Par Rodolphe Pacciarella, associé, Accuracy
Sur le marché des sociétés sous LBO, on constate une accélération du nombre d’acteurs en difficultés nécessitant une restructuration. L’accélération se manifeste à deux niveaux : d’une part par la rapide augmentation du nombre de dossiers à traiter, mais également par des discussions plus courtes afin de préserver les entités opérationnelles.
Des restructurations plus dures
Il y a quelques années, les difficultés que connaissaient les sociétés sous LBO étaient essentiellement des problèmes liés à leurs covenants. Les sociétés ne satisfaisaient plus les ratios établis lors de la mise en place de leur dette. Une simple révision des covenants, ou dans les cas plus difficiles une extension de la dette, suffisaient à résoudre temporairement le problème en attendant des jours meilleurs. Mais ces jours ne viennent pas, et l’environnement économique durablement dégradé rend nécessaires des mesures plus dures. Aujourd’hui, on ne peut plus se contenter de travailler sur les holdings, il faut mener une véritable réflexion et intervenir au niveau de la société opérationnelle.
En raison de prévisions trop optimistes, de l’incapacité à anticiper le ralentissement économique ou encore de valorisations trop élevées, celles-ci souffrent d’une mauvaise adéquation de leur endettement avec leur capacité de remboursement, leur cash-flows ne suffisant plus à satisfaire le service de la dette. Compte tenu de la persistance de la crise, les «waivers» ou les «amend and extend», qui permettent de retravailler le profil de la dette sans la réduire, ne sont plus des outils pertinents. Les sociétés, qui n’ont plus de visibilité sur leur chiffre d’affaires ou sur leur carnet de commande, ne sont plus en mesure de faire des projections à long terme et doivent naviguer à vue. Elles ne peuvent pas se contenter de solutions temporaires et doivent envisager des mesures plus radicales : aller vers de la new money ou de l’abandon de dette, voire envisager des procédures collectives.
Préserver l’opérationnel
L’enjeu du travail de restructuration est de restaurer le cash-flow de l’entité opérationnelle afin d’assurer sa pérennité. La croyance selon laquelle les sociétés sous LBO résistent mieux à la crise, populaire il y a quelques années, n’a plus cours et il s’avère que ces sociétés doivent au contraire traiter, en plus des difficultés strictement opérationnelles, les contraintes liées à leur situation particulière. Leur dette est souvent calibrée sur une valorisation très optimiste, reposant sur une dynamique de marché ambitieuse. Or ces sociétés font non seulement face à la crise en Europe, mais également au ralentissement des marchés hors Europe – Etats-Unis ou pays émergents – qui constituaient d’importants relais de croissance. Pour cette raison les cash-flows générés par l’entité opérationnelle sont largement inférieurs aux prévisions et ne suffisent plus à rembourser la dette.
La situation doit alors être considérée en sens inverse : partir des cash-flows de la société, examiner différents scénarii, déterminer une fourchette de valorisation. Cet examen permet de définir le niveau de dette que la société est en mesure de supporter. Et d’engager avec les partenaires des discussions éclairées par ce diagnostic.
Psychologie des intervenants
Lorsque les discussions s’engagent entre les actionnaires et les prêteurs, les positions dépendent en grande partie du diagnostic que fait chacun de sa situation. Les fonds apprécient le risque à la lumière de leurs exigences de rendement. S’ils estiment qu’ils restent en mesure de récupérer leur investissement initial, ils vont chercher à sauver le dossier. Si ce sauvetage suppose l’injection de new money, ils examineront également les conditions liées à ce nouvel investissement pour juger le risque au niveau de l’investissement total.
