EXPERTISE

Les restructurations de dette LBO face à la crise : nouveaux enjeux, nouvelles opportunités

Publié le 8 février 2021 à 17h36    Mis à jour le 9 février 2021 à 17h19

La crise du Covid-19 a entraîné un coup d’arrêt des transactions et a déséquilibré l’économie des LBO.

Les acteurs du capital-investissement continuent d’observer l’évolution du marché avec prudence, lorsque certains y décèlent de véritables opportunités. Dans un premier temps, les calendriers de remboursement de la dette et engagements de ratios ont été relégués au second plan, notamment via l’octroi de waivers et covenant holidays.

 Afin de répondre à la problématique de financement des besoins de trésorerie des sociétés opérationnelles impactées par la crise, le gouvernement français a privilégié une stratégie d’injection massive de trésorerie par les établissements bancaires via le recours aux Prêts Garantis par l’Etat (PGE). Près d’un an après la mise en place de ces mesures, force est de constater que cette mise sous perfusion a permis, pour l’heure, de geler les défaillances. 

Toutefois, ces mesures obèrent la capacité pour l’entreprise de financer son développement et sa croissance. En effet, elles ne financent que des pertes. Dans le même temps, les difficultés d’exploitation et de trésorerie rencontrées par les sociétés opérationnelles ont limité leur capacité à distribuer des dividendes et ont eu un impact fort sur l’EBITDA. Elles ont donc eu des conséquences sur le traitement de la dette portée par la holding. S’est alors posée la question de l’éligibilité des sociétés holding aux PGE afin de faire face au remboursement de la dette d’acquisition. Si cette possibilité a été validée, elle a permis de reporter des discussions sur la question de fonds propres, sur lesquelles les actionnaires n’étaient pas de toute façon en mesure de se positionner compte tenu de l’absence de visibilité sur les prévisions d’exploitation. La problématique des fonds propres représente un enjeu majeur et on peut craindre de retrouver, alors que la crise s’enracine, bon nombre d’entreprises surendettées avec un besoin évident de fonds propres.

Il est évident que les mesures exceptionnelles et temporaires mises en place par le gouvernement ne permettront pas de traiter le risque d’insolvabilité des entreprises. Elles n’y ont pas vocation et ne peuvent se substituer à une initiative qui devra être engagée conjointement par l’emprunteur, les prêteurs et les actionnaires afin de résoudre une problématique à long-terme, spécialement en ce qui concerne les entreprises lourdement impactées par la crise et dont le bilan s’est retrouvé totalement déséquilibré.

Compte tenu de la baisse d’activité au cours de l’année 2020, et probablement une partie de l’année 2021, les entreprises ont largement réduit leurs charges d’exploitation (recours au mécanisme de chômage partiel, réduction des effectifs, arrêt de l’appel à des sous-traitants etc.) et n’ont plus de marge de manœuvre. Au vu de l’évolution de la crise, il est peu probable que la situation s’améliore avant 2022. Les exercices 2020 et 2021 ne pourront être utilisées comme années de référence ou servir de base à des discussions en vue d’un reprofilage de la dette.

Dès lors, si le Ministère de l’Economie et des Finances a récemment annoncé la mise en place d’une deuxième année de différé de remboursement des PGE et bien que cette nouvelle bouffée d’oxygène soit bienvenue pour les entreprises, il ne fait que décaler le problème du remboursement des PGE, dont la maturité n’est pas étendue.

Force est de constater que cette mise sous perfusion a permis, pour l’heure, de geler les défaillances.

Les établissements bancaires sont également conscients des limites des vertus du mécanisme et de la nécessité de renforcer les fonds propres à terme. Ils ont veillé à intégrer dans les contrats de PGE un certain nombre d’engagements de l’emprunteur : non-distribution de dividendes, limitations en termes de niveau d’endettement (baskets), clauses d’accélération en cas de changement de contrôle, etc. La renégociation des PGE pose par ailleurs de véritables difficultés pratiques. La question du maintien de la garantie de l’Etat, dont la durée est limitée à six ans, dans le cadre d’une procédure collective qui peut imposer des délais de remboursement plus longs, n’est pas évidente. En fonction de la réponse à ces difficultés techniques, la pratique s’orientera vers des plans de cession prepackés qui permettront de faire jouer à plein la garantie de l’Etat.

En tout état de cause, les acteurs devront s’atteler ensemble à un difficile exercice d’équilibriste afin de mettre en adéquation la structure de l’endettement financier de la holding et les capacités contributives réelles de la société opérationnelle à l’issue de la crise sanitaire. Dans certains cas, un simple « amend and extend » ne sera pas suffisant et une véritable restructuration sera inévitable. La valeur de l’entreprise étant directement affectée par une chute du chiffre d’affaires et de l’EBITDA (souvent couplée à un besoin en new money) des discussions ont été rendues nécessaires dans certains dossiers, et en particulier en présence d’une dette unitranche. Les actionnaires existants ont dû faire des arbitrages en fonction des perspectives de rebond des sociétés en portefeuille et du montant du besoin pour envisager un nouvel apport qui permettrait soit de (i) rembourser une partie de la dette pour permettre de revenir à des ratios d’endettement cohérents avec le niveau d’EBITDA, et/ou (ii) financer les intérêts de la dette tout en soulageant la société opérationnelle.Le résultat de cet arbitrage peut conduire à un passage de relais au bénéfice des créanciers. D’une manière générale, la stratégie des prêteurs dépendra de leur exposition mais également de la nature de la dette. La particularité du créancier unitranche est d’être structuré pour porter de l’equity, il a généralement la capacité de suivre la participation comme le ferait un fonds d’investissement (auprès duquel il a souvent co-investi en capital).

