Il est courant que les services vérificateurs fiscaux cherchent à requalifier les plus-values réalisées par les managers dans les opérations de LBO en salaires. Depuis plusieurs années maintenant, la jurisprudence fiscale est venue dessiner les contours de ces opérations ainsi que les conditions de tels redressements et encadrer les velléités de l’administration fiscale. Toutefois, une incertitude est récemment apparue en matière de charges sociales avec un arrêt de la Cour de cassation de 2019 (Cass. 04/04/2019 n° 17-24.470).
Clarification en matière fiscale
Concernant les promesses de rétrocession de titres ou de plus-values, la jurisprudence a décidé de leur sort dans un arrêt Gaillochet du Conseil d’Etat (26 septembre 2014, n° 365573) en estimant que pour les titres ou sommes attribués dans des conditions préférentielles octroyés eu égard à la qualité du salarié ou du mandataire social sans prise de risque financière ou en contrepartie d’un investissement modique, les gains qui en sont issus sont considérés comme des salaires.
Dans un deuxième temps, la pratique s’est déplacée vers les BSA. L’administration fiscale a alors considéré que leur inscription dans des PEA exonérant les gains pourrait être abusive, le législateur finissant par les exclure du PEA. Mais le risque de requalification des gains en salaire est plus rare pour les BSA hors PEA tant qu’ils sont justement valorisés lors de leur acquisition.
Dans un troisième temps, la pratique a développé les actions de préférences souscrites hors PEA. La jurisprudence fiscale s’est montrée, depuis lors, quelque peu plus favorable aux managers, notamment dans les décisions ci-après :
– un arrêt intéressant du Conseil d’Etat de février 2020 vient rappeler qu’une requalification en salaires nécessite, pour prospérer, qu’un service vérificateur caractérise la nature de ces gains, au lieu de se contenter de démontrer la volonté du fonds d’investissements d’intéresser à son capital certains dirigeants sur les gains qui pourraient être réalisés, et la certitude du retour sur investissements des dirigeants concernés ;
– plus récemment, la cour administrative d’appel de Paris a refusé légalement la requalification en salaires estimant qu’un fort effet multiplicateur de la mise de départ ne démontre pas, à lui seul, un avantage salarial, car le risque de pertes était aussi important. Par ailleurs, la cour énonce que les caractéristiques propres des valeurs mobilières souscrites par les managers peuvent être différentes de celles du fonds d’investissement qui, de par sa surface financière, est en position de force vis-à-vis de ses coactionnaires minoritaires.
Le juge fiscal a ainsi rappelé que l’application du régime des plus-values mobilières aux gains de management packages nécessite une prise de risque capitalistique, ce qui requiert a minima l’acquisition des valeurs mobilières (CAA Versailles, 1re ch., 26 janv. 2017, n° 14VE02824).
Enfin, les management packages peuvent aussi prendre la forme d’instruments parfaitement encadrés par la loi, comme les attributions d’actions gratuites. Attention néanmoins à ne pas être excessif sur le « ratchet » accordé à ces actions gratuites.
Aujourd’hui, l’incertitude concerne le volet social comme en atteste l’arrêt commenté ci-dessous.
Incertitude en matière sociale
Par un arrêt en date du 4 avril 2019 (arrêt Barrière référencée ci-dessus), la Cour de cassation se prononce pour la première fois sur la soumission à cotisations sociales des bons de souscription d’actions achetés par les dirigeants d’une société.
En l’espèce, à l’occasion d’une restructuration, une SAS a mis en place un contrat d’investissement des dirigeants leur permettant de souscrire des BSA à titre onéreux. Ces BSA ne pouvaient être exercés que dans deux situations dont l’une s’est réalisée en 2009, plus précisément la survenance de la sortie d’un fonds d’investissement coactionnaire. Les dirigeants ont donc cédé leurs BSA à la holding en réalisant une plus-value de plus de 2 millions d’euros.
Suite à un contrôle de la société portant sur les années 2008 et 2009, les Urssaf ont réintégré dans l’assiette des cotisations sociales le montant de cette plus-value.
Le TASS ainsi que la cour d’appel de Paris ont validé le redressement.
La Cour de cassation a également considéré que la souscription de BSA constituait un avantage soumis à cotisations mais n’a cependant pas totalement validé la décision des juges du fond.
Tout d’abord, les magistrats ont estimé que les BSA constituent un avantage qui entre dans l’assiette des cotisations sociales « dès lors qu’ils sont proposés aux travailleurs en contrepartie ou à l’occasion du travail et acquis par ceux-ci à des conditions préférentielles ».
En l’espèce, les deux conditions requises sont remplies selon la haute juridiction car tout d’abord un lien entre les BSA et le contrat de travail semblait effectif notamment en vertu d’une clause d’incessibilité des BSA et d’un engagement des dirigeants à les céder en cas de départ de la Société (clause usuelle dit de « leaver »), et il avait été démontré que les BSA avaient été acquis à des « conditions préférentielles ». Néanmoins, la Cour de cassation se garde bien de définir cette dernière notion, ce qui montre tout l’enjeu de la décision de la cour d’appel de renvoi.