Les banques répondent à une logique différente. Leur exposition a beaucoup augmenté en raison du nombre important de dossiers en difficulté, et elles doivent prendre des décisions permettant de réduire cette exposition. Quitte à envisager des solutions plus radicales qu’avant, telles que le lenders-led, qui consiste à prendre le contrôle de l’actif. Cette mesure reste peu utilisée mais les créanciers sont désormais capables de l’envisager. Dans un certain nombre de dossiers en cours, le lenders-led est étudié, et cela aboutit parfois à des propositions concrètes. Il s’agit de dossiers de taille importante, dans lesquels plusieurs banques interviennent de façon organisée, dans un pool qui implique généralement des banques anglo-saxonnes, plus habituées au process. Les créanciers consentent alors à un abandon de créance pour alléger le poids qui pèse sur la société et mettent en place, seuls ou avec un nouvel intervenant, une gouvernance qui leur permettent de piloter la société avec le management. Ainsi, ils peuvent en orienter la gestion et décider du timing et des conditions de cession. L’effort qu’ils consentent en allégeant le levier leur reviendra donc directement si la société se redresse. Pour autant, cette solution est loin d’être idéale pour les banques : parce que ce n’est pas leur rôle de gérer des sociétés, mais également parce que l’investissement direct en equity dans ces sociétés pèse sur les ratios que Bale III leur impose. Le lenders led est donc une nouvelle sortie possible pour les sociétes sous LBO en difficultés, une nouvelle option pour les créanciers, mais pas une solution universelle.
Au final, tous les dossiers finissent par aboutir d’une façon ou d’une autre. Généralement, les parties s’entendent de façon amiable et trouvent un point d’équilibre, ce qui montre leur capacité à négocier malgré les difficultés. Ce schéma doit rester la voie privilégiée. Parfois, les discussions sont plus compliquées, et dans les rares cas où elles n’aboutissent pas, restent les procédures judiciaires. Mais il faut bien garder en tête que la restructuration se fait de plus en plus au détriment de l’un des partenaires.
3 questions à... Rodolphe Pacciarella
Quelles sont les problématiques actuelles du marché ?
Rodolphe Pacciarella : La crise touche la performance financière des entreprises et déclenche un besoin de restructuration au niveau de la dette, mais également au niveau opérationnel. Pour gérer au mieux cette situation le management doit être en mesure d’anticiper sa restructuration. Il lui faut être accompagné dans la réalisation de son business plan, dans la mise en place de sensibilités, dans l’évaluation de sa société afin de connaitre le niveau de dette qu’elle peut supporter. Ces éléments permettent au manageur d’avoir en tête un schéma cible, qu’il peut expliquer et défendre lors des discussions avec ses partenaires. Plus il sera préparé, plus ces derniers lui feront confiance, et plus les discussions pourront être rapides. Il est donc fondamental que le management puisse anticiper et préparer sa restructuration, faute de quoi il devra réagir dans l’urgence et subira le process au lieu de le conduire.
Quelles sont les particularités de vos équipes dédiées ?
Rodolphe Pacciarella : Accuracy dispose dans son équipe de Paris d’une quarantaine de professionnels aptes à intervenir dans les situations de restructuration. Cette équipe allie trois compétences : la capacité à accompagner le management dans l’établissement du business plan et des prévisions de trésorerie ; l’aptitude à réaliser des sensibilités, grâce à son expertise EBA («Economics & Business Analysis»), qui permet d’analyser les marchés de l’entreprise, le positionnement de l’entreprise et sa compétitivité ; enfin un savoir-faire en évaluation pour valoriser la société.
Les équipes françaises s’appuient également dans le traitement des dossiers transfrontaliers sur les bureaux européens d’Accuracy, ce qui leur permet une réactivité forte. Elles travaillent également avec nos consultants basés au Canada et en Inde, qui accompagnent des investisseurs locaux dans la recherche de cibles en Europe. Ainsi, nous avons en ce moment un dossier dans lequel un investisseur canadien pourrait coinvestir, voire reprendre la société. De la même façon, nous discutons avec des industriels indiens qui examinent le marché européen. Nous possédons déjà une expérience de ces situations puisque nous avons conseillé en 2012 le saoudien Al-Babtain dans la reprise Petitjean, le fabricant de poteaux électriques alors en grande difficulté.
Comment accompagnez-vous vos clients dans le contexte actuel ?
Rodolphe Pacciarella : Nos clients ont besoin d’aide pour préparer concrètement leur restructuration, et ils attendent de nous une très forte réactivité et de vrais conseils. Ce que cherche le manageur, c’est d’avoir en main l’ensemble des éléments qui lui permettent de prendre des décisions. Ces éléments ne viennent pas que d’Accuracy : ils lui sont apportés par l’ensemble de ses partenaires : banque d’affaires, avocats, mandataire ad hoc le cas échéant. Ce que nos clients attendent de nous, c’est de faire partie de cette équipe qui leur permet d’anticiper les restructurations et de les gérer en préservant au maximum l’opérationnel.