Si dans la plupart des cas la prise de contrôle par le créancier s’est faite dans le cadre d’une négociation amiable, certains dossiers ont nécessité la voie judiciaire et la procédure collective pour trouver une issue. Le dossier BVA est une illustration particulièrement frappante du bras de fer créancier/actionnaire mené devant les tribunaux. Alors que la transposition de la directive européenne sur les cadres préventifs est assurément dans l’air du temps, l’environnement actuel pourrait susciter une évolution du droit français vers le modèle anglo-saxon, plus favorable au lenders-led.

L’assouplissement du dispositif de neutralisation du profit constaté lors d’une opération d’augmentation de capital libérée par compensation de créances acquises à prix décoté, entériné par la dernière loi de finances, va également dans le sens d’une telle ouverture. Ce changement de paradigme pourra, sans doute, offrir de nouvelles opportunités de build-up. De quoi assurer un bel avenir au distressed M&A. Cet avenir devra néanmoins prendre en compte les nouvelles évolutions jurisprudentielles en matière de sûretés réelles, qui pourront amener à faire évoluer les montages. Soulignons également une décision rendue récemment par la Chambre commerciale qui a, fait rare, retenu la condamnation d’un fond d’investissement actionnaire d’une société sous LBO en responsabilité pour insuffisance d’actif, en retenant notamment comme faute de gestion la distribution de dividendes. Un nouveau point d’attention, donc, pour les praticiens.

L’environnement actuel pourrait susciter une évolution du droit français vers le modèle anglosaxon,plus favorable au lenders-led. 

Questions à Grégoire Andrieux, associé et managing partner, McDermott Will & Emery

Comment appréhendez-vous le marché pour les mois à venir ? 

Les tendances de la fin 2020 devraient se poursuivre. Nous anticipons beaucoup d’opérations, malgré la crise qui touche certains secteurs. Elles vont bien sûr se concentrer sur les actifs qui ont montré le plus de résistance à la crise sanitaire. Cette dernière est une crise inédite pour le marché puisqu’elle ne vient pas d’un problème de financement ou de pouvoir d’achat. Elle vient d’une fermeture brutale, pure et simple, de l’accès au consommateur. Cela a d’ailleurs favorisé le développement ou le renforcement de nouvelles formes de consommation, au bénéfice de certains secteurs comme le e-commerce. Il va donc y avoir un resserrement sur les secteurs résilients, avec des actifs premium notamment dans la santé, l’éducation, le Software et l’IT au sens large, les services financiers et le conseil. Les multiples constatés sur les opérations de fin 2020 dans ces secteurs étaient d’ailleurs déjà plus élevés qu’en février 2020, avant la crise. L’augmentation de la compétition sur les opérations résulte non seulement du resserrement sur les secteurs résistants mais aussi de la disponibilité de fonds, les investisseurs ayant levé beaucoup d’argent depuis 2 ans et continué à la faire pendant la crise. Les processus vont donc être accélérés, avec des deals préemptés par les acheteurs les plus préparés. Il y aura une prime aux investisseurs qui identifient et analysent tôt les opportunités et pourront aborder les processus avec beaucoup d’avance et de réactivité. 

Quelles sont selon vous les problématiques à anticiper ?

Tout d’abord, il va falloir avoir la bonne interprétation des derniers résultats présentés par les entreprises : la hausse ou la baisse du résultat n’est-elle que le fruit du confinement ou révèle-t-elle une autre tendance ? Par exemple, un actif qui a été porté vers le haut par l’effet du changement des canaux de consommation va-t-il pouvoir pérenniser cette performance ? A l’inverse, un actif qui a connu une sous-performance va-t-il retrouver son niveau pré-crise ou des changements profonds des habitudes des consommateurs vont-ils remettre en cause son modèle ? Cette question est particulièrement importante pour les secteurs du retail et du tourisme. Ce travail de normalisation, nécessairement en partie prospectif et subjectif, conduit à des forts écarts d’appréciation qui vont avoir les effets suivants : des différentiels importants de positionnement de prix sur certains process entre des candidats qui n’auront pas la même approche. On constate des écarts rarement rencontrés entre les candidats sur certains actifs, avec parfois des différences de 2 à 3 tours de multiple ; lorsque les processus seront moins concurrentiels, des difficultés à rapprocher les positions des vendeurs et des acheteurs. Cela va nécessiter la mise en place de mécanismes d’ajustement de prix, ce qui soulève toujours des difficultés de structuration – notamment en raison de l’incidence que cela peut avoir sur les structures de financement externe ou encore sur les management packages.

Quelles sont les particularités de McDermott et de votre équipe ?

Le cabinet McDermott est présent depuis longtemps sur des secteurs régulés qui figurent par les plus actifs du moment (santé, life sciences, éducation, transports, etc.). Nos équipes ont une très bonne connaissance des contraintes légales et réglementaires de ces métiers. On pense notamment au contraintes actionnariales, aux relations avec les autorités de tutelles, aux contrats publics, aux problématiques de protection des données personnelles ou encore aux contentieux propres à ces industries.Au-delà de cette connaissance sectorielle, le cabinet couvre l’ensemble des problématiques de l’entreprise et sait accompagner ses clients dans tous leurs cycles : M&A, financement, refinancement, partenariat commerciaux, restructurations, etc.Avec un ancrage local fort, le cabinet bénéficie en outre des capacités des bureaux étrangers de McDermott qui lui permettent aussi d’accompagner la croissance de ses clients en dehors de France. 

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