Table ronde

Management package : la vigilance est de mise

Publié le 29 mai 2013 à 15h08    Mis à jour le 29 juin 2021 à 9h56

Propos recueillis par Ondine Delaunay et Florent Le Quintrec

Si le marché du private equity tourne au ralenti depuis plusieurs mois, plusieurs réformes d’ampleur sont récemment venues secouer les management packages. La fiscalité et quelques décisions jurisprudentielles ont rendu un peu plus instables les montages. Les spécialistes du secteur font le point pour Option Droit & Affaires.

Etat des lieux du secteur

Isabelle Buffard-Bastide : La maturité des acteurs du marché est en progression puisque les managers ont déjà vécu, pour la plupart d’entre eux, des opérations de LBO. L’une des difficultés provient aujourd’hui du statut complexe du manager, en raison du fait qu’il soit à la fois salarié ou mandataire social et actionnaire. D’un point de vue juridique et fiscal, il sera traité davantage en salarié ou davantage en actionnaire avec des droits différents qui cohabitent difficilement. Il y a par exemple désormais une immixtion du droit social dans des domaines autrefois soumis au seul droit des sociétés. Cette situation génère une incertitude à la fois juridique et fiscale sur les schémas envisagés.

D’un point de vue juridique, les instruments utilisés aujourd’hui sont les mêmes qu’auparavant, dans un environnement rendu encore plus difficile en raison du statut complexe des managers, mais aussi par certaines positions récentes de la Cour de cassation. Par exemple, en ce qui concerne les promesses de vente ou d’achat, instrument pourtant très utilisé notamment pour traiter le départ des managers, la Cour de cassation maintient sa position selon laquelle, la vente n’étant pas formée, il serait impossible de forcer l’exécution de ses effets. Cette position est loin d’être satisfaisante car c’est précisément l’exécution forcée qui est recherchée dans ces hypothèses.

Par ailleurs, un arrêt récent de la Cour de cassation du 4 décembre 2012 est susceptible d’affecter l’efficacité des clauses relatives à la détermination du prix de cession des titres dans les promesses. La Cour confirme en effet la possibilité du recours à l’article 1843-4 du Code civil. Cette position laisse penser qu’il serait désormais possible de remettre en cause les accords financiers notamment prévus dans les promesses en cas de départ des managers. En particulier on peut imaginer qu’il serait désormais permis aux managers, en cas de bad leaver, de remettre en cause les décotes sur le prix de cession de leurs actions prévues au moment de la signature de la promesse.

Carole Degonse : Les acteurs du marché sont très prudents car le dispositif législatif les encadre toujours plus, avec un risque de responsabilité accru dans un contexte économique difficile. Lors d’opérations de refinancement par exemple, certains dirigeants sont inquiets et s’interrogent sur l’intérêt ou la nécessité de réaliser l’opération et à quelles conditions. La mise en cause de leur responsabilité pour faute de gestion est un risque réel, comme le montrent les arrêts rendus récemment sur ce sujet. Cela peut alors conduire à un vrai désalignement d’intérêts entre les dirigeants et les actionnaires. D’une manière générale, les managers sont extrêmement prudents tant au moment de la négociation du management package – que ce soit sur le plan financier (ils savent que les retours ne seront pas forcément ceux connus par le passé) ou sur les questions de corporate governance – qu’en cours de vie du deal.

Patrick Roure : La frilosité ambiante est en effet palpable. Au regard de la fiscalité et des risques juridiques, la problématique de l’étranger se pose désormais beaucoup plus tôt. Elle était généralement examinée à la fin du deal. Aujourd’hui, la question est considérée même avant l’opération. Les managers et les fonds ont vocation à créer de la valeur ajoutée et de la richesse, mais aujourd’hui leur attention est portée sur des sujets qui ne sont pas créateurs de richesses et qui peuvent, avant, pendant, et lors du débouclage du deal, créer un désalignement avec les intérêts du fonds. N’oublions pas non plus que le management intermédiaire, qui n’aura pas forcément les mêmes responsabilités et donc pas le même dispositif, est de plus en plus intégré dans les deals. Il risque donc d’y avoir un multi-désalignement des intérêts.

Quel profil pour les managers ?

Olivier Goy : L’un des principaux problèmes du fonds est sa confrontation à des managers et non à des entrepreneurs. En période de crise, il y a deux types de réaction. Certains réagissent comme des entrepreneurs, habitués à l’échec et qui s’adaptent à la difficulté. D’autres sont arrivés dans un LBO comme managers avec des parcours fantastiques, en ligne droite, et se retrouvent dans une situation plus critique que celle dans laquelle ils exerçaient auparavant. Ils sont alors perdus quand il faut prendre des décisions difficiles, licencier ou couper dans les coûts. Ils se comportent comme des salariés et non pas en entrepreneurs. Cette situation induit toute une série de comportements, un recentrage sur soi, et c’est ainsi que les contrats signés sont remis en cause, que les good ou bad leavers ne sont pas respectés, ce qui provoque une judiciarisation des rapports entre les partenaires.

