Marché

Les management packages à l'épreuve de l'incertitude juridique et fiscale

Publié le 29 mai 2013 à 15h14    Mis à jour le 29 juin 2021 à 9h55

Florent Le Quintrec

Déjà affectés par des performances opérationnelles revues à la baisse en raison de la crise économique persistante, les management packages de dirigeants de LBO doivent également faire face à une instabilité juridique et fiscale accrue depuis plusieurs mois. Entre les remises en cause de promesses de vente et de leur exécution et une administration fiscale toujours plus regardante sur fond de réforme fiscale, les managers ont plus que jamais besoin de conseils avisés.

Le marché du private equity a beau tourner au ralenti depuis plus d’un an, les management packages n’en ont pas moins connu une actualité riche ces derniers mois. Les nombreuses réformes fiscales, concernant notamment la taxation des plus-values, et les décisions de justice ont changé la donne tant pour les équipes dirigeantes de sociétés sous LBO que pour les fonds d’investissement, qui doivent désormais redoubler d’efforts pour parvenir à aligner au mieux leurs intérêts.

En conséquence, une tendance déjà prégnante depuis quelques années s’est semble-t-il affirmée ces derniers mois, à savoir la complexification des packages, en dépit de la volonté de chacun de chercher à élaborer des structures simples. «Les montages des packages sont de plus en plus techniques et les management boards qui ne sont pas des experts du LBO ont du mal à gérer la problématique eux-mêmes. Le recours à des conseils est donc devenu indispensable», constate Dominique Seau, président du groupe Eminence, détenu par les fonds LBO France et LFPI depuis 2011. Même les managers rompus aux négociations de packages reconnaissent avoir du mal à se priver de ces conseils, juridiques et financiers, tant les structures apparaissent techniques, notamment vis-à-vis des outils optionnels. A cela s’ajoutent les difficultés rencontrées par nombre de LBO en raison de la crise, remettant ainsi en question les perspectives de gains (de sortie) des managers. Enfin, l’instabilité juridique et fiscale permanente ne fait que peser davantage sur la pérennité des montages. Résultat, les experts des management packages sont aujourd’hui sollicités régulièrement dans l’accompagnement des managers. «Nous sommes en contact avec nos conseils tous les trois ou quatre mois, pour faire le point sur les évolutions fiscales, sur la marge que nous avons par rapport aux objectifs du business plan, sur les questions de gouvernance… Il est toujours intéressant de s’appuyer de manière régulière sur ces conseils, qui ont une vision indépendante», explique Dominique Seau.

Les promesses de vente fragilisées

Malgré les âpres négociations que les managers et leurs conseils mènent avec les actionnaires financiers pour constituer un management package, il arrive néanmoins que l’une ou l’autre des parties remette en cause les accords conclus. C’est alors bien souvent à la justice de statuer. Usuellement, lors de la mise en place d’une opération de LBO, il est conclu par les dirigeants actionnaires une promesse de vente en cas de départ de la société, qu’il ait lieu pour de bonnes (good leaver) ou de mauvaises raisons (bad leaver). Si les rares cas de good leavers (retraite, décès) sont dans l’ensemble réglés sans accroc, les cas de bad leavers (faute lourde, démission…) conduisent à de nombreux contentieux, chaque partie ayant une interprétation différente des modalités de sortie.

Les accords prévoient généralement que la méthode de valorisation des titres du manager bad leaver soit d’ores et déjà déterminée. Si, pour les actionnaires financiers, cette méthode ne peut être révisée et que les managers sortants se sont engagés à vendre leur participation selon cette méthode, de récents arrêts sont venus mettre à mal le caractère irrévocable des conventions signées entre les parties. Ainsi, dans un arrêt du 4 décembre 2012 de la Cour de cassation, le salarié actionnaire, qui entendait céder ses titres à l’investisseur financier, contestait la méthode de valorisation initialement retenue et signée par lui dans la charte des associés. La haute juridiction s’est fait l’écho de la position du salarié, estimant que ce dernier pouvait solliciter le recours à un expert visé à l’article 1843-4 du code civil, un tel recours n’ayant pourtant jamais été mentionné dans l’accord conclu. Une décision inquiétante vis-à-vis de la sécurité juridique des accords signés.

Dans d’autres affaires1, les fonds d’investissement n’ont jamais pu obtenir l’exécution forcée de la vente des titres par les dirigeants actionnaires récalcitrants, mais se sont vu attribuer de simples dommages et intérêts, aux montants souvent inférieurs à la valeur des titres réclamés.

