facilitateur), l’analyse est différente lorsque l’on aborde la question de l’autonomie de gestion et ses contours. Le management dispose-t-il de la latitude nécessaire pour réaliser des opérations d’investissement, acquérir des cibles, lancer de nouveaux métiers ? De telles décisions de management se heurtent parfois aux objectifs plus financiers et court-termistes des fonds quand bien même elles ont été visées dans le plan d’affaires pré-agréé par l’investisseur financier. Là encore, il est indispensable qu’investisseurs financiers et management déterminent très en amont les étapes de réalisation du plan, quitte à ce que certaines opérations et leur financement soient pré-approuvés dans la documentation juridique. Mais les équipes de management demandent encore plus à leurs partenaires financiers. Elles attendent d’eux de l’accompagnement stratégique, de la compétence dans l’identification, la gestion et l’exécution de deals M&A, du soutien technique à la fonction finance de l’entreprise souvent peu rôdée aux techniques du corporate finance, en bref, un rôle de sparring partner.

Elles attendent également d’eux qu’ils jouent leur rôle d’actionnaire, rien que leur rôle d’actionnaire, mais tout leur rôle d’actionnaire : en acceptant de prendre des risques, en acceptant l’erreur et la capacité de la corriger sur la durée, en acceptant de financer la transformation et l’accompagnement, en acceptant de restreindre leurs prérogatives de surveillance à des seuils de matérialité significatifs. C’est en endossant ce nouveau rôle que les investisseurs financiers s’adapteront aux évolutions du marché.

3. Dans un environnement complexe, qui plus est lorsque des projets de transformation sont envisagés, le management souhaite travailler dans la sérénité et ne pas se soumettre à un niveau d’endettement excessif.

On constate que le management participe plus activement à la négociation de la documentation de financement, tant au moment de l’entrée au capital de l’investisseur financier qu’en cours d’opération (à l’occasion d’un refinancement global ou du financement d’une opération de croissance externe), qu’il cherche à prévoir dès l’origine de la transaction des lignes d’acquisition pour financer les opérations de croissance externe. Il devient par ailleurs de plus en plus fréquent que les équipes de management négocient avec l’investisseur financier un droit de veto sur le niveau de levier d’endettement net maximum du groupe. La négociation du financement d’acquisition, autrefois considérée comme la compétence exclusive des sponsors, se partage aujourd’hui plus ouvertement avec les équipes de management.

A cet égard, le marché de la dette offrant une très grande flexibilité, les fonds peuvent proposer aux équipes ­dirigeantes des solutions variées permettant de mieux répondre au projet d’entreprise et à ses contraintes. Une large palette de structures de financement est disponible, telles que la dette privée, les financements unitranches, le high yield, les obligations Euro PP, le tout dans le cadre d’une politique de «light covenants», qui apporte plus de souplesse dans le quotidien des équipes de management.

Sur ce point encore, il est nécessaire que les fonds travaillent à adapter la structure de financement d’acquisition aux demandes spécifiques des dirigeants liées au respect du plan d’affaires, plutôt qu’offrir une solution standardisée, disponible sur le marché.

En écho à cette nécessaire adaptation des acteurs du private equity aux changements profonds du marché, on peut noter le programme «Accélérateur PME», animé par Bpifrance et ayant pour objectif de permettre à une soixantaine de PME de bénéficier sur une durée de 24 mois d’un programme d’accompagnement dans divers domaines (organisation/gouvernance, ressources humaines/emplois, stratégie, ouverture du capital ou croissance externe) afin de les aider dans leur politique de croissance. Deux ans après le lancement de ce programme, un tiers des PME sélectionnées ont atteint le stade de l’ETI, dont la moitié d’entre elles sont détenues par des fonds d’investissement. Autre témoignage de l’adaptation nécessaire des acteurs du private equity aux réalités de marché : le lancement de Bridgepoint Special Opportunities, destiné à assurer le redéploiement de certaines entreprises ne répondant pas nécessairement aux critères traditionnels du LBO en termes de croissance et de rentabilité.

On voit bien en conclusion que dans un environnement complexe, mouvant et mondial, réclamant une forte capacité d’adaptation, les équipes de management replacent au centre de leurs préoccupations le projet d’entreprise. Pour accompagner les équipes les plus performantes et soutenir les plans d’affaires les plus ambitieux, les intervenants du private equity n’ont d’autres solutions que de s’adapter à la vision des managers qu’ils soutiennent. Dans la théorie darwinienne, c’est en effet en s’adaptant aux changements, non pas en étant les plus fortes ou les plus intelligentes, que les espèces survivent. Et dans le monde du private equity où la concurrence est féroce, la survie de certaines espèces dépendra de cette capacité à s’adapter et savoir prendre des risques.

 

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