Il manque à certains managers de LBO l’apprentissage de l’échec. En capital-risque, les entrepreneurs sont habitués à ce type de difficultés. Dans nos 260 participations, qui vont du capital-risque au LBO, nous n’avons jamais eu de conflits juridiques avec des dirigeants de jeunes entreprises sur des packages alors que cela arrive dans des LBO sous tension. Certains managers, même si cela reste très minoritaire, sont mauvais joueurs et estiment qu’ils ne pouvaient pas perdre le capital initialement investi et qu’il revient au fonds de les rembourser. Cette réaction est assez surprenante, même si je m’abstiendrai de généraliser.

Patrick Roure : Etant membres du bureau de MB Entreprendre, nous faisons très attention, dans les candidatures qui nous parviennent, à l’aspect linéaire et protégé de certains cadres qui n’ont pas cette dimension de l’entrepreneur qui gère à 360 degrés son entreprise, qui en est le mandataire social. Le poids du mandat social ne peut être mesuré qu’une fois expérimenté.

Olivier Goy : Les managers revendiquent toujours leur côté entrepreneurs au moment des discussions initiales pré-opération, mais il faut faire attention à ceux qui ont eu de vrais échecs dans leur parcours et voir comment ils s’en sont relevés.

Isabelle Buffard-Bastide : A la décharge des managers, pendant des années, ont été recherchés des profils pour faire de la croissance. Il y a effectivement eu toute une génération de managers qui ont accepté de prendre des risques, mais qui étaient avant tout formatés pour faire de la croissance. Certains d’entre eux, bien qu’ils aient une mentalité d’entrepreneur, n’étaient pas des gestionnaires de crise. Lorsque cette dernière est arrivée, certains managers n’ont pas su s’adapter et leur remplacement a dû être envisagé.

Par ailleurs, la dimension entrepreneuriale des managers varie en fonction du niveau auquel les cadres sont associés au capital. Le top 10 est souvent composé de vrais profils d’entrepreneurs, mais plus on descend dans la hiérarchie et moins les salariés acceptent le risque associé à leur investissement.

Olivier Goy : Ce comportement peut malheureusement exister aussi dans le top 3…

Eric Delorme : Je pense qu’il faut distinguer le cas de l’entrepreneur, qui a levé des fonds auprès d’un capital-risqueur après avoir validé le modèle économique de la société qu’il a créée, de celui du manager salarié depuis de nombreuses années d’une filiale d’un grand groupe mis en vente. Ce dernier se retrouve volens nolens avec un nouvel actionnaire financier qui lui demande d’investir de l’argent à titre personnel – un an de salaire voire deux ans pour le top management. Il lui faut du temps pour s’adapter. Et lorsque le LBO tourne mal, les réactions violentes sont normales puisque le manager à la tête du LBO sait très bien que le fonds n’hésitera pas à le remplacer. Les crispations liées à des incompréhensions sont logiques.

Olivier Goy : Je ne les oppose pas, mais je pense qu’il ne faut pas être entraîné malgré soi à la tête d’un LBO.

Antoine Krug : Vous évoquez probablement là certains LBO antérieurs à 2009, notamment certains spin-offs, dans lesquels les dirigeants pouvaient être d’excellents cadres mais pas forcément des entrepreneurs. Siparex a été épargné par cette problématique car nous investissons principalement en small et mid-cap, avec toujours un projet actionnarial bâti autour d’un fondateur, ou de dirigeants, ayant une forte légitimité dans l’entreprise. Nous élaborons ainsi des pa­ckages qui concernent des cercles assez restreints de managers, généralement autour d’un dirigeant fondateur ou de dirigeants très légitimes. Dans une PME réalisant 50 millions de chiffre d’affaires et employant 150 salariés, les packages pourront ainsi concerner principalement trois ou quatre personnes. Par ailleurs, contrairement à ce qui a été évoqué précédemment, sur ce segment de marché et sur notre positionnement, nous n’observons pas de judiciarisation liée aux packages. Sur des managers du cercle 2, il peut apparaître des sujets de négociation en cas de départ mais qui sont généralement plus aisés à traiter car présentant des quantums plus faibles. En tout état de cause, lors de la mise en place de l’opération, nous travaillons toujours en très étroite relation avec l’entrepreneur pour définir avec lui le choix des managers qui pourront être concernés par le package et associés au capital de l’entreprise.

