Par Christophe Leclerc, associé, Accuracy
Les management packages, instruments clés des opérations de LBO, permettent d’aligner les intérêts des principaux dirigeants et ceux des investisseurs financiers. Parce que leur constitution reste en France plus complexe que dans les autres pays, leur évaluation constitue également un sujet à la fois très technique et fondamental.
Une évolution à la marge
A l’occasion de la mise en place de son management package, le manageur investit un montant qui dépend de l’évaluation du package. Pour lui, cette opération doit faire la synthèse entre deux enjeux : d’un côté, il doit veiller à ne pas surpayer le package, car celui-ci est constitué d’instruments à risque. Si la société performe bien et connaît un fort développement, ces instruments gagneront beaucoup de valeur. Mais dans de nombreux cas leur valeur sera au final nulle. De l’autre côté, le package ne doit pas être non plus sous-évalué et la mise de fonds trop faible. Le manageur courrait alors le risque, si les instruments prennent de la valeur, que l’administration fiscale remette en cause le traitement fiscal de ces instruments.
La juste évaluation du package, ainsi que l’acceptation de cette évaluation par l’administration fiscale, restent donc des éléments fondamentaux et complexes. Cependant, si les discussions ont pu être à une certaine époque très difficiles, la situation s’est apaisée. L’administration fiscale, qui avait tendance à adopter une attitude radicale dans les discussions, car elle considérait que les packages étaient systématiquement sous évalués, se montre désormais plus ouverte à la discussion. Elle essaye avant tout de comprendre les méthodes utilisées et échange sereinement avec les évaluateurs. Les évaluateurs, pour leur part, ont pris en compte les remarques formulées par l’administration fiscale et adapté leur façon de procéder. Il est ainsi nécessaire de toujours mettre en oeuvre plusieurs méthodes en parallèle, et d’éviter toute subjectivité dans leur travail. La définition des hypothèses doit être argumentée, les raisonnements et les calculs expliqués en détails. Les évaluateurs doivent par exemple éviter de baser leurs calculs sur les multiples de sortie visés par les fonds, trop hypothétiques. Ils s’appuieront en revanche sur des éléments historiques et des données de marché. L’objectif est de rendre le raisonnement le plus explicite possible afin que l’administration fiscale le suive pas à pas, le comprenne, et ne le remette pas en cause.
S’adapter à la morosité économique
Le contexte économique peu porteur rend également nécessaire une réflexion sur le fonctionnement des management packages. Dans un environnement dynamique, il est facile de parier sur le développement de la société, et les seuils de déclenchement du package peuvent être ambitieux. Il était d’usage il y a quelques années de viser un TRI de 15% ou un multiple de sortie de 2x l’investissement. Aujourd’hui, la croissance faible rend plus difficile la tâche du manageur, à qui on ne peut plus demander de faire doubler de taille la société en quelques années. Pour s’adapter à cette nouvelle donne, les conseils proposent une double évolution : travailler sur le seuil de déclenchement, d’une part, celui ne pouvant plus être aussi élevé. D’autre part, et pour permettre aux manageurs d’investir de façon moins risquée, une deuxième composante est ajoutée à leur package, qui prend la forme d’investissement en actions ordinaires ou d’instruments indexés sur des seuils plus faible. Ainsi, le manageur ne risque pas de se décourager ou de tout perdre si le contexte ralentit le développement de la société.
Autre conséquence de la morosité économique, certaines sociétés sous LBO connaissent d’importantes difficultés. Les actionnaires financiers, s’ils croient toujours dans son potentiel, doivent parfois réinjecter des capitaux, et ils demandent alors aux manageurs intéressés au capital de réinvestir à leur côté. Ce geste est un signe fort pour le fonds et pour l’administration fiscale, car il montre l’implication des dirigeants, mais il demande d’ajuster le fonctionnement du package. De même, l’arrivée de nouveaux manageurs dans une société, que celle-ci soit ou non en difficulté, demande un travail d’adaptation sur les packages. Cela suppose d’aligner les intérêts de tous et d’éviter de créer des déséquilibres entre les anciens et les nouveaux.