Une fiscalité décourageante

Si la plupart des décisions actuelles semblent vouloir mieux protéger les managers face aux fonds, d’autres décisions, politiques cette fois, ont en revanche fragilisé leur situation financière. La loi de finance pour 2013 a en effet modifié le régime d’imposition des plus-values sur valeurs mobilières en les soumettant au barème progressif de l’impôt sur le revenu (et non plus au taux forfaitaire). Au total, les plus-values réalisées par un manager de LBO pourraient se voir appliquer une imposition globale de 64,5 %, dans l’hypothèse de l’application du taux marginal de 45 %, de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (4 %) et des prélèvements sociaux de 15,5 %. A comparer avec une taxation maximale de 39,5 % en 2012… «Le cadre fiscal risque de décourager les managers de participer à un LBO, ce qui va certainement poser problème pour les futurs recrutements», souligne un professionnel du secteur. Si un régime d’abattement a pourtant été prévu en fonction de la durée de détention de titres, permettant de ramener le taux maximum d’imposition à 46,5% au-delà de six ans de détention, cet effort d’allégement fiscal ne concerne toutefois pas certains des outils les plus utilisés dans les management packages, notamment les bons de souscription d’actions ou les obligations (OC ou ORA), qui risquent donc fort de disparaître des prochains montages. Mais après la fronde des «pigeons», le président de la République, dans son discours du 29 avril dernier à l’occasion de la clôture des Assises de l’entrepreneuriat, a fait volte-face et annoncé un assouplissement de la fiscalité applicable aux investisseurs. Le contenu du projet de loi, en attente, sera analysé avec attention par les personnes concernées.

Gains ou salaire ?

Bien que l’aspect confiscatoire de la fiscalité soit dénoncé par certains, c’est davantage son instabilité qui pèse sur les managers et remet en cause leur motivation à se lancer dans un LBO. Et, là encore, la jurisprudence est venue ajouter de l’incertitude à un environnement déjà inconstant sur le traitement fiscal des sommes issues d’un management package. «Même si toutes les précautions sont prises, tous les management packages peuvent potentiellement faire l’objet d’une tentative de redressement», fait valoir un avocat. L’administration cherche en effet constamment à requalifier les gains de sortie en salaire dès lors que ceux-ci sont liés à l’exercice de fonctions dirigeantes. Jusqu’ici, les juridictions administratives avaient toujours épargné les bénéficiaires de package du risque de requalification en salaire lorsqu’une prise de risque en capital était avérée. Mais la décision du 28 novembre 2012 de la cour administrative d’appel de Paris a pris le contre-pied de la ligne jurisprudentielle, pourtant bien établie. Après que l’administration fiscale eut requalifié la totalité des gains nets perçus par un dirigeant de LBO en salaire, la juridiction d’appel a renversé la décision du tribunal administratif de Paris – qui appliquait la jurisprudence traditionnelle – en estimant que l’option d’achat exercée n’avait pas été consentie au manager en échange d’une véritable prise de risque en capital, mais seulement en sa qualité de dirigeant. Certes, le produit de cession de titres, une fois l’option exercée, apparaît sans commune mesure avec la somme immobilisée pour obtenir cette option (la somme ayant été multipliée par près de 150), mais la cour semble avoir ignoré le fait que rien ne garantissait au dirigeant que la valeur de l’entreprise progresserait. Dans l’hypothèse où le conseil d’Etat ne reviendrait pas sur cette décision, les management packages élaborés avant la loi de finance de 2013 risquent d’être beaucoup moins intéressants financièrement, à supposer que les LBO concernés aient surmonté la crise et créé de la valeur.

Si l’actualité juridique et fiscale reste aussi riche que ces derniers mois, l’activité de conseil en management packages a un bel avenir, pour peu que les managers osent encore tenter l’aventure du private equity.

1. Cass 3e Civ. 15 décembe 2003, Cass. 3e Civ. 28 octobre 2003,

Cass 3e Civ 11 mai 2011 et Cass. Com. 13 septembre 2011.

Dans la même rubrique

Etat des lieux des transmissions familiales

Le cabinet Racine a soufflé ses 40 bougies l’année dernière et compte aujourd’hui 250 avocats...

Les mécanismes de transmission d’entreprises aux salariés

Qu’il en soit le fondateur ou non, un chef d’entreprise désireux de transmettre celle-ci a souvent à...

Voir plus

Chargement en cours...

Chargement…