David de Pariente : Dans deux opérations de mid-cap et LBO secondaires sur lesquelles je suis intervenu récemment, j’ai plutôt constaté des approches normales, dans l’air du temps, avec une forme de morosité des managers. Dans le premier dossier, le return était relativement correct. Les managers considéraient que la valeur de cession de l’entreprise par rapport au marché et à ses perspectives incertaines était peut-être un peu élevée pour prendre le risque de réinvestir de façon très importante. Le dirigeant leader du projet a eu du mal à les pousser à réinvestir de façon autre que prudentielle. Pour le second, les managers manifestaient leur volonté d’être d’abord vendeurs, et plus accessoirement réinvestisseurs, et souhaitaient d’abord récupérer leur patrimoine investi initialement. Ils souhaitaient éventuellement garder un peu de plus-value, ne serait-ce que pour payer l’impôt, mais avec une certaine frilosité au réinvestissement. Les managers avaient gagné de l’argent substantiellement, mais aucun ne s’est mis en risque à nouveau, en investissant plus que la fois précédente, et chacun a gardé son apport initial. La période actuelle invite certainement à la prudence.

Antoine Krug : Au cours des dernières années, dans un contexte économique marqué par une forte volatilité et de grandes incertitudes, il est probable que bon nombre de porteurs de management packages, dont certains ont été embarqués dans des LBO très structurés montés dans la période excessive antérieure à la crise de l’été 2008, aient connu des périodes d’inquiétude forte sur la valorisation de leur package. Les managers ont une bonne compréhension des enjeux et sont de plus en plus aguerris à la compréhension des mécanismes. Il peut sembler cependant légitime qu’ils puissent avoir aujourd’hui une certaine forme de frilosité au moment de réinvestir alors que la valorisation finale de leur package peut s’éloigner de leurs prévisions initiales. En investissant principalement dans des opérations primaires, Siparex s’expose de fait moins à ces situations de managers déçus par une première expérience de package. Néanmoins, quand nous avons à gérer ces cas de figure, nous nous efforçons de leur proposer aujourd’hui des outils plus sécurisés, ayant sans doute une moindre espérance de multiples mais bénéficiant en contrepartie d’un risque bien mieux maîtrisé.

Tristan Parisot : La clé du succès est la qualité du management. Auparavant, les managers qui avaient eu un bon début de carrière dans des grands groupes avaient des étoiles dans les yeux lorsqu’ils parlaient private equity car ils pensaient gagner à tous les coups. Mais le monde a changé depuis 2007 pour les managers comme pour les fonds. Ces derniers ont amélioré la compréhension des business dans lesquels ils investissent grâce à des revues financières et stratégiques plus ciblées et plus sophistiquées mais l’évaluation du capital humain est plus difficile à appréhender. La compréhension du véritable track record d’un manager et sa capacité à créer de la valeur sont plus complexes à décortiquer. Depuis 2007, il est certainement plus facile de repérer les meilleurs diri­geants car la crise a permis de faire le tri. En plus des compétences de leadership et de «drive» habituelles, la motivation est devenue un critère clé. Ces années de crise ont usé certains managers. Il est parfois nécessaire d’injecter du sang neuf à la tête de l’entreprise d’autant que l’environnement compliqué dans lequel nous évoluons pourrait perdurer.

Yann Marteil : Il faut davantage raisonner sur l’équipe plutôt que sur l’individu. Mon principal souci est d’être entouré de la bonne équipe. Avoir des très bons seconds – directeur financier ou directeur commercial – est la clé. Et c’est quand le contexte change que l’efficacité de l’équipe de direction s’apprécie. Le package est décisif car être en LBO change absolument tout dans le quotidien, il faut que les énergies, la motivation soient intactes. Et il convient de rappeler que les packages doivent être attractifs parce que les salariés recrutés sont très bons et qu’ils ont des alternatives : certains pourraient facilement être «au chaud» dans un grand groupe pour les cinq à dix années qui viennent. D’ailleurs les process de recrutement chez Primavista sont longs et complexes et il m’est arrivé plusieurs fois de refuser de recruter des managers qui, malgré leurs qualités, n’avaient pas cette capacité à réagir quand le bateau tangue et à trouver cette situation stimulante. Bref ce qui fait à mes yeux un «manager entrepreneur».Il n’est désormais plus possible de leur proposer un salaire fixe qui ne correspond pas à un salaire de marché. A une certaine époque, ils acceptaient de les revoir à la baisse et de se rattraper sur l’opération in fine. Aujourd’hui, notamment face à une génération de mana­gers trentenaires habitués à l’e-commerce et aux salaires très élevés, ce n’est plus possible. Et l’incertitude fiscale et juridique qui pèse sur les packages est telle qu’ils ne veulent plus de montage exotique ou complexe : impossible de les rassurer sur ce sujet, en dépit de conseils de talent qui nous accompagnent. Il faut donc adapter les règles du jeu : par exemple les fonds doivent accepter que le retour pour les managers ne commence pas à partir d’un multiple de deux fois. Les fonds ne peuvent plus «se servir en premier» et envisager seulement ensuite de partager avec les managers, quitte à ce que les courbes de «ratchet» soient modifiées. Les intérêts doivent être alignés tout de suite.