Cette solution est critiquable car les BSA représentent un investissement financier soumis à des aléas inhérents à l’activité. Le risque de pertes n’étant pas à exclure, il est difficile de considérer la souscription de BSA comme un avantage économique systématique.
Par ailleurs, concernant le fait générateur, les juges ont estimé que l’avantage doit être évalué sur la base de la valeur des BSA à la date à laquelle ils sont devenus librement cessibles et non sur celle de la plus-value réalisée sur la cession. L’assiette soumise à cotisations est donc égale au montant de la plus-value. Les deux dates étant souvent, comme dans l’affaire soumise à la Cour, concomitantes, la portée pratique de cette précision devrait être limitée.
Cette décision reste frustrante d’un point de vue pratique, le juge judiciaire choisissant de ne pas s’aligner sur son homologue administratif en prenant en compte le prix payé pour l’investissement et le risque financier alors supporté, ce qui peut sembler regrettable concernant la sécurité juridique des LBO.
En conclusion, cet arrêt peut être sans conséquences réelles, la pratique des management package s’étant déplacée vers des instruments d’investissements réels et non optionnels comme les actions de préférence. Comme expliqué ci-dessus en matière de fiscalité, les actions de préférence sont souscrites à leur valeur de marché avec un réel risque capitalistique de perte de son investissement.
Questions à ... Stéphane de Lassus, avocat associé, Charles Russell Speechlys
Quelles sont selon vous les problématiques actuelles du marché ?
Les managers demeurent clés dans les opérations de LBO et leurs packages sont toujours âprement négociés. Par ailleurs, nous avons assisté à quelques renégociations de management package dans des groupes, durement affectés par la crise de la Covid, qui passent le plus souvent par des attributions de nouveaux plans d’actions gratuites. Il nous faut sensibiliser les managers sur le type de package à négocier car les enjeux fiscaux y sont très variés. Comme évoqué précédemment, d’un point de vue fiscal, le sort semble réglé pour les promesses de rétrocession de titres ou de plus-values qui ont systématiquement été requalifiées par le service vérificateur (absence de prise de risque capitalistique, absence d’investissement direct en valeurs mobilières...). La pratique des BSA semble aussi tendancieuse, mais surtout du fait de leur inscription dans un PEA. Le risque de requalification des gains en salaire est plus rare pour les BSA hors PEA. La pratique s’est déplacée vers les actions de préférence, souscrites hors PEA. La problématique fiscale est aujourd’hui quasiment réglée notamment grâce à une grille de lecture établie par le juge fiscal et le Comité de l’abus de droit fiscal fondée sur l’analyse de la prise de risque capitalistique du dirigeant et l’exigence d’un lien salarial ou de mandataire avec le groupe cédé. Enfin, les management packages peuvent aussi prendre la forme d’attributions d’actions gratuites, telles que prévues par le Code de commerce.
Cependant, les actions gratuites possèdent plusieurs inconvénients :
– tout d’abord, le premier défaut réside dans le principe même de la gratuité, qui peut être contraire à la philosophie des actionnaires notamment de type fonds d’investissement, qui préféreraient que les managers investissent réellement à leurs côtés afin d’aligner leurs intérêts ;
– par ailleurs, la fiscalité fluctuante des actions gratuites avec l’application des règles relatives aux traitements et salaires concernant les gains supérieurs à 300 000 euros par an de gains n’encourage pas ce type d’outils. Enfin, la charge de la contribution patronale au taux de 20 % (calculée sur les valeurs lors du vesting définitif) supportée par la société attributrice des actions gratuites n’incite pas non plus à retenir ce genre d’instruments, particulièrement dans les LBO importants.
Le risque de requalification concernant les gains des attributions d’actions gratuites reste rare. Mais attention, il ne faut pas en abuser avec des actions trop préférentielles.
La problématique principale aujourd’hui pourrait se déplacer sur la matière sociale, comme en témoigne l’arrêt commenté ci-dessus.
Quelles sont les particularités de votre équipe dédiée à ces dossiers ?
Notre équipe dédiée est l’une des plus reconnues du marché, notamment en fiscalité patrimoniale. Nous accompagnons les managers dans tous les domaines juridiques et fiscaux liés à leurs investissements voire dans les phases contentieuses. Membre d’un réseau international présent notamment au Royaume-Uni, au Luxembourg, en Suisse et à Hong Kong, nous pouvons assister les équipes de management implantées à l’international dans leur problématique de structuration.
Comment accompagnez-vous vos clients ?
Nous accompagnons nos clients sur le long terme souvent sur plusieurs opérations de LBO et parfois aussi, pour les plus « successful », dans leurs propres opérations de réinvestissements. En effet, certains managers ont créé récemment leur propre entité afin de réinvestir les proceeds perçus sur plusieurs LBO. Concrètement, nous pensons que lors d’une opération de mise en place d’un management package, ou impactant le management package existant, le conseil des managers doit être à même de coopérer pleinement avec les autres spécialistes impliqués comme bien entendu les conseils financiers, les banquiers, mais aussi les avocats des fonds avec qui la relation doit être plus franche et moins crispée, car en ces temps de crise, l’alignement des intérêts entre les différents actionnaires d’un LBO est primordial.