Expertise

Les risques de conformité dans le cadre d’une prise de participations dans une société africaine

Publié le 10 décembre 2019 à 17h30    Mis à jour le 13 décembre 2019 à 16h28

Sena Agbayissah, Hughes Hubbard & Reed

Bien que les flux mondiaux d’investissements étrangers à destination du continent africain aient connu une croissance remarquée en 2018 (+ 11 %), certains investisseurs européens restent frileux à l’idée d’investir dans cette région en raison des risques juridiques, politiques et structurels élevés de cette zone géographique. Or, l’Afrique reste une des régions les plus attractives du monde, principalement en raison de sa démographie et de ses importantes ressources naturelles.

Par Sena Agbayissah, associé, Hughes Hubbard & Reed

Nous constatons depuis quelques années que la conformité réglementaire est devenue un sujet central pour les acteurs du monde financier et industriel africain, notamment dans le but de rassurer les investisseurs étrangers et d’attirer leurs capitaux. Ainsi, si la conformité devient progressivement un gage de sécurité pour les investisseurs étrangers, elle constitue également pour eux des normes auxquelles ils sont tenus de se conformer dans le cadre de leurs investissements sur le continent africain. A ce titre, les investisseurs étrangers doivent tenir compte d’une réglementation protéiforme, en constante évolution, pouvant générer de multiples risques réglementaires dont ils doivent se prémunir en amont ainsi qu’au cours de leurs prises de participations dans des sociétés africaines.

Les risques de conformité auxquels les fonds d’investissement européens font face dans le cadre de prises de participations dans une société africaine

Les risques de conformité sont multiples pour un investisseur européen souhaitant entrer au capital d’une société africaine. Ce dernier doit en effet tenir compte des réglementations en matière d’anticorruption et de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme ainsi que des mesures de sanctions économiques applicables.

Si l’on se réfère à l’indice de perception de la corruption élaboré chaque année par Transparency International, il convient de noter que le risque de corruption est particulièrement élevé sur le continent africain. A titre d’exemple, la région d’Afrique subsaharienne présente en effet l’indice le plus faible avec un score de 32/100. Eu égard à ce risque élevé de corruption, les investisseurs étrangers doivent être particulièrement vigilants au respect des réglementations applicables. A ce titre, une attention toute particulière devra être portée au Foreign Corrupt Practice Act («FCPA») américain ainsi qu’à la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (dite «loi Sapin II»).

Le FCPA, promulgué en 1977, crée une responsabilité civile et pénale pour les personnes physiques et morales ayant commis un acte de corruption présentant un nexus juridictionnel, apprécié très largement, avec les Etats-Unis. La portée extraterritoriale de ce texte rend les sociétés européennes vulnérables à des poursuites américaines à l’image des amendes records prononcées à l’encontre d’Alstom en 2014 ou encore à l’encontre de la Société Générale en 2018.

La loi Sapin II, quant à elle, crée de nouvelles obligations pour les sociétés françaises assujetties qui doivent notamment évaluer les tiers avec lesquels elles sont en relation d’affaires, et ce dans le monde entier.

Bien que, dans l’ensemble, les investisseurs européens ne soient pas toujours directement concernés par ces réglementations, les sociétés cibles dans lesquelles ils investissent peuvent, elles, y être assujetties ou présenter des risques au regard de ces réglementations, notamment lorsqu’elles réalisent des opérations en dollars ou utilisent des biens, de la technologie ou du personnel américains, etc.

Les entreprises françaises doivent prêter également une attention à la réglementation relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, lorsqu’elles y sont assujetties. Or, en se fondant sur l’évaluation réalisée par le groupe d’action financière («GAFI»), la Commission européenne tient une liste des pays tiers à haut risque en la matière, dont font notamment partie l’Ouganda, l’Ethiopie ou encore la Tunisie. Les investisseurs européens doivent donc observer une vigilance renforcée lorsqu’elles envisagent d’investir dans ces pays. Par ailleurs, des activités des sociétés cibles contraires aux réglementations pénales applicables peuvent faire générer un risque de blanchiment de capitaux pour leurs futurs actionnaires.

Enfin, les investisseurs étrangers peuvent être soumis aux réglementations européennes et américaines en matière de sanctions économiques qui visent un certain nombre de pays africains et leurs ressortissants. C’est notamment le cas de la Lybie, du Soudan, de la République centrafricaine, de la Somalie ou encore du Zimbabwe.