Enfin, il est difficile en France de faire comprendre aux syndicats et aux cadres qui ne sont pas intéressés au LBO le contrôle permanent des salaires, de ne pas multiplier les embauches même si notre plan de développement est important, de rationaliser constamment les coûts et finalement de faire de la restructuration permanente. Ce n’est ni un sujet original, ni un sujet de crise, ce devrait être un sujet de bonne gestion.

Eric Delorme : Compte tenu de l’environnement économique dégradé et du levier proposé par les banques de financement inférieur à ce qu’il était avant 2007, la durée de détention, qui était auparavant de deux ou trois ans, a été fortement rallongée. Il faut donc protéger l’investissement du management dans ces situations. Autre protection à prévoir : son statut et la gouvernance d’entreprise dans un environnement économique extrêmement volatil. Nous l’avons bien intégré dans les opérations récentes sur lesquelles nous sommes intervenus. Troisième protection et non la moindre : la création de valeur doit être partagée selon des niveaux de performance financière qui sont en deçà du multiple de deux fois. Les fonds sont toujours très généreux lorsqu’ils visent des rétrocessions placées sur la droite de la courbe, soit à partir de 30 ou 35 % de TRI. Nous nous concentrons bien sûr sur les cas les plus réalistes : les performances entre 10 et 20 % de TRI et des multiples inférieurs au bout de quelques années.

Olivier Goy : Lorsqu’un fonds acquiert une entreprise à un prix élevé, le management package part forcément de beaucoup plus haut. En capital-risque, le raisonnement est le même. Les entreprises technologiques sont parfois dopées par des valorisations qui flattent l’ego des dirigeants au moment du tour de table, mais ils oublient que tant que les fonds d’investissement n’ont pas réalisé une fois et demie ou deux fois leur mise, par le jeu d’actions de préférence, ceux qui sont au-dessous ne touchent rien. Au moment de la cession, apparaissent alors des scénarios incroyables dans lesquels, si le prix de cession est trop proche du prix d’entrée, les intéressements ne valent plus rien. Négocier d’emblée sur une base de valorisation raisonnable permet d’avoir des management packages qui se déclenchent sur des seuils réalistes et accessibles.

L’instabilité fiscale et juridique

Jean-Pascal Amoros : S’agissant du couple risque-rémunération du risque, je pense que la perception des managers a été influencée par une instabilité fiscale extrême. Les douze derniers mois ont donné lieu à trois lois de finance rectificatives pour 2012, une loi de finance nouvelle, un régime des plus-values de cession de titres qui a été modifié à plusieurs reprises et dont une nouvelle modification vient d’être à nouveau annoncée le 29 avril dernier. Ce qui faisait l’essence même du management package, à savoir la rémunération du risque d’actionnaire pris par le manager, est aujourd’hui remis en cause. A l’heure actuelle, le traitement fiscal de la plus-value d’un investissement à risque est en effet aligné sur celui d’un salaire garanti, sous la seule réserve d’abattements aux modalités non stabilisées et, en tout état de cause, peu adaptées aux investissements sous LBO. L’environnement juridique a également été affecté par l’insécurité portant sur les promesses de cession de titres et les contreparties à apporter aux clauses de non-concurrence des actionnaires salariés. Il existe ainsi un certain nombre de domaines dans lesquels le statu quo ante n’est plus applicable.

La boîte à outils qui est disponible n’a certes pas changé, et nous utilisons toujours les BSA, les ADP et autres obligations convertibles. Mais l’analyse qui doit en être faite, en termes de débouclage fiscal, a elle profondément changé. Le facteur clé à considérer est devenu la durée de détention des actions, alors même que le manager n’en a qu’une maîtrise très limitée. Si la complexité et l’ingénierie restent de mise, les managers attendent des praticiens une meilleure lisibilité des packages et une entrée en courbe de rétrocession plus rapide. Les seuils de TRI déclenchant la rétrocession à plus de 20 % de TRI sont en contradiction avec l’état réel de l’économie. Les fonds devront accepter des grilles de rétrocession beaucoup plus attractives pour que les mana­gers prennent le risque d’investir dans une conjoncture très incertaine et nécessitant des qualités nouvelles de gestionnaire du changement et non plus de la croissance, comme cela avait été de mise dans les belles années du LBO. Ce faisant, demeure la délicate question du paramétrage de la gouvernance, elle-même influencée par les nouvelles règles fiscales de déductibilité des frais financiers dans les hol­dings françaises, imposant la démonstration d’une animation autonome et d’un contrôle effectif. Le débat sur les fonds hands-on/hands-off est ainsi relancé par la fiscalité.

