Les investisseurs, leurs conseils ainsi que les équipes dirigeantes sont poussés à être de plus en plus impliqués dans la structuration des «management packages» mis en place. Ce constat provient des valorisations de sociétés qui ont atteint des niveaux historiques de plus de 10 fois l’Ebitda au cours des années 2018 et 2019. Ce contexte vient mécaniquement augmenter la valeur des management packages à l’entrée et à la sortie des investisseurs, et l’horizon d’investissement moyen se raccourcit pour tendre vers trois ans. Par ailleurs, la loi Pacte1 et les dernières jurisprudences concernant les management packages viennent impacter les instruments proposés aux dirigeants. Ces derniers s’interrogent fréquemment sur la notion de pertinence et d’efficacité des mécanismes dits de «ratchet» et ceux dits de «sweet equity».
Actualités sur les instruments utilisés
Sur la base de près de 200 opérations de valorisation de management packages réalisées en 2018 et 2019 (management packages structurés pour les PME européennes et analysés par NG Finance), les tendances de marché et instruments utilisés font ressortir une utilisation des actions de préférence (ADP) dites ratchet dans près de 48 % des structurations. Ces instruments représentent des instruments relutifs classiques, octroyant un partage des gains des investisseurs avec les dirigeants actionnaires. Les ADP dites «négatives» sont utilisées dans 38 % des structurations et font porter la prime des instruments par les fonds d’investissement. Malgré un certain déclin de leur utilisation, les bons à souscription d’actions (BSA) sont utilisés dans 7 % des structurations contemporaines. Les ADP sont privilégiées du fait de leur flexibilité financière, juridique et fiscale.
La structuration des management package intègre des mécanismes de partage de la plus-value fondés sur des critères de performance, en multiples d’investissement et en taux de rendement interne (TRI). Les deux critères sont souvent cumulés afin d’assurer un partage efficace de valeur lié à la performance lors de l’horizon de sortie des investisseurs. Les tendances de marché font ressortir une simplification des management packages sur l’année glissante avec un plancher de TRI cumulé à plusieurs tranches de multiples. Les critères de TRI sont présents dans 60 % des structures et font ressortir un TRI plancher de 15 %. Celui-ci correspond à un multiple de deux fois à cinq ans, qui correspond à un horizon de sortie moyen de l’investisseur financier. Un seuil de TRI de 20% se constate dans près d’un tiers des opérations.
Plus de 50 % des opérations ont un au maximum de deux seuils de TRI. Ajoutons que les seuils de multiples sont présents dans près de 90 % des cas et près de 50 % des structures ont un premier seuil de multiple qui démarre à deux fois. On constate également une évolution des seuils avec l’application de deux années de multiples puis l’application de seuils TRI au-delà.
Contrairement à la croyance commune, il est important de rappeler que la valeur de l’ADP ne dépend pas de l’investissement initial des investisseurs et dirigeants, mais bien des conditions de marché cumulées aux caractéristiques de l’opération souhaitée. Ces instruments sont des options financières, dont la valeur est fonction de leur caractéristiques (maturité, seuil de déclenchement, structure financière de l’opération et espérance de gain). La valeur d’une ADP est ainsi corrélée à son potentiel de gain et non à la valeur du sous-jacent à l’instant t (exemple du BSA).
Mentionnons également l’utilisation de plus en plus fréquente des ADP dites «gratuites» (AGADP) qui sont utilisées dans environ 10 % des opérations constatées. Le recours à cette typologie d’instruments dits «légaux» permet à la société de proposer des avantages à titre gratuits. Toutefois, cela accroît substantiellement le risque fiscal et social si ces titres ne sont pas évalués à leur juste valeur, au regard du paiement des charges sociales.
Le choix des bons outils a un impact sur la déductibilité des taux d’intérêt
Les praticiens opposent souvent les notions de ratchet et de sweet equity (ou encore «reverse rachet») tirées de leur anglicisme respectif de mécanismes relutifs et anti-dilutifs. Bien que les mécanismes de reverse ratchet semblent plus attractifs car moins exposés à un risque de requalification, il faut toutefois veiller à bien calibrer le taux appliqué sur ces instruments afin de se prémunir de tout risque de remise en cause de la déductibilité des taux d’intérêt.
La loi de finances pour 2019 vient mettre à plat un certain nombre de dispositifs dont celui du rabot fiscal qui disparaît au profit d’un dispositif plafonnant la déductibilité des charges financières nettes supportées par une entreprise. Le nouveau plafond mis en place correspond au montant le plus important entre 3 millions d’euros ou 30 % de l’Ebitda fiscal. Pour les entreprises sous-capitalisées, ces plafonds sont abaissés à 1 million d’euros ou 10 % de l’Ebitda fiscal. A noter que, en 2018, le niveau de dettes des entreprises a continué de croître de manière importante et ce depuis son niveau d’après crise, les taux observés s’élèvant aux alentours de 5 % à 12 %.