Le management package pour tous
Si cet instrument reste caractéristique des opérations de LBO et atteint sa forme la plus sophistiquée en France, il est également utilisé par d’autres acteurs.
Les family offices par exemple peuvent y avoir recours lorsqu’ils prennent place au capital d’une société. L’horizon de temps est plus long et la pression de la dette moindre, mais le package permet de créer des incitateurs. Les seuils de déclenchement peuvent alors être indexés sur des agrégats opérationnels, la notion de TRI ne s’appliquant pas. Ces indicateurs opérationnels seront également utilisés dans le cadre de projets de développement, lorsque les investisseurs veulent pousser le management. Dans le cas d’un projet énergétique par exemple, ils pourront leur fixer le développement de la capacité de production comme indicateur.
L’intérêt des fonds étrangers pour des sociétés françaises, enfin, nécessite une réflexion allant au-delà du cadre classique des management packages. Si ceux-ci existent également à l’étranger, ils sont plus complexes en France et offrent des niveaux de rétrocession aux manageurs plus élevés. Cela peut dérouter, voire décourager, certains acteurs. Il appartient alors au fonds de décider s’il souhaite se plier à la spécificité française ou tenter de faire accepter ses propres pratiques. Pour les conseils comme pour les évaluateurs, il faut donc s’adapter à des situations plus compliquées et à des acteurs plus variés. Cela demande un travail important de pédagogie, et souvent plus d’énergie.
3 questions à... Christophe Leclerc, associé, Accuracy
Quel est l’ambiance générale de vos discussions avec la l’administration fiscale ?
Christophe Leclerc : Les discussions avec l’administration fiscale sont de plus en plus techniques. Leurs professionnels sont tout à fait à même de comprendre et de comparer la structuration d’un management package. Ils font désormais le tri entre les différentes évaluations qui leur sont présentées. L’importance d’une évaluation du management package, indépendante et préalable, réalisée par un expert de ce type de produit, est dès lors un atout majeur pour les dirigeants qui veulent réduire leur risque de redressement. Cela nous arrive également d’intervenir a posteriori de l’opération à titre d’expert pour éclairer les positions prises à l’origine et aider la discussion avec l’administration fiscale.
Vos méthodes d’évaluations ont-elles été modifiées par l’interventionnisme fiscal ?
Christophe Leclerc :Il nous semble important d’adapter autant que possible notre approche pour pouvoir discuter ensuite efficacement avec l’administration fiscale. Dans le cadre de notre méthodologie Accur’option®, nous utilisions d’ores et déjà deux des principales techniques, la troisième n’étant utilisée que pour valider les valeurs obtenues en cas d’écart entre les deux premières évaluations. L’expert se doit de pouvoir donner les clés, mettre en avant les spécificités de l’évaluation d’un management package de LBO. Il est donc important qu’il bénéficie d’une grande expérience pour pouvoir apprécier le réalisme de l’évaluation obtenue et être ainsi crédible vis-à-vis de l’administration fiscale.
Comment intervenez-vous ?
Christophe Leclerc : Nous travaillons aussi bien pour les managers, les fonds d’investissement que pour leurs conseils. Nous accompagnons ainsi certains managers depuis 2005, parfois à l’occasion de leur 3ème LBO. Dans une démarche qualitative, nous avons pris la décision de mettre en place une équipe totalement dédiée à ce type d’évaluations. Elle détermine d’ores et déjà de manière indépendante la valeur de près d’une centaine de management packages par an. Une dizaine de professionnels, principalement des profils d’ingénieurs, polytechniciens, centraliens ou encore normaliens ont été formés pour intervenir sur ces évaluations. Ces professionnels sont ainsi parfaitement à même de gérer des modèles compliqués, d’en comprendre les limites, de les adapter pour correspondre aux spécificités du LBO et du non coté.