Christophe Leclerc : Les managers ne font que s’adapter à l’environnement actuel de pression fiscale et d’incertitude économique. Ils demandent un intéressement basé sur la performance du fonds pour bénéficier d’un retour raisonnable si la situation se déteriore, et pour que leur investissement initial ne soit pas perdu. Avant 2007, les managers étaient portés par de la création de valeur naturelle. Leur investissement initial était non significatif et leurs multiples très élevés. Ils étaient prêts à prendre le maximum de risques. Tel n’est plus le cas aujourd’hui. Ils ont souvent investi dans des mécanismes optionnels qui ont désormais très peu de chances de se déclencher. Le réflexe récent est donc d’investir un peu d’argent dans ces mécanismes optionnels, mais d’investir plus en equity. Si jamais l’equity progresse un peu mais reste en dessous des seuils de déclenchement des mécanismes optionnels, leur capital aura au moins été protégé. Ce réalignement de l’investissement des managers est aussi lié au comportement de l’administration fiscale. Elle peut s’interroger pour savoir comment le manager a gagné 20 ou même parfois 50 fois sa mise. Si le manager a équilibré son investissement entre capital et outil optionnel, il va mécaniquement baisser son multiple à la sortie et pourra montrer qu’il a pris un risque d’entrepreneur plus classique. La plus-value sera dès lors plus en ligne avec la réalité que l’administration fiscale perçoit.

David de Pariente : Il faut quand même rappeler également la part nécessaire de risque au plan fiscal.

Christophe Leclerc : C’est un combat que nous menions face à l’administration fiscale, il y a trois ou quatre ans. Nous leur expliquions que les managers n’avaient pas simplement «joué au Loto» et gagné, car la période était porteuse et que si le marché se retournait, le manager aurait été perdant. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé. Au regard du contexte économique actuel, face à des management packages «gagnants», il est plus aisé d’expliquer à l’administration que les hypothèses prises au départ étaient raisonnables et que le montant investi a été évalué correctement, selon le prix de marché.

Tristan Parisot : L’objectif des fonds est d’épauler des managers vraiment motivés. Les fonds recherchent le meilleur alignement d’intérêt possible avec l’équipe de management qui doit légitimement bénéficier du fruit de son travail et de sa création de valeur. En raison de l’environnement économique mais aussi d’une ponction fiscale alourdie, les managers peuvent se retrouver avec des packages sans valeur, «sous l’eau». On parle beaucoup d’argent entre financiers mais heureusement la plupart des managers sont avant tout motivés par une aventure entrepreneuriale et par un projet d’entreprise. La relation avec le fonds doit être équilibrée avec une corporate governance claire entre les parties. Le fonds doit être impliqué par le manager mais aussi s’impliquer, être «hands-on» sur certains sujets en apportant autant que possible sa contribution à la création de valeur.

Antoine Krug : La période est globalement plus favorable aujourd’hui pour établir ce rapport gagnant-gagnant entre l’investisseur et les managers. Avant 2008, beaucoup d’opérations se sont montées sur la base de processus d’enchères particulièrement – trop sans aucun doute – accélérés. Certaines banques conseils ne proposaient parfois qu’une ou deux réunions pour rencontrer une équipe de managers et négocier un management package. Aujourd’hui, ce type de situations excessives n’a heureusement plus cours et nous apprécions de pouvoir provoquer de nombreuses occasions d’échanges avec les managers, aussi en amont que possible de l’opération, pour pouvoir évoquer ainsi tous les cas de figure, toutes les situations. Il faut mettre cartes sur table, s’efforcer d’être particulièrement transparent pour éviter ces tensions qui peuvent naître d’un environnement flou. Les packages sont désormais plus travaillés et les opérations mieux équilibrées, offrant ainsi un meilleur alignement d’intérêt entre le fonds et les managers. Dès lors que chacun s’est montré professionnel lors des discussions initiales, il est possible de croire que ces déceptions se feront plus rares à l’avenir.

David de Pariente : Dans les principaux pays européens où le capital investissement est actif, on constate une forme de normalisation des management packages. Dans une opération dans laquelle je conseillais un fonds anglais il y a quelques années, j’avais expliqué à mon client ce qu’il fallait faire sur le management package pour remporter le dossier. Il m’avait pris pour un fou. Il existait alors une véritable différence dans l’approche du management package en France et en Grande-Bretagne.  Aujourd’hui, les pratiques sont relativement normées au plan européen. Il existe le même type de ratchet, de quantum d’investissement, il n’y a plus de différence aussi importante entre le marché français qui était très pro-mana­gers et le marché anglais ou allemand plus classiques.

