Des process de plus en plus formatés, des dirigeants surpuissants qui font et défont les deals, des investisseurs contraints de céder à des caprices de stars… La France n’a jamais à ce point mérité sa réputation «management-friendly» !
Unither, Cerba, Webhelp… autant d’opérations récentes de l’upper-mid cap où il est de notoriété publique que ce sont les dirigeants qui ont dicté leur loi et décidé de leur futur actionnaire. «Il ne faut pas oublier que ces LBO, aux managers qui réussissent à imposer une gouvernance particulièrement forte et focalisent toutes les attentions restent en fait des cas atypiques, le marché français ne se résume pas à cela», tempère Alexandre Margoline, principal chez Permira, responsable des investissements en France. «Il n’y a pas d’évolution spectaculaire des rapports de forces entre managers et fonds, rappelle, de son côté, François Jerphagnon, responsable de l’activité expansion d’Ardian. Il y a cinq ans, les process étaient déjà industrialisés et les managers des LBO secondaires et tertiaires plus aguerris.» Rien de nouveau sous le soleil donc ? «La beauté de ce métier est que chaque cas reste différent», sourit Jean Eichenlaub du haut de ses vingt ans d’expérience, d’abord chez Fonds Partenaires de Lazard, puis en créant European Capital en 2005 et enfin en prenant les rênes du fonds de gestion pour compte de tiers de la CDC, Qualium Investissement, depuis 2009. Cela dit, «d’un point de vue purement technique, les relations avec les managers se sont nettement complexifiées. La France est quand même le seul pays au monde où l’on trouve un cabinet d’avocats avec 50 collaborateurs exclusivement dédiés au management package !», ironise-t-il. Manager de LBO est presque devenu un nouveau métier, en tout cas une spécialité à part. Il n’y a qu’à parcourir les comptes LinkedIn des différents CEO des entreprises dans les portefeuilles des fonds pour comprendre que cette qualité est revendiquée comme une compétence en tant que telle. Il faut dire que les temps ont changé et les profils chevronnés de dirigeants ayant réussi à mener leur barque pendant trois, quatre, voire cinq LBO successifs se paient cher. «On n’est plus dans les temps anciens du private equity où on achetait une cible à quatre fois l’Ebitda et on la revendait à un multiple de sept en l’ayant à peine dépoussiérée», rappelle un investisseur, un brin nostalgique des débuts du secteur.
La loi du marché
De fait, les managers ont aujourd’hui parfaitement conscience de leur importance dans la réussite d’un deal. Ils savent que pour apporter les transformations nécessaires à la création de la valeur et du TRI du fonds, ils doivent se démener et aller chercher la croissance avec les dents. La structuration d’un écosystème de conseils particulièrement aguerri et compétent a aussi participé à durcir les négociations et aligner les dirigeants sur les pratiques les plus exigeantes. Cette standardisation des process, même si elle n’est pas du goût de tout le monde, permet toutefois de dépassionner les débats et ne pas se perdre en digressions fantaisistes.«La phase de séduction est plus courte et plus rationnelle qu’avant, assure Jean Eichenlaub. On y parle beaucoup plus business et attentes concrètes du management vis-à-vis du fonds.» Qualium a ainsi réussi à se différencier dans certains process d’acquisition très disputés grâce à son réseau de partenaires à l’international. «Le management ne choisit pas qu’en fonction de critères financiers, rappelle Alexandre Margoline. Beaucoup choisissent un fonds mondial pour les accompagner dans un plan de développement ambitieux avec des réseaux internationaux desquels certaines entreprises françaises pourraient grandement bénéficier dans le cadre d’une période de croissance forte.» Encore faut-il que le dirigeant ait envie d’une prise de risque et de sortir de sa zone de confort… Certaines équipes sont réputées ne pas vouloir trop se faire bousculer et auront donc plus tendance à privilégier un investisseur aux méthodes très «light». Fonds anglo-saxon «hands-on» contre fonds franco‑français plutôt «pépère» ? La nuance est un peu plus subtile. «Nous ne souhaitons pas être intrusifs, premièrement parce que nous n’avons pas les compétences de managers, deuxièmement parce cela risquerait de compromettre l’upside vendu au fonds d’après si la croissance de l’entreprise était trop fortement liée à notre intervention. Nous sommes là pour donner aux équipes managériales les moyens d’atteindre leurs ambitions», tient à clarifier le principal de Permira.
Botte secrète
Anticiper les crispations qui peuvent jalonner la relation entre managers et fonds, c’est un des savoir-faire réputés d’Ardian. «Les règles du jeu pour le partage de la gouvernance, notamment, doivent être fixées clairement en amont de l’investissement, conseille François Jerphagnon. Et pour éviter le désalignement d’intérêts susceptible de compliquer la sortie, il est essentiel d’aborder le sujet suffisamment tôt.»
Bien sûr, les discussions se font autour du tableau de rétrocession et il vaut mieux, pour le fonds affrontant un manager qui en est à son troisième ou quatrième LBO, être incollable sur le sujet des management packages pour ne pas perdre sa crédibilité. «On est très attentifs à ce que le seuil de déclenchement du management package soit adossé à des conditions non seulement de TRI mais aussi de multiple, explique François Jerphagnon. Car contrairement aux idées reçues qui veulent que les investisseurs soient toujours pressés de vendre, le manager peut parfois vouloir pousser à la sortie au bout de deux ou trois ans si les premières années de l’investissement sont très réussies et s’il n’est intéressé qu’au TRI, ce qui crée un désalignement d’intérêts avec le fonds.» Il faut dire que la ligne de démarcation reste très importante entre un deal primaire et un LBO secondaire où le point d’équilibre entre les objectifs des managers, les attentes des fonds cédants et les visées des nouveaux entrants obéit à une équation complexe.