L’administration fiscale peut remettre en cause la notion de déductibilité fiscale des intérêts financiers. Ces intérêts financiers, lorsqu’ils sont jugés excessifs en comparaison aux taux légaux, peuvent alors être remis en cause si la normalité de leur emploi n’a pas été préalablement justifiée (CGI, art. 39,1-3°). Ces taux légaux constituent notamment la base des taux appliqués par les établissements de crédit. Or, ces taux, qui s’élèvent entre 2 % et 3 %, n’intègrent pas les mêmes niveaux de risques que ceux attachés à une dette subordonnée. En effet, les perspectives de risque et de rentabilité sont différentes entre un «financement» et un «investissement» : la frontière devient subtile lorsqu’il s’agit d’obligations convertibles.
Il est possible pour les entreprises d’avoir recours à des études afin de justifier des taux d’intérêt servis à des entreprises liées. Dans le jugement Paul Ka Holding ( TA Paris, 7 juin 2018), le rôle de l’administration fiscale s’est cantonné à la démonstration du manque de solidité de ces études concernant des obligations convertibles en actions portant un taux d’intérêt de 8 %. Ce jugement fait suite à l’arrêt Studialis (TA Paris, 18 janv. 2018) faisant ressortir une grande perplexité quant aux informations apportées par le contribuable pour emporter la conviction des services fiscaux. Le Conseil d’Etat (CE, 18 mars 2019, SNC SIBLU) appuie le fait que la référence à des comparables de marché sans analyse additionnelle sur la qualité propre de l’emprunteur n’est pas suffisante. Par ailleurs, le Conseil d’Etat précise que la preuve apportée peut être différente d’une offre de prêt et peut être fournie postérieurement à l’émission.
L’exercice de la justification des taux d’intérêts appliqués aux dettes subordonnées n’est pas aisé, mais il est devenu indispensable pour minimiser le risque fiscal. En amont des closings, l’expert indépendant intervient en parallèle des autres travaux effectués lors de la structuration du financement. L’analyse peut également être effectuée en aval, au travers de diagnostics ad hoc sur les lignes de financement unitaires ou en portefeuille afin d’effectuer une analyse de risque global. La notion fondamentale de la théorie financière repose sur le couple rentabilité-risque et permet d’argumenter la normalité du taux appliqué aux dettes subordonnées en ce sens. Il est ainsi exigé que les analyses soient transparentes et pédagogiques. L’application d’une méthodologie multicritère est ainsi grandement recommandée, allant de l’univers complet de financement (émissions comparables) au risque micro-économique de l’emprunteur et de son risque de défaut.
Questions à… Jacques-Henri Hacquin, associé, NG Finance
Quelles sont selon vous les problématiques actuelles du marché ?
L’abondance de liquidités agrégée à un cycle économique favorable conduit à une accélération des transactions à valorisation élevée sur le marché du private equity. Ce phénomène vient parfois à l’encontre des besoins exhaustifs que requièrent ces opérations en termes de détermination de la «juste valeur» des instruments souscrits. Les délais rapides et la réactivité sont de mise afin de traiter les détails clés du management package et en particulier les règles de gouvernance et de sortie. Ces opérations qui tendent à inciter un cercle plus large de bénéficiaires rendent plus complexes les opérations : lors de la structuration, les instruments utilisés sont de plus en plus sophistiqués afin de tenir compte des contraintes financières, juridiques et fiscales des différents investisseurs en présence.
Quelles sont les particularités de votre équipe dédiée à ces dossiers et comment se démarquent vos interventions ?
Afin de répondre aux besoins de nos clients, nous avons constitué des équipes réactives et pluridisciplinaires capables d’appréhender les besoins d’évaluations complexes tant sur l’aspect théorique que pratique. Nous intervenons sur des opérations transfrontalières ou locales au travers de nos différents bureaux (Paris, Londres, Bruxelles, Genève, Zurich). Nous sommes affranchis de tout conflit d’intérêt et bénéficions d’une expertise technique reconnue. Nous adoptons une approche transversale rendue possible par notre expérience pratique et pédagogique développée au fil des 600 dossiers traités. Nous exigeons de nos restitutions de répondre au langage des dirigeants, des investisseurs financiers, et à celui des différentes administrations fiscales.