Carole Degonse : Les marchés allemand et anglais ne sont pas encore très développés au niveau des management pa­ckages. Ils ont environ dix ans de retard par rapport au modèle hexagonal, même si les tendances récentes du marché français montrent un retour à des situations plus «normalisées» par rapport à la situation de 2008.

Jean-Pascal Amoros : S’agissant des management packages, l’exception française se manifeste surtout par la forte influence de la fiscalité sur la structuration des packages. Quant à la maturité du marché actuel en France, elle se caractérise par une professionnalisation accrue des acteurs, y compris au sein de l’administration fiscale, qui a recruté en son sein des spécialistes de l’évaluation financière pour pouvoir donner la réplique à des managers accompagnés par des conseils de plus en plus spécialisés. Je pense par ailleurs que les conseils sont moins jusqu’au-boutistes et ont conscience de l’intérêt de leurs clients. Ils privilégient des négociations équilibrées autour de plans d’affaires volontaristes mais économiquement cohérents, avec une rémunération des managers en phase avec le marché et un intéressement traduisant la création de valeur en période de crise.

La renégociation des packages

Jean-Pascal Amoros : Les changements récents de la fiscalité n’ont pas entraîné en eux-mêmes de renégociations de packages existants, c’est plutôt la dégradation du contexte économique et la renégociation forcée de la dette bancaire qui conduisent à réexaminer les packages existants. Je pense néanmoins que les outils qui seront utilisés demain vont être influencés par la nouvelle donne fiscale. Ainsi les problématiques de choix entre les outils optionnels que sont les ABSA, les ADP, les BSA ou les obligations convertibles devront être revisitées.

Yann Marteil : La renégociation du package au cours de l’opération est importante. Jusqu’à présent, les renégociations survenaient en cas d’échec ou de changement d’actionnaire. Mais le fait que la fiscalité ait évolué depuis deux ans entraîne un changement des règles du jeu pour le manager. Certes, ce n’est pas de la faute du fonds, mais force est de constater que l’histoire n’est plus la même. Depuis les changements législatifs récents, les managers ont été plus impactés que les fonds d’investissement sur le traitement fiscal. Pourquoi ne pas modifier en cours de route les management packages même sans problème économique, sur la base de ce changement fiscal ? Par ailleurs, le contexte de tension économique européen change la perspective de délai de sortie et les business plans doivent être réajustés. Le pendant du changement de business plan devrait être la possibilité de réaligner les packages. Ce que le fonds et les managers ont signé en début de route, ils doivent pouvoir en rediscuter un ou deux ans après. Ceci n’entraînera pas une instabilité permanente, mais lorsque la vie de l’entreprise change, les conséquences doivent en être tirées.

Olivier Goy : Le carried interest est finalement le management package des gérants de fonds. Or il est passé au fil des années d’une fiscalité extrêmement favorable à une fiscalité beaucoup plus punitive. Ces changements n’ont entraîné aucune renégociation. Les carried interests n’ont pas augmenté depuis.

Yann Marteil : Les fonds qui sont actuellement en levée ne prennent-ils pas en compte ces changements fiscaux ?

Olivier Goy : Non, pas à ma connaissance. Je ne connais pas de fonds qui ait changé ses règles de carried à cause du changement de la fiscalité. Je rappelle également qu’il me semble compliqué pour un fonds de garantir un net fiscal aux managers des sociétés en portefeuille.

Yann Marteil : Tirer des conséquences du changement fiscal me semble être du bon sens. La négociation d’un management package est intégrée à la vente, elle est compliquée et on ne peut pas se l’offrir trop souvent car elle coûte cher en termes de conseil et de temps. Mais pourquoi ne pas le prévoir à intervalles réguliers ? Si l’un de mes salariés connaît un changement majeur dans son quotidien, il me paraît normal qu’en tant que patron, je renégocie son salaire ou son bonus. Au lieu de prévoir un rendez-vous uniquement à la sortie, forcément source de grande tension, il faudrait avoir des mécanismes plus souples avec des rendez-vous plus réguliers.

Olivier Goy : Je comprends que l’on adapte les outils lorsqu’ils ne fonctionnent plus mais il y a une fiscalité globale pour tout le monde. Malheureusement quand la fiscalité globale augmente, on ne peut pas renégocier sur cette seule base.

