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Les conséquences du big bang fiscal mondial

Publié le 15 octobre 2018 à 16h11    Mis à jour le 29 juin 2021 à 10h30

Par Laurent Borey, associé Mayer Brown Paris, Alexandre Guillemonat,

associé A7tax, et Alexis Karklins, associé Eight Advisory

 

Des mécanismes de vases communicants encore sous-estimés

Etats et entreprises sont de plus en plus liés dans une compétition mondiale. L’abaissement significatif du taux d’imposition américain associé à des incitations fiscales sur certains investissements accroît le plus souvent la valeur des sociétés américaines mais également celles exposées au marché américain. Cette valorisation s’effectue au détriment des entreprises concurrentes étrangères.

La création de richesses par l’économie mondiale progresse lentement. Dans le même temps, les transferts de valeurs, tant entre entreprises qu’entre Etats, occupent désormais une place considérable.

La croissance des start-up se traduit ainsi par une perte de valeur presque à due concurrence des acteurs de référence de leurs secteurs d’activité. Les marchés n’étant pas extensibles à l’infini, les formidables perspectives de croissance de ces jeunes entreprises en rapide développement devraient mécaniquement se compenser avec des baisses d’activité pour d’autres. C’est sans doute ce qui motive bien des opérations de croissance externe défensives réalisées par des leaders historiques.

Dans un monde de plus en plus fluide, ces mécanismes de vases communicants s’appliquent également en matière de répartition mondiale de la matière imposable. Si l’on écarte les pertes de matière imposable principalement liées aux instruments ou entités hybrides que les pays membres de l’OCDE éradiquent progressivement, les Etats mènent une guerre fiscale sans merci d’attraction des actifs incorporels.

Un mouvement de baisse généralisée des taux d’imposition et une guerre stratégique d’attraction des incorporels

La mesure phare du Tax Cuts and Jobs Act, consistant à abaisser le taux d’imposition de 14 points pour arriver à 21 %, semble spectaculaire. Toutefois, comme le montre l’édition 2018 des Réformes des politiques fiscales établie par l’OCDE, elle s’inscrit dans un mouvement global. Si, à contresens de l’histoire et de manière exceptionnelle, les très grandes entreprises françaises voient ponctuellement cette année leur taux marginal d’imposition bondir à un peu plus de 44 % pour compenser le coût de l’abandon de la taxe de 3 % sur les dividendes, la loi de finances française pour 2018 a toutefois bel et bien acté une réduction progressive du taux de l’IS en France à 25 % à compter du 1er janvier 2022.

La stratégie d’attraction des incorporels s’avère beaucoup plus insidieuse. L’ensemble des Etats mène une politique incitative ciblée en matière de création et de localisation d’incorporels. En ce sens, la France n’est pas en reste avec son crédit d’impôt recherche compétitif et son taux d’imposition de 15 % pour les plus-values de cession et les produits de concession ou sous-concession de licences d’exploitation portant sur des brevets. Si l’article 14 du projet loi de finances pour 2019 prévoit une convergence de ce régime avec l’approche nexus de l’action 5 du plan BEPS, à savoir un avantage proportionnel au niveau de dépenses de R&D réalisées en France, il renforce aussi son attractivité en l’étendant aux logiciels originaux. Les Etats-Unis viennent cependant de frapper très fort en mettant en place une politique, tant incitative par la baisse à 13,125 % du taux d’imposition des revenus tirés d’incorporels américains et facturées à des sociétés non américaines1, que coercitive à travers deux mécanismes originaux2. Le premier consiste à mettre en place une imposition minimale de 10 % sur les résultats majorés des versements rémunérant des incorporels étrangers. Le second crée une imposition supplémentaire de 10,5 % sur les revenus excédant un rendement classique des incorporels détenus par les filiales étrangères de sociétés américaines. Après la carotte, les deux coups de bâtons parachèvent l’ouvrage.

Ces deux dernières mesures, originales et agressives à l’égard des Etats tiers, pourraient conduire à des situations de double imposition que la communauté internationale s’efforce pourtant d’éliminer. Face à ce risque, les entreprises américaines envisageront le rapatriement de certains actifs incorporels. Plus encore, elles se trouvent fortement incitées à ajuster leurs politiques de prix de transfert afin de réduire leurs revenus réalisés hors des Etats-Unis.

L’implantation des actions menées par l’OCDE aboutissant à une zone de risques sans précédent

En prônant un partage de la base imposable fondée sur les contributions des entreprises à la création de valeur, ainsi qu’en imposant une décomposition de la propriété économique, l’OCDE refonde les règles applicables en matière de prix de transfert. Dans le même temps, la convention multilatérale ouvre la voie à une nouvelle lecture de la fiscalité internationale axée sur la substance, en s’attachant notamment à prévenir l’utilisation abusive des conventions fiscales.

Les bases imposables n’étant pas beaucoup plus extensibles que les marchés sur lesquels œuvrent nos entreprises, une réallocation mondiale des actifs clés semble prévisible. Les administrations, qui montent progressivement en puissance, bénéficient d’une réduction progressive de l’asymétrie d’information, fruit des règles de transparence. A cet égard, l’action 8 relative aux actifs incorporels difficiles à valoriser suscite une inquiétude légitime, en autorisant à considérer les résultats ex post comme présomption de preuve du bien-fondé d’un prix de pleine concurrence convenu ex ante.

Les nouveaux outils de partage des bénéfices

Comprendre les contributions à la création de valeur des différents actifs, notamment incorporels, est devenu crucial quant à la prise de décisions stratégiques de croissance externe et de définition des politiques de prix de transfert. Cette imbrication de l’économie, de la finance et de la fiscalité suppose l’élaboration de nouveaux modèles d’évaluation, plus intrinsèques à chaque entreprise, plus probabilistes afin de retranscrire l’incertitude inhérente à la volatilité des incorporels et plus économiques en fonction des contributions respectives des parties à la création de valeur. L’évaluation est désormais appréhendée par l’OCDE comme potentiellement «plus fiable que n’importe quelle méthode de prix de transfert». Ces modèles rendent en partie archaïque le recours à des méthodes unilatérales simplificatrices, peu cohérentes avec la dynamique réelle des relations intragroupes. Les stratégies d’entreprises étant de plus en plus différenciées, la capacité à respecter le principe de pleine concurrence à partir d’une analyse de la chaîne de valeur, hors de portée d’une remise en cause arbitraire, représente à la fois une formidable opportunité et une impérieuse nécessité.

1. Foreign-derived intangible income.

2. Global intangible low taxed income.

Le cabinet Mayer Brown, acteur majeur sur les opérations de M&A en France, le cabinet A7Tax, expert en fiscalité financière et en prix de transfert et le département Evaluation du cabinet Eight Advisory, cabinet indépendant leader en transaction, restructuration et transformation, unissent ponctuellement leurs forces pour apporter de nouveaux outils stratégiques de pilotage de la valeur et de sécurisation des politiques fiscales internationales.

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