L’un des risques récurrents, en pratique, pour les investisseurs étrangers réside dans l’entrée au capital d’une société cible dont l’un des actionnaires fait par ailleurs l’objet de mesures de sanctions économiques européennes et/ou américaines. Cet investissement sera dès lors constitutif d’une mise à disposition de ressources économiques à destination d’une personne faisant l’objet de mesures de gel des avoirs. Une telle opération pourrait ainsi, en vertu des dispositions prévues dans le cadre de certains programmes de sanctions européens et/ou américains, constituer une contravention à la réglementation applicable à l’investisseur.

Ce dernier est par ailleurs automatiquement assujetti aux sanctions européennes en raison de sa constitution dans un Etat membre. L’applicabilité des sanctions américaines est quant à elle plus complexe. L’investisseur devra en effet distinguer les sanctions primaires et les sanctions secondaires américaines. Les premières s’appliquent au travers d’un lien de rattachement avec le territoire américain (US person, US dollar, biens américains, etc.). Les sanctions secondaires, quant à elles, s’appliquent même en l’absence de lien de rattachement et doivent donc faire l’objet d’une étude plus approfondie avant toute prise de participation.

La prévention des risques de conformité en amont d’une prise de participation dans une société africaine

L’identification des risques de conformité, en raison de leur variété et de leur complexité, nécessite une préparation minutieuse, le plus en amont possible de l’entrée au capital. La mobilisation de moyens humains suffisants et compétents ainsi que la détermination d’un objectif adapté aux enjeux et aux contraintes opérationnelles, propre au contexte de chaque prise de participation, doivent ainsi être mûrement réfléchies. Un accompagnement par des experts peut ainsi, si la complexité de l’opération ou le niveau de risque y afférent l’exige, s’avérer nécessaire. Cette identification des risques de conformité prend la forme d’un audit préalable, également connu sous le nom de due diligence.

La portée temporelle de l’audit sera déterminée sur la base des délais de prescription les plus longs attachés aux potentielles infractions préalablement identifiées.

La portée matérielle de l’audit devra également être précisément délimitée. L’investisseur étranger pourra ainsi, par exemple, dans le cadre de cet audit, évaluer le dispositif de conformité existant au sein de la société cible, vérifier les niveaux de contrôle interne mis en place ou encore rechercher un lien de rattachement avec la juridiction américaine. Il lui sera également conseillé de réaliser une analyse approfondie de l’existence de potentielles condamnations antérieures portant sur des sujets de conformité. Enfin, le périmètre matériel de l’audit pourra varier en fonction de la nature des risques identifiés. Ainsi, pour les risques de corruption, l’investisseur s’attardera par exemple sur le traitement des cadeaux et des dons reçus et offerts, sur l’évaluation des tiers réalisée par la société cible ou encore sur l’existence de relations entre la société cible et des agents publics ainsi que l’éventuel recours à des agents commerciaux.

En matière de sanctions économiques, en revanche, une attention particulière sera portée sur les pays sous sanctions dans lesquels la cible a une activité, sur l’identification de l’origine des biens importés ou encore sur l’existence de relations directes ou indirectes (en ce compris dans leur actionnariat) avec des personnes listées ou désignées par les autorités européennes et/ou américaines.

L’aménagement contractuel permettant de se prémunir contre les risques de conformité

A défaut de réalisation d’un audit de conformité avant le signing, l’un des moyens les plus efficaces permettant de se prémunir contre les risques de conformité est d’insérer dans la documentation contractuelle une clause de droit de regard permettant à l’investisseur étranger de conduire un audit couvrant les sujets de conformité entre le signing et le closing. Cette clause devra par ailleurs prévoir pour l’investisseur un droit de sortie de l’opération avant le closing dans l’hypothèse de l’identification d’une violation grave de l’une des réglementations applicables.

Nous conseillons également d’insérer et de qualifier les risques de conformité dans la garantie de passif permettant ainsi à l’investisseur de se prémunir contre le risque d’une violation des réglementations applicables qui n’aurait pas été identifiée, ou justement quantifiée, dans le cadre de l’audit réalisé préalablement à l’opération. Ces risques devront dès lors être quantifiés au regard des potentielles amendes encourues par la société cible pour violation d’une des réglementations applicables.

L’investisseur pourra par ailleurs accompagner la société cible dans la définition et le déploiement de son dispositif de conformité au cours de sa participation. Notons enfin que les autorités américaines ne se contentent plus de la simple insertion d’une clause de conformité dans les contrats mais exigent dorénavant la réalisation d’audits sur site (voir notamment le récent accord transactionnel entre l’OFAC et la société américaine Apollo Aviation Group).

Cet article a été rédigé en collaboration avec Olivier Dorgans (Counsel) et Nicolas Burnichon (Collaborateur), membres du département Sanctions économiques, Contrôle à l’export et Lutte contre le blanchiment de capitaux du cabinet Hughes Hubbard & Reed

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