Patrick Roure : L’alignement doit se faire à tous les niveaux. Aujourd’hui, les fonds d’investissement sont en discussion avec les LPs car le périmètre n’est plus le même que lors de la création du fonds. Au sein des entreprises, nous ne sommes plus dans une logique de croissance mais dans une logique de réinvention et de remise en question de l’entreprise. Les fonds et les managers impliqués dans le LBO sont également en discussion. Nous ne pouvons pas rester dans une vision statique, avec des accords qui aujourd’hui ne sont plus tenables. Les intérêts de chacun doivent être réalignés et pour les management packages, il est capital de prévoir un mode de dynamique d’évolution du package.

Tristan Parisot : La renégociation du management pa­ckage ne doit pas être un sujet tabou mais il ne faut pas non plus tomber dans l’autre extrême et rouvrir ce sujet sensible tous les deux ans, car ces discussions ont très souvent un impact sur la qualité de la relation entre le fonds et le management. Si les performances ne sont pas celles souhaitées, cela n’est pas nécessairement dû au manager, la crise étant passée par là. Cela dit, l’environnement s’est compliqué pour l’ensemble des acteurs : les fonds ont plus de difficultés à lever des capitaux avec des contraintes accrues de la part des LPs et, une fois cet obstacle franchi, leurs investissements créent moins facilement de la valeur en bénéficiant de levier financiers et fiscaux moins avantageux qu’auparavant. En conséquence, les TRI des fonds ont tendance à diminuer et les carried interests des équipes de gestion sont également très impactés. Le manager doit avoir en tête la situation de son sponsor quand il veut renégocier son management package.

Patrick Roure : Le bon manager anticipe ce genre de situation. Il sait bien que les bonus de ses collaborateurs peuvent être mal positionnés et leur proposera alors une solution. Cette logique est la même pour les LPs et les fonds. Je connais un certain nombre de fonds qui ont pu renégocier avec leurs LPs la durée d’exécution afin de se positionner à contre-cycle, et ce de manière totalement pertinente. Les fonds doivent anticiper les désalignements destructeurs de valeurs et en discuter avec le management de l’entreprise.

Eric Delorme : Il ne faut pas opposer en permanence le fonds d’investissement et le management. Les fonds d’investissement professionnels et les managers de qualité, parviennent, à moins qu’il y ait divergence de vue sur la stratégie de l’entreprise, presque toujours à trouver une solution pour réaligner les intérêts de chacun. Nous avons vécu deux grandes vagues de restructurations : la première dans les années 2009-2010 durant laquelle un certain nombre de banques ont parfois pris le contrôle d’entreprises. Les restructurations étaient alors assez légères et consistaient essentiellement en un report de certaines échéances de la dette senior en contrepartie de l’apport de «new money» par l’actionnaire financier. Elles sont aujourd’hui plus lourdes et les banques répugnent à prendre le contrôle et font alors appel à des fonds de retournement. Les banques se mettent d’accord avec ces fonds qui apportent le new money et la banque fixe au fonds la performance du «nouvel actionnaire». Nous sommes récemment intervenus pour le compte du management dans une situation de ce type et c’est à l’intérieur du waterfall négocié entre toutes les parties que les intérêts du management sont réhabilités.

Tristan Parisot : Je partage ce point de vue. Les restructurations ont été globalement légères en 2009-2010. L’objectif était alors de mettre la poussière sous le tapis en demandant par exemple aux banques une extension de maturité de deux ans et une renégociation des covenants. Les nouveaux business plans étaient un peu plus prudents mais tout le monde anticipait une reprise de l’économie dès 2011. Malheureusement, cela n’a pas été le cas. Aujourd’hui, nous avons des restructurations opérationnelles et financières plus violentes et plus compliquées. Si les banques ne veulent pas prendre le contrôle des entreprises, elles sont en revanche beaucoup plus déterminées à recouvrer leurs créances le plus rapidement possible même au prix d’un abandon partiel. Si elles croient au management et au projet de l’entreprise, les banques peuvent également accepter un système de cascade de flux qui réaligne les intérêts de l’ensemble des parties avec l’objectif de récupérer, à un horizon de quatre ans, la totalité de leur mise initiale.

David de Pariente : Effectivement, il y a des secteurs dans lesquels les banques sont prêtes à prendre le contrôle et d’autres où elles ne le sont pas. Elles conditionnent, de toute façon, leur effort à celui de l’actionnaire : soit il injecte de la new money, soit il y a une dilution du capital voire une cession. Dans le cadre des restructurations, ce sont les affaires spéciales qui sont alors en charge, ce qui est un peu différent du banquier traditionnel. L’actionnaire est alors dans une position plus difficile et le sort du manager dans ce genre de négociation se dessine davantage dans un duel entre actionnaire et banque que dans un duel manager-banque.