Caprice de star
Pour les dirigeants quadra, la volonté de devenir majoritaires au fur et à mesure des LBO devient un rêve accessible, à condition de ne pas induire une ristourne sur le prix. «Certes, la volonté de devenir majoritaire peut pousser l’équipe de management à vouloir brider le prix de cession, mais d’un autre côté, la même équipe a tout intérêt à maximiser le management package de la transaction précédente pour mieux se reluer, analyse François Jerphagnon. Ces mouvements contradictoires finissent souvent par se neutraliser et aboutir à un prix d’équilibre.» La question du bon positionnement du curseur est récurrente dans les process ultra-concurrentiels où la position confortable du fonds cédant n’est absolument pas comparable aux affres des candidats. Parfois le zèle des fonds à prouver leur valeur ajoutée pendant le «beauty contest» peut aller loin sans forcément se révéler payant. «Lors des discussions préalables, nous avions mis en contact les managers avec un prospect américain qui est ensuite devenu leur client, se souvient Alexandre Margoline, qui n’a finalement pas été retenu pour ce deal. «C’est la règle du jeu dans notre métier», assume, philosophe, l’investisseur de Permira. D’autres refusent de céder à des caprices de stars et s’en mordent les doigts plus tard. «Nous avons perdu un deal face à un concurrent qui promettait de financer les build-ups uniquement par des OC à 8 % sans procéder à une augmentation de capital dilutive pour le management», confie un investisseur dépité, qui regrette aujourd’hui de ne pas être allé aussi loin quitte à compromettre son TRI. «De toute façon, dans l’environnement de taux actuels, les LPs sont parfaitement lucides sur les promesses de TRI. Si on leur apporte du 8 %, c’est déjà bien au-dessus de toutes les autres classes d’actifs, alors surpayer une belle opération avec un management de compétition vaut mieux que de prendre des risques sur un deal moins cher.» Cette conclusion, la grande majorité des investisseurs du mid-cap français semblent l’avoir adoptée. En témoigne la raréfaction des MBI, et le tropisme pour les LBO de troisième, quatrième et même cinquième générations.«La difficulté pour un MBI est de trouver un profil de manager dans un grand groupe taillé pour l’univers des PME, la sauce peut ne pas prendre», confie Jean Eichenlaub qui a été confronté à ce choc des cultures pour une entreprise dont le dirigeant était très emblématique. Reste que la mémoire sélective des investisseurs ne retient que les belles success stories écrites avec des dirigeants performants. Les mêmes d’ailleurs qui, une fois devenus millionnaires, retournent investir dans les fonds de leurs anciens sponsors. «Nous avions reçu 24 millions d’euros d’investissement de la part des managers de nos anciennes participations lors de la levée de notre dernier FCPR de 2012, se félicite Jean Eichenlaub. C’est le meilleur signe de reconnaissance de la qualité de la relation entre managers et fonds et leur confiance dans notre capacité à transformer les entreprises.» Idem pour Ardian dont le dixième du fonds Expansion IV levé l’année dernière a été apporté par des dirigeants d’entreprises passées par le portefeuille du GP. Quand les managers deviennent à leur tour investisseurs, la boucle est bouclée.
Michel Vaissaire, la nouvelle dimension du manager de Diam
«L’honnêteté est l’habileté suprême.» De cette citation du cardinal de Retz, Michel Vaissaire a fait une ligne de conduite dans ses rapports avec les actionnaires financiers qui se sont succédé au capital de Diam International. Trois LBO en dix ans et une entreprise devenue leader mondial des solutions de merchandising, passant de 100 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2006 à 253 millions en 2016, dont les trois-quarts à l’international.
Cet ancien cadre dirigeant de grands groupes (Saint-Gobain puis Arjowiggins) a goûté au LBO en 2007. Quelques années plus tard, c’est LBO France qui prend le relais au capital d’une société redressée et en pleine croissance, avant de céder le contrôle à Ardian en septembre 2016. L’équipe de management en a profité pour se reluer à chaque opération et élargir le cercle d’actionnaires de quelque 80 cadres en 2012 à 120 lors du dernier LBO. «Nous avions la possibilité de passer majoritaires lors de cette dernière opération, confie Michel Vaissaire, mais nous n’avons finalement pas souhaité exercer cette option». Le rêve de tout manager n’est donc pas de prendre le contrôle ? Voire d’orchestrer son opération sponsorless ? «Plus le temps passe, et plus je trouve que les fonds d’investissement sont de bons partenaires», assure le CEO de Diam, ce qui ne l’empêche pas de s’impliquer de près dans le choix de ses actionnaires financiers. «J’ai consacré neuf mois à temps plein lors du dernier process pour rencontrer les vingt candidats intéressés, puis les dix retenus pour le second tour. C’est vrai que les négociations sont plus faciles quand on a l’embarras du choix», raconte le dirigeant. Pour la négociation du management package, le mandat aux conseils est clair : «des conditions en ligne avec le marché, ni plus ni moins». Délesté des considérations pécuniaires, le manager a les coudées franches pour discuter de l’essentiel : la vision stratégique et le degré d’autonomie conféré à l’équipe. Quant à l’usure des LBO en série, Michel Vaissaire est assez lucide sur ses capacités et ses limites : «En faisant croître l’entreprise de 500 à 2 600 collaborateurs, nous avons aussi fait évoluer la dimension des dirigeants de Diam. Me concernant, la montée en puissance de l’équipe fait que je ne suis plus au four et au moulin comme il y a dix ans», souligne le président de Diam International. Sûrement un des facteurs anti-érosion de la motivation de ce patron LBO.