Tristan Parisot : Mentionnons également la présence du mezzaneur qui peut être une solution de recours pour l’entreprise. La simple conversion de sa créance a pour effet de réduire l’effet de levier, parfois de façon considérable. Bien entendu, le mezzaneur n’a intérêt à accepter cette conversion qu’en échange d’une part significative, pour ne pas dire majoritaire du capital. Quatre opérations de restructuring mid-cap se débouclent actuellement grâce aux mezzaneurs en place qui convertissent une bonne partie de leurs créances. Dans ces cas, le mezzaneur doit croire dans la capacité du manager à créer à nouveau de la valeur.

Isabelle Buffard-Bastide : Le manager est souvent au cœur de la crise qui peut exister entre les actionnaires, les banquiers et les mezzaneurs. C’est dans cette situation que la gouvernance que l’on a pu prévoir contractuellement, notamment à travers le pacte d’actionnaires, prend toute son importance. Nous avons évoqué le désalignement des intérêts financiers en raison de la fiscalité, mais sur le plan juridique, il est capital que demeure un alignement des intérêts juridiques, et à cet effet il paraît important que le fonds et les managers se soient parfaitement entendus sur le rôle que chacun a à jouer. Les fonds font le choix d’être hands-on ou hands-off et cette ligne de conduite choisie au départ doit être tenue. Des fonds déclarent parfois ne pas vouloir prendre de poste d’administrateur et préférer être au conseil de surveillance mais ils souhaitent néanmoins pouvoir donner leur accord préalable à toute une série de décisions qui peuvent relever de la simple gestion opérationnelle. S’ils ne sont pas des dirigeants de droit, ils deviennent alors parfois des dirigeants de fait et cela aboutit aux mêmes conséquences en termes de responsabilité. Lorsque la situation se crispe, non seulement il est souhaitable que les règles de la gouvernance soient respectées, mais il doit aussi y avoir un consensus entre les différents acteurs sur la conduite à tenir, par exemple concernant la décision de recourir à un mandat ad hoc ou à une conciliation. Tout se passe beaucoup mieux lorsqu’il y a un alignement des intérêts et que chacun joue le rôle qu’il a entendu tenir.

Christophe Leclerc : Dans une situation classique, le management package est un partage de valeur entre l’actionnaire et le management. Dans le cadre d’une restructuration, l’ensemble des acteurs (fonds, mezzanine, banquiers) veut avoir sa voix au chapitre. Ils vont chacun demander au manager de protéger leurs propres intérêts. Cela devient alors un véritable casse-tête et on peut arriver à des situations où plus personne ne comprend véritablement ce qui se passe. En parallèle, le manager procède à la restructuration de son entreprise, négocie avec les banques, avec l’arrivée d’un nouvel actionnaire, et travaille donc dans un environnement particulièrement compliqué dans un laps de temps très court sans avoir été impliqué dans la définition du nouveau package. Les banques, le mezzaneur et les actionnaires ont négocié ensemble son nouveau management package et le lui remettent. Certaines situations peuvent être ubuesques.

Tristan Parisot : Certaines situations peuvent être compliquées, mais d’autres sont parfois plus simples : le mezzaneur convertit sa créance, apporte du new money et devient l’actionnaire de référence aux côtés du management en accord avec le fonds qui ne veut plus ou parfois ne peut plus réinjecter de new money, le tout dans l’intérêt social de la société qui voit le poids de sa dette diminuer.

Christophe Leclerc : Absolument, mais ce n’est pas le cas lorsque les banques invitent les fonds à réinvestir de la new money. On peut alors se retrouver avec de véritables usines à gaz.

Carole Degonse : Nous avons été confrontés à ces situations mais plus particulièrement lors d’un changement de managers à l’occasion de restructurations. Nous avons alors effectivement mis en place de nouveaux management packages, qui sont venus s’insérer dans des schémas compliqués et dont la structure était déjà renégociée entre les mezzaneurs et les banques, et il est vrai que le manager n’a pas toujours le choix de son package dans un contexte complexe et difficile.

Yann Marteil : A l’arrivée d’un nouveau management lors de restructurations, les banquiers le soumettent à des séances longues et détaillées car l’engagement des banques va dépendre de sa conviction que l’équipe va «délivrer». Dans ce cadre, il est paradoxal que les packages ne soient pas calés en amont. N’oublions pas qu’un LBO est un véritable marathon pour l’équipe dirigeante. Il est donc nécessaire que l’équipe soit sécurisée tant dans son investissement que psychologiquement. La première étape est de sécuriser le management et non l’inverse.

Eric Delorme : En règle générale, ce sont les banques qui veulent absolument re-incentiver les managers à l’occasion d’opérations de restructuration, car c’est un merveilleux effet de levier pour elles.

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